Depuis la création du Parti québécois on a beaucoup gonflé l'identité québécoise. Les partisans de cette identité provinciale négligent passablement de rappeler qu'aujourd'hui les Québécois c'est 400 000 musulmans à Montréal et près de 2 000 000 d'anglophones. L'identité québécoise manque aussi de réalisme quand elle identifie le Québec à une majorité francophone. On mise tout sur le côté majoritaire, mais il est en perte d'effectifs depuis 60 ans. En fait la prétention majoritaire, qu'on tient pour décisive, voile la faiblesse de la "majorité" francophone dans son rapport avec le Canada, pour qui elle est une minorité. C'est également le cas dans son rapport avec la puissante communauté anglophone intérieure qui a toujours détenu la majorité sociologique, un droit de veto.
Les tenants d'un futur référendum auraient intérêt à méditer sur ce qu'on a vu en 1995. On a vu que 60 % de francophones avaient voté oui sans que ce verdict clair des natifs ne mette en cause par des gestes la légitimité du fédéralisme canadien. Jacques Parizeau s'est incliné sur le champ, emportant avec lui ses troupes dans la défaite, refusant de déclarer une crise, et c'en était une, et, de ce fait, réclamer des négociations constitutionnelles d'urgence sur la place des Canadiens-Français dans le fédéralisme canadien. C'était une illustration tragique que la majorité des "Québécois francophones" n'a jamais détenu la majorité sociologique dans sa conscience d'être. Elle est restée subordonnée au pouvoir fédéral prépondérant, piégée dans son comportement de vaincu minoritaire.
Un pays du Québec à naître serait objectivement un pays faible. Il serait affaibli par les lourdes obligations qu'il a déjà consenti à s'imposer, notamment avec la Loi 99 (2000). Sa puissante minorité anglophone historique ou issue de l'immigration, continuerait d'en mener plus large que son poids démographique le suggère. C'est ce que la loi 99 promet. Il faudrait cependant se rappeler que si une minorité nationale a des droits (le cas des Premières Nations est à cet égard éloquent !), un pays a, à l'inverse, des devoirs et des obligations envers ses minorités. Le comportement d'un Québec indépendant à leur égard ne manquerait pas d'être scruté à la loupe jour et nuit.
La grande affaire qui unissait objectivement René Lévesque et Pierre Elliot Trudeau était de mettre fin à l'existence des Canadiens-Français. Trudeau leur a créé une identité provinciale dans neuf provinces, alors que Lévesque le faisait au Québec. Le démembrement du Canada français (et la ré-assignation identitaire de ses parties) par deux libéraux progressistes a sacrifié nos droits nationaux. Nous avons perdu le levier d'une existence nationale enracinée à l'échelle d'un continent. Le temps ayant passé, nous voyons que ce levier a été utilisé avec grand succès par les Premières Nations. Elles ont accompli des miracles dans la revalorisation de leur identité, elles ont gagné en fierté et en prospérité. En 1969, nous étions à la croisée des chemins, au même point que les Premières Nations. Daniel Johnson réclamait à Ottawa une structure fédérale prévoyant des institutions propres pour chacune des deux nations : il a trouvé l'alliance de Lévesque et de Trudeau pour lui barrer la route. Lévesque et Trudeau ont eu raison contre nous. Nous aurions pris le plus mauvais chemin ?
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