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mardi 6 décembre 2022

La loi 99 élucidée et l’avenir des Canadiens-Français

Ceux qui suivent la Fédération des Canadiens-Français savent que nous avons proposé un amendement à la loi 99 (2000), au vingtième anniversaire de son


adoption, le 7 décembre 2020. À cette occasion, nous avons fait remarquer que cette loi était une source d’inégalités par la description biaisée qu’elle fait du peuple québécois. La façon dont le peuple est défini dans les considérants (qui introduisent la loi) ne nous convient pas du tout. À l'occasion du 22e anniversaire, nous revenons sur le sujet pour toucher des aspects inédits, laissés de côté en 2020.


Le peuple québécois 

Il saute d’abord aux yeux qu’une communauté anglophone se trouve gratifiée de « droits consacrés », elle seule, sans qu’on sache pourquoi. 

Ensuite viennent onze Premières Nations indigènes spécifiquement nommées, nous y reviendrons plus loin. 

Puis, les apports des immigrants sont reconnus, mais les Canadiens-Français sont mystérieusement absents de la liste. On peut cependant penser qu’il s’agit d’eux lorsque le premier considérant fait état d’une population « majoritairement de langue française. » Mais rend-t-on vraiment l'existence nationale aux Canadiens-Français par la simple désignation d'une population de langue française ?


Les six premiers considérants de la loi  99

Pour répondre à la question, il faut définir les termes Canadiens-Français et majorité de langue française. 

D'abord, pour Canadiens-Français, gardons les choses simples, on prendra la définition de René Lévesque de 1963, pour qui les Canadiens-Français c’est 80 % de la population du Québec. (N. Toupin) 

Ensuite, pour le sens à donner à ce qu’est une majorité francophone dans le contexte des valeurs du Canada, on peut facilement admettre que la majorité peut accéder à un pouvoir provincial de francophones. En revanche, une telle majorité ne peut désigner une identité nationale, car l'expression se limite à reconnaître une caractéristique linguistique seulement. 

Du trudeauisme !

Un bref retour en arrière nous rappellera que les concepts de majorité et de minorité linguistiques sont inscrits dans l'ADN du Canada, formulés dès 1969 dans la loi sur les langues officielles du gouvernement Trudeau.


Pierre Elliot Trudeau

En opposition à la doctrine Trudeau, une vision concurrente du Canada circulait à l’époque. C'était celle de Daniel Johnson, qui était aussi détaillée dans le rapport préliminaire de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme.

André Laurendeau 

Selon cette approche politique populaire, la dualité linguistique au Canada était le reflet de la dualité nationale. Trudeau s’opposait à cette idée. La langue était pour lui un simple moyen de communication entre individus libres. Il a donc profité de la loi sur les langues officielles pour bien séparer  la langue de toute identité nationale, mettant de côté l’idée d’un Canada composé de deux nations, différentes par la langue, la culture et l’histoire. Pour des êtres incarnés comme vous et moi, et pour la tradition canadienne-française, la langue est au centre d'un patrimoine plus général, à préserver et à transmettre. 

Il faut le reconnaître et le dire sans méchanceté, avec la loi 99, le gouvernement de Lucien Bouchard reprenait essentiellement à son compte la doctrine Trudeau. Or, dans le contexte d'un parti pris pour la continuité nationale, la langue française représente un attribut inséparable de l’identité socioculturelle. Malheureusement, les considérants de la loi 99 vont en sens inverse. Québec a cédé à un trudeauisme qui acte le divorce entre la langue et l'identité canadienne-française.  En réalité, la loi 99  témoigne du passage d'un État du Québec qui avait le mieux assumé notre identité nationale, celui des courtes années Johnson, à un État plurinational qui a intégré tous les codes d'un mondialisme qui mène à la disparition des nations enracinées dans l’histoire.

De l'ethnicité des nations

Comme promis, revenons un moment sur la question des Premières Nations pour révéler les deux poids deux mesures de la loi 99. Bien que certains de ces groupes comptent moins de 2000 membres, ils sont reconnus comme nations. On pourrait ajouter reconnus comme nations ethniques affirmées et revendiquées. Mais pas de fausse indignation ici. Sauf les bigots, tous comprennent que le caractère ethnique est constitutif des réalités nationales. Et d'ailleurs, en présence de menaces à son existence, une ethnie qui s'affirme peut constituer un repli défensif salutaire. 

Donc, les 1300 Malécites et les Abénakis à 2800 forment des nations. En comparaison, si on prenait seulement le nombre, les Canadiens-Français vaudraient bien une reconnaissance officielle. Mais certains nous disent : les Malécites et les Abénakis existent, mais pas les Canadiens-Français. Faudrait-il amener les incrédules dans une grande bibliothèque, où, pour les convaincre, on leur montrerait des rayons entiers consacrés aux Canadiens-Français et aux Canadiens de la Nouvelle-France ? En fait, la congruence, voire le simple bon sens, aurait voulu que Québec ne traite pas les nations avec d'aussi grossières différences. 

« Québécois francophone » n’a pas de dimension nationale

Au regard de ce qui précède, il faut conclure avec regret que le statut résiduel des Canadiens-Français historiques endossé par Québec les renvoie à une simple appartenance linguistique. L’hypothèse se vérifie entièrement quand on pense au syntagme de « Québécois francophones », lequel juxtapose l’identité générique d’un habitant du Québec à celle d’un locuteur du français. L’expression Québécois francophone ne possède donc aucune dimension nationale au sens sociologique.

La réhabilitation des Canadiens-Français

Avant de parler des gains politiques et stratégiques d’une réhabilitation statutaire des Canadiens-Français, imaginons d’abord ce que serait une indépendance réalisée dans le cadre vicié d’une  loi 99 si peu patriotique. Ce faisant, nous allons découvrir les conséquences peu souhaitables d'une indépendance bien particulière qui pourrait refroidir les ardeurs de bien des souverainistes.

Une indépendance colorée à la loi 99 

Une indépendance colorée à la loi 99, fait craindre à juste titre que ce Québec indépendant de demain ne serait rien d’autre qu’un petit Canada. Au vu de la valeur nulle accordée par Québec aux Canadien-Français, il semble tout à fait logique de penser que ces derniers, au sens où l’entendait notamment Daniel Johnson, ne seraient pas au bout de leurs peines. 

A-t-on sérieusement pensé que les droits « consacrés » de la communauté anglophone cesseraient d'exister avec l’indépendance ? Ce n’est même pas envisageable. Toute tentative d'éteindre ces droits unirait immédiatement l’anglosphère contre le Québec, au point de risquer la déstabilisation politique ou de sérieux troubles civils. 

A-t-on sérieusement pensé que la superpuissance politique que constitue la communauté anglophone du Québec, qui dépasse depuis toujours en puissance son poids démographique, n’aurait pas tous les arguments pour perpétuer ses avantages ? Quand on compte les engagements déjà pris par Québec, les anglos ne manqueraient pas d’arguments pour justifier le maintien du statut particulier dont ils profitent déjà. Face au nationalisme civique, ils savent que le principe de la continuité du droit joue en leur faveur. 

Référendum et indépendance

L’accession à une indépendance civique est aujourd'hui suspendue à un référendum gagnant, du fait que le souverainisme s'est retiré du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Québec n’a pas voulu plaider à livre ouvert que l'usage de la force et de la tromperie expliquait les privilèges et des droits consacrés, exclusifs aux anglo-saxons. Québec, qui refuse de reconnaître les Canadiens-Français et la légitimité de leur cause, notamment en droit international, n’a plus le choix des armes. Pour changer le régime constitutionnel il ne peut que miser sur une victoire référendaire. 

A-t-on suffisamment réfléchi, avant qu’il ne soit trop tard, qu’une victoire référendaire n’est envisageable qu’à l’issue d'un ralliement plurinational des Québécois. Ce qui suppose de multiples tractations, d'âpres négociations entre la communauté aux droits consacrés, les Premières Nations et le reste des Québécois (le ROQ ?) francophones, qui, comme on l’a vu, sont lourdement handicapés au départ du fait qu’ils ne sont ni un peuple ni une nation.

La question qui tue, mais que le sens patriotique nous oblige à poser est la suivante : si l’indépendance est un objectif qui ne manque pas de noblesse, la transformation radicale de son sens nous oblige-t-elle à continuer comme avant ? Poser la question pourrait susciter de l'indignation chez les souverainistes du coeur, mais le temps est peut-être venu de soumettre les élans du coeur au test d'une raison qui doit se mettre à jour. 

Au vu du caractère galvaudé et approximatif d’une identité québécoise, qui peut comprendre les anglophones ou pas, selon le contexte, pareil pour les Premières Nations, la réhabilitation d’une identité claire, la nôtre, s’impose. Et, au départ, il faut le savoir, il n’y a pas de question nationale au Canada et au Québec sans les Canadiens-Français. 


             

La prochaine fois 

L’avenir des Canadiens-Français, s’il leur reste la force pour envisager un avenir plus lumineux, repose sur la réhabilitation sans délai de leur identité historique. C'est la priorité. C'est la voie de la légitimité et de l'émancipation nationale, celle qui offre les meilleures garanties d'avenir. 

Il y a beaucoup à gagner d’une reconnaissance statutaire des Canadiens-Français. C’est une plateforme à partir de laquelle les droits et les pouvoirs nécessaires pour assurer notre avenir peuvent être de nouveau réclamés auprès des États du Québec et du Canada. 

Un fiasco issu d’un compromis plurinational bâclé

En terminant, la loi 99 est un fiasco constitutionnel parce qu’elle est un compromis inter-national de l’Assemblée nationale réalisé sans les Canadiens-Français, qui n'en sont pas partie prenante.

Le gouvernement de Lucien Bouchard voulait une position unanime du Québec pour s’opposer à la loi sur la clarté d’Ottawa. Il accouchera de la boiteuse loi 99, et les libéraux voteront contre quand même. La prochaine fois, la nation canadienne-française devra se présenter en son nom, pour assurer sa place au centre de toute future constitution. 
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Pour en savoir plus :

https://gilles-verrier.blogspot.com/2020/12/communique-la-federation-des-canadiens.html

https://gilles-verrier.blogspot.com/2020/11/la-federation-des-canadiens-francais.html

 



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