Il faut réaliser qu'un référendum qui consulte deux peuples alors qu'il n'y en a qu'un seul qui revendique des droits est au mieux une farce, au pire une fraude. La déclaration d'indépendance ou l'affirmation nationale du Québec défendus par ailleurs comme des substituts au référendum, ne sont que d'autres diversions. On remarque d'ailleurs que toutes ces approches nantissent Québec de tous les espoirs d'une libération. Mais comment est-ce logiquement possible alors que le même État du Québec s'emploie à embrouiller les "droits des Québécois" avec les droits du peuple qui porte à lui seul des revendications nationales depuis deux siècles et demi ? Depuis la Révolution tranquille on a tout misé sur l'État du Québec, ignorant qu'il devenait de plus en plus plurinational par sa doctrine, comme l'illustre très bien la loi statutaire 99, adoptée en 2000. (1) En revanche, on a généralement ignoré qu'en droit international moderne c'est un peuple sans statut, mais conscient de lui-même, qui est porteur de droits, ce qui correspond au peuple canadien-français. Or, notre peuple sans statut au Canada, Québec compris, a cessé de revendiquer ses droits depuis que l'État du Québec s'est substitué à lui sans se soucier de reconnaître son existence.(2) En fait, Québec s'est employé (de concert avec Ottawa) à faire disparaître les Canadiens-Français pour construire un "peuple québécois" sur les ruines du peuple historique et fondateur. Entre temps les Canadiens anglais sont demeurés impassibles. La puissante minorité historique du Québec insiste, elle est d'abord et avant tout Canadian. Les Canadiens-Français sont donc les seuls à défendre l'identité québécoise qui les trahit. Ils ont été bâillonnés et mis en cage. Ils ont perdu toute autonomie politique. Pourquoi ? Pour l'amour des anglophones qu'il leur faut rallier. Il faut les rallier car les Québécois francophones ont besoin des "Québécois anglophones" pour rendre crédible l'identité québécoise en vue d'un pays dont les anglophones ne veulent pas entendre parler. Deux référendums ont verrouillé le statu quo constitutionnel. En réalité, au fil des décennies, les Canadiens-Français sont devenus les perpétuels dindons de la farce, entièrement manipulés, probablement le peuple le plus occulté d'Occident et le plus méprisé sur son propre sol. Son tort : il a refusé de défendre ses intérêts en tant que peuple. Ses élites ne l'aimait pas. (3)
Tout le paradigme de la question nationale issu de la Révolution tranquille est un échec objectif. Toute la stratégie et la politique étatique provinciale souverainiste est un vaste contournement de l'essentiel. Nous avons vécu un mélodrame qui a verrouillé le statu quo constitutionnel. Et on peut le voir plus clairement de nos jours : ce n'était jamais d'un pays dont nous avions besoin mais d'une reconnaissance statutaire robuste.
Nous avons besoin de droits constitutionnels pour garantir notre autodétermination interne avec des institutions dans des domaines de compétence à faire reconnaître Nous avons besoin d'institutions propres qui outrepassent les limites des provinces pour rétablir notre unité nationale et redonner du sens à la personnalité continentale de notre peuple. Nul besoin d'un séparatisme bi-national Made in Quebec pour être maître de nos institutions en éducation, en santé, en culture et partout dans nos champs de compétence essentiels et leur débordement sur le plan international. C'est ce que réclamait à juste titre notre dernier grand premier ministre, Daniel Johnson : superposer au fédéralisme administratif des provinces un fédéralisme des peuples. Une formule où les Premières Nations ont déjà pris une confortable longueur d'avance sur nous. C'est donc que ça se fait !
S'il faut recommencer à formuler nos revendications auprès de Québec et d'Ottawa, il le faudrait certes, mais la cause de notre peuple doit se tourner davantage vers la scène internationale. C'est sous les projecteurs internationaux qu'il faut oser déployer nos énergies. Il faut s'adresser aux instances qui s'intéressent aux droits des peuples sans statut. Seuls des recours sur la scène internationale et, en particulier, devant les instances spécialisées de l'ONU, redonneront du tonus à une cause nationale héritée de la Conquête de 1760, un événement depuis lequel notre peuple souffre d'un déficit de moyens pour persister dans son être. C'est du sort de notre peuple dont il faut s'inquiéter et pas du Québec d'abord.
Nous sommes mûrs pour une prise de conscience adaptée à notre époque. Notre principal obstacle est le conformisme politique issu de la Révolution tranquille qui a eu tout faux sur la question nationale. La Révolution tranquille est responsable de la substitution des droits légitimes d'un peuple (sans oublier qu'elle a fait la promotion de son mépris !) au profit d'une imposture du tout à l'État, la québécitude.
Il faut se rendre compte que, de nos jours, le droit à l'autodétermination se traduit rarement par la formation d'un nouveau pays. Si c'était le cas, nous aurions bientôt 500 et peut-être même1000 pays de plus. En général, quand de nouveaux pays sont formés ce n'est pas à l'issue de processus démocratiques ou de référendums mais le résultat des manoeuvres de grandes puissances. Ce qui est effectivement vérifié dans les cas de la création du Kosovo et de la partition du Soudan. Chez nous, il faut plutôt se demander ce qui conviendrait le mieux pour rétablir la santé du peuple qu'on ne peut même plus nommer. Et pour cause, il est disparu sous le poids d'une ré-assignation identitaire générale réussie, orchestrée conjointement par Québec et Ottawa, découpée sur les contours de dix provinces. Ce dont nous avons besoin c'est d'une formule de fédéralisme qui réserve une place aux peuples comme l'avait justement revendiqué Daniel Johnson en octobre 1968. Il faut voir les exemples de constitutions fédérales qui prennent entièrement ou partiellement les peuples pour assises, comme les cas de la Bolivie, de la Russie, de l'Allemagne, etc, par opposition au fédéralisme administratif doctrinaire du Canada. Il est vrai qu'une revendication d'indépendance s'accommode plus facilement de romantisme, même quand elle est reportée d'une génération à l'autre, même quand elle se passe de revendiquer la reconnaissance statutaire du peuple fondateur du Canada. Selon plusieurs, dont je suis, la cause du "Québec pays" ne se qualifie pas en droit international. En revanche, une réforme du fédéralisme prenant pour assises les Canadiens et les Acadiens est vraisemblablement recevable. Les Premières Nations pourraient être partie prenante. Nous avons là une approche moins clivante, plus pragmatique et plus prometteuse de résultats.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire