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Le Canada qualifié de Grande Ukraine Pour ceux qui s'intéressent à la situation internationale, l'état des relations entre le Canada...

jeudi 16 novembre 2017


Quatre infanticides constitutionnels en cinquante ans !

Les tentatives pour modifier le statut constitutionnel du Québec  meurent toutes prématurément


Lorsque René Lévesque procéda à l'abandon officiel de la souveraineté en 1984, pour épouser ce qu'il qualifia lui-même de « beau risque », le parti éclata ! Un clash semblable se produisit lors du départ de Jean-Martin Aussant, en 2011. Un autre mélodrame !

Mais à quoi riment donc depuis 50 ans ces crises devenues si prévisibles entre « indépendantistes déterminés » et « souverainistes associatifs » plus conciliants ? Une explication courante voudrait que la prépondérance d'un camp sur l'autre nous ferait avancer ou pas, que l'on s'approche du but ou que l'on s'en éloigne. Est-ce bien le cas ? Il est permis d'en douter.

Par un aveu surprenant, René Lévesque va nous aider à réfuter cet antagonisme apparent. En 1967, dans une sorte d'éclair de lucidité, il écrivait : « le minimum vital pour le Québec est un "maximum ahurissant et tout à fait inacceptable" pour le Canada anglais ». Il ne pouvait mieux dire ! La conséquence immédiate de cette réalité dévoilée ne serait-elle pas de renvoyer dos à dos les deux camps autonomistes et leur réthorique concurrente ? Tant ils sont comme cul et chemise par leur refus de croire que tout ce qu'ils peuvent formuler constitue « un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable » pour le Canada anglais. Devant un tel mur d'intransigeance dénoncé par Lévesque, le comportement avisé ne serait-il pas d'adopter la position d'une résistance obstinée ? De se préparer à une lutte organisée qui ne connaîtrait pas de trêve ? Ne serait-ce pas chez les nôtres de s'armer d'une volonté à toute épreuve pour arracher enfin quelques gains autour d'un « minimum vital » ? Que nenni. Des quatre passes d'armes d'importance contre Ottawa en cinquante ans, aucune n'a satisfait aux exigences minimales de la rigueur et de la détermination qu'aurait dû inspirer le jugement tranchant de René Lévesque sur le Canada.

Le Canada maître absolu du jeu politique
Le Canada anglais a toujours été le maître absolu du jeu politique. En cinquante ans, le Québec a eu beau s'escrimer à formuler ses revendications - minimales, ou maximales - il n'en fera aboutir aucune. Qu'il revendique un ajustement de statut ou l'indépendance c'est du pareil au même. En somme, tous les événements donnèrent raison à Lévesque. Le fédéral n'a jamais consenti à rien car rien ne l'obligea à infléchir son intransigeance. Rien ne l'obligea à réfléchir autrement qu'en ses propres termes sur l'avenir du Canada, la présence du Québec et du Canada français ne réussissant jamais à s'imposer dans ses équations.

Vu sous cet angle, quelle différence y a-t-il en effet entre l'indépendance et un statut particulier ? En pratique, il n'y en a aucune car les ambitions autonomistes sont vouées à échouer devant une intransigeance absolue. Et elles seront indéfiniment ajournées tant que la classe politique continuera de défendre avec si peu de détermination et de sérieux les intérêts du Québec.

Sortir du coma politique
Pour repartir au combat il serait avisé pour les Québécois de sortir du « coma politique » dans lequel ils sont entrés au lendemain du référendum de mai 1980.i Ils devraient comprendre que la « Confédération n'a jamais été un pacte librement consenti avec un partenaire de bonne foi, mais l'imposition d'une condamnation irrévocable avec un enfermement perpétuel », comme l'explique Me Christian Néron, constitutionnaliste, consulté pour la rédaction de cette série.

Les graves carences de leadership ont commencé dès le début avec Lévesque qui a vite oublié sa propre lucidité, cité plus haut. Au lieu d'accorder ses actes avec sa lumineuse précaution, notre stratégie a gravement sous-estimé l'entêtement - prévisible - du Canada à conserver le statu quo, et, il ne s'est jamais préparé à mener un combat opiniâtre et de longue haleine. Faisant volte-face, il a cru - ou fait croire ? - que le changement de statut du Québec pouvait se décider dans la courte parenthèse d'un référendum. Une parenthèse ouverte et aussitôt refermée.

Un navire amiral sans pilote
Chaque fois que des occasions de marquer des points  à notre avantage ont été ignorées ou négligées, les plus déterminés en ont mis la faute sur le compte d'un pilotage mené par des « réformateurs du fédéralisme ». Cette explication ne tient pas vraiment la route non plus car elle refuse de voir que nos échecs à répétition ne viennent pas d'erreurs de pilotage mais de l'absence totale de pilotage ! C'est ahurissant, mais il est temps que les passagers comprennent qu'il n'y a jamais eu de pilote au gouvernail du navire amiral ! Une peur maladive de s'emparer du gouvernail a toujours été le réflexe typique de notre état major national depuis Georges-Étienne Cartier, une étourderie morbide qui a continué sa belle carrière tout au cours de l'ère péquiste. Bye bye libération !

De révolution tranquille à colonie tranquille
Les prétentions si souvent répétées que la révolution tranquille nous aurait libérée de notre mentalité de colonisés ne seraient qu'une façon de se détourner de la réalité pour se réfugier dans de belles illusions. En fait, le Canadien français se complaît tellement dans son statut de colonisé, vivant au dessous du minimum vital, qu'il n'arrive plus à s'imaginer qu'il pourrait s'en sortir un jour. René Lévesque en est l'exemple le plus dramatique.

En réalité, et c'est là toute l'affaire, que ce soient les « séparatistes » ou les « provincialistes » qui aboient le plus fort, nous restons essentiellement dans la distraction coloniale des vœux pieux et des programmes enluminés. On a toujours cru plus vertueux de mener un combat pour prouver la viabilité d'un Québec indépendant - se conforter les uns les autres - plutôt que de faire le procès en bonne et due forme d'un régime qui nous a été imposé et qui nous a toujours privé d'un « minimum vital ». C'est la cécité du colonisé qui nie la présence d'un éléphant dans la pièce. La problématique que pointait lucidement Lévesque et que personne n'a suivie - pas lui-même - laissant libre cours à la volonté de domination du régime anglo-canadien et ses forfaits.

Le Canada remporte la bataille des mentalités
La conséquence c'est que la bataille des mentalités a été gagnée jusqu'ici par le Canada. À tel point que beaucoup de ceux qui voteront Parti québécois aux prochaines élections de 2018 seront toujours sous l'influence du Canada. Beaucoup sont persuadés de son bon droit, de sa bonne foi, de sa supériorité morale. Nous récoltons l'abandon de l'éducation politico-historique, qu'elle fut de Lionel Groulx, de Maurice Séguin ou du RIN. Au lieu de travailler les fondamentaux de notre combat national et de les consolider, nous avons trop misé sur une «pédagogie» d'enfants d'école pour grignoter des « OUI ». Comme si de convaincre « ceux qui ne comprenaient pas » suffisait.
Dans sa psychologie politique, le Canada anglais a compris les limites de son adversaire domestiqué depuis longtemps : pour lui il est inutile de s'énerver devant les aboiements de quelques chiens battus et édentés.

De la contradiction principale
On me permettra ici un petit détour pour des raisons d'utilité pédagogique. À l'époque de la guerre sino-japonaise, la Chine est envahie par le Japon. Pour s'opposer aux membres de son parti qui veulent continuer de combattre le Kuomintang, Mao Zedong prononce une conférence en 1937, qui deviendra le petit essai intitulé « De la contradiction ». Il explique alors l'importance de bien identifier la contradiction principale, c'est-à-dire celle dont dépendent toutes les autres. Dans ce cas de figure, la contradiction principale posait la nécessité de mettre fin aux hostilités entre le Kuomintang et le Parti communiste, d'unir les deux camps chinois pour chasser l'envahisseur japonais, l'ennemi principal. Cela semble plein de bon sens.

Pour le René Lévesque de tous les jours, et en fin de compte pour toute la tradition péquiste, la promotion de « la cause » ne s'est jamais départie d'ambivalences à l'endroit du Canada. On ne s'est jamais affranchi d'une auto censure qui, bien que ponctuée d'occasionnels coups de gueules, s'est toujours interdit d'instruire la fourberie du fédéralisme et de son insatiable volonté de puissance.


Des quatre tentatives pour modifier le statut du Québec depuis cinquante ans

La première
Quand René Lévesque nous lance le soir de la défaite référendaire son « À la prochaine! », c'est qu'il renonce à poursuivre le combat par tous les autres moyens légitimes et raisonnables qui sont à sa disposition. Il venait de s'écraser sous la peur et nous conseillait d'en faire tout autant. À quoi bon un minimum vital pour le Québec ?

La deuxième
Quand, en 1981, revenu bredouille et trahi d'Ottawa, une performance néanmoins marquée par l'impéritie de la délégation du Québec, il soufflera à nouveau sur les braises d'une indignation légitime.  Contre toute attente, il fera volte face pour les éteindre quelque mois plus tard. Il renverra aux douches ceux qui, le prenant encore pour chef, étaient montés - pour une deuxième fois - aux barricades à son appel.

La troisième
Quand le Canada a renié sa parole – une autre fois – et que l'Accord du lac Meech a fait long feu, Robert Bourassa, premier ministre à l'époque, se retrouvait avec tous les atouts en mains pour rebondir. Il le laissera d'abord supposer en livrant un discours prometteur du 22 juin 1990. Il fera volte face à sa manière en laissant passer le temps pour que refroidisse l'indignation nationale et faire oublier son renoncement à faire suivre ses paroles par des actes.

La quatrième
Dans la foulée, Parizeau profite à son tour de l'indignation de Meech, qui reste présent dans les esprits, pour repartir au front. Il se lance avec témérité dans une nouvelle aventure référendaire dans laquelle il placera toutes ses billes. Mais il démissionne précipitamment à son tour le soir même du référendum de 1995, un geste prématuré qu'il regrettera plus tard. Trop tard !  Il avait oublié sur le moment qu'il pouvait attaquer des résultats contestables, ou doubler la mise. Il s'écrase lui aussi et renonce à toute forme de combat. Dans une approche mal inspirée par le tout ou rien, il procède à la démobilisation générale de ses partisans. Quand il a perdu un combat - et non la guerre - il reste toujours à un chef la liberté de se cramponner à ses acquis,  déjouer les manoeuvres à venir de l'adversaire, garder haut les coeurs en attendant une prochaine passe d'armes et des jours meilleurs.   

Tableau


Référendum Rapatriement constitution Négoci-ations du lac Meech Référen-dum 1995
Début 16 nov. 1974 Adoption de l'étapisme 15 sept. 1980 Conférence constitutionnelle 30 avril 1987 Conférence constitutionnelle au lac Meech 12 sept. 1994
Élection de Jacques Parizeau
Fin 20 mai
1980
17 avril 1982 22 juin 1990 30 octobre 1995
Protagonistes du Québec René Lévesque-Morin René Lévesque-Morin Robert Bourassa (PLQ) Jacques Parizeau
Protagonistes fédéral P-E Trudeau P-E Trudeau Brian Mulroney /
P-E Trudeau
Jean Chrétien
Raison de l'échec Abandon du combat par René Lévesque (1er coma politique) Négligence et irresponsabilité du camp québécois (2è coma politique) Abandon du combat par Bourassa


Abandon du combat par Jacques Parizeau (3è coma politique)
Possibilité de réaliser des gains statutaires Non
(Demande de négocia-tions)
Oui
(Négociations)
Oui
(Négociations)
Non


Gains pertes réalisés Perte Perte + (droit de veto du Québec) Neutre Perte
Possibilités d'établir un rapport de force favorable si le combat avait été continué (mon estimation) 40 p.c. 60 p.c. 90 p.c. 60 p.c.

Me Christian Néron explique : « Quand René Lévesque ou Lucien Bouchard refusent de contester les décisions de la Cour suprême (sept. 1981) et l'imposition de la nouvelle constitution, ou d'exiger que ce dossier capital soit soumis en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé (Londres) ou encore que le dossier soit soumis à un tribunal international », là encore, les chefs se sont défilés devant leurs obligations. « Un combat constitutionnel de la plus haute importance entre deux nations n'est-il pas un conflit inter-national ? »

Maître Néron soutient qu'en matière constitutionnelle il ne faut jamais cesser de lutter pour le respect de ses droits et libertés. Il donne en exemple la constitution de l'Angleterre, qui a presque mille ans, poursuit-il, et qui est faite en grande partie d'une succession de combats éprouvants pour la préservation de ses droits. Mais ici, chez-nous, il est interdit de se battre pour un minimum vital et, surtout, d'indisposer notre partenaire canadien !

Pour Me Néron : « Le droit international coutumier ne reconnaît-il, depuis le XVIè siècle, le droit de tout peuple de réclamer justice, et même de se faire justice lorsqu'il n'y a aucune autorité compétente pour le faire ? La doctrine de Vitoria et Suarez est éloquente à ce sujet ».

De la décolonisation des mentalités
En fin de compte, les Canadiens-français-québécois tentent la quadrature du cercle depuis 1867. Et en compagnie du PQ depuis 1968. Si les Québécois et leurs chefs continuent de rejeter a priori tout geste qui occasionnerait la moindre montée de tensions entre le Québec et le Canada; si après avoir renoncé d'avance à oser un rapport de force qui nous serait favorable ils réclament du même souffle un changement de statut pour le Québec, c'est de la foutaise ! Vu l'absence de toute forme de pugnacité, du moment que le Canada bombe le torse, vu la facilité avec laquelle nos chefs de file décrochent avant terme et plient armes et bagages, le Québec se présente désormais au Canada, et au monde, comme un joueur qui a décidé de s'exclure lui-même du jeu. En nous inclinant devant toutes ces injustices, au point d'y laisser le respect de nous-mêmes, nous avons décidé de notre destin. 

Tout ce temps, en contre-partie, nos chefs péquistes ont toujours voulu se dédouaner de leur manque de leadership et de persévérance en reportant leurs échecs sur le dos d'une population qui n'aurait pas suivi ! Naturellement, ils négligent de dire qu'il n'y avait pas grand monde fiable à suivre. Qui serait assez idiot pour suivre un chef qui n'a aucune stratégie, qui ne croît pas en sa cause, qui s'incline au premier vent contraire, qui oublie même de se respecter ?!

Le soir du 30 octobre 1995, Jacques Parizeau, dans un message de dépit, renvoyait chez eux ses militants. N'était-ce pas un message d'abdication envoyé à la population ? Qu'il fallait nous écraser devant la défaite ? Comme Lévesque avant lui, il nous a laissé avec un sentiment d'amertume, comme si nous n'avions pas perdu un combat mais la guerre ! Les chiffres de la démobilisation parlent d'eux-mêmes. Le PQ passa de 300 000 membres à 70 000 sous René Lévesque, et éventuellement la moitié moins.

Si bien que, depuis cinquante ans, ce qu'il conviendrait d'appeler chez-nous la contradiction principale est un chantier désert. Comme si elle ne se situait pas entre le refus du Canada anglais de faire toute concession, et la volonté des «descendants des vaincus» (expression constitutionnalisée) de briser les cadres d'une prison constitutionnelle dans laquelle on les a enfermés, leurrés par des promesses aussitôt trahies. Faute de mettre cette contradiction au premier plan du combat politique, sauf de cibler correctement l'ennemi, toutes les nuances de la mouvance autonomiste ne peuvent que se retrouver dans une foire d'empoigne perpétuelle. Inversement, mettre la question de l'intransigeance du Canada sur la sellette, démaquiller l'hypocrisie de sa démocratie, dénoncer ses promesses trahies – dont la plupart ont une valeur constitutionnelle – ne pourrait que renforcer notre unité.

Lévesque-Morin – Un scandale national
Le lecteur pourra lire en annexe un texte particulièrement troublant de Guy Laforest dans lequel il expose la désinvolture, l'improvisation et, somme toute, l'irresponsabilité du tandem Lévesque-Morin à l'occasion des délibérations qui conduisirent au rapatriement de la Constitution. Il y avait là pour nous une occasion de faire des gains sur le «minimum vital», voire davantage. Mais le Québec, en raison de la pauvreté extrême de sa direction politique, est non seulement revenu d'Ottawa les mains vides, mais déshabillé ! Il avait renoncé à son droit de veto pour un plat de lentilles. Une bande d'amateurs aux commandes d'un navire où il n'y avait même pas un matelot au gouvernail ! Une équipée dont le second de bord était un agent d'influence du fédéral tenu en laisse par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Une équipée dont l'irresponsabilité fait honte à la nation, un scandale jamais dénoncé par l'entourage de Lévesque, voué à ne pas ternir sa réputation. Le lecteur remarquera qui était aux premières loges tout récemment pour rendre hommage à René Lévesque à l'occasion du trentième anniversaire de sa mort.

En donner toujours plus sans rien exiger
Plus récemment, nous voyons Jean-François Lisée se ramollir doucereusement pour octroyer des « droits historiques » aux anglophones. Pourquoi ouvrir la porte à d'autres concessions, alors que les droits linguistiques des anglophones sont légalement encadrés par les articles 96 et 133 de la constitution, lesquels avaient été négociés à huis clos en janvier 1867 ? Pourquoi laisser supposer que les droits linguistiques des anglophones seraient menacés, alors que seuls les nôtres le sont ! Ce chef, qui a mis de coté la question de la souveraineté pour un minimum de quatre ans, ne se prive pas pour nous paver la voie des prochains reculs. La tradition canadienne-française de donner d'abord ses perles, pour n'avoir plus que sa chemise à négocier, a la vie dure. Nous voyons bien qu'après cent cinquante ans d'un triste cumul d'échecs, notre mentalité n'a pas changé.

Adopter « l'Autre » pour épouser notre déclin
Toute relance du combat pour nos droits et libertés nationales ne pourra réussir sans un sursaut des mentalités. Elles devront prendre acte de la réalité brutale du Canada anglo-saxon-protestant, pour qui « le minimum vital pour le Québec est un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable » pour ses intérêts. C'est sa conception du vivre à deux.  La décolonisation psychologique avait bien commencé dans les années 1960, menée par des hommes courageux comme Marcel Chaput, André d'Allemagne, Pierre Bourgault, regroupés au sein du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN).  Mais tout ça s'est vite étouffé avec le plus attendrissant de nos colonisés, René Lévesque. Il rejeta non seulement le RIN mais toute notre tradition résistante de la « survivance » en même temps. Si nous l'aimons tant, c'est sans doute parce que c'est lui qui incarne le mieux les faiblesses de la typologie québécoise.

On a cru bien trop vite achevée la décolonisation de notre mentalité. Nous l'avons confondue avec une perméabilité toute grande à la culture de masse américaine, laquelle se juxtaposait au rejet de nos traditions culturelles et religieuses, et ce, sans trop de discernement. La révolution tranquille, portée par un baby boom regorgeant d'énergie, nous a bien abreuvés et nourris aux agapes d'une aliénation accrue. Un rejet radical du passé qu'on a pris pour une œuvre de libération.


ANNEXE
LES RÉVÉLATIONS DE GUY LAFOREST
(Mes soulignements)

Incohérence et désorganisation
Quand on examine notre histoire sous l'angle de la longue durée, les référendums de 1980 et de 1995 prennent l'allure de rébellions ratées de l'ère démocratique, en lien avec les rébellions matées de l'ère impériale que furent les soulèvements de 1837-1838. Perdre une action de cette nature entraîne des conséquences négatives. Toute analyse sérieuse des documents de l'époque révèle l'ampleur du désarroi de René Lévesque et de son gouvernement au lendemain de l'échec du référendum sur la souveraineté-association de mai 1980.
Rien ne fut fait pour préparer stratégiquement les lendemains d'une possible défaite. Sur le terrain de l'alliance avec les provinces récalcitrantes aux initiatives unilatérales de M. Trudeau, et notamment dans la guérilla diplomatique menée à Londres, le gouvernement Lévesque a bel et bien eu quelques succès tactiques après le référendum de 1980. Il est toutefois constamment resté sur la défensive, paraissant souvent incohérent et désorganisé.

Décision précipitée

Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque et du Parti québécois contre les libéraux dirigés par Claude Ryan, le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d'amendement qui substituait le principe d'un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée.
Au cours de la campagne électorale, la veille organisationnelle sur ces questions fut confiée au ministre responsable, Claude Morin, et à son sous-ministre Robert Normand. Le Conseil des ministres ne fut jamais consulté sur cette orientation. René Lévesque prit cette décision de manière précipitée trois jours après l'élection. Le Québec aurait pu beaucoup mieux gérer l'enjeu du droit de veto, n'acceptant d'y renoncer qu'au lendemain d'un accord global auquel il aurait pu souscrire.
Lévesque vs Ryan
Entre 1978 et 1982, Claude Ryan a incarné au Québec une vision du renouvellement du fédéralisme canadien en harmonie avec les intérêts du Québec comme société nationale et distincte. Pour protéger le Québec, le gouvernement Lévesque aurait pu faire un bien meilleur usage des lumières et de la bonne volonté de M. Ryan. Certes, la politique est affaire de combat; Lévesque et Ryan avaient ferraillé avec acharnement en campagne référendaire et lors des élections de 1981. Toutefois, Lévesque a choisi de ne jamais intégrer Ryan dans un dessein stratégique visant à contrer les projets de M. Trudeau. Ce dernier craignait beaucoup Claude Ryan. Lors de la fatidique semaine des négociations constitutionnelles de novembre 1981, M. Ryan a essayé d'entrer en communication avec M. Lévesque et son équipe. Ses appels n'ont jamais eu de réponse.
Véritable cafouillis
Sur le front judiciaire, le Québec et ses procureurs sont allés à quatre reprises devant les tribunaux en 1981 et 1982. Leur performance fut peu impressionnante. Pourquoi remplacer l'équipe en place par l'ex-juge de la Cour suprême, Yves Pratte? Pourquoi attendre de très longues semaines avant de décider de soumettre la question du droit de veto du Québec en renvoi à la Cour d'appel du Québec après novembre 1981? Pourquoi ne jamais avoir plaidé, sur la base de l'article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867, la nécessité du consentement de l'Assemblée nationale du Québec pour toute réforme touchant la juridiction des provinces sur la propriété et les droits civils, invasion reconnue par le gouvernement fédéral lui-même et par les décisions antérieures des tribunaux? 
Si l'oeuvre d'ensemble paraît peu cohérente et souvent improvisée, cela s'est révélé sous son jour le plus cru lors de la conférence constitutionnelle de novembre 1981: climat anarchique et peu professionnel dans l'entourage de proximité de M. Lévesque, équipe ministérielle d'appui de second ordre, cafouillis total de René Lévesque lui-même et de son équipe à la suite de l'offre référendaire de M. Trudeau le matin du 4 novembre, absence de vigilance lors de la dernière nuit de la conférence.

i Selon l'expression de Martine Tremblay dans son livre : Derrière les portes closes: René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985)

vendredi 3 novembre 2017

Nouveau nom - même mission

[ première édition - 30 janvier 18:03 ]

La CAQ appliquerait un taux de taxation scolaire uniforme.

https://coalitionavenirquebec.org/fr/blog/2018/01/23/taxe-scolaire-caq-appliquera-taux-plus-bas-importe-region/

La réplique du député de Bonaventure (PQ) à l'annonce de la CAQ

« Nous ne sommes pas contre l'équité et l'uniformisation en matière de taxes mais...

lundi 30 octobre 2017

Avec  le trentième anniversaire de la mort de René Lévesque et les  cinquante ans du Parti québécois en 2018, comment redonner aux Québécois francophones un rapport de force favorable, condition indispensable à tout changement de statut politique ?

L'HÉRITAGE DE RENÉ LÉVESQUE, UN ÉCHEC POLITIQUE QUI SE PROLONGE


Les revendications du Québec ne sont plus prises au sérieux par personne, ni au Canada ni ailleurs dans le monde. C'est peut-être que toute l'affaire n'a jamais été considérée comme sérieuse ? Dans le but d'alimenter le débat sur l'avenir politique du Québec, je propose une réévaluation des événements qui ont marqué un demi siècle de péquisme. Cinquante ans au cours desquels le statut du Québec a été modifié à son désavantage. Il y a encore beaucoup de déni concernant cet échec et bien des préjugés sur ses causes qui, malgré l'évidence, sont encore entretenus par une certaine élite politique et le milieu universitaire. Trouver des explications appropriées à ce qui fut une dégringolade de notre potentiel d'affirmation nationale nous semble indispensable. À défaut, comment pourrait-on reprendre l'offensive en faveur de nos droits et libertés ? Voici un rappel historique chevillé aux faits et dépourvu d'esprit partisan. Un condensé de cinquante années de péquisme.
Les années péquistes

L'option de René Lévesque

Le Parti québécois a été fondé sur l'idée de réaliser une forme de souveraineté-association avec le Canada. Son orientation constitutionnelle aboutissait à une refonte du fédéralisme, ce que René Lévesque écrit dans son livre  Option Québec. Pour le Québec, c'était « jouir d'un minimum vital d'autonomie interne » dans le cadre d'une union monétaire et économique avec le Canada. Le pays réformé prendrait pour nom l'Unité canadienne. Cinquante ans plus tard, la confusion continue de régner sur les véritables objectifs constitutionnels de ce parti dans bien des esprits, notamment chez ses dirigeants. Il est clair pour quiconque se donne la peine de repasser le fil des événements qu'une orientation indépendantiste bien comprise, si on respecte le sens des mots, n'a jamais prévalu au sein du PQ, et ce, même du temps de Jacques Parizeau. Au moment du référendum de 1995, ce dernier pouvait compter sur les doigts de la main les appuis au sein de son cabinet. Tous les autres étaient déjà passés dans le camp de Lucien Bouchard, prêt à passer le rouleau compresseur d'une austérité bien provinciale et, surtout, à oublier les folies constitutionnelles des dernières années. C'est ce que me rappelait récemment Richard Le Hir, lequel avait été nommé ministre à la Restructuration à l'époque.
Le parcours du PQ, sous la gouverne de René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, André Boisclair, Bernard Landry, Lucien Bouchard n'est pas, et n'a jamais été, indépendantiste ; à moins de se laisser duper par quelques déclarations patriotiques pour sauver les apparences ou se duper soi-même. Comme le fait, pour citer un exemple, cette vidéo d'Option nationale, qui commence avec cette perle : « Lors de nos deux récentes tentatives d'accéder à l'indépendance...». Ainsi, réclamer un mandat pour négocier la souveraineté-association devient, par la magie des mots, une « tentative d'accéder à l'indépendance ». Une déformation de la vérité qui sévit encore, après cinquante ans, et qui est d'autant plus révélatrice qu'Option nationale se targue d'avoir fait plus que quiconque ses devoirs sur la question nationale.

Qu'on ne soit jamais parvenu à faire consensus sur les orientations essentielles du PQ constitue une faiblesse qu'il a lui-même contribué à entretenir. Naviguer sans fixer de cap, quel qu'il soit, et le tenir, est pour un « navire amiral » la source de toutes les dérives. Les reculs successifs que ce parti a fait subir au Québec depuis cinquante ans nous sont laissés en héritage.

Une ambiguité constitutionnelle jamais surmontée

« Je ne blâme point ceux qui désirent dominer, mais ceux qui sont trop disposés à obéir »
(Hermocrate de Syracuse, cité par Thucydide 4, 61, 5)

L'ambiguïté constitutionnelle insurmontable du PQ s'expliquerait par deux raisons.
La première se situe dans l'opposition entre le Québec et le Canada. Le Parti libéral du Canada et les fédéralistes de tout bord n'ont jamais ménagé les efforts pour accoler au PQ l'étiquette péjorative de « séparatisss... », et de « parti qui veut briser le Canada, le plus beau pays du monde ». Cette propagande martelée sans arrêt avait pour but de préserver le statu quo en peignant le PQ sous les traits les plus repoussants. Bien que dépourvu de rigueur sémantique, ce braquage a toujours rapporté gros dans les urnes et, surtout, à l'occasion des deux référendums. Si les chefs fédéralistes à Ottawa n'ont jamais voulu d'une séparation, ils ne voulaient pas davantage d'une réforme qui aurait octroyé des droits politiques égaux aux « descendants des vaincus », comme George Brown, - véritable père de la Confédération (1867) l'avait promis lors des débats parlementaires sur la Confédération. C'est par leur démagogie tapageuse contre le « séparatisme » que les fédéralistes, bien en selle à l'offensive, sont parvenus à faire oublier leurs promesses constitutionnelles mille fois brisées depuis 1867. Bien des péquistes, novices en matière constitutionnelle, se laissent prendre à ce jeu de propagande, avalant à leur tour la méprise que leur parti était prêt pour l'indépendance. Une thèse rarement démentie dans un sens ou dans l'autre, laissant commodément planer toutes les équivoques.

La deuxième raison se situe dans le camp autonomiste et, à ce titre, mérite la plus grande attention. Elle part de l'étonnante dissolution du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), une décision dans laquelle il est difficile de voir d'autre motif que celui de servir l'unité nationale. L'esprit du temps - plus optimiste qu'aujourd'hui ! - portait à une union moins partisane du camp national afin de donner plus de poids à la volonté du Québec de se réaliser selon ses propres intérêts. Cette dissolution était un moyen de dernier recours pour réaliser l'unité, suite au refus réitéré de René Lévesque de considérer tout projet de fusion entre les deux partis. Le Ralliement national (autre parti souverainiste à l'époque) avait déjà rejoint Lévesque. Alors pourquoi le RIN ne le pourrait-il pas ?

Le RIN, fondé au début des années 60, avait fait un bon bout de chemin dans sa réflexion constitutionnelle avec Marcel Chaput, lequel n'entretenait aucune illusion sur le Canada. Contrairement au PQ, il revendiquait l'indépendance pure et simple comme solution nationale. Au-delà de la question constitutionnelle, les positions du RIN sur les questions linguistique et sociale indisposaient grandement Lévesque. C'est pourquoi il ne voulait rien entendre de ce parti. Mais si, selon lui, une fusion n'était pas possible avec le RIN, comme elle l'avait été pour le RN, pourquoi fallait-il proscrire tout dialogue stratégique entre ces deux entités du camp national ? N'était-il pas hautement souhaitable de favoriser un maximum de cohésion ? Une attitude inspirée par un rassemblement purement stratégique n'aurait-t-elle pas permis de sortir de cet imbroglio par le haut, au bénéfice de l'avenir politique du Québec ? Mais l'intransigeance de René Lévesque, qui avait brillé antérieurement chez les libéraux provinciaux, y mit un frein.

Les membres du RIN rejoignirent donc le PQ, mais un à un, amenant avec eux des convictions indépendantistes qui contrastaient avec celles des « ex-libéraux progressistes » de René Lévesque. De ce mariage forcé - désiré par Pierre Bourgault et combattu sans succès par d'autres au RIN - résulta une froide cohabitation entre des « indésirés » et des « légitimes ». Cette relation difficile éclata au grand jour lorsque l'on vit la mine déconfite d'un René Lévesque écoutant le discours de Bourgault au Congrès de 1971. À toutes fins utiles, Bourgault, qui restait un chef charismatique remarquable, ne sera malheureusement jamais accepté par la direction du parti.

On pourrait aussi y voir une affaire de personnalités : Bourgault n'avait-il pas eu la maladresse de qualifier Lévesque de « maudit épais » ? Mais c'était, bien au-delà des personnalités, l'expression la plus visible de ce qui était devenu une friction continue entre deux approches politiques face à l'avenir politique du Québec. Bref, c'est celui qui doutait de tout et de lui-même qui ouvrira la marche et mènera les troupes au combat, avec Bourgault, représentant ceux qui ne doutaient pas, sur le banc des punitions. À Ottawa, le général en chef s'en réjouissait.

Une affaire bâclée aux graves conséquences

Cette affaire bâclée va marquer le PQ pour les décennies à venir. D'abord, le geste d'abnégation patriotique qu'avait été la dissolution du RIN ne fut jamais reconnu comme tel. On aurait pu le faire pour au moins tourner la page avec élégance, pour ne laisser derrière ni perdants ni victimes. Au contraire, loin de la reconnaissance attendue, on instilla le doute sur la légitimité des plus déterminés à réclamer l'indépendance. La méfiance contamina la vie du parti et rendit impossible l'ouverture de tout débat permettant de poursuivre l'oeuvre de Chaput et d'Allemagne ( André ). La fermeture d'esprit rendit impossible qu'on accède, par des délibérations sereines entre militants, à une lecture claire des fragilités statutaires du Canada. Le parti, privé d'unité et de l'envergure nécessaire, incapable d'élever le niveau pour aboutir à une stratégie tournée contre le Canada visant son talon d'Achille, opta pour l'étroitesse des ambitions. On écarta la question constitutionnelle qui se situe pourtant au cœur des intérêts fondamentaux de la nation. On la retira des délibérations politiques pour la remettre éventuellement entre les mains d'avocats comme Lucien Bouchard. Au PQ, il ne fut donc jamais question de faire feu de tout bois contre le Canada.

Même si beaucoup l'ont oublié aujourd'hui, ou sont trop jeunes pour en avoir eu connaissance, les frictions se poursuivirent sans relâche. À titre d'exemples, rappelons les emblématiques crises du « renérendum » et du « beau risque » et, de nouveau, à chaque fois que surgissait la fort délicate question de choisir un chef capable de rallier tout le monde. Le chef est immanquablement perçu comme « trop provincialiste » ou soit « trop indépendantiste ». En fait, ce dernier cas ne concernera que Jacques Parizeau. Curieusement, les mêmes membres choisiront tour à tour des « chefs » aussi opposés que Pierre-Marc Johnson et Jacques Parizeau. Ils seront d'ailleurs tous les deux éjectés. Au final, on peut dire que la cohabitation des provincialistes et des indépendantistes n'a jamais été résolue, si ce n'est par la prépondérance indéniable des premiers sur les seconds. En d'autres mots, l'esprit de Lévesque l'emportait toujours sur celui de Bourgault, une constante dont on peut suivre la trace jusqu'à Jean-Martin Aussant qui claqua la porte en 2011.

Résumons. Dans un combat pour les droits et libertés nationales, au sein d'un État dont les faits remontent à 1663, plus de cent ans avant la conquête anglaise, un chef issu des « descendants des vaincus », - mots de Brown - qui ne peut être qu'un chef d'état major, devrait s'efforcer de fédérer toutes les forces, travailler à bâtir la confiance entre elles pour constituer un front commun patriotique le plus large possible. Au lieu de cela, René Lévesque a maintenu nos forces dans la division. Il a décidé en catimini, avec Claude Morin - qui de son propre aveu recevait de l'argent de la Gendarmerie royale du Canada pour des rencontres clandestines - de toutes les questions décisives : question référendaire douteuse de l'avis de tous (1979), absence de plan pour continuer ce combat, qui n'était qu'un début, en cas d'un « non » (1980), négociations constitutionnelles bâclées et catastrophiques (1981), lesquelles préfiguraient la nuit des longs couteaux et le rapatriement de la constitution (1982), qu'on refusa de contester, alors qu'on pouvait le faire de bon droit. Le navire amiral sans gouvernail se replia dans la soumission.

Parallèlement, notre état major, qui ne voulait pas assumer ses responsabilités, a provoqué la cristallisation des divisions internes par des parti pris de plus en plus clivant et obsessif justifiés par la hantise de l'extrémisme. Comment peut-on plaider la cause de René Lévesque et de son passif ? Je n'en sais rien. En tout cas, il est clair que l'atmosphère de méfiance rendait impossible un dialogue politique constructif chez les « descendants des vaincus ». D'où le délaissement des enjeux constitutionnels et statutaires, des questions qui demandaient pourtant qu'on s'y attarde. Plombée par ces carences, à l'opposé du camp fédéral, qui ne pensait qu'en termes stratégiques, la direction du PQ ne forma jamais un état-major politique digne de ce nom. De surcroît, chez les militants, tant membres que sympathisants, l'absence d'éducation politique de niveau acceptable vint compléter le portrait. C'est ce qui résume la vie misérable du PQ depuis cinquante ans.

Réussir partout sauf en politique

Il ne faudrait pas voir dans cette analyse un dénigrement du Québec et des Québécois. Bien au contraire. Tous savent que le Québec, fort de son identité francophone pluri centenaire, s'est distingué depuis la fin des années cinquante pour atteindre des niveaux d'excellence enviables dans le domaine des arts – cinéma, musique, théâtre – des sports, de la science et du monde des affaires. C'est en politique, domaine réputé pour être particulièrement difficile et ingrat, que le Québec a déçu toutes les attentes. En cinquante ans, nous avons réussi partout, sauf en politique ! Un constat qui s'imposa d'évidence avec la démission de Jacques Parizeau, à un moment clé d'un rapport de force tendu, certes, comme si la lutte politique avait le luxe de se payer des vacances. Déclarer si vite forfait était une capitulation inespérée qu'Ottawa n'attendait même pas. Chez les partisans, on attendait de Gaulle, on a eu la Bérézina.

L'histoire nous apprend que, s'agissant de Lévesque, de Bourassa - et son fameux discours patriotique répercutant l'échec de l'entente du lac Meech - ou de Parizeau, effondré, et de tous les autres, le rapport de force, lorsqu'il se tend, devient vite une charge insoutenable. Or, qui ne s'accroche pas avec la dernière énergie à se défendre dans les moments difficiles, quand l'objectif devient plus palpable et concret, met à risque toutes ses ambitions. Comme le dit si bien l'expression, l'histoire ne repasse pas les plats. C'est pourtant ce que nous apprend la légendaire pugnacité des Anglais ! Ou des Juifs ! Comme l'a si bien rappelé Lionel Groulx dans des pages bien inspirées dans lesquelles il nous les proposait en exemples.

Une histoire qui trébuche mais néanmoins inspirante

Notre histoire trébuche. Elle le fait avec une récurrente et lancinante incapacité d'agir avec fermeté au-delà du seuil qui met en cause le confort du statu quo. Nous sommes un peuple qui avait commencé d'atteindre un degré d'émancipation nationale enviable en 1663, mais sans pouvoir la consolider suffisamment avant la Conquête. Mais pour bien des Québécois qui se mêlent de politique, la modification du statut politique de la nation ne mérite pas une chicane de famille. C'est à la fois l'expression paradoxale de notre existence nationale et de sa faiblesse sur le plan politique. Il nous faut mesurer combien il est difficile de sortir du rang, de s'élever à un niveau jamais atteint, pour ceux qui n'ont jamais acquis dans leur histoire nationale, la tradition d'exercer le pouvoir et de le tenir pour leur propre compte. C'est ce qu'on appelle ailleurs l'État profond, un État permanent – qui n'a pas que du bon, nous le savons tous ! - qui assure la continuité en s'affirmant dans la durée. Ce manque d'atouts peut expliquer, sans toutefois excuser, tous ces combats abandonnés prématurément, avant leur véritable dénouement, par une direction politique immanquablement ramollie. Cela doit bien compter pour une bonne moitié de nos déboires.

Je me demande où se cache notre meilleure source d'inspiration. Elle se trouve peut-être dans l'histoire exceptionnellement inspirante de la Nouvelle-France. Un modèle sans égal dans les annales des colonisations européennes, comme le rappelle justement Madame Morot-Sir. Une exemplarité dénigrée à tort et à travers, et qu'on a même renoncé à transmettre. Serait-ce parce qu'il s'agit là d'une rare histoire d'alliances réussies et d'intrépides gagnants ? Plus récemment, elle se trouve aussi cette inspiration, cet encouragement, dans les éclatants succès que nous avons connus dans tous les domaines. C'est pourquoi, en dépit de notre piètre performance en politique, nous ne devrions pas nous contenter de ce petit pain d'un statu quo constitutionnel qui nous a été imposé par des autorités étrangères.

Le statut politique du Québec doit changer ! Et pour le changer nous avons de nombreux défis à relever. Sans tradition d'autonomie politique et sans enracinement dans la machine d'État, il nous faut faire notre glace en patinant, innover, et, surtout, travailler à briser le funeste réflexe qui nous porte à accrocher nos patins aux premiers signes de redoux.


Le poids de l'héritage de René Lévesque

Nous vivons aujourd'hui la continuité des positions prises à la fin des années 1960 et qui n'ont jamais évolué depuis. Tous les successeurs de René Lévesque ont repris son triste héritage sans jamais le remettre en question. La lignée se voit chez Bernard Landry, poussant Françoise David à fonder Québec solidaire (FPU) et, à son tour, chez Pauline Marois incapable de rallier l'indépendantisme de J M Aussant. Combien de fois Lévesque n'a-t-il pas poussé ses opposants vers la sortie ? Cette attitude, qui va de pair avec le peu d'importance que l'on accorde à la cause nationale, a encouragé l'institutionnalisation du PQ comme simple parti d'alternance provinciale. Les forces se sont forcément cristallisées, peu à peu, dans une véritable division nationale des Québécois. C'est à ces résultats déplorables, c'est à ces fruits indigestes qu'il nous faut juger de l'arbre péquiste.

Oui, les Québécois ont connu de belles occasions de se réjouir et de fraterniser en cinquante ans, dont ces magnifiques fêtes nationales sur le Mont-Royal. Mais pour ce qui est du fondamental, l'avenir politique du Québec, tout ce qui a trait au domaine du pouvoir et de nos droits, nous n'aurons connu que des échecs : le Canada, d'esprit multiculturel et protestant, sec et dépourvu de magnanimité, ne nous a jamais rien cédé. Il a même durci et consolidé sa position, resserrant son emprise sur notre destinée à chaque fois qu'il le pouvait, à mesure que notre poids démographique déclinait...


Parallèlement, il faut voir cette chute comme la conséquence de combats si mal planifiés qu'ils ne pouvaient conduire qu'à la défaite. Avec un bilan aussi traumatisant, pas étonnant que le Parti québécois veuille parler de n'importe quoi, sauf de souveraineté, cause pour laquelle sa cote de crédibilité n'a cessé de fléchir. Pas étonnant non plus que le discours politique sur notre destin national soit devenu si rachitique et cynique.  

mardi 4 avril 2017

Pour les Nations unies en Afrique francophone

Deuxième partie
Les Nations-Unies en Afrique francophone
Après avoir profité à New York et aux États-Unis pendant 70 ans

Il ressort de la première partie que l'insularité relative des États-Unis, une «île» entre deux océans, lui a permis d'entrer dans la deuxième guerre quand elle l'a bien voulue et de profiter de cette position de retrait pour parfaire l'édification de son complexe militaro-industriel. Ce dernier est devenu le fondement de ce que l'on appelle aujourd'hui «l'État profond». Pour nourrir le monstre, la guerre sera portée sur tous les continents sans jamais que les perprétateurs en subissent les terribles conséquences négatives chez eux.

La création des Nations-Unies et son installation au cœur même de l'empire constitue toujours un fleuron de la projection de puissance américaine. À partir de faits regroupés ici et souvent peu connus, je vais tenter de montrer que le siège de l'ONU devrait être délocalisé et ne plus jamais se trouver dans les frontières d'une grande puissance. Il devrait se situer dans un pays de petite taille, bien géo-localisé et dont les ambitions ne lui permettraient jamais d'exercer trop d'influence.

1- Comment furent choisis New York et les États-Unis
Curieusement, la première assemblée générale des Nations Unies s'est tenue à Londres en 1946. À l'ordre du jour, il fallait choisir le pays hôte de la nouvelle organisation. Selon une note de bas de page de la chercheuse Jessica Field, les autres pays membres du Conseil de sécurité (Royaume Uni, France, Chine, URSS) auraient été minimalement envisagés, mais vu «l'urgence», «les destructions de la guerre dans ces pays» et «le rôle prépondérant joué par les États-Unis pour réunir les nations et pousser cette forme de collaboration», la préférence fut donné aux États-Unis. Une parenthèse sur l'urgence : on pourrait facilement arguer qu'il n'y avait pas d'urgence au temps où les États-Unis ne défendaient pas leurs alliés... avant d'être eux-mêmes attaqués par le Japon et que l'Allemagne leur déclare la guerre. Quoi qu'il en soit, on notera que des trois motifs invoqués à Londres pour choisir les États-Unis, deux n'existent plus de nos jours et le troisième est devenu fort discutable.

Une fois le pays choisi, il fallait choisir la ville. On rapporte que Londres avait été envisagée antérieurement. Or, avec la confirmation des États-Unis, la capitale anglaise tomba de fait. Les villes envisagées restaient San Francisco, Boston, Philadelphie et New York. Un don de «dernière minute» de 8,5 millions de dollars de John D. Rockefeller Jr. donna à NY la marge nécessaire pour l'emporter sur les villes concurrentes. L'argent achète tout! On rapporte aussi que le miliardaire donna 17 acres de terrain en bordure de l'East River. Était-ce en échange de contrats d'architecture et de conception...comme d'autres l'ont rapporté...?

2- Retombées économiques
Selon des données de 2014, rendues publiques en décembre 2016, les Nations unies, ses agences et son personnel ont généré 3,69 milliards de revenus pour la ville de New York. Ils représentent un apport de 8 000 emplois et amènent à New York 30 000 visiteurs qui participent à des réunions chaque année. Il s'agit d'une petite avalanche de dollars US qui retournent à la maison en provenance du monde entier, année après année.
3- Langues officielles de L'ONU
A l'ONU, s'il y a un information confidentielle, c'est qu'il y existe six langues officielles. Parmi elles, le français et l'anglais sont les deux langues de travail. À l'ONU, comme au Canada, les langues officielles finissent en monolinguisme. La langue dominante, que personne ne veut qualifier de suprême, mais qui exerce néanmoins sa suprématie, est l'anglais. Christian Rioux explique,dans un article paru dans Le Devoir en 2012 «L’Organisation des Nations unies a depuis sa fondation deux langues de travail qui ont le même statut officiel : l’anglais et le français. Depuis la publication du rapport Vareilles en février dernier, on sait pourtant que, lorsque vient le temps de recruter du personnel, l’anglais est obligatoire dans 84 % des postes alors que le français ne l’est que pour 7 %. Et encore, parmi ces rares employés qui parlent le français, plus d’un sur cinq est affecté à la traduction.» Comme au Canada, la langue de rédaction (et de création) est l'anglais, ce qui relègue toutes les autres langues à n'être plus que des langues de traduction.
C'est un peu comme le cas des Jeux olympiques que l'on peut aussi reprendre. Fondés par Pierre de Coubertin, cette organisation a le français pour langue officielle. En pratique, l'anglais y domine pourtant, sans que les pays francophones réagissent. Le Comité international olympique siège à Lausanne (Suisse), il y a fort à parier, et à plus forte raison, que tant que le siège des Nations Unies se trouvera dans la métropole du monde anglo-saxon, l'anglais continuera à détemir la prépondérance au prix de la diversité langagière du monde. Il continuera d'apparaître naturel que son usage, un fait de dominance auquel trop se sont conformés, continue de nous rapprocher de son usage exclusif. Le phénomène sera irréversible si la volonté populaire de donner sa chance à une autre langue et à un autre pays ne se dresse pas contre une situation qui a trop durée.

4- Le déplacement du siège des Nations-Unies dans l'actualité
Une petite recherche a permis de constater que le sujet de la relocalisation du siège des Nations unies s'il n'a pas encore rejoint de larges couches de l'opinion publique, c'est un sujet qui commence à intéresser. Selon moi, nous n'avons pas fini d'en entendre parler.

Ainsi, une question posée sur le site Quora a généré des réponses intéressantes. Ailleurs on a parlé du Qatar comme point de chute éventuel, mais c'est de la part des diplomates et politiques Russes que viennent les prises de position les plus fortes. La Russie s'inquiète des tracasseries que leur impose les services frontaliers ou de sécurité américains et voudrait que l'organisation s'installe dans un pays plus neutre. L'argument porte. Difficile à dire s'il s'agit d'une vraie tendance, mais c'est d'ores et déjà un pays dont on s'exile (Edward Snowden) et un pays à qui l'on demande de radier sa nationalité (Ken O'Keefe), ceci sans compter les nouveaux objecteurs de conscience qui, à tort ou à raison, se croient justifiés de fuir les États-Unis de Donald Trump. Reste à savoir combien passeront à l'acte.

D'autre part, les Russes, pas seuls, trouvent la vie chère à New York. Qu'en pensent les pays les plus pauvres de la planète comme le Niger ou l'Éthiopie? Pour réduire le coût des délégations et le temps de transport, Un parlementaire russe s'est exprimé pour que les Nations Unies s'installent au centre de toutes les capitales du monde. D'abord dubitatif, j'ai dû jongler un peu avec l'idée avant de comprendre qu'il propose très objectivement l'endroit qui serait le plus proche en kilomètres cumulés des 183 capitales. Par exemple, si 100 capitales se trouvent à moins de 4 500 km d'une ville candidate, (Alexandrie? Latakié? Limasol?) ce serait déjà pas mal, mais pas du tout le cas de New York, qui serait sous cet angle exclue au premier tour. Dans un article du NY Daily News, à propos d'un livre paru en 2013, on trouve là aussi que la métropole américaine est trop couteuse et on propose la ville de Nairobi au Kenya. Washington se trouve à 327 KM de New York, la seule capitale située à proximité du siège de l'ONU. Il s'agit d'un immense avantage pour faire entendre son point de vue, jouer de son influence et pratiquer toutes le formes de lobbying. Rockfeller avait bien vu l'intérêt d'installer l'ONU à New York!

5- Un choix pour la francophonie et un choix pour le bien vivre chez soi planétaire
Les Nations Unies sont le fruit d'un projet discuté par Churchill et Roosevelt en 1941 au large de Terre-Neuve, puis à la Conférence Arcadia, tenue fin 41 et au début de 1942 à Washington. Cette conférence ratifia la Déclaration des nations unies sans majuscules. Installer l'ONU à New York, comme je l'ai montré, et de l'aveu même des décideurs, a été un choix hâtif, dicté par les circonstances du moment. Or, si ce choix a pu s'imposer à la fin de la guerre, il n'est plus justifié aujourd'hui. Nous sommes désormais en présence d'un attribut de la domination américaine et anglo-saxonne du monde de l'après-guerre, en présence d'un choix qui avait tout du transitoire mais qui s'est incrusté dans le temps alors que le monde a changé. Les décisions prises dans «l'urgence» et dans l'état de délabrement matériel du monde à l'époque sont devenues caduques.

En dépit de contestations mal fondées au sein même des États-Unis, il faut admettre que l'ONU a fait de New York une plaque tournante de la diplomatie internationale. La présence onusienne a grandement contribué au rayonnement de cette métropole, mais aussi, on ne peut l'oublier, à la valorisation et à la projection de l'anglais et de la culture anglo-saxonne à travers le monde.

Dans ce sens, compte tenu de la faveur que gagne l'idée de multipolarité du monde et d'un partage plus équitable des avantages économiques, il faut considérer la rente que procure automatiquement à tout pays le privilège d'être celui où siège les Nations unies. Il faut désormais considérer l'emplacement newyorkais du siège des nations unies comme une réalité dont la révision s'impose. Il n'est pas trop tôt, après 72 ans à enrichir New York, de formuler un projet de relocalisation ordonné et réfléchi de l'ONU dans un pays plus approprié, moins riche, d'ici 10, 15 ou 20 ans. Les jeux olympiques se déplacent. Sans être aussi mobile, pourquoi pas l'ONU?

J'ai déjà pour ma part proposé une ville du Québec. Or, le Québec est trop proche de New York et il a sur ce coup le désavantage de se trouver en Amérique. Pour le Québec, fragile et en voie de dépopulation autochtone, accueillir l'ONU serait d'ailleurs un facteur additionnel d'anglicisation et d'assimilation. D'ailleurs, honnêtement, l'ONU ne pourrait se relocaliser en Amérique du Nord. Par conséquent, mon choix se porterait volontiers sur un pays francophone d'Afrique, autre qu'une capitale, une ville qui pourrait bénéficier à son tour des retombées économiques conséquentes et, par effet de proximité, alléger le fardeau économique des délégations africaines à l'ONU.

En situant ce phare de la diplomatie mondiale au centre de croissance démographique de la francophonie, le rayonnement du français dans le monde s'en trouverait impulsé. Comme on l'a vu, d'autres pays et d'autres intérêts s'intéressent au sujet et proposent leur choix. Le Québec et la francophonie ne doivent pas être en reste.

L'ONU en Afrique, quelle belle façon de déplacer des rentes américaines vers l'Afrique, de garder les Africains chez eux par la création d'un nouveau pôle économique assorti de bons emplois, sans faire la charité!

En terminant, on a certes critiqué l'impuissance des Nations unies à souhait et souvent on le fait avec raison. Effectivement, il faut le reconnaître, la réforme des Nations unies ne concerne pas que la langue et le site de son siège. Beaucoup d'autres propositions de réforme d'inégale valeur circulent depuis un certain temps, mais cela évolue hélas très lentement. Les Nations unies malgré leur imperfection, qui ne sont pas sans rapport avec l'influence américaine de proximité (pour ne pas dire de promiscuité ), constituent un forum des pays, le seul, et sauvegardent a minima un droit international fort malmené il est vrai, mais auquel il nous faut tenir et tâcher de le renforcer en attendant mieux.



lundi 12 septembre 2016

L'INDÉPENDANCE FAUSSAIRE ET LA DÉSERTION DU POUVOIR RÉEL


L'indépendance : tributaire de la puissance et non d'un référendum

Pour le bénéfice des lecteurs je tenterai de bien m'expliquer afin de ne susciter aucune confusion puisque je renvoie à des termes et à des idées qui sont hors du champ de la réflexion habituelle chez les souverainistes-indépendantistes. Mais les temps nous invitent à des changements, encore d'autres! Et si vous n'êtes pas trop réfractaires au changement, une idée que tous les motivateurs friqués ont reprise, vous devriez être bien servis.

D'abord, je m'élève contre les frères jumeaux que sont le provincialisme et le référendisme. Opposés en paroles, ils se complémentent dans la fuite en avant.  Le provincialisme est caractérisé par le renoncement à l'exercice du pouvoir alors que le référendisme est reconnaissable par la réclame qu'il fait pour une indépendance faussaire.  François Ricard pourfendait récemment les partisans d'un nouveau référendum en soutenant qu'un référendum gagnant ne ferait qu'ouvrir la porte à des négociations. Ce qui est incontestable. Accessoirement, il pointait les fédéralistes dans leur rôle d'habiles provocateurs politiques, et les péquistes, comme incapables de résister à l'attrait de l'échec. Toujours prêts à tomber dans le panneau.

«Bien des indépendantistes, à tort, croient qu’un référendum gagnant nous mènera nécessairement à l’indépendance. De même, chez les fédéralistes, plusieurs croient qu’un référendum gagné par le Québec conduira ce dernier à l’indépendance. Ces personnes des deux camps sont dans l’erreur.» (1)

Les troupes fédéralistes sont bien dressées, c'est le moins qu'on puisse dire. Pour elles, tout référendum conduirait à l'indépendance. C'est l'alerte rouge qui sonne depuis l'élection de René Lévesque. Ainsi, anglophones et allophones, minorité politique monolithique, se tiennent prêts à monter au créneau dès que la «menace» de l'indépendance sort le bout de son nez. Or, les chefs de file fédéralistes et leurs inconditionnels ont-ils raison de craindre l'indépendance ou s'ils ont tout simplement acquis le réflexe pavlovien de crier au loup dès que les «indépendantistes» veulent «donner leur 110%» en évoquant un référendum ?

François Ricard en conclut tout à fait à propos que les deux camps sont dans l'erreur. En d'autres mots, ils se dupent mutuellement en prolongeant la vie de leurs lubies respectives. Le camp péquiste parce qu'il n'a jamais fait de référendum sur l'indépendance et n'en fera jamais. Le camp fédéraliste parce qu'il a compris combien il était facile de mettre les Québécois en boîte en répercutant l'idée-panique que le spectre de l'indépendance revenait hanter la «pax canadiana».

Ceci mérite quelques explications car je sens déjà que des convaincus, réfractaires au changement, me vouent déjà aux gémonies, ne serait-ce que par l'insécurité que pourrait susciter chez eux le dévoilement de ce jeu de dupes qui fait danser aux Québécois la St-Guy depuis 1980.

Précisons. L'indépendance – si le mots ont encore un sens – consiste pour une nation à détenir les pouvoirs lui permettant de maîtriser sa destinée. Pour faire simple, ce sont les pouvoirs cardinaux, soit ceux qui comptent le plus pour tout pays qui sait ce qu'est d'être indépendant. Ce sont donc les pouvoirs de l'argent et ceux de la force d'abord. L'indépendance se mesure ainsi à la capacité de contrôler sa banque, sa monnaie et son économie; de défendre ses frontières extérieures et de maintenir l'ordre intérieur par des forces armées et policières qui répondent à l'autorité étatique. Ceci s'applique à tout pays.

En d'autres mots, croyez-le ou non, nous n'avons pas encore commencé à parler sérieusement d'indépendance au Québec. Ni avec Lévesque, ni avec Parizeau et pas davantage avec PKP. On fait un plat avec le lancement de l'Institut de recherche sur l'indépendance, soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? On en reparlera le moment venu mais ça s'annonce plate comme une crêpe car le «war room» de l'indépendance n'existe tout simplement pas. On excusera mon scepticisme mais je m'attends à des études d'intellectuels qui ne vaudront pas un pavé dans la mare, je le pressens au temps qu'il faut pour en accoucher. Bref, pour y revenir, un référendum sur le sujet que personne ne maîtrise est par conséquent impossible. C'est d'ailleurs conforme à la simple vérité historique. Il vous suffit de retourner au libellé des questions référendaires de 1980 et 1995 pour constater que l'indépendance n'était pas l'enjeu. Et à juste titre, car la population n'y a jamais été préparée. Pour bien remettre les choses à plat et rompre avec les récits fantaisistes, il suffit de se demander sur quoi portait donc les deux premiers référendums... et ajoutons l'éventuel prochain, à propos duquel les aspirants à la chefferie du PQ s'apostrophent déjà, comme si le «vouloir» ou simplement le garder dans le décor donnait en soi un surplus de fibre patriotique.

Allons plus loin. Un éventuel oui à un éventuel référendum est peu probable et ce, quelle que soit la question posée. Mais si, par hasard, le oui l'emportait avec une petite majorité obtenue à l'arraché, on jase, cette courte victoire ouvrirait la porte à n'importe quoi, dont des divisions sur des revendications à la baisse, le tout préludant à une finale décevante, possiblement contraire aux intérêts du Québec.

Quant on n'a jamais réussi à regrouper la masse critique de la nation, quant on est séparé d'elle et qu'on craint comme la peste son identité, comment serait-il possible de former avec elle un consensus national fort? Dans ces circonstances de grande faiblesse, au final, qu'y aurait-t-il à négocier? Représentés par un si pauvre parti armé d'un si pauvre mandat? Car, ouvrons les yeux, la plus totale confusion l'égard de la prétendue indépendance persiste depuis 50 ans... Le projet d'indépendance du Québec contient des titres et de la réclame, mais tout cela est entrecoupé de tant de pages blanches et de non dit qu'on ne remarque même plus l'erreur. Ce qui est toutefois persistant, je le reconnais, c'est le désir d'autonomie culturelle, linguistique, en matière d'éducation et d'immigration.

Revenons au consensus et rectifions. Un consensus national fort a déjà été obtenu en cinquante ans. Il s'est en effet cristallisé autour des accords du lac Meech, menés par le libéral Robert Bourassa en 1887. Pour rappel, cet accord donnait au Québec des pouvoirs accrus, notamment dans le domaine de la culture et de l'immigration. Il lui donnait la possibilité de se retirer des programmes fédéraux avec pleine compensation. En reconnaissant le Québec comme société distincte, il ouvrait la porte à un changement de la dynamique entre le Québec et le Canada, figée depuis 1867. Plus de 65% des Québécois l'aurait applaudi, dont 80% de souverainistes ! 

Or, vu les circonstances mélodramatiques dans lesquelles se sont tenus les deux premiers référendum, et compte tenu de ce que je viens d'exposer, une petite victoire ne pouvait conduire au mieux qu'à des accommodements raisonnables, se solder avec un Meech plus (ou moins), garnis d'un enrobage différent. Le prochain et tout hypothétique référendum qu'appelle de ses voeux Martine Ouellet ne permettrait pas davantage. La branche référendiste du PQ ne fait que s'enfoncer davantage à marcher dans les traces des échecs du passé, faute d'en avoir fait un bilan sans complaisance, d'où sa presse d'en découdre avec les fédéralistes qui, justement, fédèrent la moitié du Québec.

Résultat des courses.

Qui est prêt à continuer de braquer la moitié du Québec contre l'autre pour au mieux des accommodements raisonnables ? Au pire et plus probablement pour un autre échec dramatique et démoralisant car, les deux référendums précédents l'ont bien montré, après un non les chefs plient bagage et renvoient les militants aux douches. Jacques Parizeau n'était pas prêt à continuer le combat en cas d'une défaite dans les urnes, même contestable. Dans la confusion, il a appelé à la démobilisation générale. Une vérité que la majorité des indépendantistes refusent de voir, comme si la réalité leur faisait trop mal. Le maintien de la «Pax canadiana» pesait sans doute dans sa décision, laquelle renvoyait à l'improvisation dans laquelle l'aventure référendaire avait été lancée. Et ce fut une aventure. Diriger une province, chose à laquelle il ne pouvait se résoudre, le fit jouer la santé et la cohésion de la nation sur une simple consultation populaire, pour finir aussi lamentablement. 

Les fractures profondes héritées du premier référendum et consolidées à l'ère Parizeau sont toujours celles qui traversent et plombent lourdement le Parti québécois aujourd'hui. Ceux qui ne veulent pas de référendum sont soupçonnés de provincialisme, ce qui est d'ailleurs assez vrai car ils restent à ce jour incapables de produire un plan de redressement national qui utiliserait tous nos pouvoirs. Le soupçon d'être contents de diriger une province leur colle donc à la peau. À l'opposé, ceux qui veulent un référendum restent sourds aux arguments souvent sensés des provincialistes. Entre les deux, aucun appel, aucune intuition, aucune réflexion ne semblent assez puissants pour briser cette stérile dichotomie.

Au sein de la mouvance référendiste loge une envie d'en finir qui ressemble à l'attirance irrésistible pour l'échec. Le Québec n'est jamais gagnant. Depuis longtemps il perd systématiquement au jeu de la politique, mais ses chefs continuent de l'inviter à foncer dans le mur. 

Or le Québec vaut mieux. Et le défi immédiat des politiques du serait de rassembler les Québécois autour de quelques idées fortes, autour de consensus qui nous feraient progresser, quitte à renverser des monuments du statu quo au passage. Contrairement à Parizeau qui ne voulait pas diriger une province, grave erreur, il faudra se résoudre à le faire et à le faire correctement... pour arriver à le faire puissamment. Car la voie de la puissance est la voie de l'indépendance. 

Épris de grandes ambitions mais peu formée et aguerrie sur le plan politique, l'élite souverainiste a négligé de se souder aux pouvoirs qui lui étaient confiés. En fait, le Parti québécois au pouvoir a souvent marché dans les routines établies par le parti libéral, n'agissant que de façon marginalement différente. Était-ce faute d'avoir les coudées franches, faute de pouvoir compter sur une nette majorité parlementaire? Possible en partie, mais cela ne peut expliquer tout un parcours navrant, comme la phobie toujours grandissante de notre identité qui le caractérise maintenant. Il suffit de rappeler la récente visite de Marine Le Pen qui les a mis, toute cette bien pensance, au bord de la crise de nerfs. Il est clair que cette panique de vierges effarouchées, pour si peu, ne fait pas de la classe politique actuelle une force fiable. Au contraire, elle la disqualifie pour nous mener à l'indépendance. Mon conseil, ne les suivez surtout pas sur la voie référendaire.

Il y aurait tant à faire. D'abord unir les Québécois en leur proposant un redressement à travers des objectifs qui s'adressent à la masse et non à des clientèles communautaires. Les grands consensus devraient se faire sur des enjeux du quotidien, enjeux désertés par le Parti québécois. Voici quelques exemples :

1- Fracasser l'immobilisme qui prive les Québécois de l'accès aux soins de santé. Venir à bout de cette féodalité médicale qui oblige les malades à attendre des heures et des heures dans les urgences. Donner le pouvoir aux super infirmières, faire venir des médecins coopérants de l'étranger (Cuba ?) pour travailler avec elles à créer de super cliniques d'urgence qui contourneraient, s'il le faut, le système actuel maintenu en place au profit de minorités âpres au gain. Sans se mettre à dos les médecins, leur faire comprendre que les médecins devenus ministres de la santé n'ont jamais pu régler les problèmes qui persistent depuis trop longtemps car ils n'ont pas l'indépendance nécessaire pour le faire. Le prochain ministre de la santé ne serait pas un médecin, quelqu'un d'autre, une infirmière de renom par exemple. 

2- Donner au Québec un visage français, re-vamper les institutions et les règlements qui accompagnent la loi 101 et les appliquer avec tout le muscle que la loi et les règlements autorisent. Revoir les budgets de cette mission, revoir ses objectifs et s'assurer qu'un personnel de direction motivé est bien en selle. Donner un signal clair et net qui atteindra tout le Québec, le Canada et le monde en gardant le cap. La langue de la réussite au Québec devrait être le français, il faut d'abord y croire nous-mêmes et accroître l'utilité du français partout, au sein de l'État et de ses prolongements d'abord. 

3- Diriger résolument et explicitement les nouveaux arrivants dans des parcours qui les conduisent à s'intégrer à la nation majoritaire. Imposer des tests de connaissance du français et de connaissance des réalités québécoises. Le faire avec fermeté, ce qui aura pour effet de décourager les moins adaptables et de ramener le nombre d'immigrants à des proportions plus conséquentes avec notre capacité d'intégration. Mettre la pression voulue pour admettre des immigrants qui non seulement parlent français (ce qui est insuffisant), mais des immigrants qui manifestent une aptitude et une volonté à s'intégrer. Cibler par exemple des Syriens chrétiens, plus proches de nos valeurs et qui sont d'ailleurs les plus persécutés.

4- Remettre à l'étude l'enseignement de l'histoire nationale du Québec obligatoire pour tous: L'épopée de la Nouvelle-France, (sans doute au monde le cas le plus harmonieux de la colonisation européenne), Samuel de Champlain, la Conquête, la déportation des Acadiens, les troubles de 1837-38. Enseigner aux nouvelles générations l'essentiel des enseignements qui nous ont aidés à survivre dans la durée. 

5- Obliger les universités anglophones à s'engager dans un programme graduel de francisation partielle pour en arriver à ce que l'enseignement universitaire sur le territoire se fasse en français dans une proportion égale à celle de la population francophone. Idem pour les collèges. Le Québec ne peut échapper à reconnaître qu'il a un caractère multi-national, mais la nation fondatrice et majoritaire est en droit de s'affirmer en garantissant le respect des autres, mais pas davantage qu'en proportion de leur importance démographique et historique.

6- Augmenter l'intérêt de l'État pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine religieux catholique. Rappeler que les cultes religieux, s'ils sont égaux en droit, ne sont pas égaux sur le plan patrimonial et historique. L'institution catholique a été un pilier de la fondation du Canada, d'abord. Ensuite, seule capable de le faire, elle a soigné la nation canadienne-française de ses blessures après la violente répression britannique des années 1837-38, faisant ainsi échec aux plans d'assimilation du Rapport Durham et préparant de fait, notamment par la fondation de collèges classiques de haut niveau, le sursaut national dont l'apogée se situe dans les années 1955-1980. Pour ces raisons, la religion catholique est une religion à part pour la nation québécoise. Elle mérite la reconnaissance de toute la nation, y compris celle des nouveaux arrivants et des adaptes des autres cultes. Cette dernière mesure, qui est en fait un changement d'attitude, est probablement la plus importante de toutes pour unir profondément la nation québécoise au delà des lignes partisanes.   

Cette petite révolution des mentalités, qui demanderait beaucoup de confiance, de nerfs et d'aplomb, ne serait au fond que le signe que nous nous respectons nous-mêmes, à titre de peuple d'accueil et de peuple fondateur du Canada. Remarquez que toutes ces mesures n'exigeraient l'addition d'aucun nouveau pouvoir à ceux que le Québec détient déjà. Or, le Parti québécois qui, paraît-il, aurait le courage de faire l'indépendance (armée, monnaie, banque, etc.) n'a jamais eu le courage d'utiliser pleinement les pouvoirs de la province de Québec dans l'intérêt national. Quant il a feint de les utiliser, il est reparti piteux en s'excusant comme d'habitude.

Il est facile de promettre qu'au bout d'un référendum se trouve l'indépendance. Mais au bout du compte, personne de ces «visionnaires» n'est responsable des résultats. Il semble bien, si le passé est garant de l'avenir, que si «le maudit peuple ne dit pas OUI», on démissionne, on se crache dans les mains et on recommence. Jusqu'à quand? Mes amis, il est beaucoup plus difficile de faire face à l'opposition hurlante qui se dressera dès que le Québec prendra la décision d'agir en conformité avec ses propres intérêts nationaux, que de réclamer un fumeux référendum. On a prétendu que dans le fédéralisme le Québec n'avait pas assez de pouvoir pour agir dans son intérêt national. Je suis d'avis que cette ligne de pensée est une ligne démissionnaire qui a conduit à la désertion du front le plus important pour le développement de l'affirmation, de l'autonomie et de la puissance nationale.

Ceux qui ont suivi les affaires savent qu'on a abusé de l'expression «gouvernance souverainiste» pour cacher une certaine vacuité. Sous Pauline Marois, l'expression, bien trouvée sans être nécessairement malhonnête, tenait plus de la réclame que du programme. Il reste néanmoins que les possibilités d'une vraie gouvernance souverainiste sont grandes pour changer la face du Québec et le remettre sur le chemin de la confiance, puis de la puissance. À condition que cette gouvernance ne soit pas un alibi aux mains de politiciens populistes et sans substance. Pour que l'indépendance ne soit pas faussaire, qu'elle procure au Québec le maximum de liberté politique et d'autonomie, il faut comprendre que cette dernière est tributaire de la puissance. Le Québec pourra être aussi indépendant que sa puissance le lui permettra. 

Aujourd'hui, dans l'impossibilité de faire progresser notre demi-indépendance de jure, soit le statut politique du Québec, il faut s'employer à faire progresser notre indépendance de facto. Regardons le monde. De plus en plus de petites entités nationales sont contraintes de se développer comme des nations sans avoir la reconnaissance d'autres pays, d'une majorité de pays ou de l'ONU. Pourquoi ne pas apprendre de ces expériences ? Au delà de la Catalogne et de l'Écosse, il faut s'ouvrir les yeux sur une multitude de situations nationales qui sont apparues au fil des ans. La presse n'en parle pas mais elles existent. Plusieurs de celles-ci se trouvent au sein ou en marge du monde russophone, mais aussi ailleurs (2). Quoi qu'il en soit, l'indépendance, qu'on le veuille ou non, est à la limite de la puissance que peut déployer un pays. Par conséquent, pour tenter d'en faire une formule, je conclurais, au risque de me répéter, que l'indépendance est au bout de la puissance et non au bout d'un référendum.

Je ne me fais pas d'illusion en écrivant ces lignes. Je sais d'expérience que l'arrivisme politicien, l'esprit multiculturaliste généralisé et la soumission aux valeurs mondialistes qui règnent au Parti québécois, comme au sein des autres partis, y compris Option nationale et Québec solidaire, ne permettront pas qu'un programme de redressement national voit le jour aux prochaines élections. Mon ambition est plus modeste, soit de montrer que le référendisme est un échec fini et qu'il s'oppose au sein du PQ à un autre échec historique qui est le provincialisme. Cette ligne de fracture stérile au sein du PQ a été consolidée sous l'ère Parizeau. Son dépassement éventuel est éminemment souhaitable. Pour en sortir par le haut, il faudra que de nouvelles valeurs habitent ceux qui font de la politique. Il faudra aussi que les politiciens indépendantistes cessent d'avoir honte de leur identité. Une honte encouragée et présentée comme «progressiste» à l'aune des valeurs du déracinement prêchées par tous les haut-parleurs de l'hyper classe mondialiste.  


1- http://vigile.quebec/Le-referendum-pour-les-nuls

2- Pour les intéressés qui veulent fouiller des cas de statuts de jure faibles ou incomplets qui enfreignent (ou pas) les constructions nationales de facto: Abkhazie (Georgie), Ossétie du Sud (Georgie), Haut Karabach (Arménie), Transnistrie (Moldavie), Les républiques de Donetz et de Lugansk (Ukraine), la Palestine (Israel), Le Somaliland (Somalie), Républika Srpska (Bosnie).