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THE FRENCH-CANADIAN IDEA OF CONFEDERATION: 1864-1900 »
A.I. Silver
CHAPITRE 3
La Confédération et les droits des minorités
Si nous avons eu raison jusqu’à présent dans notre compréhension de l’opinion des Canadiens français sur le sens qu’ils donnaient à la Confédération, nos lecteurs sont alors justifiés d’être quelque peu étonnés. Car, dans ce que nous avons vu des Canadiens français dans leur approbation de ce nouveau régime, on ne retrouve absolument rien pour le bilinguisme, le biculturalisme ou la reconnaissance de droits pour leurs compatriotes à l’extérieur de la province de Québec. Bien au contraire, tout semble indiquer que le Québec devait être la seule arène de la vie nationale des Canadiens français et, qu’au sein du pacte fédéral, le Québec devait être un pays autonome et essentiellement canadien-français. Même les interventions de leurs députés à Ottawa devaient viser à préserver l’autonomie et défendre les intérêts du Québec. Ainsi, ces derniers devaient être considérés comme des représentants de leur province plutôt que comme des citoyens canadiens dont les circonscriptions se trouvaient être situées dans la province de Québec. De plus, l’inclusion dans la constitution d’un article (133) garantissant certains droits à la langue française à Ottawa était parfaitement conforme à ce point de vue, car, même si la Confédération n’était que l’association d’une province canadienne-française avec plusieurs autres de langue anglaise, les institutions fédérales auxquelles devaient participer les représentants du Québec devaient être forcément bilingues.
Alors qu’en était-il des droits de leur nationalité à l’extérieur du Québec ? Était-elle destinée à ne bénéficier d’aucun statut officiel dans ce nouveau dominium ? Les minorités françaises et catholiques des autres provinces seraient-elles privées à jamais de tout droit national et religieux ?
Certes, les plus durs détracteurs du projet de confédération affirmaient désirer la protection des droits de leurs minorités, du moins lorsqu’ils parlaient en termes généraux. « Mais nous ne voudrions pas, disaient-ils, d’un système qui ne protègerait pas les droits de nos minorités au même degré que ceux de la majorité ; rien de durable ne pourrait être construit sans être fondé sur la justice ».
Toutefois, lorsque les termes exacts de la Constitution furent enfin connus, à partir de mars 1867, l’opposition s’est mise à critiquer Cartier et ses alliés pour ne pas avoir, entre autres raisons, accordé une protection adéquate à leurs minorités ; ils ont dénoncé tout particulièrement l’article 93 de la Constitution qui conférait à Ottawa certains pouvoirs pour protéger les droits scolaires de leurs minorités, au motif qu’« il était ridicule pour des catholiques de devoir faire appel d’une décision prise par une assemblée de protestants auprès d’une autre assemblée de protestants ». Mais les partisans du gouvernement, dans leur éloge de la nouvelle constitution, prétendaient que cette dernière protégeait « tous les droits acquis et octroyés aux minorités tant catholiques que protestantes dans les gouvernements des provinces, advenant le cas où certains voudraient les remettre en question. »
Toutefois, il n’est pas clair que de telles affirmations doivent être prises au sérieux. Les circonstances dans lesquelles elles ont été faites étaient plutôt suspectes. Ainsi, nous constatons que La Minerve, par exemple, réclame les droits des minorités, mais poursuit en disant que cette procédure pourrait être exercée dans l’intérêt des Anglais du Bas-Canada. En effet, la question avait été soulevée par le Montreal Herald qui craignait pour le statut des anglo-protestants dans un Québec autonome. En soutenant une interprétation généreuse des principes des droits des minorités, La Minerve attirait l’attention sur certaines craintes qui confirmaient que le Québec serait bel et bien une province autonome sous le contrôle des Canadiens français.
Le fait que ceux-là mêmes qui, à une occasion donnée, avaient parlé de garanties pour les droits des minorités, avaient affirmé à d’autres occasions qu’aucune garantie ne pouvait être réellement efficace, était également suspect. Ainsi, l’auteur de Contre-poison qui se vantait, à un moment donné, que, dans un système où règne la loi de la majorité, aucune garantie ne saurait être efficace pour la bonne raison que « la majorité de demain pourra toujours défaire ce que la majorité d’hier avait fait, et ce, à même le changement d’un seul vote parmi les députés ». Il s’agit, après tout, de l’essentiel des reproches si souvent formulés par les Canadiens français à l’endroit de l’Union législative : quelles que soient les garanties prévues par la constitution d’une telle union, elles pourront toujours être annulées par la volonté de la majorité. En conséquence, la pleine autonomie d’une province où les Canadiens français seraient enfin majoritaires chez eux ferait en sorte qu’ils n’auraient plus besoin de garanties constitutionnelles pour leurs droits de minoritaires au sein du Canada. Enfin, nous sommes en droit de nous demander dans quelle mesure les Bas-Canadiens étaient au courant de l’existence même de minorités qui auraient pu avoir besoin de garanties constitutionnelles.
Y-a-t-il encore des Acadiens ?
Prenons exemple des Acadiens. On a déjà vu que ces derniers avaient toujours vécu très loin des Canadiens français, que leur communauté, à la veille de la Confédération, était à peine visible et sans porte-parole pour les représenter, et qu’ils ignoraient l’existence même des Canadiens français. Il n’est donc pas surprenant que la même ignorance ait prévalu au Bas-Canada. En fait, on constate que les deux communautés s’ignoraient mutuellement. Pour un grand nombre de Canadiens français, il n’y avait plus d’Acadiens pour la bonne raison qu’ils avaient été éradiqués lors du Grand Dérangement. D’ailleurs, dans les années 1860, la traduction par Pamphile Lemay d’Evangeline de Longfellow, et la publication dans la Revue Canadienne du roman de Napoléon Bourassa sur l’expulsion, Jacques et Marie, ont renforcé l’impression que la population acadienne avait été dispersée une fois pour toutes au XVIIIe siècle. Cette impression aurait dû commencer à être remise en question, au moins à partir de 1857, lorsque J.-C. Taché avait écrit sur la survie des Acadiens dans Le Courrier du Canada. Puis la publication de La France aux colonies de Rameau de Saint-Père en 1859, et sa tournée au Canada et dans les Maritimes l’année suivante, aurait dû les sensibiliser davantage sur la survie et la présence des Acadiens. Mais il semble que ça n’ait pas été le cas.
Néanmoins, l’émotion que les Canadiens français continuaient à ressentir, chaque fois qu’on leur parlait de la Déportation, laissait toutefois entendre qu’ils continuaient à croire que les Acadiens étaient disparus. Ainsi, en octobre 1864, le Journal de Québec publiait la lettre d’un homme tout juste revenu d’un voyage dans les Maritimes et préparait les lecteurs au contenu de cette lettre en parlant du plaisir qu’ils allaient ressentir en apprenant que la nation acadienne avait survécu à sa grande épreuve. La Gazette de Sorel, publiant la même lettre une semaine plus tard, faisait remarquer que le voyageur avait été très étonné de constater que les Acadiens étaient toujours vivants et même prospères dans les Maritimes : « Nos lecteurs », affirmait le journal, « seront sans doute aussi ravis que nous l’étions nous-mêmes d’apprendre ces choses. … ». La révélation, de toute façon, n’avait pas atteint tous les Bas-Canadiens car, lorsque Jacques et Marie fut publié sous la forme de livre deux ans plus tard, le Journal des Trois-Rivières disait espérer que cela aiderait à « raviver le souvenir » des Acadiens, qu’il « perpétuerait parmi nous la mémoire d’une race dont le nom ne devait jamais périr ». Propos assez étranges à tenir en parlant d’une nationalité vivante et en plein essor à ce moment-là !
Que l’existence des Acadiens ait été connue des Canadiens français ou non, le fait est qu’ils ont été royalement ignorés lorsqu’il s’est agi de garantir les droits des minorités dans la Confédération. Lors de la Conférence de Québec, le premier jet d’une résolution sur l’éducation, peut-être préparé, mais certainement approuvé par les ministres canadiens-français, disait simplement que l’éducation serait de compétence exclusive des provinces. La résolution ne prévoyait aucune garantie pour les droits scolaires des minorités. C’est D’Arcy McGee, pour les anglo-protestants du Bas-Canada, qui a présenté dès le lendemain un amendement pour proposer quelques garanties, mais uniquement pour les minorités protestantes et catholiques du Bas et du Haut-Canada. Il n’y avait rien en ce sens pour les minorités des autres provinces. Aucune garantie générale ne sera donc incluse avant la Conférence de Londres de 1866-67. La garantie qui va apparaître dans la version finale sera due au lobbying de l’archevêque d’Halifax, mais non à une initiative quelconque de la part d’un Canadien français.
L’archevêque Connolly
La mission de l’archevêque Connolly à Londres offre une belle occasion d’évaluer l’attitude des Canadiens français à l’égard du statut des minorités. Connolly avait eu plusieurs rencontres avec Cartier et Langevin. Il avait tout particulièrement travaillé avec Langevin dont la famille était étroitement liée à l’Église. Dans ses lettres, Langevin avait fait part de ces réunions de Londres à ses frères Jean et Edmond, tous deux prêtres. Son ton, au début, semblait bienveillant : « Ce qu’il veut, c’est obtenir pour les catholiques de l’Atlantique des avantages égaux à ceux que la nouvelle constitution garantira aux minorités respectives du Haut et du Bas-Canada. À plusieurs reprises, il m’a parlé très longuement de cette question. Je lui ai dit qu’il pouvait être sûr qu’il n’y aurait aucune opposition de la part de M. Cartier ou de moi-même et, qu’au contraire, en tant que catholiques, nous serions heureux de voir nos coreligionnaires des provinces inférieures obtenir les avantages en question, mais qu’il ne pouvait et ne devait pas s’attendre à ce que nous proposions la chose nous-même. Il devait faire en sorte qu’elle provienne d’un des délégués des Provinces maritimes, notre rôle se limitant nécessairement à appuyer une motion qui devait émaner des Maritimes. ». Il y avait là une ambivalence qui traversait toute l’attitude du Québec envers les minorités. D’une part, Langevin était catholique et devait considérer comme souhaitable toute garantie des droits des catholiques. De l’autre, il était un représentant du Bas-Canada et le règlement de cette question n’était pas celle de cette province, mais des Maritimes. De toute évidence, le concept de Confédération comme alliance de provinces distinctes et autonomes dominait dans l’esprit de Langevin tout comme dans celui de Cartier.
Le Québec était une chose, les Maritimes une autre. Les droits des écoles catholiques dans les Maritimes, même s’ils bénéficiaient de la pleine sympathie du Québec, ne devait surtout pas porter préjudice à l’autonomie de la province et le plein contrôle qu’elle devait obtenir sur ses propres affaires.
Connolly n’était pas du tout satisfait de l’attitude de Langevin. Les rapports entre les deux hommes sont devenus aigres. Langevin a même décrit de manière peu flatteuse la personnalité de l’archevêque à ses deux frères. Connolly s’est donc de plus en plus opposé à la position canadienne-française, allant jusqu’à préconiser le contrôle de l’éducation par le fédéral. Enfin, le 28 décembre 1866, Langevin a informé ses frères que Connolly avait obtenu un entretien privé avec le ministre des colonies et semblait satisfait de la clause relative aux droits scolaires dans le projet final. Pourtant, Connolly n’avait écrit à lord Cameron que quatre jours plus tôt pour se plaindre que les délégués n’avaient pas suffisamment protégé le bien-être des minorités catholiques ! Mais cette froideur de Langevin et de Cartier envers les catholiques des Maritimes n’a suscité aucune colère chez les électeurs du Bas-Canada dont le souci pour les droits des minorités n’allait pas au-delà de celles du Haut et du Bas-Canada.
Dès le début de cette aventure constitutionnelle, la critique des Rouges du Bas-Canada avait été ainsi présentée : « Mais qu’adviendra-t-il des catholiques du Haut-Canada envers qui vous prétendez avoir de la sympathie ? » Et la réponse des Bleus, même après que le contenu de l’article 93 ait été dévoilée, manquait de perspective : « Par ces quatre clauses, les deux minorités, catholique et protestante, du Haut et du Bas-Canada, sont placées exactement sur le même pied ». Ce manque de perspective ne devait pas non plus surprendre. Le lien exceptionnel rendu possible par l’Union de 1840 avait donné à la minorité du Haut-Canada une place spéciale dans la pensée des Bas-Canadiens. Mais pas si spécial que ça !
Les anglo-protestants du Québec mènent le bal
En fait, ce qui a soulevé la question catholique de l’Ontario, c’est d’abord la tentative d’octroyer des garanties aux anglo-protestants du Québec qui, pour la première fois de leur histoire coloniale, étaient sur le point de devenir une minorité dans une province autonome gouvernée par une majorité non britannique et non protestante. Pour la première fois, ils commençaient à se sentir menacés dans leurs privilèges de dominants. Pour apaiser ces craintes et gagner leur soutien à la Confédération, leur représentant au ministère, Alexandre T. Galt, leur avait promis des garanties exceptionnelles. Le Conseil législatif du Québec pourrait lui-même être considéré comme un véritable cadeau à la minorité coloniale anglaise. En tant qu’organe non élu, ce conseil permettrait une représentation privilégiant leur communauté plutôt que la population de certaines circonscriptions.
Beaucoup plus important encore était le règlement des limites des circonscriptions de l’Assemblée législative que Galt avait présenté à la session de l’été 1866. Le projet du gouvernement sur les institutions provinciales du Québec prévoyait que, pour le Québec seulement, il faudrait les trois-quarts de la majorité de l’Assemblée pour en changer les limites. L’amendement de Galt prévoyait que des changements pouvaient être apportés lors d’un vote à majorité simple, sauf pour douze circonscriptions « anglaises », dont les limites ne pouvaient être modifiées sans l’approbation supplémentaire d’une majorité de leurs propres députés. Ce traitement de faveur n’était pas banal. Mais il y avait plus, beaucoup plus.
La crise du mois d’août 1866
Pendant que ces propositions étaient à l’étude, l’Assemblée était également occupée à un projet de loi que Hector Langevin avait présenté, projet qui devait garantir des privilèges scolaires majeurs en faveur des anglo-protestants du Québec. Ces privilèges comprenaient non seulement l’assurance d’une part appropriée des subventions, mais aussi la nomination de deux sous-directeurs généraux de l’éducation pour le Québec, nomination qui, dans les faits, créait deux départements de l’éducation, distincts et autonomes, l’un catholique, l’autre protestant.
Les propositions législatives de Galt et de Langevin ont provoqué un violent ressac parmi les députés canadiens-français et les journalistes. Même les députés ayant le plus ardemment appuyé Cartier et le projet de confédération se sont montrés publiquement outragés. Ils se sentaient trahis par Cartier et Langevin. Les chefs conservateurs leur avaient fait la promesse que ce Québec autonome dont ils rêvaient tant serait français et catholique, que ce Québec autonome serait la véritable patrie des Canadiens français. Mais voilà que cette patrie française et catholique se dérobait sous leurs pieds pour faire place à des privilèges scolaires majeurs en faveur des anglo-protestants, groupe puissant qui en menaient déjà très large dans la province. Ces privilèges diminuaient non seulement le contrôle des Canadiens français sur leur province, mais les insultaient en trahissant les promesses d’autonomie et de patrie canadienne-française qui les avaient incités à supporter Cartier et le gouvernement lors des Débats parlementaires de février et mars 1865. Dans Le Journal de Québec, c’est un Joseph Cauchon profondément outré qui se fait entendre le 4 août 1866 :
« Était-il possible de créer des distinctions plus humiliantes pour la très grande majorité de la population du Bas-Canada ? Était-il possible d’insulter davantage notre honneur et notre dignité ? Serait-il pensable que nos députés puissent concourir à un tel manque de respect ? »
C’était cependant possible puisque les propositions législatives de Galt vont finir par être votées par l’Assemblée législative deux ans plus tard, bien que les journaux Bleus, pourtant très favorables à la Confédération, seront unanimes à s’en indigner. Dans Le Courrier du Canada du 6 août 1866 :
« Nous blâmons sévèrement les députés conservateurs canadiens-français qui, par leur vote, ont approuvé les dispositions humiliantes d’Alexander T. Galt. Nous croyons que ce n’est pas peu dire que l’opinion publique ne les supportera pas. »
La chose la plus charitable que nous puissions dire est que si le gouvernement n’avait pas tant précipité la mesure, si les députés canadiens-français avaient eu assez de temps pour l’étudier, jamais ils n’auraient voté en sa faveur. Dans Le Journal des Trois-Rivières du 10 août 1866 :
« En ce cas, plus d’un député du Parti conservateur l’aurait considéré sous un angle différent ».
Cette condamnation unanime des privilèges scolaires par leurs propres journaux a déstabilisé les députés canadiens-français. Quant à Cartier et le gouvernement de coalition, ils se sont retrouvés devant une rébellion généralisée des députés d’arrière-banc qu’on avaient réussi à convaincre de voter en faveur du projet de Confédération en mars 1865.
Une parfaite autonomie en matière d’éducation avait alors été jugée essentielle par tous les Canadiens français. Sans un contrôle absolu en matière d’éducation, les députés d’arrière-banc pensaient que la « Confédération serait inacceptable et intolérable ». Déjà, dans Le Journal de Québec du 21 janvier 1865, Joseph Cauchon, ami personnel de Cartier et partisan avoué du projet de confédération, avait exprimé une mise en garde à l’effet que des garanties excessives aux anglo-protestants saperaient le contrôle complet de l’éducation dans la province et mineraient les bases mêmes du projet de confédération que les députés s’apprêtaient à étudier. Il n’y a donc rien de surprenant que, lorsque Langevin a déposé son projet de loi à l’été 1866, il a été vivement condamné pour avoir cédé des privilèges exorbitants aux anglo-protestants. Dans son numéro du 1 août 1866, Le Canadien a même traité le projet de trahison du catholicisme.
Évidemment, ceux qui avaient critiqué la confédération dès l’origine ont vivement critiqué le projet de loi Langevin. Le Pays du 4 août 1866 avait rappelé à ses lecteurs que lorsque les protestants avaient réclamé la nomination de directeurs distincts pour les écoles catholiques et protestantes, la presse canadienne-française s’y était farouchement opposée. Aujourd’hui, c’était Langevin, le soi-disant champion du clergé catholique, qui leur donnait exactement ce qu’ils avaient alors demandé et que les Canadiens français leur avaient clairement refusé. En cédant aux anglo-protestants à ce qui équivalait à un véritable ministère de l’Éducation, « ils nous insultent en établissant des barrières constitutionnelles entre les deux confessions du Bas-Canada, et ce, au mépris de la majorité catholique », rajoutait Le Pays trois jours plus tard.
Le Canadien, ambivalent sur la pertinence même d’établir une confédération, convient en tout cas que le projet de loi Langevin est « injuste et anti-national » parce qu’il affaiblit le pouvoir des Canadiens français de s’assurer que leur province aura un véritable système d’éducation catholique.
La Confédération sur le bord du gouffre
Ce qu’il y avait de plus grave encore est que, sur cette affaire des privilèges scolaires, les plus vifs supporteurs de Cartier et du gouvernement se montraient tout aussi indignés que les députés de l’opposition. Ils ont publiquement et vivement condamné le projet de loi Langevin pour avoir cédé des « privilèges extraordinaires » aux protestants et avoir insulté et injurié l’ensemble des Canadiens français. Pourquoi les protestants avaient-ils manifesté une telle méfiance injustifiée, et ce, au point d’exiger des garanties constitutionnelles expresses ? Dans son numéro du 7 août 1866, Le Journal des Trois-Rivières ajoutait :
« Je ne peux m’empêcher de dire que cette conduite de la part des protestants constitue une grave insulte à notre endroit en tant que catholiques et Canadiens français. J’ai peine à comprendre comment le gouvernement ait pu accepter une telle chose en silence ».
Écrivant de son siège de député au Parlement, Joseph Cauchon rajoutait que la nomination de deux surintendants adjoints ne « ferait que nourrir un climat insupportable d’espionnage, de méfiance et d’hostilité ». Il décrivait le sentiment qu’un tel outrage créait en lui : « Il ne m’a jamais été donné de prendre la plume sous le poids d’un sentiment aussi douloureux. J’ai le pénible devoir de blâmer publiquement aujourd’hui les hommes – Cartier et Langevin – avec lesquels j’ai tant travaillé pour faire avancer la cause de la Confédération. En même temps, je me sens écrasé sous le poids d’injustes humiliations subies par notre nation et notre histoire ».
Cauchon était loin d’être le seul à éprouver des sentiments aussi douloureux. On pouvait lire dans son propre journal que les projets de Galt et de Langevin « avaient provoqué une profonde tristesse et de vifs mécontentements ». D’autres journaux rapportaient que des sentiments de colère étaient perceptibles dans toutes les régions. Ce n’était pas étonnant puisque ce projet de loi était perçu comme une épreuve, un sacrifice imposé par les anglo-protestants à la majorité française du Bas-Canada. On craignait même que la nomination d’un surintendant protestant ne soit utilisée pour soumettre les catholiques au fanatisme des anglo-protestants. Dans Le Courrier du Canada du 3 août 1866, on pouvait lire :
« Nous, catholiques, qui formons la grande majorité de la population du Bas-Canada, faisons une concession aussi grande que douloureuse en permettant à cette minorité coloniale d’être sur le même pied que nous ; nous devrions avoir au moins le droit d’exiger que nous ne soyons pas exposés à tomber sous son contrôle. »
Il était particulièrement douloureux de penser qu’un Québec autonome ait à assumer le fardeau des droits d’une telle minorité, alors que l’Ontario ne montrait absolument aucun signe pour assumer un fardeau semblable pour sa minorité. En réponse à une question du libéral Antoine-Aimé Dorion, posée juste après la présentation du projet de loi Langevin, John A. Macdonald avait dû admettre que le gouvernement n’avait aucune intention de présenter une mesure similaire pour garantir les droits des écoles catholiques dans le Haut-Canada.
Puis quand, pendant la première semaine d’août, un projet de loi semblable a été présenté par Robert Bell, un député indépendant du Haut-Canada, la réaction des députés du Haut-Canada avait été plutôt odieuse. George Brown était devenu furieux et Alexander Mackenzie, rouge de colère, s’était retenu pour ne pas exploser. Ce double standard était jugé profondément insultant, voire immoral par les Canadiens français.
Dans Le Pays du 31 juillet 1866 :
« C’est une injustice criante. Ces fanatiques ne céderont rien. Ils refusent à une minorité une garantie constitutionnelle dont elle a grandement besoin, tout en l’octroyant à l’autre qui n’en a nullement besoin ».
Dans Le Journal des Trois-Rivières du 27 juillet 1866 :
« Les protestants s’imaginent que les Canadiens français sont obligés de faire toutes les concessions pour obtenir la Confédération ».
Dans Le Pays, les 2 et 3 août 1866 :
« Il semble que les catholiques du Bas-Canada doivent tout céder, y compris leur honneur et leur dignité, alors que les protestants du Haut-Canada sont résolus à ne faire aucune concession ».
Il est clair que le Bas-Canada était sur le point de tomber sous la volonté de sa minorité agressive :
« Le Bas-Canada est sacrifié, sa population humiliée, insultée, déshonorée, traitée comme une race inférieure ».
Dans L’Union nationale du 4 août 1866 :
« Partout nous ne voyons que deux poids, deux mesures ».
À travers toutes ces plaintes et ces sentiments d’indignation, l’idée a couru que les droits des minorités étaient un sacrifice consenti par la majorité, un fardeau naturel à imposer au Québec, mais absolument inconcevable pour l’Ontario.
Dans Le Pays des 2, 4 et 7 août, et plus précisément dans L’Ordre du 3 août 1866 :
« Puisque nous sommes insultés par l’érection de barrières constitutionnelles entre les deux confessions du Bas-Canada, et ce, au mépris de la majorité catholique, pourquoi traiter le Haut-Canada d’une manière différente… ».
Cette attitude négative à l’égard des droits des minorités était partagée tout autant par les journaux Bleus que par ceux de l’opposition. Le Courrier du Canada, un journal étroitement associé à Langevin lui-même, a exhorté les députés canadiens-français à refuser de soutenir le projet de loi Langevin à moins qu’il ne soit simultanément voté avec celui du député indépendant, Robert Bell.
Le Journal de Québec, propriété de Joseph Cauchon, a appuyé cette proposition. Dans son numéro du 6 août 1866, il a fait une observation intéressante sur toute la question des minorités :
« Si les protestants n’avaient fait aucune revendication excessive au Bas-Canada, les catholiques n’auraient rien dit au sujet de l’Ontario ; mais une fois que les premiers avaient exigé des privilèges extraordinaires, une simple équité poussait les seconds à faire de même ».
Dans son numéro du lendemain, 7 août 1866, Le Journal de Québec poursuit :
« Les catholiques reconnaissent que, si les promesses du pacte fédéral avaient été strictement respectées, ils n’auraient fait aucune demande. Mais ça n’a pas été le cas. Si l’on juge bon d’octroyer des privilèges exceptionnels aux protestants du Bas-Canada, les catholiques du Haut-Canada sont justifiés d’en obtenir tout autant ».
Dans Le Journal de Québec du 28 juillet 1866 :
« La meilleure situation aurait été de s’en tenir à ce qui avait été convenu par nos ministres durant la Conférence de Québec : un strict contrôle de l’éducation par les provinces, sans garantie aucune pour les minorités ».
Les députés conservateurs ne pouvaient rester insensibles à l’agitation qui se faisait sentir dans leurs circonscriptions. Dirigés par Joseph Cauchon, ils ont informé Cartier qu’ils s’opposeraient au projet de loi Langevin à moins que le gouvernement ne le présente avec la proposition Bell comme seul compromis acceptable. Face à cette défiance des back-benchers, et réalisant à quel point les Grits du Haut-Canada étaient inflexibles sur cette question, le gouvernement a décidé de reculer et a retiré le projet de loi Langevin, même si cela signifiait la démission d’Alexander T. Galt, lequel s’était trop engagé auprès des protestants du Bas-Canada. La crise risquait de couler la Confédération avant même qu’elle ne soit votée.
Suite à ce repli, la presse canadienne française a éclaté en un hourra général ! Bien que les catholiques du Haut-Canada se soient retrouvés sans les garanties qu’ils avaient espérées, les journaux des deux partis ont affirmé avoir remporté une immense victoire. Cette volte-face gagnée sur le gouvernement était, selon les Rouges, attribuable à la pression exercée par leur chef, Antoine-Aimé Dorion.
Dans Le Pays du 9 août 1866, on pouvait lire :
« Les honneurs de cette victoire doivent être octroyés aux députés de l’opposition ».
Plusieurs journaux Bleus, de leur côté, ont revendiqué les honneurs pour leur propre parti, pour Joseph Cauchon et ses back-benchers, lesquels s’étaient tenus debout pour leur nationalité, et pour leurs propres ministres qui avaient retiré le projet de loi devant l’entêtement des protestants de l’Ontario qui s’étaient montrés intraitables à l’endroit du projet Bell.
Peu importe à qui revenaient le mérite et les honneurs, il n’en reste pas moins que ce retrait des garanties en matière scolaire était d’abord et avant tout une victoire pour l’autonomie du Québec, cette patrie tant désirée des Canadiens français. Le Courrier de St-Hyacinthe insiste pour dire que le projet de loi Langevin « exigeait des compensations pour être acceptable pour le Bas-Canada ».
Trois jours plus tard, le même journal revenait sur le sujet pour dire que les garanties scolaires que l’on s’apprêtait à céder aux protestants avaient été trop onéreuses pour les catholiques. Même le journal officiel de Cartier, La Minerve, admettait que le retrait des garanties scolaires n’était pas une mauvaise chose :
« Il n’était pas équitable que les catholiques du Bas-Canada aient à donner sans rien recevoir ».
Le Courrier de St-Hyacinthe poursuivait en disant que si le rejet des deux projets avait été une victoire, c’est signe que personne ne voulait de ces garanties scolaires :
« En tout cas, pourquoi légiférer dans le domaine de l’éducation alors que les résolutions de la conférence de Québec ne nous engageaient à rien en ce sens ? Les catholiques du Haut-Canada ne demandaient rien et les droits des protestants du Bas-Canada étaient suffisamment protégés par la loi actuelle. »
Si les protestants n’avaient rien demandé, les catholiques seraient restés tranquilles. Ce pourquoi on a critiqué le gouvernement, rapportait Le Pays, c’est qu’il avait eu la mauvaise idée de promettre des garanties aux protestants du Bas-Canada en offrant strictement rien aux catholiques de l’Ontario. D’où la révolte généralisée qui a failli faire sombrer le projet de Confédération.
Les Bleus, embarrassés par toute cette affaire, espéraient que les catholiques de l’Ontario se tiennent maintenant silencieux et se montrent satisfaits de leur situation acquise en vertu de la loi sur l’éducation de 1863. Sinon, pourquoi La Minerve était-elle prête à condamner les « prétentions exagérées des catholiques du Haut-Canada ? »
Hector Langevin est pourtant allé jusqu’à affirmer que les demandes des catholiques de l’Ontario en matière de garanties scolaires étaient exagérées : « Ils ont demandé plus qu’ils ne pouvaient ou n’auraient dû avoir », écrivait-il à son père Jean. Mais c’était Le Pays, organe principal de l’opposition, qui avait le mieux résumé le sentiment général dans son numéro du 12 novembre 1866 :
« Ce qu’ils préféraient était de ne céder aucun privilège à aucune minorité religieuse dans la constitution proposée. Si le gouvernement n’avait rien cédée à la minorité protestante du Bas-Canada, personne ne nous aurait vu demander des garanties semblables pour la minorité catholique du Haut-Canada ».
Cette histoire très mouvementée du Bill Langevin soulève de sérieux doutes quant à l’importance des déclarations des Canadiens français à l’effet qu’ils voulaient ou qu’ils s’attendaient à des garanties constitutionnelles en faveur de leurs compatriotes ou co-religionnaires dans les autres provinces. En effet, leur conduite durant ces évènements est conforme à la vision qu’ils se faisaient de la Confédération, telle que vue au chapitre précédent, c’est-à-dire une vision essentiellement autonomiste qui rendait la Confédération acceptable parce qu’elle faisait du Québec la patrie des Canadiens français.
Plus clairement, la Confédération devait être pour eux une association d’États nationaux, appelés provinces, unis dans une alliance fédérale au sein de l’Empire britannique. Plus encore, la province de Québec devait, dans cette association, devenir l’État national des Canadiens français. Cette province, en tant que province catholique, pouvait se soucier de soutenir les droits des catholiques français des autres provinces, mais jamais un tel soutien ne devait impliquer l’acceptation de principes constitutionnels qui auraient pu exposer ou mettre en danger l’autonomie, le caractère français et catholique de la province de Québec.
Il y avait peut-être plusieurs faiblesses dans cette vision canadienne-française de la Confédération, mais l’une d’elles était particulièrement importante. Le fait est que, malgré l’échec du projet de loi Langevin, la minorité historique anglaise du Québec s’était déjà montrée capable d’exercer une influence remarquable et de diluer considérablement le caractère français et catholique que cette province était censée avoir.
Les Canadiens français mordent la poussière
Lorsque la fumée s’est dissipée en juillet 1867, la langue anglaise avait été officiellement établie au Québec par la constitution. Plus encore, cette province était la seule à avoir deux langues officielles au lieu d’une, et les dispositions promises par Alexander T. Galt étaient quand même entrées en vigueur, protégeant les limites des circonscriptions où la minorité était numériquement plus forte.
De plus, la minorité historique anglaise du Bas-Canada bénéficiait de deux avantages particulièrement puissants. Le premier était le soutien des anglo-protestants des autres provinces. Le deuxième était la force économique que cette minorité exerçait au Québec. Le problème était d’autant plus grave que les Canadiens français du Québec avaient besoin de cette minorité, tout comme ils avaient besoin de la Confédération pour assurer leur développement économique et favoriser la prospérité de leur province. Cette situation rendait nécessaire cette concession faite aux privilèges de cette minorité, concession qui diluait considérablement le caractère autonome et canadien-français du Québec. Ce n’est pas par hasard que, durant la période sous étude, le ministre des finances du Québec était invariablement un anglo-protestant.
Autre fait intéressant, c’est que les Canadiens français craignaient que les anglo-protestants finissent par acquérir dans la province le même genre d’autonomie qu’ils avaient cherché à acquérir à l’intérieur du Canada. Dans Le Journal de Québec du 2 août 1866, on pouvait sentir cette crainte sous la plume de Joseph Cauchon :
« Nous avons là une législature au sein de la nôtre, et Dieu sait où cela se terminera. »
Plusieurs autres journaux en font état, dont Le Journal de St-Hyacinthe du 23 août 1866 :
« En éducation, les anglo-protestants semblent désirer la même chose que nous, soit un état de chose qui en ferait une institution à part, un état dans l’État ».
C’était une façon appropriée de voir la Confédération, mais au Québec, cela risquait de détruire l’espoir d’une province que l’on désirait autonome, patrie des Canadiens français.
Cette crainte était à ce point répandue que La Minerve, organe officiel de George-Étienne Cartier, avait jugé nécessaire de trouver une façon de rassurer la population. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, expliquait-on, puisque ces garanties à la minorité deviendraient rapidement sans objet :
« Les lois et les constitutions sont faites en prévision de l’avenir. Eh bien, l’avenir est à nous, à nous tous, dans le Bas-Canada. À chaque recensement, nous pouvons constater que nous avons fait de nouvelles conquêtes. Les Anglais déménagent régulièrement en direction du Haut-Canada ».
Également, les Canadiens français déménageraient dans les Cantons-de-l’Est, de sorte qu’ils finiraient bientôt par remplacer les Anglais dans toute la province. Les « douze circonscriptions » finiront elles aussi par perdre leurs privilèges constitutionnels grâce à l’autonomie provinciale et à la vitalité des Canadiens français, lesquels permettront à la province de promouvoir une colonisation intérieure canadienne-française. Suite au retrait du projet de loi Langevin en août 1866, l’Association provinciale des enseignants protestants du Bas-Canada s’était adressée à la reine pour lui demander d’imposer à la province de Québec les garanties promises dans le texte même de la Confédération qui était sur le point d’être voté par le Parlement de Westminster. Leur inquiétude, depuis l’échec du projet de loi au mois d’août avait amené Cartier à leur faire de nouvelles promesses qui les avaient quelque peu rassurés, mais qui ont éveillé des soupçons et provoqué de la colère parmi ses propres partisans. Les journaux canadiens-français en parlaient d’ailleurs abondamment.
Une humiliation bien plus grave encore
Au cours de l’automne 1866, bien qu’il ait démissionné du gouvernement en août, Alexander T. Galt s’est quand même rendu en Angleterre pour participer à la Conférence de Londres. Ce voyage s’est avéré extrêmement bénéfique puisque, lorsque l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est enfin apparu, l’article 93 prévoyait non seulement une protection pour les privilèges scolaires existants au moment de la Confédération, mais pour ceux qui seraient « établis par la suite par l’Assemblée législative de la province ». Et au cas où quelqu’un se demanderait à « quelle province » l’article 93 faisait référence, les ministres du Parti conservateur ont clairement fait savoir aux candidats potentiels au poste de premier ministre du Québec que la condition pour obtenir ce poste était un engagement explicite de sa part à faire adopter par l’Assemblée législative du Québec une loi scolaire qui devait octroyer aux protestants exactement les mêmes privilèges qu’ils auraient obtenus si le projet de loi Langevin avait été adopté en août 1866. L’audace de cette entourloupette laissait tout le monde bouche bée.
Joseph Cauchon, ami personnel de Cartier, à qui le poste de premier ministre du Québec avait déjà été promis, ne pouvait se soumettre à un pareil diktat sans se désavouer lui-même et s’humilier au suprême degré aux yeux de la population tout entière. Le poste a donc été attribué au suivant, P.-J.-C. Chauveau. Le ridicule était en ce cas d’autant plus complet que Chauveau avait lui-même publiquement critiqué les protestants en 1865.
Il a fallu plus d’un an à Chauveau pour préparer ce projet de loi et le faire adopter. Quand il fut officiellement sanctionné, tous les journaux canadiens-français, à une exception près, sont entrés dans une torpeur qui en disait long sur leur état de stupéfaction et la faiblesse de l’autonomie provinciale qu’ils étaient censés avoir obtenue. Ironiquement, le seul à soutenir cette loi fut Le Pays, journal Rouge qui avait tant frappé sur le projet Langevin en août 1866. Il disait alors l’approuver car il reposait sur des principes généreux et qu’il était susceptible de régler une fois pour toutes un conflit qui risquait de s’éterniser et de laisser un goût amer.
Tous les journaux qui soutenaient habituellement Cartier et le gouvernement sont restés cois de stupeur. En fait, cette dure leçon de justice coloniale, au moment même où naissait une Confédération pleine de tant de promesses, rappelait aux Canadiens français que leur beau rêve d’une « patrie canadienne-française » sur les rives du Saint-Laurent venait de partir en fumée. Le ton venait d’être donné pour la suite des choses.
Quelques journaux vont rapporter les débats sans le moindre commentaire. Mais la majorité va les ignorer dans un silence lourd et embarrassé. D’autres, comme Le Pionnier de Sherbrooke et Le Journal de Québec, vont rentrer dans les rangs et acquiescer avec réticence au principe des droits des protestants, réclamant toutefois des amendements pour protéger les catholiques contre de possibles injustices. Le Nouveau Monde, préoccupé par les intérêts des catholiques, admettait qu’il fallait être équitable avec les protestants, « mais pas au point de sacrifier des principes ». Il s’est résigné à accepter la loi Chauveau au motif qu’en conservant une base confessionnelle pour les écoles, cette loi affirmerait « une idée chrétienne de l’éducation ». De plus, cette loi fournirait un exemple à l’Ontario pour le traitement de sa minorité.
Par contre, le refrain était nettement plus hostile du côté de l’opposition. La loi Chauveau était « beaucoup plus odieuse que le projet de Langevin », rapportait Le Courrier de St-Hyacinthe. C’était une menace directe aux droits historiques de la nationalité canadienne-française. Il violait en partant l’Acte de l’Amérique du Nord britannique – ou du moins son esprit – qui prévoyait que les privilèges des minorités devaient rester à ce qu’ils étaient au moment de la Confédération. Le Courrier du Canada renchérissait en ajoutant :
« Eh bien, cette loi scolaire accorde aux protestants plus de faveurs au sujet desquelles la constitution ne disait rien… ». C’est bien de favoriser la justice, mais cette fois-ci, on est allé beaucoup trop loin. Selon L’Union des Cantons de L’Est du 1er avril 1869 :
« En l’espèce, il convenait de satisfaire une demande légitime d’une minorité en lui cédant quelques privilèges. Mais nos ministres sont allés nettement plus loin que ça ; ils sont allés jusqu’à violer les droits des catholiques pour satisfaire les exigences des protestants ».
Cette minorité anglo-protestante a porté un grave préjudice à un patriote, Joseph Cauchon, en l’empêchant de devenir le premier premier ministre de notre province. Elle a négocié comme un gouvernement, traitant d’égal à égal avec lui. Elle s’est même montrée insistante au point de menacer la survie de ce gouvernement. Une telle attitude n’était pas la meilleure façon de se gagner des sympathies pour faire accepter ce genre de lois :
« En premier lieu, on ne voit aucune raison pour notre gouvernement de se sentir obligé à l’endroit de cette minorité privilégiée en matière de droits scolaires… De plus, cette minorité protestante, que l’on dit riche, exige que chaque sou de ses taxes soit strictement dépensé en faveur de ses écoles. Elle argumente et se chamaille sans arrêt au sujet de ses droits, de sorte que, pour enfin avoir la paix, on n’a plus d’autre choix que de s’incliner devant elle. Cette générosité finit par nous amener sur un terrain glissant ».
Certains pourraient prétendre que ce projet de loi sur les droits scolaires des protestants pourrait donner un exemple de bonne foi et assurer la paix et l’harmonie dans la province. Mais c’est douteux ! Plus nous sommes tolérants et bien disposés, plus ils exigent de notre part. Entre temps, il y a des endroits dans la province où les protestants contrôlent à leur guise les institutions municipales. Si la répartition des taxes était laissée aux employés municipaux de Montréal et de Québec, par exemple, « on pourrait prévoir les résultats : la répartition des argents serait des plus favorables à cette minorité ». En somme, cette minorité a toujours joué un rôle prédominant dans cette province qui est censée être française et catholique. Ainsi, selon L’Union des Cantons de l’Est du 11 mars 1869 :
« Partout et de toutes les façons possibles, les Anglais insistent pour avoir le dernier mot. Ce n’est pas la première fois qu’ils se montrent opiniâtres. Par exemple, ils ont tout fait pour faire disparaître la loi sur les commissaires d’incendie parce que le gouvernement avait eu la bonne idée de nommer à ce poste un Canadien français conjointement avec un Anglais ».
Dans les comtés de Richmond et de Wolfe, on a entendu dire que, tout de suite après l’adoption de la loi Chauveau, le Township de Stoke a décidé de publier sa documentation officielle uniquement en anglais, en dépit du fait que la moitié de la population est composée de Canadien français qui ne comprennent rien à l’anglais. À Sherbrooke, le nouveau pasteur presbytérien a poussé l’audace jusqu’à proposer d’entreprendre une campagne de prêches en français afin de convertir les Canadiens français. Est-ce bien là la façon que La Minerve et George-Étienne Cartier nous avaient promis en 1866 de reprendre la pleine possession de notre province ? Est-ce bien ce Québec-là, « entièrement nôtre », que la Confédération devait octroyer aux Canadiens français ? Ce Québec où « tout sera fait pour et par les Canadiens français, et ce, dans la langue des Canadiens français ? »
En fait, ni la façon dont la Confédération leur avait été vendue ni la façon dont elle avait été mise en marche peuvent nous amener à croire que les Canadiens français se souciaient des droits des minorités. Cette conception d’une Confédération axée sur les droits des minorités ne commencera à apparaître que des mois après l’adoption de la loi Chauveau sur les droits scolaires de la minorité historique anglaise du Québec. De 1864 à 1867, il n’avait été question que d’autonomie provinciale et de patrie canadienne française.
1 commentaire:
Ce texte éclaire les origines historiques de la consolidation des privilèges des anglophones du Québec, notamment le surfinancement de leurs universités et cégeps. La grande différence entre cette époque et le 21e siècle : c’est la volonté canadienne-anglaise de submersion migratoire accélérée plutôt que sa puissance économique qui menace actuellement la survie du peuple québécois. Il est impératif de rapatrier totalement le domaine de l’immigration en mettant fin à l’autorité de cette fausse confédération sur notre territoire national.
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