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Les Canadiens-Français et le défi de la continuité

Revitaliser notre être collectif Écrire l’histoire en prenant pour fil la continuité historique des Canadiens-Français est une pratique qui ...

vendredi 11 avril 2025

Les Canadiens-Français et le défi de la continuité

Revitaliser notre être collectif

Écrire l’histoire en prenant pour fil la continuité historique des Canadiens-Français est une pratique qui s’est perdue. Avec la Révolution tranquille, une brisure s’est produite. Bien sûr, l’histoire écrite avant 1970 sera toujours accessible. Mais au goût d’aujourd’hui,

elle ne serait plus que le témoignage d’un passé figé et révolu. On est rendu ailleurs, diraient plusieurs. L’historiographie récente sous-estime la brisure d’un peuple, intervenue entre les années 1960 et 1970. On range trop facilement la perte d’un peuple, qui est toujours un drame, dans les acquis libérateurs de la Révolution tranquille. Le mot « révolution » n’est pas loin de « révolte », mais les jeunes de l’Après-guerre sont devenus conformistes. Ils se sont conformés à une certaine idée de la suite du monde, qui comprenait le rejet des valeurs traditionnelles de l’Occident chrétien. On avait hâte de ne rien manquer du tournant de la modernité ! Être francophone ou Québécois passe le test, être Canadien-Français ne le passait plus.

Ce que je tente de faire depuis un moment avec d’autres camarades de la FCF est différent. J’essaie de comprendre le noyau de cette brisure, en particulier son point de bascule, que je situe entre 1968 et 1970. Même si je ne suis pas historien, rien ne m’interdit de faire de la recherche si ça me passionne. Je passe mes résultats au tamis, je retiens de préférence des sources primaires et crédibles. La sympathie à l’égard de mon peuple, ce peuple formé de nos ancêtres collectifs, me porte à soutenir la continuité de son œuvre, à rester fidèle aux miens. Tant qu’il continue à se nommer lui-même, ici, les Acadiens réussissant mieux que les Canadiens-Français, sa mort déclarée par de nombreux fossoyeurs peut être mise en doute et contestée.


Ceux qui me lisent, supposant qu’on me lit sur le site de la FCF et sur mon blogue, pourraient penser que je me répète un peu, je vous l’accorde. En réalité, j’approfondis en vous prenant à témoin. La trame reste la même, mais des accents nouveaux changent les angles de l’éclairage. Je m’efforce de partager une analyse révisée, pour ne pas dire révisionniste, pensant qu’elle pourrait donner à d’autres le goût de reprendre le fil là où il s’est brisé. Pour mettre en œuvre le programme politique en cours de rédaction, mais que nous allons adopter prochainement j’espère, il nous faudra une nouvelle génération de porteurs de continuité.

Voici cinq ans que la Fédération a commencé, le 1er janvier 2020. Je remercie mes précieux collaborateurs et tous ceux qui contribuent d’une manière ou d’une autre à revitaliser notre être collectif et à l’actualiser. Ce qui suit est une synthèse à ce jour de ce qu’on appelle parfois à la blague entre nous, notre groupe de réflexion métapolitique.

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Un essor qui culmine en 1968, suivi d’un déclin rapide

Depuis le cas des Premières Nations au Canada et d’autres cas comparables à travers le monde, nous savons que le statut d’un peuple minoritaire et sans statut, enclavé dans un pays plus grand, est une affaire qui peut être tranchée avantageusement par le droit international. Nous savons aussi que P. E. Trudeau s’était fermement opposé à tout droit particulier en faveur des Premières Nations, dans un discours de 1969 à Vancouver. N’en déplaise, les Premières Nations d’Amérique ont obtenu depuis une autonomie interne enviable. Les Nations Unies ne sont pas à l’abri de la critique, mais il reste que c’est en grande partie grâce à cette institution que les Premières Nations ont obtenu gain de cause.

Au Canada, le mouvement des natifs canadiens pour obtenir une reconnaissance constitutionnelle claire a des racines profondes. Il remonte aux Débats parlementaires sur la Confédération de 1865 et sans doute avant. Ce mouvement a cependant pris un essor particulier au début des années 1960, alimenté par de nombreuses initiatives politiques concourantes. Nous avons établi que ce mouvement pour la reconnaissance statutaire du peuple canadien-français va culminer avec le discours du premier ministre Daniel Johnson, à l’occasion de la première conférence sur la constitution du 5 février 1968. Ce mouvement va ensuite décliner rapidement sans que les livres d’histoire donnent une explication pleinement satisfaisante du phénomène. Yves Frenette, dans son ouvrage « Brève histoire des Canadiens français », adopte une approche sociologique pour affirmer que « ce peuple n’existe plus ». Son approche a le désavantage de négliger complètement la dimension politique de la question.

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René Lévesque et le repli québécois

La montée du souverainisme avec la formation du Parti Québécois en octobre 1968 veut convaincre ses partisans que des négociations basées sur les revendications traditionnelles du peuple sont vaines. La nouvelle formation politique va plutôt proposer une approche constitutionnelle inédite, du nom de souveraineté-association. Dévoilé en janvier 1968 dans Option Québec, le plan de René Lévesque accorde une place importante à l’inefficacité économique du fédéralisme pour justifier une association économique avec le Canada. Le partenaire proposé à Ottawa pour écrire une constitution à deux est la province de Québec.

À ce stade précoce du souverainisme, on concède dans Option Québec que le Québec est formé de deux peuples, de deux nations distinctes. En revanche, René Lévesque rejette l’existence et la légitimité d’une communauté ayant des traits sociologiques et culturels propres qui s’étendrait au-delà du Québec. Tout en reconnaissant une dimension ethnique discrète à la démarche, son plan refuse aux Acadiens et Canadiens-Français hors Québec d’être partie prenante au projet. Des minorités jugées non viables, donc négligeables. Lévesque rejette péremptoirement une solution inclusive qui rejoindrait l’ensemble du peuple issu de Nouvelle-France. Il se situe dès lors à l’opposé de Daniel Johnson, qui, en octobre de la même année, articulait un projet qui ne laissait aucune partie du peuple de côté. Avec le temps, la politique de la québécitude (centrée exclusivement sur le Québec) de Lévesque se révélera complémentaire aux projets de P. E. Trudeau. Nous le verrons plus loin.

L’Option Québec de départ va cependant vite se transformer pour faire disparaître sa dimension ethnique, critiquée par certains. Pour se soumettre au test de l’inclusivité, l’idée de nation québécoise va donc se présenter comme la cause de toute la population du Québec sans distinction. Mais en pratique, seuls les Canadiens-Français vont se sentir à l’aise avec la nation québécoise. Effectivement, de 1968 à 1980, ils vont adopter massivement l’identité québécoise. Cependant, pour masquer un caractère ethnique résiduel, mais tenace, le PQ multiplie les efforts pour attirer à lui les anglophones, une préoccupation bien assumée par la direction du parti. La stratégie référendaire, adoptée en novembre 1974, est un moyen de rehausser le poids des anglophones. La formule d’accession à la souveraineté par référendum avec droit de vote universel donne en effet à la communauté anglophone les voix nécessaires pour défaire tout appel au peuple. C’est en fait un veto déguisé. Le mode électoral par circonscription, le seul prévu par la constitution, est jugé insuffisamment démocratique pour entamer des discussions en vue d’une souveraineté-association, d’une souveraineté-partenariat ou d’une autre formule. Le fond de l’affaire est plus simple : le mode électoral ne favorisait pas les anglophones en raison de leur concentration numérique dans un nombre réduit de circonscriptions. Peut-on croire que les dirigeants du parti, dont Claude Morin, ont milité pour le référendum sans avoir d’abord calculé ses conséquences  ?

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Une identité canadienne-française prohibée

La mécanique de la destruction du Canada français est puissante, puisqu’elle conjugue le trudeauisme et le souverainisme. En apparence très opposés, les deux courants sont en pleine ascension en 1968. En même temps, les Canadiens-Français sont aux prises avec de nombreux défis. La réponse à ces défis prendra la forme d’un démembrement : une action politique soutenue pour faire transiter un peuple vers dix communautés francophones dénationalisées et les souder à une province. 

Identifier un peuple distinctement comme on l’avait fait dans les Articles de capitulation de Québec et de Montréal (1759-1760), qui mentionnent de nombreuses fois le nom des Canadiens conquis, et encore pendant 200 ans par la suite (bien que plus évasivement avec le temps), ne conduisait aucunement à son démembrement. La solution juste et logique, faute d’une reconnaissance à titre de peuple cofondateur, qui était l’approche de Daniel Johnson père, menait à la reconnaissance des Canadiens-Français et Acadiens au titre d’une minorité nationale indivisible, distribuée d’un océan à l’autre. Depuis la déclaration de l’ONU du 18 décembre 1992, il est devenu répréhensible pour un État central d’attenter à l’intégrité nationale d’un peuple natif, fut-il blanc et de souche européenne. La responsabilité première des injustices, leur correction, ainsi que la protection de l’unité et des droits de cette minorité incombent en premier au gouvernement central et non aux provinces, comme dans le cas des Premières Nations.


On aura tout fait pour empêcher que le berceau laurentien issu de Nouvelle-France, le Québec, continue de former le foyer principal et le point d’appui des Canadiens-Français établis dans l’ouest et des Acadiens à l’est. Avec les souverainistes, le peuple natif a plutôt cherché à se libérer de son identité canadienne-française et de sa mission historique. Il a voulu se donner un destin impossible : s’unir à sa minorité anglophone et devenir captif de son vote référendaire.

Dans le processus que nous venons d’évoquer, les initiatives d’Ottawa sont en cause. Sous l’effet des versions successives de la Loi sur les langues officielles et de la Charte des droits, en particulier l’article 23, les liens ténus qui unissent encore les Canadiens-Français seront brisés. Sur une base tout à fait arbitraire, chaque province aura sa fédération francophone et son identité. Depuis 1975, elles reçoivent des fonds fédéraux, à condition d’adhérer à leur identité provinciale. Toute forme d’expression d’une identité canadienne-française évoquant la continuité d’un peuple est désormais prohibée.

Au Québec, le statut particulier qui tolère la loi 101 et qui magnifie l’État du Québec aux prétentions nationales est un piège qu’a très bien démonté Éric Poirier dans Le piège des langues officielles.1 Ce serait se mentir que de croire que ce n’est pas pour des raisons historiques très contraignantes que l’État québécois a toujours traité « sa minorité » avec plus de générosité que les autres provinces. En avait-il le choix ? Vu l’enracinement forcé de cette générosité dans une conquête et ses prolongements, la question ne se poserait pas si elle n’était pas occultée.

L’horizon souverainiste aidant, chacune des parties a eu ses raisons d’arguer qu’au Canada, même dans l’optique de l’État central, le pays ne compte pas une majorité et une minorité, mais bien deux majorités et deux minorités linguistiques au sein de deux peuples. Deux peuples apparemment disparus puisque la doctrine de la postnationalité et du multiculturalisme a réduit tout le monde à n’être que des « locuteurs » de l’une ou l’autre des deux langues officielles. Le dispositif politique et juridique mis en place au Canada depuis P.E. Trudeau se refuse à faire les distinctions qui s’imposeraient pour accorder aux francophones du Québec, considérant leur appartenance au Canada, le statut d’une minorité. Du reste, bien qu’en nombre supérieur, ils ont toujours constitué ce qu’on appelle une minorité sociologique. Il faudra y revenir en citant G. Balandier.


Une convergence qui n’a rien d’un complot

La convergence entre souverainisme et fédéralisme est-elle délibérée ou pas ? La question est légitime.

La réalité a peut-être ici une explication assez simple qui se passe de tout recours à une théorie du complot. L’étatisme, la technocratie, l’État providence, la rationalisation, la prise en charge par l’État, la modernisation, bref le vocabulaire de l’Après-guerre occidental, qui est aussi celui de la Révolution tranquille et du trudeauisme, est un plan d’action commun propulsé par un dispositif intellectuel qui n’est pas sans rapport avec l’École de Francfort.2 Les motifs existent pour que ce soit simplement une convergence d’intérêts d’États, Québec et Ottawa, lesquels prennent dans l’Après-guerre une importance nouvelle, voire démesurée.

Pour Daniel Johnson, le Québec est le foyer principal et le point d’appui des Canadiens-Français et des Acadiens. En revanche, Trudeau et Lévesque ont en commun, par leur parenté idéologique3, de s’opposer fortement à cette assertion. L’alliance de ces derniers va donc se nouer naturellement. Elle est basée sur leur désir commun d’en finir avec tout ce que représente Johnson, dont la prise en compte de la dimension pancanadienne de notre peuple. En réalité, les souverainistes de René Lévesque sont heureux qu’on les soulage des minorités canadiennes-françaises de l’extérieur, un poids, et qu’on leur confie plutôt le soin de « leur » propre minorité. Le préambule de la Loi 99 (2000) est révélateur d’une tradition de déférence de Québec envers sa puissante minorité anglophone.4 Historiquement, nous savons tous que c’est du pur pharisaïsme de comparer la minorité anglophone du Québec aux minorités canadiennes-françaises et acadiennes. Bref, au lieu de travailler à l’unité et à la préservation d’un peuple aux racines communes, mais confrontées à plusieurs défis menaçants, Ottawa et Québec veulent détruire les conditions de son unité et de sa continuité. On ira raconter à d’autres que les Canadiens-Français se sont effondrés sous leur propre poids !

Ne nous trompons pas. Ce qui est arrivé aux Canadiens-Français était aussi ce qui devait vraisemblablement arriver aux Premières Nations, mais elles ont profité d’un lobbying en leur faveur. Les Canadiens-Français n’ont pas eu leur Felix S. Cohen.5 Par conséquent, la quête de reconnaissance que réclamait Johnson ne sera pas couronnée aux Nations Unies, comme dans le cas des Premières Nations.

Désormais, pour ne rien oublier du portrait, les Canadiens-Français ne seront plus mentionnés dans les textes officiels, ils l’avaient été longtemps et souvent explicitement. Aujourd’hui, si leur existence est évoquée à la sauvette c’est habituellement dans un contexte négatif ou douteux.

L’accélération historique des années 1968, 1969 et 1970 ne s’invente pas. L’alignement des forces a été entièrement recomposé pour des décennies à venir. Cette période de changements rapides ne doit surtout pas échapper à notre étude pour comprendre le blocage durable auquel nous faisons face.


Les droits du peuple monnayés pour l’idée d’un pays

L’idée d’une communauté nationale et politique du Québec ayant son propre destin cherchera d’abord à s’imposer par un mandat électoral dont l’objectif était de reprendre les négociations constitutionnelles sur d’autres bases. L’optimisme d’Option Québec anticipe que le fédéral sera réceptif au projet de souveraineté-association.6 Ceci ne se vérifie aucunement. Tout au contraire, on apprendra par des commissions d’enquête tenues ultérieurement que la réponse fédérale à la souveraineté-association, loin d’être sympathique, comprend un volet illégal, sous la forme d’une participation active à la commission d’actes terroristes dans les années 1968-1970.7 Vraisemblablement dirigé contre le Parti québécois, ce dernier paiera dans les urnes le prix du terrorisme lors des élections de 1970 et de 1973. Comme les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, ils alimenteront l’argumentaire en faveur d’un référendum. Outre ce qu’on a vu plus haut, le référendum divise le projet péquiste en deux étapes pour rassurer l’électorat.


Claude Morin adhère au Parti québécois en 1972 avec en poche la stratégie référendaire. De son propre aveu, il tient l’idée référendaire de plusieurs rencontres tenues en 1969 avec trois hauts fonctionnaires fédéraux proches du premier ministre Trudeau.8 Les services fédéraux participeront donc à la disqualification de l’approche électorale en vigueur. Non sans peine, il faudra un total de cinq ans (1969-1974) pour que la méthode électorale soit remplacée par l’approche référendaire. Elle sera adoptée quand même dans la controverse. À ce sujet, l’ingérence fédérale est clairement documentée. Gagner un référendum pour entamer des négociations avec les partenaires d’une fédération dont on est membre avait quelque chose d’optionnel au départ, c’est devenu une obligation incontournable. Avec l’aide discrète du fédéral, le Québec s’est lui-même départi de sa marge de manœuvre.

La rupture avec l’approche traditionnelle de Daniel Johnson que va réaliser le Parti québécois inverse les priorités. La reconnaissance des droits du peuple va être reléguée derrière la quête d’un pays putatif portant toujours moins la marque du peuple fondateur. On ira jusqu’à le faire disparaître totalement en 2000, avec la Loi 99.9

Il n’est pas déraisonnable de voir dans le projet de changement de nature de notre peuple le produit d’une sorte d’ingénierie sociale.10 Après plus de 55 ans à minimiser la place des « premiers Canadiens » pour favoriser un projet pluraliste, le souverainisme a fait la preuve que ni la voie électorale ni la voie référendaire ne peuvent résoudre les problèmes découlant d’une Conquête aux conséquences entièrement occultées.11

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Vers une approche politico-juridique non partisane

Les progrès récents de la réflexion sur la question nationale au Canada nous amènent à conclure ce qui suit.

1- Pour la FCF, la question de l’indépendance ou d’une souveraineté accrue du Québec est une question distincte de la reconnaissance constitutionnelle des Canadiens-Français12. Le mouvement de reconnaissance statutaire qui est le nôtre n’encourage ni ne décourage la souveraineté du Québec. Il laisse à chacun ses préférences en ce qui concerne le degré d’autonomie territoriale dont devrait jouir un Québec qui s’est finalement défini, à peu de choses près, comme le Canada, c’est-à-dire par le pluralisme et l’inter–multiculturalisme. Le Québec s’est aussi défini par une laïcité militante qui, pour limiter l’espace public occupé par des valeurs religieuses exotiques, s’en prend avec la même énergie à la dimension catholique de notre identité vivante ou patrimoniale.

2 – En effet, et à l’encontre de toutes les professions de foi pluralistes, ni le Québec ni le Canada ne reconnaissent les Canadiens-Français dans le sein de la pluralité. Il semble donc que, à ce moment-ci, on peut prédire que, dans le cas d’un Québec indépendant ou relativement souverain, cette question demeurerait entière, toujours prégnante et non réglée.

3 – Statuer sur l’existence d’un peuple ayant des caractéristiques culturelles et sociologiques propres, enraciné dans une histoire commune, nous apparaît aujourd’hui comme une affaire que l’impuissance politique a reléguée à un autre niveau. Essentiellement, que l’on parle de l’approche référendaire ou électorale, on parle d’une double incapacité à résoudre la question nationale. Dans ce contexte, l’action juridique (droit des peuples, droit des minorités) apparaît comme un niveau d’action de substitution opportun, une idée dont le temps est venu. Par conséquent, l’approche de la Fédération des Canadiens-Français se tourne du côté des recours juridiques.

4 – Comme les procédures à entreprendre seront faites en quelque sorte au nom d’un peuple, notre peuple, il apparaît indispensable de sensibiliser et de mobiliser simultanément nos compatriotes du Québec et du grand large. La mobilisation ne devrait pas se limiter aux simples citoyens, mais s’étendre à ceux qui occupent des responsabilités politiques à tous les niveaux. Ainsi, la sensibilisation des élus, depuis l’échelle municipale jusqu’au sommet de l’État fédéral, devrait être incluse dans nos plans. Nous parlons donc d’une approche politico-juridique.

5 – Comme il n’est pas question de former un parti politique, mais de s’élever au-dessus de la lutte partisane pour fédérer au maximum la population, notre approche sera finalement définie comme une approche politico-juridique non partisane.

6 – L’approche politico-juridique non partisane s’appliquera à sensibiliser la communauté internationale à notre cause. Elle devra prévoir des moyens tangibles pour y arriver.

7 – Un choix inévitable au Canada L’approche que nous proposons est inévitable quand on fait le constat que les moyens d’émancipation offerts par le pays responsable de notre sort, en l’occurrence le Canada, sont inexistants et que l’endurcissement du sentiment des autorités à l’égard de nos droits nationaux est une réalité que l’on peut déplorer, mais qui ne se dément pas. Le Canada a failli. Il n’a pas réussi à étendre sa définition de la liberté aux droits de sa principale minorité nationale.


Le mouvement pour la reconnaissance des Canadiens et Acadiens est nationaliste, mais il se garde de tout chauvinisme. Ce mouvement n’est pas l’exclusivité de la Fédération des Canadiens-Français (FCF), mais il s’accorde avec tous ceux qui considèrent que les Canadiens-Français et Acadiens, peuples frères issus de Nouvelle-France, forment une minorité ethnique (sociologique et culturelle) privée de droits et d’institutions propres depuis le Traité de Paris de 1763. Pour la FCF, il y a un engagement à faire reconnaître cette minorité par la voie des revendications constitutionnelles, à lui garantir les protections qui s’appliquent aux minorités, et peut-être même à obtenir des réparations transitoires pour les injustices et les discriminations du passé, tout en rejetant les inclinaisons revanchardes.


Des relations apaisées dans l’égalité des peuples

Une fois acquis, les droits constitutionnels établiraient l’autonomie interne des Canadiens-Français et Acadiens à l’intérieur du Canada. Ils seraient assortis de la création d’institutions propres aux Canadiens-Français et Acadiens dans les domaines de l’éducation, y compris de l’éducation supérieure, de la culture et du patrimoine, de la langue, du tourisme et des relations internationales quand elles sont le prolongement des compétences déjà attribuées par la constitution.

À ce stade, il reste à définir le processus nécessaire pour définir les territoires à l’intérieur desquels s’exercerait l’autonomie interne à travers le Canada. Certains aspects de l’autonomie pourraient s’appliquer à tout le Canada, comme le bilinguisme des institutions fédérales, d’autres à des territoires où les Canadiens-Français forment une majorité sur un territoire continu (comme une partie du Nouveau-Brunswick, l’est de l’Ontario et la majeure partie du Québec). Finalement à des îlots plus ou moins importants dans toutes les provinces, là où une occupation historique du territoire et une présence continue des Canadiens-Français existent ou sont à rétablir.

Le projet d’autonomie interne des Canadiens-Français ne remet pas en cause la souveraineté du Canada. L’autonomie interne ne peut être perçue comme une menace à l’unité du Canada, tout comme les droits à l’autonomie interne des Premières Nations n’avaient pas pour but de menacer l’intégrité du Canada.

À combien peut-on estimer le nombre des Canadiens de souche qui se disent encore Canadiens-Français au Québec et ailleurs au Canada ? On n’en sait rien, mais l’important c’est qu’il y en a. L’auto-identification à notre peuple reprendra de plus belle quand elle sera encouragée par le progrès des actions et des procédures entamées. La publication d’une abondance de faits qui témoignent de l’existence continue de notre peuple, faits tirés des textes officiels ou non, culminera dans un redoutable plaidoyer, un stimulant à la réappropriation populaire de notre identité.

Dans un prochain document, nous traiterons davantage des éléments d’un dossier à charge contre le Canada et de ses politiques visant :

  • le démembrement : la division et la dissolution d’un peuple plus ancien dans des provinces administratives apparues dans un passé plus récent ;
  • la segmentation : deux statuts linguistiques pour un seul peuple minoritaire, deux statuts linguistiques qui érigent un système destructeur de lutte interne et perpétuelle d’une partie contre l’autre ;
  • et la réassignation identitaire, l’attribution d’une identité calquée sur les dimensions provinciales pour faire disparaître tout sentiment d’appartenance à une nationalité aux dimensions d’un continent, tout sentiment d’unité nationale et toute envie d’auto-identification aux Canadiens-Français.

Nous ajouterons aux énoncés qui précèdent; nous reviendrons sur la question des recours en droit à différents niveaux.

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Note :

Cet article a été publié d'abord ici : https://canadiens-francais.com/les-canadiens-francais-et-le-defi-de-la-continuite/

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  1. Éric Poirier, Le piège des langues officielles, Septentrion, 2022, 498 p. ↩︎
  2. L’École de Francfort est une école de pensée qui veut que la philosophie soit mise au service de la critique de l’ordre existant, pouvant conduire à sa destruction. Connue comme fondatrice de la philosophie sociale ou de la théorie critique. Sans être marxiste, elle retient de celui-ci « et de l’idéal d’émancipation des Lumières l’idée principale que la philosophie doit être utilisée comme critique sociale du capitalisme et non comme justification et légitimation de l’ordre existant, critique qui doit servir au transformisme. » https://fr.wikiquote.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort (en ligne le 10 avril 2025) ↩︎
  3. Libéralisme, progressisme, étatisme, critiques virulents de la société canadienne-française et de la société traditionnelle. ↩︎
  4. Le préambule de la loi 99 (2000) accorde à la communauté d’expression anglaise du Québec le statut de « communauté aux droits consacrés », ce qui lui donne un statut de supériorité unique par rapport au reste de la population. ↩︎
  5. On trouvera à cette adresse des détails sur Felix Salomon Cohen et ses engagements envers le multiculturalisme :
    https://gilles-verrier.blogspot.com/2021/10/les-liaisons-dangereuses-trudeauisme.html (en ligne le 10 avril 2025)
    Par ailleurs, et de manière un peu contre-intuitive, sa démarche qui combine le multiculturalisme et les droits ethniques des Premières Nations est antérieure à celle de Pierre Elliot Trudeau, dont il est un précurseur. « En 1939, Felix Cohen devint chef de l’Indian Law Survey, un projet visant à compiler les lois et traités fédéraux concernant les Amérindiens. L’ouvrage qui en résulta, publié en 1941 sous le titre The Handbook of Federal Indian Law, devint bien plus qu’une simple enquête. Ce manuel fut le premier à montrer comment des siècles de traités, de lois et de décisions divers formaient un tout. Aujourd’hui, Cohen est reconnu comme le créateur du droit indien fédéral moderne. » ↩︎
  6. [Le pari] « … que nous avons pris nous paraît absolument raisonnable. L’association de deux égaux que nous proposons, nous croyons qu’elle nous paraîtra bientôt acceptable au reste du pays. » (p.49) et « … pendant que cette majorité québécoise se dessinerait de plus en plus clairement, une évolution psychologique, pénible certes, mais tout de même inévitable se produirait forcément dans l’autre majorité. Évolution qui, au bout du compte, devrait nous permettre de nous retrouver sans trop de décalage à la même table. » (p.54) Option Québec, éd. de l’Homme, 6 janvier 1968, p 49 et 54 ↩︎
  7. « La commission d’enquête présidée par Jean Keable a tenté de faire la lumière sur cette affaire, mais a dû faire face à un véritable barrage d’opposition de la part du gouvernement fédéral. La commission fédérale du juge McDonald avait les moyens de pousser l’enquête très loin. Mais le chapitre 10, consacré à l’opération HAM, a été laissé en blanc sous prétexte que les poursuites engagées contre les policiers impliqués auraient pu en être affectées. Plus tard, ces policiers seront acquittés, le tribunal ayant estimé les “délais raisonnables” dépassés. » Tiré de Claude Morin et le Parti québécois, Pierre Dubuc, 20-05-2010 — cité dans https://gilles-verrier.blogspot.com/2019/11/chapitre-v-dubuc-sur-claude-morin.html (en ligne le 10 avril 2025) ↩︎
  8. « Par une de ces ironies dont l’Histoire est friande, l’idée du référendum me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral. » Claude Morin, Mes premiers ministres, Boréal (1991) p. 480 et suiv. ;
    v. aussi : https://gilles-verrier.blogspot.com/2024/10/des-origines-federales-du-referendum.html (en ligne le 10 avril 2025) ↩︎
  9. Op cit, iv ↩︎
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ing%C3%A9nierie_sociale_(science_politique) ↩︎
  11. Maurice SÉGUIN, « La Conquête et la vie économique des Canadiens », dans Action nationale, Vol. XXVIII, No 4 (décembre 1946) : 308-326 http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/encyclopedia/MauriceSeguin-LaConquete.html (en ligne le 10 avril 2025) ↩︎
  12. La reconnaissance s’accompagne de l’autonomie interne avec des droits, des protections et des institutions propres. L’étendue des pouvoirs réclamés sera traitée dans la deuxième partie de cet essai. Pour un examen plus détaillé du concept d’autonomie infra-étatique : https://droit.cairn.info/revue-civitas-europa-2017-1-page-255?lang=fr (en ligne le 10 avril 2025) ↩︎

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