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Une faille majeure d'interprétation de notre histoire ! Exclusif, inédit et sourcé.

Quand on croit avoir tout compris et qu’une faille majeure s’ouvre sur l’interprétation de toute une portion de l’histoire ! On a tellement ...

lundi 11 mars 2019

Valérie Bugault


Le petit livre de Frédéric Bastien (1) est écrit dans une langue accessible et claire. Il a de très bonnes pages sur la suite interminable des petites trahisons du PQ, qu'il illustre par des exemples bien choisis. Il fait ensuite la chronique des options considérées par Jean-François Lisée pour établir sa stratégie à la veille des élections d'octobre 2018. Bastien qui, sans être un proche, raconte avoir travaillé bénévolement deux ans dans l'ombre du chef pour lui monter un petit arsenal. De concert avec quelques "experts", il pressera vainement Lisée de donner du tonus à son offre électorale par l'addition de revendications constitutionnelles. De mon point de vue, le livre ré-affirme une vérité et rappelle une évidence. La vérité : une grande ambition, comme celle de donner un statut d'égalité politique à la nation fondatrice du Canada, que ce soit par l'indépendance ou une formule autre qui en respecte le principe, ne peut être menée au succès par une organisation libérale, sans doctrine et persévérance. L'évidence : des revendications constitutionnelles ciblées d'une portée limitée valent mieux qu'un programme dépourvu de toute ambition nationale. On pourrait croire que cela va de soi, du moins tant qu'on prétend "relancer un jour la souveraineté". Mais au sein du "grand parti souverainiste" rien n'est simple. 

L'auteur propose donc des modifications constitutionnelles qu'il prend la peine de formuler minutieusement en termes juridiques (pp. 160-162). On reste cependant sur notre faim quand on constate que les demandes constitutionnelles, malgré les assurances contraires de l'auteur, donnent toutes les apparences de s'arrêter aux portes du régime. Qu'elles soient formulées pour accommoder le Québec sans trop modifier le fonctionnement du Canada ne serait d'ailleurs rien de neuf. L'auteur reste d'ailleurs évasif sur les moyens de bâtir un vrai rapport de force, il se contente d'évoquer ici et là la vertu des "messages forts" capables "d'influencer les juges", etc. comme moyen d'y arriver. On se gardera de trop y croire. La relance de la souveraineté est condamnée à sa timidité historique si elle se confond avec des demandes d'amendements à la pièce, sans perspective globale sur l'emprisonnement constitutionnel.

Au terme de la lecture, j'ai ressenti un vague sentiment de déjà vu. Certes les personnages et les événements sont nouveaux. Pour sortir de la dernière actualité, ils n'en continuent pas moins de mettre en scène, dans l'arène d'une retenue politique trop prévisible, les mêmes recettes d'une opposition "contrôlée" au régime. Dans un coin, on voit défiler un chef mené par les sondages, des exécutifs de comté sans ambition, un conformisme moulé sur les exigences de la rectitude politique, comme la parité homme-femme et le refus de parler d'immigration (p.177). Je cite : «le paradigme du multiculturalisme canadien fait des ravages au sein même du parti...» (p.178). Dans l'autre coin, des revendications constitutionnelles bien ficelées, réclamées avec plus de détermination. Or, dans le portrait généralement peu reluisant que brosse lui-même Frédéric Bastien, la "refondation" qu'il appelle de ses voeux apparaît déjà elle-même trop corsetée. 


Mon propos n'est tant le livre de Bastien, mais pour y arriver, il me faut revenir sur un des passages où, dans son premier livre Bastien écrit : « La bataille de Londres, ...rappelle qu'avec une simple demande d'archives lors de la parution de mon livre on a mis Ottawa et les fédéralistes sur la défensive pendant plusieurs semaines.» (p.144) Cette affaire de magouille fédérale au sommet, documentée grâce à une recherche de huit ans, a l'insigne mérite de contredire l'idée malheureusement trop répandue que les injustices du passé ne méritent pas d'être combattues. Le cas de La Bataille de Londres nous rappelle aussi, hélas, qu'un dossier à charge, rigoureusement constitué sur le Canada britannique, n'a jamais été réalisé après plus de cinquante ans d'existence du Parti québécois, sans compter ses années passées au gouvernement. Faut croire que c'était sans importance ! Mais à quoi s'affairaient donc nos constitutionnalistes toutes ces années ? On peut imaginer que, pour plusieurs, ils n'auront rempli que les mandats (formulés par des technocrates ? comme Claude Morin ?) pour lesquels ils étaient payés. Et la boucle est bouclée. 

L'existence du Parti québécois, malgré son option souverainisme, n'a pas été l'occasion d'un renouvellement de la pensée constitutionnelle du Canada-français-Québec. Ceci même si les deux questions référendaires conduisaient à rien d'autre que des négociations de cet ordre. Ceci même si René Lévesque et Claude Morin avaient l'obligation d'être préparés lors des négociations de 1981, ils ne l'étaient pas. Le Parti québécois aura continué de coller à une 'approche constitutionnelle tournée vers les revendications ponctuelles, limitées aux champs de compétences et au partage de l'assiette fiscale. Sans être inutile, c'est ce que réclame d'ailleurs Bastien, c'était et c'est toujours très insuffisant pour servir de fondement à une cause d'envergure. Une cause qui ne sortira jamais de la velléité et des insuccès sans que l'on se mette à nos devoirs pour fonder dans son bon droit une existence nationale. Il faudrait donc écrire non seulement la bataille de Londres, mais  toutes les batailles depuis la conquête dans les termes d'un réquisitoire à charge, non comme des livres d'histoire, mais dans des termes juridiques qui ne dérogent pas à la rigueur historique. Si on veut plaider notre cause constitutionnelle, il faut le faire intégralement, soit dévaster de fond en comble la légitimité historique et juridique du Canada. Nous avons un devoir de vérité envers nous-mêmes que le néo-nationalisme québécois n'a jamais voulu assumer. C'est ce qui le condamne à errer perpétuellement entre la social-démocratie, le progressisme, le provincialisme et autres facéties chapeautées d'un méprisable électoralisme. Cela peut sembler sévère mais faute de reprendre le fil du récit national sous forme d'un réquisitoire constitutionnel implacable, sans monter au créneau pour en dénouer la conclusion, il y a peu de chances que le Québec francophone, comme on aime le dire pour ne pas sortir le Canadien-français du placard, survive encore longtemps. 

Sur quelle base du droit faut-il plaider notre cause ? 

D'abord, pour précision, je ne suis ni avocat ni constitutionnalise, mais à l'heure où les citoyens pourraient être convoqués pour écrire leur constitution, il n'est pas inutile que le citoyen se mêle de droit. Des personnes mieux qualifiés pourraient naturellement contester ou corriger ce que j'avance, je leur donnerai raison, mais l'importance de la question mérite que d'autres que des juristes et des politiciens s'y intéressent.

La tradition constitutionnelle du Canada est basée sur le Common Law. Mais fallait-il que la défense de nos droits ne s'abreuve qu'à cette source ? En quelque part, le droit anglo-saxon fait partie du dispositif de domination. C'était peut-être un réflexe d'insécurité de la part des élites (politiques, juridiques...) de penser que le droit anglais pour être bien combattu devait être combattu dans ses propres termes ? En accord avec Me Christian Néron, qui en a convaincu plusieurs, l'argument ne me paraît pas valable. Les instruments du droit ne sont pas neutres, ils ont une importance considérable sur les résultats et il ne faut pas penser que le monde s'arrête à Ottawa. Le moindre sérieux aurait toujours voulu qu'on se prépare à plaider notre cause auprès d'instances internationales. La constitution canadienne n'interdit pas, à ma connaissance, que l'on en réfère à d'autres sources du droit.

Claude Morin et l'école constitutionnelle traditionnelle

Cette école est celle de pratiquement tous nos constitutionnalistes. 
Sans être lui-même avocat ni constitutionnalise, Claude Morin a été le principal conseiller constitutionnel des premiers ministres du Québec pendant vingt ans, commençant sa carrière avec Jean Lesage en 1963, et chef constitutionnel de René Lévesque. Il aura sans doute été un homme influent, peut-être le plus influent, pour façonner et fixer une tradition constitutionnelle dans le régime et compatible avec lui. Il est possiblement celui qui a le plus contribué à assurer la poursuite d'une tradition constitutionnelle prisonnière du droit anglo-saxon, le common law. Son approche constitutionnelle a toujours été restrictive, limitée, une approche ne met jamais en cause la légitimité du régime et qui, par conséquent le ménage. C'est une approche qui s'interdit d'interroger le passé, de le convoquer à la barre, de le faire témoigner. Pour Valérie Bugault, «La « common law » anglaise est un système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles ». C'est donc un système de droit qui fait sa glace en patinant, un système dans lequel les injustices d'hier deviennent la loi d'aujourd'hui. Mon principal reproche au livre de Bastien, c'est de nous maintenir dans cette tradition. 

Ce que dit Valérie Bugauld
Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique, Mme Bugauld dénonce vertement le droit anglais dans un sens qui dépasse largement la question proprement canadienne, mais ce qu'elle a à nous dire ouvre les portes d'un arsenal inexploré. La portée de son travail n'est pas le Canada en particulier, mais elle ouvre les yeux sur l'importance de ne pas se soumettre au common law, un combat qu'elle va jusqu'à qualifier de devoir envers la poursuite de la civilisation.

«... ces décisions, ne concernaient, à l’origine, que les seigneurs c’est-à-dire la caste dominante. Si l’on parle du droit anglais, il faut aussi parler du système de « l’Equity » selon lequel le « prince », c’est-à-dire au début le Roi puis le Chancelier, se sont accordés le droit de juger en fonction de préceptes moraux les cas qui n’étaient pas abordés par la « common law ». Les principes de « l’Equity » ainsi conçu ne méconnaissent pas la « common law », ils s’y adaptent.»

Tout cet arsenal juridique anglo-saxon a pris une ampleur considérable en même temps que se développait le commerce maritime, lequel commerce a toujours été contrôlé par les banquiers commerçants qui ont leur quartier général à la City de Londres.

Ce qui est resté constant est que le système juridique anglais est essentiellement conçu par et pour la caste dominante : les tenanciers du système économique, essentiellement les banquiers ont, à partir de la période des Grandes Découvertes, succédé aux seigneurs qui régnaient par les armes.

Alors que le droit anglais est un droit édicté par et pour les tenanciers du commerce international, le droit continental traditionnel est un droit de régulation fait pour organiser la « vie de la Cité ». Ce droit continental, actuellement en voie d’extinction, répondait à des règles strictes conçues autour de la personne humaine comprise comme une partie d’un tout formé par la collectivité. 

Le droit anglais fait d'une injustice passée un droit nouveau, qu'il veut rendre incontestable. Comme le dit Bugauld, le droit continental est au service de la collectivité et non au service d'une classe de puissants. Si nous examinons comment la cour suprême a été formée au Canada, nous voyons comment une injustice, un geste illégitime, est transformé pour devenir le «plus haut tribunal du pays», dont, apparemment, il est impossible de contrer la légitimité même si ce tribunal s'est approprié subrepticement la fonction d'un tribunal constitutionnel. 

«La supériorité du droit continental sur le droit anglo-saxon provient non seulement de son expérience historique mais aussi et surtout de sa vocation : il est globalement, contrairement au droit anglo-saxon, mis au service de la collectivité et non à celui de quelques élites auto-proclamées, qui ont usurpé leur pouvoir par des moyens déloyaux en organisant leur anonymat.»

Ce que dit Néron 
Dans ses nombreuses chroniques, sur la conquête et la Confédération, Me Christian Néron, constitutionnaliste et historien du droit, ne manque pas d'opposer régulièrement deux conceptions opposées du droit. Il fait écho à ces deux écoles de pensée. Me Néron souligne sans relâche que le maintien de nos revendications dans le cadre cognitif du droit anglo-saxon a réduit considérablement nos arguments constitutionnels.
Il faut défendre la cause de la nation avec de meilleurs moyens juridiques, tels que le droit naturel classique et le droit international coutumier, sans avoir besoin d'écarter le common law en principe.  C'est ce que propose Christian Néron pour arrimer de manière irréfutable et permanente la revendication d'égalité politique avec les causes et les injustices historiques qui le justifient. 


Que serait un vrai plaidoyer constitutionnel 

(Ce que Lévesque et Morin ont manqué de dire en pleine face à Trudeau lors des négociations constitutionnelles de 1981)
1- Le génocide acadien
2- La conquête 
Un acte de piraterie

3- La Confédération 

La Confédération (AANB) a été votée par une majorité de députés canadiens français qui étaient d'abord opposés au projet. On réussira graduellement à convaincre avec le débat parlementaire sur la Confédération, en 1865. Le revirement s'est fait grâce à la promesse d'un gouvernement fédéral décentralisé, ce qui faisait miroiter une ère nouvelle d'égalité entre «les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus», selon les termes de George Brown, figure politique la plus engagée derrière le projet d'union.

Le vote libre et majoritaire des députés canadiens-français sur la nouvelle constitution contredit ceux qui multiplient leurs appels à une constituante au sein du Québec en affirmant faussement que les parlementaires du Canada Est (Bas Canada) n'ont jamais eu l'occasion de se prononcer sur une constitution. Me Christian Néron, constitutionnalise et historien des institutions, revient dans un article détaillé sur les circonstances de l'adhésion des Canadiens-français à la nouvelle constitution. Il nous apprend aussi que les promesses alléchantes ont été faites de mauvaise foi et réitérées dans le seul but de duper les Canadiens-français pour obtenir leur vote, considéré alors comme une condition essentielle à la réalisation du projet. Or, des promesses faites dans des circonstances aussi officielles ne peuvent être prises à la légère, ignorées par le droit, ou oubliées par les générations futures. Les mauvaises intentions qu'elles cachaient ne peuvent annuler l'obligation de les respecter aujourd'hui. Le Canada anglais doit en prendre acte. 

4- La cour suprême

Les décennies qui suivirent la Confédération sont marquées par plusieurs gestes unilatéraux qui concourent à l'édification hâtive d'un gouvernement fédéral centralisé, contrairement à l'esprit des débats de 1865. La création de la cour suprême, en 1875, une "cour constitutionnelle" crée par un simple vote du parlement, sans l'intervention des provinces-colonies qui venaient de donner naissance au Canada, est probablement le geste le plus osé, le plus arbitraire et le plus méprisant envers le Québec. Il contrevient à tout l'esprit des négociations de 1865. La légitimité de cette cour se trouve donc minée dès sa création. Dommage que cela n'a pas été rappelé à Pierre-Elliot Trudeau, 116 ans plus tard, alors que se tenait de nouvelles négociations constitutionnelles à Ottawa avec au Québec un gouvernement souverainiste qui venait d'être élu avec une majorité historique ! Par conséquent, il faut se préparer à défendre notre cause auprès d'instances internationales, la cour suprême n'ayant pas les qualités pour se prononcer sur tout ce qui concerne les deux nations, comme le livre La bataille de Londres, pour prendre cet exemple, l'a encore montré. 

5- La répression des métis

6- La répression de l'enseignement du français

7- La division des Canadiens-français par les politiques de bilinguisme 

8- Le coup de force de 1982


Au terme de cette réflexion, je suis convaincu que le Canada britannique, ne se relèverait pas d'une offensive constitutionnelle solide, qui refuse la camisole de force du common law pour fonder la justesse de sa cause. Il faut largement puiser dans d'autres sources du droit moderne, soit le droit continental traditionnel auquel réfère Mme Bugault,  que Me Néron appelle, lui, le droit naturel classique qui devient  le droit international coutumier. 

Notre combat est un peu comme celui d'Alexandre Soltjenytsine qui a eu l'audace de ré-écrire l'histoire d'un trait, et non de réclamer des corrections ici et là. Il a eu l'audace de partir des résultats des injustices sur les victimes. Alexandre Soljenytsine a fragilisé l'URSS, il a fragilisé le régime en rétablissant la vérité. Nous avons le devoir de rétablir la vérité dans le cadre d'un réquisitoire constitutionnel. Nous étions une majorité, nous sommes devenus une minorité dont le pouvoir est en perpétuelle régression. La question est simple, qui et comment a été organisé notre effacement graduel de cette terre. 

*   *   *

Texte de Valérie Bugault

La domination des États par les banques n’est pas inéluctable



« Ce que la main de l’homme a fait, l’homme peut le défaire », mais il y a des conditions à ça : une condition de forme et des conditions de fond.

LA PREMIÈRE CONDITION : RÉALISER UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA DISPARITION DU PHÉNOMÈNE POLITIQUE

La première condition, de forme, est une condition sine qua non : elle est que les ressortissants des États prennent conscience de leur entière dépossession du phénomène politique. Ce qui signifie qu’ils devront politiquement s’organiser de façon à se donner les moyens concrets de reprendre le contrôle de leur destin collectif.


Valérie Bugault

Le seul remède à la disparition du concept politique est de rendre à César ce qui appartient à César : c’est-à-dire d’en finir avec la rupture de symétrie, organisée par les banquiers, entre pouvoir et responsabilité. Cela nécessite d’abandonner l’organisation étatique autour des deux principes que sont 
1°) la séparation des pouvoirs et 
2°) le parlementarisme à l’Anglaise, qui suppose un mandat représentatif des élus.

LA SECONDE CONDITION : RÉHABILITER LE CONCEPT DE « DROIT » ET ABANDONNER CORRÉLATIVEMENT LES PRINCIPES JURIDIQUES ANGLO-SAXONS

La seconde condition est liée à la validité et à la viabilité sur la durée de la reprise en main du phénomène politique par les ressortissants des États. Il faudra, impérativement à peine d’ineffectivité de la reprise en main politique, réhabiliter le concept même de « droit » de façon à rendre ce dernier [soit] compatible avec l’existence d’une civilisation. Techniquement parlant, il faudra revenir aux concepts juridiques issues du droit continental et, corrélativement, abandonner le droit du plus fort qui prend la forme de la réglementation à la façon anglo-saxonne.

Nous sommes, sur le continent européen, en cours d’abandon définitif de notre droit continental traditionnel issu du droit romain, lui-même modelé et repris au fil des siècles par des préceptes de droit canon, au profit du droit anglais dominé par le principe de la loi du plus fort.

La « common law » anglaise est un système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles ; ces décisions, ne concernaient, à l’origine, que les seigneurs c’est-à-dire la caste dominante. Si l’on parle du droit anglais, il faut aussi parler du système de « l’Equity » selon lequel le « prince », c’est-à-dire au début le Roi puis le Chancelier, se sont accordés le droit de juger en fonction de préceptes moraux les cas qui n’étaient pas abordés par la « common law ». Les principes de « l’Equity » ainsi conçu ne méconnaissent pas la « common law », ils s’y adaptent.

Tout cet arsenal juridique anglo-saxon a pris une ampleur considérable en même temps que se développait le commerce maritime, lequel commerce a toujours été contrôlé par les banquiers commerçants qui ont leur quartier général à la City de Londres.

Ce qui est resté constant est que le système juridique anglais est essentiellement conçu par et pour la caste dominante : les tenanciers du système économique, essentiellement les banquiers ont, à partir de la période des Grandes Découvertes, succédé aux seigneurs qui régnaient par les armes.

Alors que le droit anglais est un droit édicté par et pour les tenanciers du commerce international, le droit continental traditionnel est un droit de régulation fait pour organiser la « vie de la Cité ». Ce droit continental, actuellement en voie d’extinction, répondait à des règles strictes conçues autour de la personne humaine comprise comme une partie d’un tout formé par la collectivité. Le droit des gens lui-même, qui était (assez grossièrement) la partie du droit romain qui organisait les peuples vaincus, était conçu autour des idées centrales de la personne et de l’organisation de la vie en commun.

La supériorité du droit continental sur le droit anglo-saxon provient non seulement de son expérience historique mais aussi et surtout de sa vocation : il est globalement, contrairement au droit anglo-saxon, mis au service de la collectivité et non à celui de quelques élites auto-proclamées, qui ont usurpé leur pouvoir par des moyens déloyaux en organisant leur anonymat.

La question de l’extraterritorialité du droit anglo-saxon

Revenons un instant sur la question, très sensible actuellement, de l’extraterritorialité du droit anglo-saxon.

Cette extraterritorialité se décline de deux façons différentes et successives, c’est-à-dire qu’elle prend deux formes bien distinctes. D’une part, la généralisation de l’implantation du système juridique anglais sur tous les continents et, d’autre part, le recours par le pouvoir américain à des sanctions pécuniaires contre les entreprises.

De ces deux formes, seule la seconde, qui se traduit par des sanctions financières en provenance des États-Unis, apparaît dans les radars médiatiques et juridiques alors que la première forme est, de loin, la plus dangereuse pour les libertés publiques et pour le concept même de civilisation.

L’EXPORTATION ABUSIVE DU SYSTÈME JURIDIQUE ANGLAIS SUR TOUS LES CONTINENTS

La première occurrence de l’extraterritorialité du droit anglais se décline de deux façons. Elle relève, pour les banquiers de la City : 

De leur volonté hégémonique : ils veulent conserver à leur strict avantage le contrôle de l’argent circulant dans tous les paradis fiscaux. Concrètement, il s’agit d’imposer le trust comme forme unique d’anonymat afin de supprimer tous les paradis fiscaux fondés sur les comptes numérotés qui échappaient aux banquiers de la City ; d’où la guerre sans merci lancée à la fin des années 2000 contre les « paradis fiscaux », qui n’a été qu’une guerre de la City contre les sites d’évasion fiscale qu’ils ne contrôlaient pas, en premier lieu la Suisse

De la « nécessité », pour les grandes banques opérant à la City, d’adapter les systèmes juridiques étrangers de sorte que ces derniers puissent adopter les nouveaux produits issus de la finance dérégulée. L’objectif est de permettre la circulation des produits financiers dérivés ou synthétiques, économiquement toxiques, au niveau mondial. 

Cette forme d’extraterritorialité se matérialise par la nécessité d’adapter les systèmes de droit afin de les rendre compatibles avec le « droit anglais ».

Dans cette première occurrence de l’extraterritorialité du droit anglais, il s’agit, par exemple, d’importer des concepts comme le trust – partiellement traduit en « fiducie » par le droit français – comme la « propriété économique », comme la « titrisation » via les fonds communs de créances (« special purpose vehicule »).

Signalons au passage qu’à l’occasion de cette transformation du droit continental, les créances deviennent sujettes à appropriation, elles passent donc du statut juridique de « droit personnel » à celui de « droit réel » ! Ce glissement n’est pas anodin car il suppose une réification des relations humaines ; on se rapproche ainsi insidieusement et dangereusement d’un système légal d’esclavagisme, dans lequel l’individu est considéré comme un « bien » pour les juristes, une « marchandise » dans le langage des économistes.

C’est également cette transformation du droit continental qui a, via l’intrusion discrète du concept de « propriété économique », rendu possible la transformation monétaire : de « neutre » (la neutralité étant matérialisée par sa nature comptable « d’actif-passif ») la monnaie est peu à peu devenue un simple « actif » comptable.

Il s’agit également d’uniformiser les normes comptables internationales sur le modèle anglo-saxon des IFRS ; lesquelles normes sont édictées par des organismes pilotés par les grandes multinationales cachées derrière des organismes qui siègent dans des paradis fiscaux. C’est ainsi que disparaissent les règles de l’ancienne comptabilité nationale au profit des principes anglo-saxons.

Cette première forme d’extraterritorialité consiste à éliminer, progressivement, les systèmes de droits qui ne sont pas compatibles avec le droit anglais. C’est ainsi que peu à peu, disparaît le droit commun français issu du Code civil pour être remplacé par les principes commerciaux qui sont le fondement même du « droit » anglo-saxon.

LE RECOURS, PAR LES INSTANCES AMÉRICAINES, À DES SANCTIONS PÉCUNIAIRES CONTRE LES ENTREPRISES

La seconde occurrence de l’extraterritorialité du droit anglo-saxon est davantage connue et surtout davantage dénoncée à grand renfort de médias.

Il s’agit des sanctions financières imposées par les instances politiques et juridiques américaines à toute entreprise utilisant soit le dollar soit un quelconque composant d’origine américaine dans leur processus de fabrication ou dans leur fonctionnement.

Cette forme d’extraterritorialité sanctionne essentiellement les multinationales, bancaires ou non, étrangères aux États-Unis. Les multinationales, ainsi prises à partie, ont très rapidement mobilisé les pouvoirs publics et les médias pour dénoncer ces pratiques prédatrices du pouvoir américain, réussissant à mobiliser un large public contre la puissance économique déclinante de l’Amérique. En conséquence, l’extraterritorialité du droit formalisée par les sanctions économiques est la seule forme d’extraterritorialité dénoncée par les médias et donc connue du public.

Or, il faut comprendre que, fondamentalement, cette seconde forme d’extraterritorialité n’est ni la plus grave, ni la plus définitive et qu’elle ne concerne, globalement que les bilans des multinationales, à l’inverse de la première forme d’extraterritorialité qui suppose une véritable révolution d’ordre tectonique dans l’organisation des peuples. C’est la première forme d’extraterritorialité qui attaque en profondeur le mode de vie et la sécurité juridique des ressortissants d’un État, elle tend, par exemple en France à faire disparaître le principe même de la propriété privée et à transformer la monnaie en propriété bancaire. La première forme de l’extraterritorialité met, fondamentalement, en danger l’organisation sociale issu du mode de vie sédentaire au profit du nomadisme.

Par ricochet, l’extraterritorialité qui prend la forme de sanction financières des multinationales vient renforcer la première forme d’extraterritorialité depuis que les États sont devenus de simples émanations des multinationales. Les ponctions sur les budgets étatiques pour renflouer les bilans déficitaires des conglomérats financiers ont pour corolaire de substantielles augmentations d’impôts et diminutions de services publics ; il en résulte un appauvrissement des ressortissants des États qui va jusqu’à porter atteinte à la capacité des individus de devenir propriétaires (notamment de leur logement).

En ce sens, les deux occurrences de l’extraterritorialité du droit anglo-saxon se renforcent l’une l’autre pour aboutir à la perte totale et définitive de contrôle des individus sur les éléments essentiels de leur vie, pour réinstaurer le principe de l’esclavage au niveau légal.

CONCLUSION

Les techniques de contrôle monétaire sont parfaitement rodées et mises en application par les grands banquiers au moyen des banques centrales qui ont-elles-mêmes organisé, au niveau mondial, leur anonymat et le secret de leurs affaires.

En contrôlant l’affectation des ressources monétaires, les banquiers décident réellement qui sera « riche » et qui sera « pauvre », aussi bien au niveau des individus et des entreprises (microéconomie), que des groupes socio-économiques, des États et même, plus largement, des zones géographiques (macroéconomie).

Dans ce contexte, la création de richesses devient artificielle, elle est pilotée par les banquiers et ne remplit qu’un seul objectif : satisfaire leur insatiable soif de pouvoir et mener le monde vers un « gouvernement mondial » qu’ils contrôleront définitivement de façon absolue et officielle, ce qui leur manquait jusqu’ici. Le modèle sédentaire cèdera alors définitivement la place au modèle nomade.
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Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique















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