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jeudi 16 novembre 2017


Quatre infanticides constitutionnels en cinquante ans !

Les tentatives pour modifier le statut constitutionnel du Québec  meurent toutes prématurément


Lorsque René Lévesque procéda à l'abandon officiel de la souveraineté en 1984, pour épouser ce qu'il qualifia lui-même de « beau risque », le parti éclata ! Un clash semblable se produisit lors du départ de Jean-Martin Aussant, en 2011. Un autre mélodrame !

Mais à quoi riment donc depuis 50 ans ces crises devenues si prévisibles entre « indépendantistes déterminés » et « souverainistes associatifs » plus conciliants ? Une explication courante voudrait que la prépondérance d'un camp sur l'autre nous ferait avancer ou pas, que l'on s'approche du but ou que l'on s'en éloigne. Est-ce bien le cas ? Il est permis d'en douter.

Par un aveu surprenant, René Lévesque va nous aider à réfuter cet antagonisme apparent. En 1967, dans une sorte d'éclair de lucidité, il écrivait : « le minimum vital pour le Québec est un "maximum ahurissant et tout à fait inacceptable" pour le Canada anglais ». Il ne pouvait mieux dire ! La conséquence immédiate de cette réalité dévoilée ne serait-elle pas de renvoyer dos à dos les deux camps autonomistes et leur réthorique concurrente ? Tant ils sont comme cul et chemise par leur refus de croire que tout ce qu'ils peuvent formuler constitue « un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable » pour le Canada anglais. Devant un tel mur d'intransigeance dénoncé par Lévesque, le comportement avisé ne serait-il pas d'adopter la position d'une résistance obstinée ? De se préparer à une lutte organisée qui ne connaîtrait pas de trêve ? Ne serait-ce pas chez les nôtres de s'armer d'une volonté à toute épreuve pour arracher enfin quelques gains autour d'un « minimum vital » ? Que nenni. Des quatre passes d'armes d'importance contre Ottawa en cinquante ans, aucune n'a satisfait aux exigences minimales de la rigueur et de la détermination qu'aurait dû inspirer le jugement tranchant de René Lévesque sur le Canada.

Le Canada maître absolu du jeu politique
Le Canada anglais a toujours été le maître absolu du jeu politique. En cinquante ans, le Québec a eu beau s'escrimer à formuler ses revendications - minimales, ou maximales - il n'en fera aboutir aucune. Qu'il revendique un ajustement de statut ou l'indépendance c'est du pareil au même. En somme, tous les événements donnèrent raison à Lévesque. Le fédéral n'a jamais consenti à rien car rien ne l'obligea à infléchir son intransigeance. Rien ne l'obligea à réfléchir autrement qu'en ses propres termes sur l'avenir du Canada, la présence du Québec et du Canada français ne réussissant jamais à s'imposer dans ses équations.

Vu sous cet angle, quelle différence y a-t-il en effet entre l'indépendance et un statut particulier ? En pratique, il n'y en a aucune car les ambitions autonomistes sont vouées à échouer devant une intransigeance absolue. Et elles seront indéfiniment ajournées tant que la classe politique continuera de défendre avec si peu de détermination et de sérieux les intérêts du Québec.

Sortir du coma politique
Pour repartir au combat il serait avisé pour les Québécois de sortir du « coma politique » dans lequel ils sont entrés au lendemain du référendum de mai 1980.i Ils devraient comprendre que la « Confédération n'a jamais été un pacte librement consenti avec un partenaire de bonne foi, mais l'imposition d'une condamnation irrévocable avec un enfermement perpétuel », comme l'explique Me Christian Néron, constitutionnaliste, consulté pour la rédaction de cette série.

Les graves carences de leadership ont commencé dès le début avec Lévesque qui a vite oublié sa propre lucidité, cité plus haut. Au lieu d'accorder ses actes avec sa lumineuse précaution, notre stratégie a gravement sous-estimé l'entêtement - prévisible - du Canada à conserver le statu quo, et, il ne s'est jamais préparé à mener un combat opiniâtre et de longue haleine. Faisant volte-face, il a cru - ou fait croire ? - que le changement de statut du Québec pouvait se décider dans la courte parenthèse d'un référendum. Une parenthèse ouverte et aussitôt refermée.

Un navire amiral sans pilote
Chaque fois que des occasions de marquer des points  à notre avantage ont été ignorées ou négligées, les plus déterminés en ont mis la faute sur le compte d'un pilotage mené par des « réformateurs du fédéralisme ». Cette explication ne tient pas vraiment la route non plus car elle refuse de voir que nos échecs à répétition ne viennent pas d'erreurs de pilotage mais de l'absence totale de pilotage ! C'est ahurissant, mais il est temps que les passagers comprennent qu'il n'y a jamais eu de pilote au gouvernail du navire amiral ! Une peur maladive de s'emparer du gouvernail a toujours été le réflexe typique de notre état major national depuis Georges-Étienne Cartier, une étourderie morbide qui a continué sa belle carrière tout au cours de l'ère péquiste. Bye bye libération !

De révolution tranquille à colonie tranquille
Les prétentions si souvent répétées que la révolution tranquille nous aurait libérée de notre mentalité de colonisés ne seraient qu'une façon de se détourner de la réalité pour se réfugier dans de belles illusions. En fait, le Canadien français se complaît tellement dans son statut de colonisé, vivant au dessous du minimum vital, qu'il n'arrive plus à s'imaginer qu'il pourrait s'en sortir un jour. René Lévesque en est l'exemple le plus dramatique.

En réalité, et c'est là toute l'affaire, que ce soient les « séparatistes » ou les « provincialistes » qui aboient le plus fort, nous restons essentiellement dans la distraction coloniale des vœux pieux et des programmes enluminés. On a toujours cru plus vertueux de mener un combat pour prouver la viabilité d'un Québec indépendant - se conforter les uns les autres - plutôt que de faire le procès en bonne et due forme d'un régime qui nous a été imposé et qui nous a toujours privé d'un « minimum vital ». C'est la cécité du colonisé qui nie la présence d'un éléphant dans la pièce. La problématique que pointait lucidement Lévesque et que personne n'a suivie - pas lui-même - laissant libre cours à la volonté de domination du régime anglo-canadien et ses forfaits.

Le Canada remporte la bataille des mentalités
La conséquence c'est que la bataille des mentalités a été gagnée jusqu'ici par le Canada. À tel point que beaucoup de ceux qui voteront Parti québécois aux prochaines élections de 2018 seront toujours sous l'influence du Canada. Beaucoup sont persuadés de son bon droit, de sa bonne foi, de sa supériorité morale. Nous récoltons l'abandon de l'éducation politico-historique, qu'elle fut de Lionel Groulx, de Maurice Séguin ou du RIN. Au lieu de travailler les fondamentaux de notre combat national et de les consolider, nous avons trop misé sur une «pédagogie» d'enfants d'école pour grignoter des « OUI ». Comme si de convaincre « ceux qui ne comprenaient pas » suffisait.
Dans sa psychologie politique, le Canada anglais a compris les limites de son adversaire domestiqué depuis longtemps : pour lui il est inutile de s'énerver devant les aboiements de quelques chiens battus et édentés.

De la contradiction principale
On me permettra ici un petit détour pour des raisons d'utilité pédagogique. À l'époque de la guerre sino-japonaise, la Chine est envahie par le Japon. Pour s'opposer aux membres de son parti qui veulent continuer de combattre le Kuomintang, Mao Zedong prononce une conférence en 1937, qui deviendra le petit essai intitulé « De la contradiction ». Il explique alors l'importance de bien identifier la contradiction principale, c'est-à-dire celle dont dépendent toutes les autres. Dans ce cas de figure, la contradiction principale posait la nécessité de mettre fin aux hostilités entre le Kuomintang et le Parti communiste, d'unir les deux camps chinois pour chasser l'envahisseur japonais, l'ennemi principal. Cela semble plein de bon sens.

Pour le René Lévesque de tous les jours, et en fin de compte pour toute la tradition péquiste, la promotion de « la cause » ne s'est jamais départie d'ambivalences à l'endroit du Canada. On ne s'est jamais affranchi d'une auto censure qui, bien que ponctuée d'occasionnels coups de gueules, s'est toujours interdit d'instruire la fourberie du fédéralisme et de son insatiable volonté de puissance.


Des quatre tentatives pour modifier le statut du Québec depuis cinquante ans

La première
Quand René Lévesque nous lance le soir de la défaite référendaire son « À la prochaine! », c'est qu'il renonce à poursuivre le combat par tous les autres moyens légitimes et raisonnables qui sont à sa disposition. Il venait de s'écraser sous la peur et nous conseillait d'en faire tout autant. À quoi bon un minimum vital pour le Québec ?

La deuxième
Quand, en 1981, revenu bredouille et trahi d'Ottawa, une performance néanmoins marquée par l'impéritie de la délégation du Québec, il soufflera à nouveau sur les braises d'une indignation légitime.  Contre toute attente, il fera volte face pour les éteindre quelque mois plus tard. Il renverra aux douches ceux qui, le prenant encore pour chef, étaient montés - pour une deuxième fois - aux barricades à son appel.

La troisième
Quand le Canada a renié sa parole – une autre fois – et que l'Accord du lac Meech a fait long feu, Robert Bourassa, premier ministre à l'époque, se retrouvait avec tous les atouts en mains pour rebondir. Il le laissera d'abord supposer en livrant un discours prometteur du 22 juin 1990. Il fera volte face à sa manière en laissant passer le temps pour que refroidisse l'indignation nationale et faire oublier son renoncement à faire suivre ses paroles par des actes.

La quatrième
Dans la foulée, Parizeau profite à son tour de l'indignation de Meech, qui reste présent dans les esprits, pour repartir au front. Il se lance avec témérité dans une nouvelle aventure référendaire dans laquelle il placera toutes ses billes. Mais il démissionne précipitamment à son tour le soir même du référendum de 1995, un geste prématuré qu'il regrettera plus tard. Trop tard !  Il avait oublié sur le moment qu'il pouvait attaquer des résultats contestables, ou doubler la mise. Il s'écrase lui aussi et renonce à toute forme de combat. Dans une approche mal inspirée par le tout ou rien, il procède à la démobilisation générale de ses partisans. Quand il a perdu un combat - et non la guerre - il reste toujours à un chef la liberté de se cramponner à ses acquis,  déjouer les manoeuvres à venir de l'adversaire, garder haut les coeurs en attendant une prochaine passe d'armes et des jours meilleurs.   

Tableau


Référendum Rapatriement constitution Négoci-ations du lac Meech Référen-dum 1995
Début 16 nov. 1974 Adoption de l'étapisme 15 sept. 1980 Conférence constitutionnelle 30 avril 1987 Conférence constitutionnelle au lac Meech 12 sept. 1994
Élection de Jacques Parizeau
Fin 20 mai
1980
17 avril 1982 22 juin 1990 30 octobre 1995
Protagonistes du Québec René Lévesque-Morin René Lévesque-Morin Robert Bourassa (PLQ) Jacques Parizeau
Protagonistes fédéral P-E Trudeau P-E Trudeau Brian Mulroney /
P-E Trudeau
Jean Chrétien
Raison de l'échec Abandon du combat par René Lévesque (1er coma politique) Négligence et irresponsabilité du camp québécois (2è coma politique) Abandon du combat par Bourassa


Abandon du combat par Jacques Parizeau (3è coma politique)
Possibilité de réaliser des gains statutaires Non
(Demande de négocia-tions)
Oui
(Négociations)
Oui
(Négociations)
Non


Gains pertes réalisés Perte Perte + (droit de veto du Québec) Neutre Perte
Possibilités d'établir un rapport de force favorable si le combat avait été continué (mon estimation) 40 p.c. 60 p.c. 90 p.c. 60 p.c.

Me Christian Néron explique : « Quand René Lévesque ou Lucien Bouchard refusent de contester les décisions de la Cour suprême (sept. 1981) et l'imposition de la nouvelle constitution, ou d'exiger que ce dossier capital soit soumis en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé (Londres) ou encore que le dossier soit soumis à un tribunal international », là encore, les chefs se sont défilés devant leurs obligations. « Un combat constitutionnel de la plus haute importance entre deux nations n'est-il pas un conflit inter-national ? »

Maître Néron soutient qu'en matière constitutionnelle il ne faut jamais cesser de lutter pour le respect de ses droits et libertés. Il donne en exemple la constitution de l'Angleterre, qui a presque mille ans, poursuit-il, et qui est faite en grande partie d'une succession de combats éprouvants pour la préservation de ses droits. Mais ici, chez-nous, il est interdit de se battre pour un minimum vital et, surtout, d'indisposer notre partenaire canadien !

Pour Me Néron : « Le droit international coutumier ne reconnaît-il, depuis le XVIè siècle, le droit de tout peuple de réclamer justice, et même de se faire justice lorsqu'il n'y a aucune autorité compétente pour le faire ? La doctrine de Vitoria et Suarez est éloquente à ce sujet ».

De la décolonisation des mentalités
En fin de compte, les Canadiens-français-québécois tentent la quadrature du cercle depuis 1867. Et en compagnie du PQ depuis 1968. Si les Québécois et leurs chefs continuent de rejeter a priori tout geste qui occasionnerait la moindre montée de tensions entre le Québec et le Canada; si après avoir renoncé d'avance à oser un rapport de force qui nous serait favorable ils réclament du même souffle un changement de statut pour le Québec, c'est de la foutaise ! Vu l'absence de toute forme de pugnacité, du moment que le Canada bombe le torse, vu la facilité avec laquelle nos chefs de file décrochent avant terme et plient armes et bagages, le Québec se présente désormais au Canada, et au monde, comme un joueur qui a décidé de s'exclure lui-même du jeu. En nous inclinant devant toutes ces injustices, au point d'y laisser le respect de nous-mêmes, nous avons décidé de notre destin. 

Tout ce temps, en contre-partie, nos chefs péquistes ont toujours voulu se dédouaner de leur manque de leadership et de persévérance en reportant leurs échecs sur le dos d'une population qui n'aurait pas suivi ! Naturellement, ils négligent de dire qu'il n'y avait pas grand monde fiable à suivre. Qui serait assez idiot pour suivre un chef qui n'a aucune stratégie, qui ne croît pas en sa cause, qui s'incline au premier vent contraire, qui oublie même de se respecter ?!

Le soir du 30 octobre 1995, Jacques Parizeau, dans un message de dépit, renvoyait chez eux ses militants. N'était-ce pas un message d'abdication envoyé à la population ? Qu'il fallait nous écraser devant la défaite ? Comme Lévesque avant lui, il nous a laissé avec un sentiment d'amertume, comme si nous n'avions pas perdu un combat mais la guerre ! Les chiffres de la démobilisation parlent d'eux-mêmes. Le PQ passa de 300 000 membres à 70 000 sous René Lévesque, et éventuellement la moitié moins.

Si bien que, depuis cinquante ans, ce qu'il conviendrait d'appeler chez-nous la contradiction principale est un chantier désert. Comme si elle ne se situait pas entre le refus du Canada anglais de faire toute concession, et la volonté des «descendants des vaincus» (expression constitutionnalisée) de briser les cadres d'une prison constitutionnelle dans laquelle on les a enfermés, leurrés par des promesses aussitôt trahies. Faute de mettre cette contradiction au premier plan du combat politique, sauf de cibler correctement l'ennemi, toutes les nuances de la mouvance autonomiste ne peuvent que se retrouver dans une foire d'empoigne perpétuelle. Inversement, mettre la question de l'intransigeance du Canada sur la sellette, démaquiller l'hypocrisie de sa démocratie, dénoncer ses promesses trahies – dont la plupart ont une valeur constitutionnelle – ne pourrait que renforcer notre unité.

Lévesque-Morin – Un scandale national
Le lecteur pourra lire en annexe un texte particulièrement troublant de Guy Laforest dans lequel il expose la désinvolture, l'improvisation et, somme toute, l'irresponsabilité du tandem Lévesque-Morin à l'occasion des délibérations qui conduisirent au rapatriement de la Constitution. Il y avait là pour nous une occasion de faire des gains sur le «minimum vital», voire davantage. Mais le Québec, en raison de la pauvreté extrême de sa direction politique, est non seulement revenu d'Ottawa les mains vides, mais déshabillé ! Il avait renoncé à son droit de veto pour un plat de lentilles. Une bande d'amateurs aux commandes d'un navire où il n'y avait même pas un matelot au gouvernail ! Une équipée dont le second de bord était un agent d'influence du fédéral tenu en laisse par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Une équipée dont l'irresponsabilité fait honte à la nation, un scandale jamais dénoncé par l'entourage de Lévesque, voué à ne pas ternir sa réputation. Le lecteur remarquera qui était aux premières loges tout récemment pour rendre hommage à René Lévesque à l'occasion du trentième anniversaire de sa mort.

En donner toujours plus sans rien exiger
Plus récemment, nous voyons Jean-François Lisée se ramollir doucereusement pour octroyer des « droits historiques » aux anglophones. Pourquoi ouvrir la porte à d'autres concessions, alors que les droits linguistiques des anglophones sont légalement encadrés par les articles 96 et 133 de la constitution, lesquels avaient été négociés à huis clos en janvier 1867 ? Pourquoi laisser supposer que les droits linguistiques des anglophones seraient menacés, alors que seuls les nôtres le sont ! Ce chef, qui a mis de coté la question de la souveraineté pour un minimum de quatre ans, ne se prive pas pour nous paver la voie des prochains reculs. La tradition canadienne-française de donner d'abord ses perles, pour n'avoir plus que sa chemise à négocier, a la vie dure. Nous voyons bien qu'après cent cinquante ans d'un triste cumul d'échecs, notre mentalité n'a pas changé.

Adopter « l'Autre » pour épouser notre déclin
Toute relance du combat pour nos droits et libertés nationales ne pourra réussir sans un sursaut des mentalités. Elles devront prendre acte de la réalité brutale du Canada anglo-saxon-protestant, pour qui « le minimum vital pour le Québec est un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable » pour ses intérêts. C'est sa conception du vivre à deux.  La décolonisation psychologique avait bien commencé dans les années 1960, menée par des hommes courageux comme Marcel Chaput, André d'Allemagne, Pierre Bourgault, regroupés au sein du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN).  Mais tout ça s'est vite étouffé avec le plus attendrissant de nos colonisés, René Lévesque. Il rejeta non seulement le RIN mais toute notre tradition résistante de la « survivance » en même temps. Si nous l'aimons tant, c'est sans doute parce que c'est lui qui incarne le mieux les faiblesses de la typologie québécoise.

On a cru bien trop vite achevée la décolonisation de notre mentalité. Nous l'avons confondue avec une perméabilité toute grande à la culture de masse américaine, laquelle se juxtaposait au rejet de nos traditions culturelles et religieuses, et ce, sans trop de discernement. La révolution tranquille, portée par un baby boom regorgeant d'énergie, nous a bien abreuvés et nourris aux agapes d'une aliénation accrue. Un rejet radical du passé qu'on a pris pour une œuvre de libération.


ANNEXE
LES RÉVÉLATIONS DE GUY LAFOREST
(Mes soulignements)

Incohérence et désorganisation
Quand on examine notre histoire sous l'angle de la longue durée, les référendums de 1980 et de 1995 prennent l'allure de rébellions ratées de l'ère démocratique, en lien avec les rébellions matées de l'ère impériale que furent les soulèvements de 1837-1838. Perdre une action de cette nature entraîne des conséquences négatives. Toute analyse sérieuse des documents de l'époque révèle l'ampleur du désarroi de René Lévesque et de son gouvernement au lendemain de l'échec du référendum sur la souveraineté-association de mai 1980.
Rien ne fut fait pour préparer stratégiquement les lendemains d'une possible défaite. Sur le terrain de l'alliance avec les provinces récalcitrantes aux initiatives unilatérales de M. Trudeau, et notamment dans la guérilla diplomatique menée à Londres, le gouvernement Lévesque a bel et bien eu quelques succès tactiques après le référendum de 1980. Il est toutefois constamment resté sur la défensive, paraissant souvent incohérent et désorganisé.

Décision précipitée

Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque et du Parti québécois contre les libéraux dirigés par Claude Ryan, le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d'amendement qui substituait le principe d'un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée.
Au cours de la campagne électorale, la veille organisationnelle sur ces questions fut confiée au ministre responsable, Claude Morin, et à son sous-ministre Robert Normand. Le Conseil des ministres ne fut jamais consulté sur cette orientation. René Lévesque prit cette décision de manière précipitée trois jours après l'élection. Le Québec aurait pu beaucoup mieux gérer l'enjeu du droit de veto, n'acceptant d'y renoncer qu'au lendemain d'un accord global auquel il aurait pu souscrire.
Lévesque vs Ryan
Entre 1978 et 1982, Claude Ryan a incarné au Québec une vision du renouvellement du fédéralisme canadien en harmonie avec les intérêts du Québec comme société nationale et distincte. Pour protéger le Québec, le gouvernement Lévesque aurait pu faire un bien meilleur usage des lumières et de la bonne volonté de M. Ryan. Certes, la politique est affaire de combat; Lévesque et Ryan avaient ferraillé avec acharnement en campagne référendaire et lors des élections de 1981. Toutefois, Lévesque a choisi de ne jamais intégrer Ryan dans un dessein stratégique visant à contrer les projets de M. Trudeau. Ce dernier craignait beaucoup Claude Ryan. Lors de la fatidique semaine des négociations constitutionnelles de novembre 1981, M. Ryan a essayé d'entrer en communication avec M. Lévesque et son équipe. Ses appels n'ont jamais eu de réponse.
Véritable cafouillis
Sur le front judiciaire, le Québec et ses procureurs sont allés à quatre reprises devant les tribunaux en 1981 et 1982. Leur performance fut peu impressionnante. Pourquoi remplacer l'équipe en place par l'ex-juge de la Cour suprême, Yves Pratte? Pourquoi attendre de très longues semaines avant de décider de soumettre la question du droit de veto du Québec en renvoi à la Cour d'appel du Québec après novembre 1981? Pourquoi ne jamais avoir plaidé, sur la base de l'article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867, la nécessité du consentement de l'Assemblée nationale du Québec pour toute réforme touchant la juridiction des provinces sur la propriété et les droits civils, invasion reconnue par le gouvernement fédéral lui-même et par les décisions antérieures des tribunaux? 
Si l'oeuvre d'ensemble paraît peu cohérente et souvent improvisée, cela s'est révélé sous son jour le plus cru lors de la conférence constitutionnelle de novembre 1981: climat anarchique et peu professionnel dans l'entourage de proximité de M. Lévesque, équipe ministérielle d'appui de second ordre, cafouillis total de René Lévesque lui-même et de son équipe à la suite de l'offre référendaire de M. Trudeau le matin du 4 novembre, absence de vigilance lors de la dernière nuit de la conférence.

i Selon l'expression de Martine Tremblay dans son livre : Derrière les portes closes: René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985)

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