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lundi 22 janvier 2024

Qui donc a le mieux négocié ? Johnson en 1968 ou Lévesque en 1981 ?

Il y aura 56 ans bientôt, le discours constitutionnel le plus important de toute l’histoire moderne du Canada était prononcé par Daniel Johnson. C’est lui qui porta à Ottawa, seul contre dix, l’enjeu de la reconnaissance nationale des Canadiens-Français et des Acadiens. Ceux qui ont parlé de Johnson comme un homme de l’ambiguïté ont tort. Lui reprocher de ne pas avoir été plus clair, c’est ne pas comprendre sa stratégie et relève de la simple « posture politique ». S’il y avait moyen de faire l’indépendance « à froid », ça se saurait. Et, du reste, Option Québec, écrit par René Lévesque dans le même temps, vous souvenez-vous ? N’était-ce pas pour vendre la Souveraineté-association ? Une option tellement attrayante que, selon son auteur, quand le Canada anglais en découvrirait les mérites, toutes les objections tomberaient. Apparemment, Lévesque ne croyait pas à la nécessité de construire un rapport de force.
En fait, il faut admettre qu’en politique sérieuse, celle des grands enjeux, on est un peu comme on est à la guerre. L’approche de Johnson était pragmatique. J’ai déjà dit dialectique, mais peut-être que pragmatique convient mieux. Le rôle du chef de l’État du Québec était de faire émerger, mais dans les règles, les droits nationaux laissés dans l’ombre des cinq constitutions antérieures* qui avaient régi le Canada depuis 1763. Il fallait tout tenter pour obtenir la reconnaissance statutaire des droits des Acadiens et des Canadiens-Français dans une nouvelle constitution.

Au besoin, Johnson avait prévenu. Il irait jusqu’à l’indépendance. Mais pas comme des mots prononcés à la légère. Johnson était engagé dans une démarche de bonne foi, c’est mon avis. Pour lui, faute d’un compromis dans la dignité,
 une fois épuisées toutes les options honorables, au vu d’une rigidité d’esprit des anglo-saxons devenue claire,  ce n’est qu’à ce compte que pouvait se justifier l’indépendance. Fort bien.

Car, ne nous trompons pas, les négociations réclamées par Johnson étaient un processus constituant. C’était l’amorce d’une constitution nouvelle que le Canada français appelait de ses vœux depuis longtemps. Et détrompez-vous, pas besoin de rapatriement. Le Canada était adulte et indépendant depuis 1931. À ce titre, il pouvait librement statuer sur lui-même. L’étape la plus difficile était intra-muros; l’approbation par Londres, le jour venu, une formalité. Le rapatriement a toujours servi de prétexte pour refuser de rénover la Confédération, un exercice redouté, car il rendait à peu près inévitable l’obligation de statuer sur les droits des Canadiens et Acadiens. Les opposants à un fédéralisme des nations ont préféré conserver le vieux texte de 1967 plutôt que de s’asseoir et d’en élaborer un autre avec leurs « partenaires ».

Il fallait jouer le jeu de la solidarité nationale, accorder à Johnson le rapport de force dont il avait besoin. Dans cette phase délicate d’une stratégie ambitieuse, Lévesque voyait-il que Johnson était au front à un contre dix ? Prenant les choses à la légère, comme le joueur de cartes pour qui il y a toujours un lendemain pour se refaire, c’est comme s’il nous disait une première fois « À la prochaine… » À la présidence du Mouvement souveraineté-association (MSA), Lévesque n’était à cette date dans aucun parti politique. Au lieu d’appuyer Johnson, il réunit tout ce qu’il avait de crédibilité pour lui donner un croc-en-jambe. Il faut lire ce qu’il écrira moins d’une semaine après l’allocution de Johnson du 5 février 1968. Je fournirai la réponse de Lévesque dans un prochain blog. 
Avançons dans le temps. Avec le PQ on aura douze ans de passivité constitutionnelle, dans l’attente d’un référendum gagnant… pour se faire dire une autre fois : À la prochaine ! Aux négociations de novembre 1981, il n’était plus question que de rapatriement, de formule d’amendement, de charte des droits… toutes choses que, douze ans plus tôt, Johnson essayait d’écarter de son chemin. Malheureusement, il est mort trop tôt, emportant avec lui son bon jugement politique et son audace tranquille mais bien réelle. 

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* 1763, 1791, 1840, 1867, 1982



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