dimanche 4 mai 2025

Le malaise de l'identité canadienne-française serait-il le malaise d'une gênante condition coloniale ?


Il y a un malaise que nous ressentons-tous avec l'identité canadienne, le même qui existe aujourd'hui avec l'identité québécoise. Si vous êtes patient je vous explique.

L'identité canadienne née vers 1648 (G. Carpin) ne représentait QUE NOUS jusqu'a l'Acte d'Union et longtemps dans la Confédération. Nous sommes longtemps les Canadiens, les seuls Canadiens, avant de se dire Canadiens-Français. Ce sont les traducteurs de la Couronne, suivis par les rédacteurs de manuels d'écoliers qui nous ont dépouillés de notre nom en toute innocence.

On ne s'est pas interrogé sur les conséquences de traduire : Canadien par Canadian. Ça pouvait cependant signifier deux choses différentes.

(1) était-ce le nom du peuple canadien francophone de 1648 écrit en anglais ? Comme Deutsch qui se traduit par Allemand désigne le même peuple.

(2) était-ce les Anglais qui voulaient prendre un nom distinct à partir du moment où ils voulaient marquer leur distance de l'Angleterre ? Ils vont s'y résoudre. Canadien qu'ils changeront en Canadian fera l'affaire ! Deux peuples avec un nom traduit.

Dans le deuxième cas de figure, CanadiEns et CanadiAns renvoient à deux peuples distincts, ce qu'ils étaient de facto.

Avec le dévouement et l'énergie de personnalités comme Henri Bourassa et de plusieurs autres, qui voulaient elles aussi marquer leur distance de l'Angleterre, on n'a pas jugé essentiel de maintenir clairement l'exclusivité de notre identité. Bourassa n'a pas plaidé pour que Canadien, notre identifiant original, nous soit réservée. Il n'a pas condamné que par traduction on le falsifie et qu'il serve à l'usage d'un autre peuple. C'est un pas raté qui coutera cher à notre affirmation nationale. Bourassa croyait à un Canada à deux, faisait confiance et mettait de l'eau dans son vin. Le passage du nom des héritiers de la Nouvelle-France à celui des Anglais aurait donc échappé à tout examen de ses implications politiques. L'utopie de deux peuples fondateurs et égaux ne passa jamais au stade d'un parti de combattants réalistes.

Canadiens, peuple francophone issu de Nouvelle-France n'était pas
traduisible par Canadian.
Une nouvelle population superposée à la première, de langue anglaise,
d'allégeance protestante et britannique. Deux entités si différentes ne
se traduisent pas l'une par l'autre, elles ne sont aucunement équivalentes.

La traduction a donc donné naissance à une deuxième réalité socio-politique historique qui s'ajoutait à celle d'un premier peuple canadien. On ne voyait pas tout le danger de la confusion qui s'installait avec une identité canadienne commune. Elle serait façonnée de plus en plus ouvertement par les anglophones et s'imposerait à l'encontre de l'identité des premiers canadiens. Ces derniers condamnés à la privation de tout statut politique présentable endroit international.

Au moment où les derniers des nôtres s'appellent encore Canayens, j'avais dix ou quinze ans. Avec la Révolution tranquille on va tenter de transcender le malaise canadien-français en posant autrement le cas de l'inexistence statutaire des Canadiens d'origine, les francophones issus de Nouvelle-France. C'est le vocable québécois qui va refaire le coup, mais cette fois dans le cadre limité du Québec. Le Québécois commence vers 1960 comme un ralliement de francophones nationalistes et indépendantistes. On lit que les anglophones formenront une minorité nationale au Québec.

L'expérience se modère rapidement et s'achève dans la soumission totale au paradigme fédéral mis en place par Pierre Elliot Trudeau. La loi 99 (2000). Ironiquement adoptée par le Parti québécois, celle loi est entièrement rangée sur les valeurs du multiculturalisme canadian. Au profit de la pluralité, le nouveau peuple québécois, elle exécute politiquement les Canadiens-Français qui passent à la trappe. Un nouveau malaise du même type est né. Du même type que celui vécu par Daniel Johnson rabroué par René Lévesque en octobre 1968. C'était le moment charnière où les Canadiens-Français réunissent leur courage pour discréditer leur propre identité au profit d'une nouveauté identitaire plus dans le vent. Tout ce qui a été fait avant par des Canadiens-Français, qualifiés de peureux, colonisés ou égarés est à mettre de côté. L'enthousiasme est à son comble, le Québec sera libre demain. Cinquante sept ans plus tard, rien n'est arrivé.

Notre peuple colonisé a accepté trop vite la perte de son identité fondamentale qu'il croyait porter comme un fardeau. Or, ce n'était pas son identité qui était le fardeau mais sa condition de colonisé. Une condition reconnaissable par l'absence de statut et de protection pour ce peuple conquis, devenu minoritaire et sans autonomie interne reconnue. L'identité québécoise n'a rien résolue, nous nous trouvons plus affaiblis que jamais, aux prises avec le même malaise qui ne disparaît pas. Les fervents souverainistes, dont j'étais en 1968, devenus modernes, vivent de l'espérance dérisoire du Canadiens-Français de jadis. Ils ne réalisent pas qu'ils sont parfaitement en phase avec la Loi sur les langues officielle des 1969 (P. E. Trudeau) qui a refoulé les Canadiens-Français dans dix provinces pour les séparer et leur enlever tout sens de leur unité historique et de leur épopée. Chaque segment de la nation a hérité de son nom provincial, jusqu'aux fanco-ténois, ma chère. Mentionné le nom des Canadiens-Français est prohibé. Le Québec qui était à l'avant-garde n'y échappe évidemment pas.

Du reste, rebelotte, l'identité québécoise se décompose en Québécois francophones et Québécois anglophones, deux peuples qui ne partagent pas la même vison de l'avenir du Québec. Et ça va plus loin, il faut lire le préambule de la loi 99 (2000) pour saisir toute l'absurdité trudeauiste et la mauvaise conscience de ceux qui se disaient indépendantistes en 1960. Les neufs dualités canadiennes se complètent avec la dualité québécoise. Je rappellerai seulement une chose. On ne peut échapper à l'insécurité identitaire de peuple sans statut par une fuite en avant. Il faudra peut-être accepter de surmonter notre malaise individuel à l'égard de notre nom d'origine qui sera toujours notre plus légitime. N'importe quoi d'autre affaiblit nos assises et contribue à notre dissolution. En fait, je ne le dissimule pas, toutes prétentions contraires mises à part, les souverainistes et les fédéralistes actent conjointement la disparition d'un peuple dont ils ne veulent pas reconnaître l'existence. Les souverainistes travaillent la main dans la main avec les fédéralistes d'esprit trudeauiste.

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