Les référendums de 1980 et de 1995 sont fondés sur le même paradigme, la question, l'atmosphère, les résultats et les blocages qui en découlent sont en gros les mêmes, même si une analyse des résultats montre certaines différences.
Si on met entre parenthèses les peuples autochtones, la stratégie référendaire a révélé avec beaucoup d'éclat l'existence de deux peuples distincts au Québec. Une formule politique qui rapprocherait les deux peuples qui vivent sur un même territoire s'est montrée impraticable dans le cadre référendaire. Les anglophones s'identifient massivement à Ottawa et au Canada anglais. Le statu quo leur convient. Ils n'entendent pas réduire l'importance de leurs liens avec le Canada. Par conséquent, ils sont opposés à tout projet qui réduirait la prépondérance d'Ottawa sur le Québec. Ils veulent bien se dire Québécois, mais Canadians d'abord. La stabilité de leur point de vue est à prendre en compte parce qu'elle est légitime. En revanche, leur patriotisme résolument tourné vers Ottawa fait d'eux une portion du peuple Canadien anglais.
Il faut donc ne plus leur poser la question. Leur réponse est claire. Il faut plutôt se tourner vers le reste de la population pour lui demander de s'exprimer en faveur d'un statut politique différent, un statut qui prendrait en compte ses propres intérêts. Un référendum admissible à ceux qui se disent Québécois d'abord. Deux peuples, deux statuts, deux politiques !
Malheureusement, nous le constatons, ceux qui se disent "Québécois francophones" ressentent un profond malaise avec leur propre origine, d'où ce manque de confiance en eux qui les porte à ne pas vouloir agir - pour eux-mêmes - sans l'appui des anglophones. C'est ce que révèle le mythe d'une nation québécoise. Et, après tout, le référendum perdant c'est rassurant quelque part, il justifie qu’un gouvernement indécis manque d'envergure, qu’il manque d’initiative quand vient le temps d'agir énergiquement en faveur de son propre peuple. Le "oui" à 60 % des francophones n’a donc jamais compté pour rien. C'est là toute l'utilité de maintenir le mythe de la nation québécoise : paralyser à jamais les demandeurs d'un statut renforcé pour le peuple des héritiers du Canada, peuple issu de la province de France du même nom.
Ce déficit d’affirmation est un réflexe que l'on retrouve chez les populations longtemps subordonnées dans tous les domaines. Elles éprouvent beaucoup de difficultés à se connecter sereinement à leurs origines sans se tordre dans un malaise irrépressible. Ce phénomène de rejet de soi a été étudié notamment par Albert Memmi, qui a écrit de bons passages sur le conditionnement mental des peuples colonisés. Ici, on répugne à se dire les continuateurs des Canadiens-Français, les continuateurs des Français de la province de France du Canada, grandis de ceux qui se sont joints à eux en cours de route.
La vérité historique irrite les néonationalistes du Parti québécois et autres partis du même acabit parce que leur projet de nouveau statut pour le Québec a pour assise la formation d'un nouveau peuple, un seul peuple. Ce peuple qui n'existe que dans un certain imaginaire collectif se doit de comprendre tous les Québécois. Un dévoiement de ce qu'on appelle faussement l'inclusion. Ainsi, nos vrais compatriotes seraient Laurence Bergman et Robert Libman, et non Gabrielle Roy (Manitoba), Jean-François Breau (Hamilton, Ont) ou Gisèle Lalonde (Vanier, Ont.). Il faudrait bien réaliser que ce n'est pas le territoire qui décide de l'appartenance à un peuple, ça, c'est l'identité civique. En revanche, différentes appartenances peuvent coexister au sein d'un même pays. C'est ce que nous apprenons quand nous regardons les diverses constitutions écrites dans le monde qui reconnaissent plusieurs peuples. Le Canada a commencé à le faire avec les Premières Nations. C'est un pas dans la bonne direction. L'étape suivante serait de reconnaître le peuple canadien-français et acadien. Il est donc impératif que les Canadiens-Français se réclament de leur identité historique. Sur ce point, si les Acadiens ont une longueur d'avance, c'est peut-être parce qu'ils n'ont jamais eu l'illusion de compter pour une majorité.