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Laval théologique et philosophique - L’autodétermination des peuples comme principe juridique par Denis Gingras

 L'AUTODETERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE  Denis GlNGRAS  RÉSUMÉ : Le principe du droit des peuples à disposer d'eux...

mercredi 24 septembre 2025

Laval théologique et philosophique - L’autodétermination des peuples comme principe juridique par Denis Gingras

 L'AUTODETERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE 

Denis GlNGRAS 

RÉSUMÉ : Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a acquis depuis son inscription dans la Charte des Nations Unies, qui en a fait un principe fondamental du droit international, une dimension

juridique qu'il faut se garder de minimiser en invoquant sa nonapplication, l'interprétation restrictive que certains publicistes lui donnent ou l'absence d'une procédure spéciale assurant sa mise en œuvre. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, comme les droits de l'homme, est engagé dans un lent processus d'effectuation dont la validité et le caractère impératif ont leur fondement dans la conscience internationale. 

SUMMARY : The principle of the right of people to dispose of themselves has acquired, since its inscription into the United Nations Charter, which transformed it into a fundamental principle of international law, a juridical dimension which it would be a mistake to belittle by invoking the numerous exceptions that were arbitrarily imposed on it and the absence of a special procedure ensuring its application. The right of people and the rights of man, because they go against established situations, have not yet been systematized, but they retain, thanks to the recognition of their importance by international conscience, their validity and their imperative character.

Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1997 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 23 sept. 2025 18:55 Laval théologique et philosophique L’autodétermination des peuples comme principe juridique Denis Gingras Volume 53, numéro 2, juin 1997 Regards pluriels sur Marie de l’Incarnation URI : https://id.erudit.org/iderudit/401080ar DOI : https://doi.org/10.7202/401080ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Gingras, D. (1997). L’autodétermination des peuples comme principe juridique. Laval théologique et philosophque, 53(2), 365–375. https://doi.org/10.7202/401080ar Laval théologique et philosophique, 53, 2 (juin 1997) : 365-375 

L'AUTODETERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE 

Denis GlNGRAS 

Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a des racines libérales et démocratiques. 

(NOTE : Cette assertion de base est un point de départ limité qui demanderait à être explicité ou à tout le moins devrait faire l'objet de multiples nuances  :

GV

1- L'Union soviétique a octroyé l'autonomie interne à nombre de peuples d''Asie centrale qui n'avaient jamais existés sous forme de pays de plein droit, bien avant que la Frace n'accorde l'indépendance à l'Algérie. L'URSS ne peut que rentrer partiellement dans la catégorie des pays aux racines libérales et démocratiques. Il reste que Lénine et Staline ont écrit amplement sur le droit à l'autodétermination des peuples et ont permis l'émergence de pays qui n'existaient pas avant, ils auraient pu juger qu'ils n'avaient pas les moyens d'être indépendants mais ne le feront pas 

 De plus, nombre de territoires libérées pr les États-Unis à la faveur de la guerre 1939-1945 n'ont pas conduit à des indépendnces mais à des formes de protectorat sous contrôle militaire (présence de bases sur place ou à proximité, tels OKINANAWA, GUAM, LES ÏLES VIERGES, Diego Garcia, etc sont devenus des vecteurs de l'expansionnisme - impérialisme américain) Non seulement il exclut pour un peuple toute forme de cession et d'annexion forcées, mais il établit un lien entre son consentement et la structure étatique dans laquelle il doit se développer et trouver son bien. De l'autre côté, l'aprè guerre n'a pas conduit les colonies européennes à se séparer sans que des luttes parfois prolongées et sanglantes ne s'étedent sur plusieurs années Pour citer quelques cas ; l'algérie et le Vietnam (France), So Tome et Principe / Angola / Mozambique / (Le Portugal); les protectorats franco-britanniques du Liban, de la Srie et de la Zone du Canal; le bäclage de la résoution de la question palestinienne par le Royaume unie et ainsi de suite

Voir notamment l'érudite Hélène Carrère D'Encausse sur la question  https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1971_num_21_2_418048 

Ce principe est consacré d'une manière expresse dans la Charte des Nations Unies. L'article premier stipule que l'un des buts de l'O.N.U. est de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et de prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix dans le monde ». D'autres textes font également mention du droit des peuples à disposer d'euxmêmes. Dans l'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, il est stipulé que : Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies1 . Pour la plupart des théoriciens, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes comporte le droit à l'autodétermination interne (le droit d'obtenir le statut de son choix à l'intérieur d'un pays) et le droit à l'autodétermination externe (le droit à l'indépendance) qui « reconnaît à une population la possibilité de se séparer d'un État, soit pour s'ériger en Etat indépendant, ce qui entraîne comme conséquence inévitable la sécession2 ». « Tout ce qui se dit ou s'écrit depuis le dix-neuvième siècle sur le droit des peuples non constitués en États à disposer d'eux-mêmes », souligne Jean-François Guilhaudis (Maître de Conférences agrégé de droit public à l'Université des Sciences Sociales de Grenoble), « est entièrement dominé par la question de la sécession ». En conséquence, il estime qu'on « ne peut valablement entreprendre l'étude du droit des "peuples" de "déterminer librement leur statut politique" qu'en partant de l'hypothèse de la sécession », de l'indépendance et qu'en mettant en évidence, au préalable, les données principales de ce problème3 . L'issue qu'est la sécession amène certains auteurs à imposer des limites au droit des peuples à l'autodétermination : 

1. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, art. 1. Il faut noter que ledit Pacte est en vigueur depuis le 23 mars 1976 et que le Canada fait partie des États contractants. Voir à ce sujet le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans la cause : Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, p.646 (J. la Forest). Signalons également que l'article premier du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels se réfère aussi au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. 

2. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, 1973, p. 187. Dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, on peut notamment lire : « La création d'un État souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même. » Cf. Le développement historique et actuel du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sur la base de la Charte des Nations Unies et des autres instruments adoptés par les organes des Nations Unies, eu égard en particulier à la promotion et à la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, New York, Nations Unies, Distr. Générale E/CN.4 Sub.2/404 (vol. II), 20 juillet 1978, p. 3.' 

3. Jean-François GUILHAUDIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1976, p. 30. 366 

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L'examen de la doctrine montre qu'il existe un courant important, parmi les auteurs, pour imposer des limites à l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le président Wilson y participe, qui déclarait dans son message du 11 février 1918 : «[...] toutes les aspirations nationales bien définies devront recevoir la satisfaction la plus complète qui puisse leur être accordée, sans introduire de nouveaux ou perpétuer d'anciens éléments de désordre ou d'antagonisme, susceptibles, avec le temps, de rompre la paix de l'Europe et, par conséquent, du monde [...]». Cela revient à prendre en considération et à opposer aux « peuples », aux « nationalités », les intérêts des États où ils se trouvent et ceux de la communauté internationale. Les « peuples » devront, si nécessaire, renoncer à l'indépendance et se contenter de ce que le président américain définissait comme étant le minimum des droits d'une nationalité : « une sauvegarde inviolable de l'existence, du culte et du développement social et industriel »4 . Le droit des peuples à l'autodétermination externe s'oppose à l'État, c'est-à-dire à son droit à l'unité tel que stipulé dans l'article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies5 . Cette opposition donne souvent lieu à des conflits de toutes sortes, car « dès que paraît le risque de dissidence, les passions s'exacerbent. Les uns voient poindre enfin un "avenir radieux de liberté", les autres s'agiter dans l'ombre le spectre du démembrement6 . » Le conflit entre la population qui désire se séparer et l'État qui veut à tout prix maintenir sa domination constitue en fait « le fond du problème de la sécession ». Il est manifestement difficile de concilier le droit de l'État à l'unité et à la conservation avec le droit d'une partie de sa population à la sécession, c'est-à-dire à l'exercice de son droit à la libre disposition. Dans la pratique jusqu'ici — chaque fois que fut soulevé le problème des tentatives séparatistes extra-coloniales — c'est le principe de l'unité de l'État qui a prévalu : Quand s'est posée la question de la sécession, la pratique internationale y a répondu avec un bel ensemble : les populations coloniales ont le droit de disposer d'elles-mêmes et d'accéder à l'indépendance, les autres ne l'ont pas7 . Peu de temps avant l'effondrement du Biafra, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Thant, déclarait : « L'O.N.U. ne peut accepter et n'acceptera jamais une sécession dans l'un de ses États membres8 . » Cela revient à dire que le droit des peuples à l'autodétermination externe est réservé au domaine de la décolonisation et que, sans le consentement de l'État dans lequel il se trouve, un peuple non colonial ne peut accéder à l'autodétermination externe. Ce point de vue, Jean-François Guilhaudis en fait la remarque, est l'objet de nombreuses critiques. Plusieurs auteurs estiment en effet que « reconnaître un droit à 

4. Ibid., p. 67-68. 

5. Selon cet article, « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État qui n'oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte [...]». Cet article concernant le domaine réservé des États « constitue l'ultime refuge de la souveraineté étatique », remarque avec raison S. Calogeropoulos-Stratis. 

6. Ibid., p. 30. 

7. Ibid., p. 33. 

8. Cf. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'autodétermination et à l'indépendance aux peuples coloniaux et refuser ce droit à toute population qui ne porte pas l'étiquette coloniale, constitue une contradiction

9 ». Malgré la disparité des situations, il y a un facteur commun qu'on ne saurait nier : l'accès à l'indépendance. Le professeur Calogeropoulos-Stratis va plus loin : il soutient que « l'acceptation de ce point de vue aura en théorie pour effet d'effacer pour toujours le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes malgré les dispositions de la Charte et en cas de conflit de sécession d'immobiliser l'O.N.U. et de rétrograder à la situation anarchique d'avant-guerre10». S. Calogeropoulos-Stratis condamne la réduction du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la libération des peuples coloniaux et il soutient, en invoquant l'origine révolutionnaire au droit des peuples, que, par cette limitation, le droit à l'autodétermination est « dénaturé de son sens classique » : Limiter le droit à la libre détermination uniquement à la libération coloniale, présumer la volonté des intéressés et déclarer qu'une fois l'indépendance acquise, rien ne peut être mis en cause, concernant le statut qui en résulte, est contraire à la conception du principe même du droit des peuples et à l'idée démocratique où prime la volonté des intéressés [...]. On introduit ainsi l'idée qu'une fois l'État constitué, celui-ci est le dépositaire et le garant de la libre disposition du peuple qu'il régit, ce qui amène à faire du droit des peuples un droit de l'État et non du peuple11 . Dans la pratique internationale, il faut le déplorer, le droit à l'autodétermination externe, bien qu'il soit « un principe juridiquement obligatoire qui jouit de l'universalité et qui constitue une règle générale de droit international12 », n'est pas toujours appliqué. De grands espoirs ont ainsi été trahis et le prestige des Nations Unies en a souffert. Jean-François Guilhaudis affirme que les Pactes internationaux — qui stipulent que « tous les peuples » ont le droit à l'autodétermination — ont pu entretenir de faux espoirs et ont laissé planer pour un temps « une certaine équivoque sur l'étendue que la communauté des nations entendait reconnaître au droit de sécession13 ». La pratique internationale, à travers les drames du Biafra, du Bengale et du Kurdistan, aurait refusé tout droit à l'indépendance aux peuples non coloniaux et il faudrait se résigner à cette limitation. En fait, comme le souligne pertinemment Guy Héraud, il ne faut guère compter, lorsqu'il est question de sécession, sur la bonne volonté des États qui sont par nature « des structures de force et de domination ». Même l'autodétermination interne, écritil, est rigoureusement marchandée dans tous les pays ; il n'est donc pas étonnant que 

9. Jean-François GUILHAUDIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 33 ; J. CHARPENTIER, Institutions internationales, 4e édition, Dalloz, 1972, p. 17. 

10. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 194. II.Ibid., p. 198. 

12. Aureliu CRISTECU, Le Droit à l'autodétermination. Développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations Unies, New York, Nations Unies, 1981, p. 21. 

13. Jean-François GUILHAUDIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 179-180. 368 L'AUTODÉTERMINATION DES PEUPLES COMME PRINCIPE JURIDIQUE cette « répugnance » à l'égard de l'autodétermination interne fasse « place à l'horreur dès qu'on évoque l'autodétermination externe », c'est-à-dire le droit de sécession

14 . Les États, disait ajuste titre le président du Parlement de la République et Canton du Jura, Roland Béguelin, en décembre 1979, ont le plus souvent un comportement identique à l'égard des populations qui manifestent le désir d'exercer leur droit à l'autodétermination : Les États, quels qu'ils soient, ont presque toujours la même attitude à l'égard des mouvements qui revendiquent un droit de libre disposition, lequel ne peut être appliqué, bien entendu, qu'en faveur de minorités nationales ou de groupes ethniques conscients de leur destin particulier et de leur identité. Ces États, qu'on a qualifiés de « monstres froids », sont habités par l'instinct de possession, parce qu'ils sont l'œuvre des hommes et qu'à ce titre, les institutions mêmes n'échappent pas à l'égoïsme. Aucun gouvernement ne consent volontiers à rogner ses prérogatives et encore moins à perdre un territoire15 . Par conséquent, les populations appartenant à un État déjà constitué peuvent difficilement revendiquer leur droit à la libre disposition ; ce qui, comme l'affirme le professeur Calogeropoulos-Stratis, « est contraire à la notion de droit des peuples » telle qu'elle apparaît dans la Charte des Nations Unies ainsi que dans les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme. Alors comment concilier le droit des États à l'unité et à la conservation et le droit des peuples à la libre disposition ? Peut-on surmonter l'antagonisme entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des États ? André N'Kolombua croit que oui : L'examen de la pratique internationale montre que l'antagonisme réel ou virtuel existant entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des États peut être surmonté, dépassé sur la base du rapport de forces entre le mouvement de libération d'un peuple et l'appareil d'État qui défend le maintien de l'intégrité territoriale et de l'unité nationale, c'est-à-dire sur la base de l'effectivité, soit au profit du mouvement de libération d'un peuple, situation assez rare eu égard à la pratique internationale, soit au profit de l'appareil d'État, situation la plus courante. La nouvelle synthèse provisoire qui en résulte permet de rétablir la complémentarité entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des États sur des bases nouvelles16 . Lorsqu'il s'agit de sécession, contrairement à la cession d'un territoire et de sa population, la volonté étatique ne rentre généralement pas en jeu, c'est-à-dire que ce n'est pas l'État qui prend l'initiative, mais une population appartenant à cet État qui 

14.Guy HÉRAUD, « Modèle pour une application générale du droit d'autodétermination», dans Le Droit à l'autodétermination (Actes du colloque international de Saint-Vincent), Paris, Presses d'Europe, 1979, p. 61-62. 

15. Roland BÉGUELIN, «La question jurassienne », dans Le Droit à l'autodétermination (Actes du colloque international de Saint-Vincent), p. 142. La France, qui admet pourtant dans sa constitution (art. 53) les « cession, échange ou adjonction de territoire », déclare dans son code pénal (art. 88) : « Quiconque, hors les cas prévus aux articles 86 et 87, aura entrepris, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou de soustraire à l'autorité de la France une partie des territoires sur lesquels cette autorité s'exerce sera puni d'un emprisonnement de un à dix ans et d'une amende de 3 000 F à 80 000 F. » 

16. André N'KOLOMBUA, « L'ambivalence des relations entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des États en droit international contemporain », dans Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Méthodes d'analyse du droit international, Paris, Éditions A. Pedone, 1984, p. 455-456. 

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demande à se séparer de celui-ci. Étant donné que le droit de sécession s'oppose à l'Etat, à son unité et à sa conservation, il y a presque toujours conflit entre le peuple revendiquant son droit à disposer de lui-même et l'État qui défend son intégrité territoriale. Dans le domaine du droit international contemporain, précise André N'Kolombua, il ne fait aucun doute « que la lutte menée par un peuple pour la réalisation de l'exercice de son droit à disposer de lui-même fait partie de la catégorie juridique des conflits internationaux. C'est à ce niveau de l'analyse juridique, dit-il, que se situe le problème de la relation entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes d'une part et les principes de non-recours à la menace ou l'emploi de la force dans les relations internationales et de non-intervention d'autre part17 . » L'article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies stipule que « les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Puisque le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est consacré par l'article 1 § 2 de la Charte et par l'article premier des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, les États doivent donc « s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre un peuple revendiquant l'exercice de son droit à disposer de lui-même18 ». Bien que la Charte interdise aux Nations Unies d'intervenir dans une question faisant partie du domaine réservé des États, cette règle ne s'applique pas lorsqu'il y a menace ou application de mesures coercitives. Ainsi, lo/11rsqu'un État a recours à la menace ou à la force — ce qui se produit généralement dans les cas de sécession — l'exception prévue dans l'article 2 § 7 de la Charte concernant le domaine réservé des États ne peut mettre en échec l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : L'article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies relatif aux affaires intérieures des États est inapplicable ici, puisque le recours à la menace ou à l'emploi de la force contre un peuple revendiquant l'exercice de son droit à disposer de lui-même est susceptible d'affecter le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ainsi, les relations entre un appareil d'État et le peuple qu'il gouverne sont régies par le droit international, s'agissant de l'exercice par ce peuple de son droit à disposer de lui-même, c'est-à-dire de faire prévaloir une norme de droit international le concernant. C'est cette tendance que l'on constate en ce qui concerne les droits et les libertés fondamentaux de l'homme19 . Lorsqu'un État signe une convention ou un pacte international relatif à la protection des droits de l'homme, ces derniers ne relèvent plus des affaires intérieures de cet État. En cas de violation des droits et libertés de la personne, tous les États signataires « ont le droit de faire respecter les normes de droit international ainsi violées en M. Ibid., p. 457. \ 8. Ibid. \9.Ibid., p. 458.  ». Dans ce cas, il n'y a pas ingérence dans les affaires intérieures, puisqu'il s'agit « de faire prévaloir le respect des normes de droit international20 ». La résolution 2625 de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies proclame qu'« en vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, principe consacré, par la Charte, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure [...] et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte ». Cette résolution, précise André N'Kolombua, fait mention de « l'obligation internationale de comportement des États, y compris l'État national vis-à-vis d'un peuple luttant pour la réalisation de l'exercice de son droit à disposer de lui-même ». Ici, il ne s'agit pas seulement d'une obligation négative de non-ingérence envers le peuple qui désire exercer son droit à la libre disposition, il s'agit également d'« une obligation positive d'assistance » comme le proclame la résolution 2625 : « Tout État a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres États ou séparément, la réalisation du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes conformément aux dispositions de la Charte, et d'aider l'Organisation des Nations Unies à s'acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l'application de ce principe21 . » Quant à savoir si le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se limite à la libération des peuples coloniaux, il n'y a rien dans l'expression « tous les peuples » qui laisse entendre que ce droit s'adresse exclusivement à une population déterminée. Le terme « peuple » n'admet aucune exception ; il englobe « les populations de tous les pays, de tous les territoires dépendants, non autonomes ou sous tutelle22 ». Par conséquent, le droit à la libre disposition concerne « tous les peuples qu'ils soient déjà constitués ou non en État indépendant23 ». La signification du mot « peuple » est plus large que celle du mot « nation », bien que les deux expressions soient parfois utilisées conjointement. Il ne faut pas cependant confondre le « principe des peuples » et le principe beaucoup plus complexe et restrictif des « nationalités ». La décolonisation était certes l'un des principaux objectifs des Nations Unies, mais écrit à ce sujet Jean-François Guilhaudis : « L'analyse, la mesure des désirs des "peuples" coloniaux ont été supplantées par une évidence idéologique — "le désir 

20. Ibid. 

21. L'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques réaffirme cette obligation : « Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. » 

22. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 25. 23. André N'KOLOMBUA, « L'ambivalence des relations... », p. 458. 

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passionné de liberté de tous les peuples dépendants"

24 . » L'accession à l'indépendance est devenue la seule autodétermination "authentique". Dans la Préface qu'il a rédigée pour l'ouvrage de S. Calogeropoulos-Stratis, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, René Cassin, Prix Nobel de la Paix et rédacteur du Préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, loue le théoricien hellénique de son intérêt pour « les différentes expressions sur le champ d'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » et pour « les nombreux cas d'applications concrètes fournis par la pratique internationale contemporaine », sans omettre les cas où ce droit a été contesté : ceux de Chypre, du SudOuest africain, de l'Apartheid, des territoires portugais, etc.

25 Il considère que dans la guerre du Viêt-nam, ce qui était en jeu, c'est de savoir si les populations du Sud avaient « titre et vocation » à garder une entité distincte dans l'ensemble du peuple vietnamien, indépendance ou autonomie. À son avis, S. Calogeropoulos-Stratis a bien fait de réserver une place aux objections soulevées contre l'application systématique du droit des peuples à l'autodétermination externe. Mis à part le problème des décolonisations, et sans verser une larme sur l'effondrement des empires, on peut penser légitimement que plusieurs situations conflictuelles pourraient se résoudre par le passage d'une structure centralisée à une forme de fédéralisme souple et que certaines aspirations très légitimes devraient être mises en veilleuse dans l'intérêt de la paix internationale, du moins lorsqu'il n'y a pas oppression ou comportements racistes. Mais il se déclare favorable à l'application libérale des droits des peuples à l'autodétermination externe : « Ni l'Europe, ni la France n'ont eu à regretter qu'en 1830, l'indépendance de la Belgique ait été préférée à un rattachement à notre pays pourtant souhaité », déclare-t-il finement 

26 . ???????? GV René Cassin souligne que S. Calogeropoulos-Stratis a eu raison de « mettre à part le problème des décolonisations qui ne prête pas aux mêmes difficultés juridiques que les autres cas » et il déclare sans ambages que le théoricien hellénique « paraît également fondé à reconnaître la compétence des organes de l'O.N.U. face à l'objection tirée du domaine réservé aux États par l'article 2 § 7 de la Charte »

27 . Il rejette ainsi la prétention des États existants à vouloir trancher par le biais de leur constitution les problèmes reliés à l'autodétermination d'un peuple que les hasards de l'histoire ont placé sous leur domination. Pour René Cassin, le sens large que revêt l'expression « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes » ne pose en fait qu'un seul problème : « c'est celui de l'inconvénient de la multiplication d'États nouveaux de dimensions et de population trop exiguës pour constituer de véritables entités indépendantes, donc jouissant 

24. Jean-François GuiLHAUDis, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 70-71. 

25. René CASSIN, «Préface», dans S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'euxmêmes, p. 8. Le Prix Nobel de la Paix fut remis à René Cassin le 10 décembre 1968. En 1969, René Cassin inaugurait l'Institut International des Droits de l'Homme qui porte le nom de « Fondation René Cassin ». 

26. Ibid., p. 9. 21. Ibid.

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d'une sécurité suffisante face à des entreprises prolongées ou à des crises subites dans le secteur de la terre où ils sont établis28 ». En d'autres termes, les peuples accédant à la souveraineté doivent être en mesure de la conserver de façon à ne pas être entraînés dans des conflits qui leur sont étrangers et à ne pas être menacés par des disruptions passagères. La multiplication éventuelle d'États nouveaux de dimensions et de population trop restreintes peut comporter un problème majeur au niveau de l'équilibre de la représentation dans les organismes internationaux : Déjà on aperçoit les inconvénients de cette multiplication dans le sein des Nations Unies. L'égalité de droit des États confère à chacun un droit de vote égal ; on a déjà vu le cas où des coalitions d'États faiblement peuplés et irresponsables ont entraîné des votes fortement majoritaires, mais dénués d'autorité réelle et inexécutables29 . La présence d'un trop grand nombre d'unités étatiques minuscules provoque inévitablement un déséquilibre au sein de la communauté internationale. C'est pourquoi, écrit René Cassin, les Nations Unies devront tôt ou tard prendre certaines mesures — « par exemple créer une deuxième assemblée générale avec droit de vote pondéré et non plus égalitaire » — afin de ne pas porter préjudice, dans l'intérêt de la société internationale, à « ce qu'il y a de légitime dans le principe du droit des peuples »30 . Les théoriciens qui rejettent le droit à la sécession renvoient aussi au Rapport de la Commission des Rapporteurs du 16 avril 1921 (Conseil de la Ligue des Nations, 28), c'est-à-dire au rôle compensateur qu'on donnait alors au principe du droit des peuples à l'autodétermination externe31 présenté comme une règle d'exception pour remédier à des abus. Mais S. Calogeropoulos-Stratis tire au contraire parti de cette concession en mettant en valeur le progrès réalisé dans l'affirmation de ce droit depuis : « Si cela a été vrai dans la pratique d'avant-guerre, de nos jours cette conception fait partie de la légalité internationale, une fois que les droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont garantis par le droit positif de l'Organisation de l'O.N.U. qui reconnaît à ses organes la compétence pour faire respecter et appliquer ces droits32 . » Il admet toutefois que le droit des peuples à disposer d'euxmêmes doit être envisagé comme une solution extrême et si le conflit entre l'État et une partie de la population obéit à certaines conditions qui doivent être déclarées plausibles par les organes compétents33 . Nous sommes donc en présence de deux thèses apparemment opposées, mais en réalité complémentaires. Pour Jean-François Guilhaudis, « le problème de la sécession reste entier34 ». Le droit des peuples à s'autodéterminer et à accéder à la souve-

28.lbid. 

29. Ibid. 

30. Ibid. 

31. Antonio CASSERE, Self-Determination of Peoples, Cambridge University Press, 1995, p. 122-123. 

32. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 192. 33. Ibid. 34. Jean-François GUILHAUDIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 87. 

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raineté se serait dissous dans l'aventure des décolonisations au détriment « de vraies revendications nationales ». La sécession échapperait encore complètement au droit : «En 1976, il n'existe donc pas de réglementation véritable du droit de sécession. Lorsqu'on ajoute à ce défaut essentiel le peu de cas qui est fait, en réalité, de la volonté populaire reconnue cependant comme souveraine, force est, même, de reconnaître que le droit des peuples de "déterminer leur statut politique", tel que le conçoit maintenant la famille des nations, est, dans une large mesure, une caricature du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et que la boutade bien connue — "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est le droit de disposer des peuples" — comporte une part de vérité. » Il insiste longuement et avec raison sur les nombreux cas de peuples « sacrifiés »35 . Il faut lutter pour que le principe juridique du droit des peuples à l'autodétermination externe soit appliqué comme nous devons encore lutter pour que les droits de l'homme soient respectés à l'échelle internationale36 . JeanFrançois Guilhaudis admet pourtant que la pratique internationale moderne, malgré ses graves insuffisances, « a eu le mérite de rendre le monde sensible aux excès du colonialisme et d'aider quelques nations à acquérir la liberté37 ». René Cassin est plus optimiste. Il fait remarquer que le principe des peuples, bien qu'il ne figure pas dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, a acquis par son insertion en tête des deux Pactes des Droits de l'homme, « un caractère nettement juridique », alors qu'il était auparavant un principe uniquement politique «consacrant une liberté d'ordre essentiellement collectif» qu'on pouvait être tenté d'opposer aux droits de l'homme38 . Le caractère juridique du principe des peuples est maintenant fermement établi, même si la pratique internationale retarde à le mettre en œuvre. Mais René Cassin se réjouit que ce principe soit de plus en plus souvent invoqué dans les négociations internationales et que la pratique internationale contemporaine en fournisse de « nombreux cas d'applications concrètes ». Il rappelle que la création de l'Organisation des Nations Unies et par la suite « l'admission de plus de soixante États nouvellement indépendants dans les différentes institutions internationales » sont fondées sur le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » et il nous invite à compter, par delà les insuffisances du droit positif actuel « sur les prolongements politiques et juridiques capitaux de l'application libérale du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Dans son traité Self-Determination of Peoples, Antonio Cassere prétend à propos du Québec que, malgré l'absence de règles internationales décisives, le principe international de l'autodétermination des peuples a une telle envergure qu'il peut em

35. Ibid. 

36. « Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'a donc pas triomphé, il n'est pas devenu, comme incite à le croire l'approbation universelle dont il est l'objet, le grand principe qui préside aux relations entre les peuples, mais paraît destiné à demeurer longtemps encore, un principe de revendication, un principe de lutte » (ibid., p. 220). Il ne faut pas oublier que le droit des peuples et les droits de l'homme ont acquis la dignité de « normes internationales » grâce à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration Universelle des droits de l'homme. 

37. Ibid., p. 87. 

38.René CASSIN, «Préface», dans S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, p. 8. 

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brasser des zones qui, à première vue, échappent à toute régulation légale internationale. Selon lui, il y a grand espoir que l'association des effets utiles du principe légal de l'autodétermination des peuples et de la sagesse des hommes d'État impliqués « conduise à des solutions viables et pacifiques39 ». S. Calogeropoulos-Stratis, pour sa part, incite les organes compétents de l'O.N.U. à adopter « une procédure spéciale visant au respect du droit des peuples » de manière à empêcher que ce respect glisse « du domaine juridique au domaine politique » et se réduise à un simple jeu des forces en présence : « C'est pour cela que l'institution de procédures adéquates, d'une part, et la soumission volontaire de tous les États à ce principe, d'autre part, peuvent avoir pour effet de bannir la violence et de faire fonctionner pour l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, un contentieux pacifique universellement accepté40 . » 

39. Antonio CASSERE, Self-Determination of Peoples, p. 256. 

40. S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Avant-propos, p. 14. 375 

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