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samedi 6 juin 2020

Le modèle de "déconfliction" du PQ a formé deux générations de timorés

Je serai l'invité de Céline Lebel lundi soir 8 juin, 19h30 à Radio InfoCité. Bienvenue à tous. 

Je répondrai aux questions sur mon désaccord avec la position de Frédéric Bastien (et Mathieu Bock-Coté !) qui affirme que P E Trudeau a trahi des promesses qu'il avait faites à la veille du
référendum de 1980. Ma réfutation est simple. Trudeau ne pouvait pas nous trahir car trahir c'est passer à l'ennemi, pour le faire il aurait d'abord fallu qu'il soit dans notre camp. Associer Trudeau à la trahison ne permet pas de saisir correctement le personnage. Si le mot est mal choisi, il permet en revanche de justifier l'analyse d'un Parti québécois victime des "méchants fédéralistes".

Rappelons à ceux qui ont la mémoire courte que l'idée de Trudeau contre le nationalisme canadien-français était déjà faite en 1956, année de publication de "La grève de l'amiante". Ses positions seront ensuite réitérées dans "La nouvelle trahison des clercs", en 1962, article dans lequel il détaille sa doctrine d'opposition à tout nationalisme, à l'encontre duquel il défend un multiculturalisme mondialiste. Arrivé en politique en 1964, Trudeau restera fidèle à lui-même. 

Puisque la trahison ne colle pas, comment faudrait-il qualifier l'intervention référendaire de Trudeau qui visait à se rallier les indécis ? Il s'est servi de la ruse, comme le renard de la fable s'adressant au corbeau pour que tombe le fromage. Trudeau fera une promesse solennelle, celle de modifier la constitution. Mais il ajoutera que ce n'était pas que lui qui s'y engageait mais les 75 députés du Québec et les premiers ministres des 9 autres provinces. Ce qui ne pouvait qu'inquiéter quant à la nature des changements à venir. Il tiendra promesse puisque la constitution sera modifiée telle qu'annoncée avec l'accord de ceux qu'il avait mentionnés.

Sur la souveraineté-association, Trudeau exposa le cul de sac du projet. Il soulignera qu'en cas de oui, M. Lévesque n'avait personne avec qui s'associer, ce qui laisserait la souveraineté en rade étant donné qu'un oui majoritaire n'y donnait pas le feu vert. Ce à quoi Lévesque répondit que Trudeau faisait de la politique fiction car il n'avait pas la crédibilité pour renouveler le fédéralisme. Simultanément, Lévesque proposa un référendum dans chaque province canadienne, se disant assuré que le oui des provinces prouverait leur volonté de négocier avec Québec. Il demanda aussi des explications à Trudeau sur la teneur des changements proposés, mais il torpillera aussitôt sa demande en s'engageant, le même jour, à participer à des négociations sur le fédéralisme renouvelé en cas de non, quitte à le faire "à genoux", précisant qu'il s'agissait d'un "devoir d'état", même si cela se limitait à "zigonner ce que je peux". Lévesque s'étant privé de levier pour exiger des explications, Trudeau profita pleinement de l'aubaine. 

Mais Frédéric Bastien retient du discours du 14 novembre 1980 qu'il s'agissait d'une déclaration 
« ...entendue par presque tout le monde comme une ouverture à ce qu’on a appelé les demandes traditionnelles du Québec, c’est-à-dire des revendications exigeant plus de pouvoirs et une reconnaissance du peuple québécois en tant que nation. » 
Même René Lévesque ne pensait pas ça. Lévesque parlait de mépris, de fausses promesses, d'attitude non démocratique. Mais Bastien se sert néanmoins de cette interprétation pour "prouver" que Trudeau a trahi ses promesses ! Il est vrai qu'il y a moins de déshonneur à se dire victime d'une trahison qu'à se faire duper naïvement ou, pire, de collaborer de plain pied dans les stratagèmes du pire adversaire que les intérêts nationaux du Québec ont connu. Comme, par exemple, accepter de négocier à genoux avant même que le résultat du référendum ne soit connu ! La fable de la trahison sera donc promue pour sauver la face, comme une commodité pour préserver l'image de politiciens qui n'avaient ni la clarté ni la détermination ni la pugnacité de Trudeau. 

La prochaine question arrive naturellement. Pourquoi René Lévesque s'est-il laissé duper, pourquoi a-t-il accepté de jouer les figurants dans le jeu de Trudeau ? Si on met de coté les calculs bassement électoralistes, si on cherche plus en profondeur, la réponse apparaît inscrite dans la doctrine de Lévesque elle-même. Il suffit de lire Option Québec pour s'apercevoir que le projet de René Lévesque tablait sur une entente cordiale avec le Canada, la souveraineté-association. En vertu de cette doctrine, il ne fallait pas forcer le jeu, même si Trudeau ne s'en priverait pas, mais convaincre le Canada tout entier du bien fondé des revendications du Québec. Pour le PQ, la question nationale devait évoluer vers un partenariat mutuellement avantageux et mutuellement consenti. Une idée certes fort généreuse, qui renvoyait la balle au Canada anglais, mais une idée irrémédiablement plombée par l'exclusion d'une épreuve de force disputée dans les règles de l'art, avec tout ce qu'il peut y avoir de robustesse et de brutalité en politique, ceci n'avait même pas valeur d'un plan B. Claude Morin se révélera le principal gardien de la nouvelle orthodoxie, celle d'une "déconfliction" impérative de la question nationale. 

Face au discours de Trudeau, Lévesque, enfermé dans le paradoxe de la souveraineté-association, n'avait pas le dispositif doctrinal pour résister. L'avenir était prévisible. Des négociations constitutionnelles se tiendront l'année suivante au terme desquelles le Québec se fera humilier. Les zigonneux rentreront à Québec bredouilles pour sonner l'hallali, pour décourager ensuite toute mobilisation populaire une fois l'appel entendu. 

Aujourd'hui, il semble bien que tous les candidats à la chefferie du PQ se sont donnés la main pour continuer de mystifier les années péquistes, qu'il refusent de prendre pour ce qu'elles sont : un lamentable échec basé sur un irréalisme politique d'enfants d'école. Derrière ce travail d'embellissement de l'histoire loge une sorte d'ensorcellement du colonisé pris dans les arcanes de la propagande coloniale. Il persiste une volonté naïve chez les souverainistes de croire que le Canada est un pays démocratique dans sa constitution, qu'il ne cherche pas, mû par un suprémacisme anglo-saxon qui passerait inaperçu, à faire disparaître de l'histoire la nation canadienne-française, fondatrice du vrai et premier Canada. Après une minorisation sur l'ensemble du territoire vers 1840, notre mise en minorité au Québec même pointe à l'horizon de 2035. Si rien ne bouge, elle se fera dans l'indifférence et la satisfaction contenu du Canada et du Québec anglo-saxons. Les deux. Car nos compatriotes québécois, mais pas Canadiens-Français, ne manqueront pas de s'en réjouir.  

En 1968, René Lévesque avait hérité d'un mouvement indépendantiste-autonomiste en pleine croissance et prêt à se battre. Il est vrai que ce mouvement avait été créé par d'autres, avant lui, et, jusqu'à un certain point, en dépit de lui. Ce mouvement portait en lui une mission d'émancipation politique. Les résultats de l'œuvre sont ce que nous récoltons aujourd'hui : le Parti québécois formera par son modèle de "déconfliction", deux générations de timorés face à la puissance anglo-saxonne. "Trudeau a trahi" et "le peuple s'est dit non à lui-même" sont les deux mamelles de l'imposture péquiste. De un, comme nous l'avons vu, Trudeau n'a pas trahi et, de deux, il n'y a pas de mauvais peuple, il n'y a que de mauvais chefs. 

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