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lundi 30 mai 2022

Canada et Ukraine - Un même refus de reconnaître la diversité nationale

[Dernière m-à-j le 31 mai 2022, 11:47]
Le statut de la nation canadienne-française est celui d'une nation française en Amérique ( Conseil souverain - constitution de 1663 )
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On peut rappeler avec raison que le statut de 1663 constitue un fondement primitif de la nation canadienne-française, mais ceci n'a pas été un élément central de notre tradition politique.
Notre tradition se situe ailleurs. Elle se trouve dans la réclamation d'un fédéralisme des nations, en opposition à un fédéralisme centralisé trônant sur des provinces administratives sans égards aux réalités nationales. Cette tension entre les deux fédéralismes était au centre des débats parlementaires de 1865 sur la Confédération, qui n’a pas tranché la question. Des réclamations seront exprimées tout au long du XXe siècle, par les chefs politiques canadiens-français, comme le démontre l'étude de Richard Arès sur le sens de la Confédération*. Par les témoignages des acteurs de l'époque, Arès fait ressortir ce qu'on a appelé les deux solitudes. S'agissait-il d'un pacte ou d'une loi ? Un compromis sociologique ou un cadre juridique ? 
Les projets formulés par Daniel Johnson (Égalité ou indépendance) et de René Lévesque (Souveraineté-association) allaient dans le sens d’une correction du malentendu historique par l’affirmation d’un fédéralisme des nations. Toute réforme constitutionnelle de cette nature aurait obtenu l'appui écrasant des Canadiens-Français, comme on a pu le voir plus tard avec les Accords du lac Meech. C'est sur une telle volonté de reconnaissance nationale, pourvue de droits et d’autonomie, qu’ont toujours porté nos revendications constitutionnelles. En dépit de leur caractère des plus raisonnable, les revendications canadiennes-françaises ont toujours été rejetées.



Même si les comparaisons ont leur limite, notre situation est comparable à celle de l'Ukraine post-Maïdan, où les anglo-saxons, qui dominent l’OTAN, ont refusé là aussi que s'impose un fédéralisme des nations après le coup d'État de 2014. De même, la russophobie et la francophobie, instillées par l’OTAN ou par Ottawa, ne sont pas sans parenté. Les Accords de Minsk et de Minsk II, contenaient une formule de fédéralisme équitable. Ils prévoyaient la reconnaissance de la diversité ethnique historique de l'Ukraine, dont son élément russophone, dans une nouvelle constitution. Les Anglo-saxons à la manœuvre en ont empêché l'application. Ils ont empêché la même chose ici, au Canada, dans des circonstances différentes, mais le résultat est le même. Ils sont hégémoniques et les élites ne cachent pas vouloir façonner le monde à leur façon.

Le Canada de 1865 était mûr pour un fédéralisme des nations. Les Canadiens-Français croyaient massivement que le pays devait évoluer dans cette direction, comme en fait largement état Arthur I. Silver (The French Canadian Idea of the Confederation, chap. 3**) dans une étude de l’opinion publique de l’époque. 

Au Canada, le recul de la position constitutionnelle des Canadiens-Français s’est manifesté de façon dramatique par la négligence des chefs politiques à relayer leur fameux projet de souveraineté-association (sans même parler de le défendre !) à la table de négociation. Le front commun des provinces contre Ottawa de 1981, en lieu et place d’un front commun des Canadiens-Français contre Ottawa, préconisé par les États généraux du Canada-Français de 1967-69, était un aveu du Québec qu’on avait  accepté, dans les formes, que le Canada fût constitué d’un ensemble de provinces égales (sans dimension nationale), réunies pour la représentation de leur intérêt face à Ottawa. L’Accord du lac Meech, qui réintroduisait un fédéralisme asymétrique, représente quelques années plus tard une tentative honorable de corriger modestement la situation.



À l’intérieur même du Québec, les bases d'un fédéralisme des nations ont été jetées avec la loi 99 (2000), qui reconnaît la diversité nationale québécoise, mais sans les Canadiens-Français, qui manquent à l'appel pour le moment, alors que les anglo-québécois y sont maladroitement nommés.
La Loi 99 a sonné le glas d'une nation unitaire au Québec. La nation plurinationale décrite par Joseph Facal dans cette loi du gouvernement de Lucien Bouchard, une fois corrigé l’oubli des Canadiens-Français, déboucherait sur une formule de fédéralisme des nations et non sur une nation unitaire. C'est d'ailleurs la seule formule qui, aujourd'hui, serait acceptable par les Anglos et les Autochtones, la seule formule qui pourrait émerger à l'issue de négociations.

Reconnaissons que malgré le mal qu'on en dit, surtout quand il est question des Canadiens-Français, le Canada et le Québec ne sont pas réfractaires à l'existence des nations ethniques, même rigoureusement ethniques, comme dans le cas des nations autochtones. Sans magnifier l'aspect ethnique (socioculturel et historique), il faut élargir ce type de reconnaissance aux Canadiens-Français, dont la perméabilité aux apports extérieurs a été largement démontrée. Ils doivent détenir des garanties dans l’exercice de leurs droits nationaux.

Ce n’est pas la presse de grand chemin qui en fait état, mais un exemple notable de fédéralisme des nations se trouve dans la République fédérative de Russie. Il s’agit d’un fédéralisme des nations ethniques qui jouissent de différents niveaux de reconnaissance constitutionnelle dépendant de leur importance démographique. Une tradition dans le traitement équitable des minorités remonte à l'empire russe. Elle n’a pas été effacée par 70 ans d’Union soviétique. 
Avec le déclin de l'hégémonie anglo-saxonne, on peut espérer que de nouvelles perspectives apparaîtront en vue d'une reconnaissance pacifique et ordonnée des nations minoritaires. Dans l’avenir, toutes les nations qui revendiquent des droits ne formeront pas un pays indépendant. La formule fédérative, qui a fait ses preuves quand elle respecte et reconnaît ses entités constituantes, sera vraisemblablement la plus courante. L’exemple récent de l’Ukraine nous apprend toutefois que le refus d’un véritable fédéralisme par Kiev, qui avait pourtant apposé sa signature aux Accords de Minsk, a conduit à la sécession des provinces russophones. Au Canada, il est bon de le rappeler, c’est au moment de l’échec de Meech, au moment du rejet d’une modeste percée d’un fédéralisme des nations, au moment où l’indignation était à son comble que la sécession du Québec aurait pu le plus facilement l’emporter.
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* Dossier sur le pacte fédératif de 1867 (La Confédération : pacte ou loi), Richard Arès, s.j., Bellarmin, 1967, 264 p.
** La Confédération et les droits des minorités, in The French Canadian idea of the Confederation 1864-1900, ch. 3, A. I. Silver, Université de Toronto, 2e éd., https://gilles-verrier.blogspot.com/2020/11/la-confederation-et-les-droits-des.html

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