Édition du 1er janvier 2024, 13:54
L’essor économique de l’Eurasie se poursuit désormais d’une façon plus autonome. Ces pays qu’on disait pauvres maîtrisent les technologies de pointe et leur industrie recouvre tous les domaines. Des régions entières du monde sont désormais sevrées de leur dépendance des pays occidentaux. L’Inde envoie des engins sur la lune, la Chine s’impose comme premier exportateur mondial d’automobiles, la Corée du Sud et Taïwan excellent en nanotechnologies. Pendant ce temps, l’Occident, avec les États-Unis pour chef de file, se paie une révolution culturelle et autres fantaisies dont on ne veut pas mesurer les conséquences.
On l’a vu, l’intelligence artificielle (IA) a fait son entrée dans les médias, ça devient un grand sujet. J’ai eu l’occasion de tester cet outil redoutable qui est appelé, dit-on, à remplacer les Google de ce monde. Ses possibilités sont apparemment sans limites. Mis au profit de l’humanité, l’outil accepte qu’on lui pose des questions dans un langage de tous les jours sur tous les sujets. Les applications fines se multiplient, notamment dans l’enseignement… et, en fait, partout. Entre des mains malfaisantes, l’IA pourrait mener l’humanité à l’esclavage avec, à la carte, la fin de la liberté humaine telle que nous la connaissons. Avec des élites politiques souvent accusées de manquer de transparence dans la conduite des affaires publiques, on peut comprendre que de tels scénarios sont amplement évoqués. Sans conclure au pire, il est cependant impossible de penser que l’intelligence artificielle soit sans biais. Questionné par exemple sur la question nationale au Canada, l’IA se défend bien, mais échoue.
Il apparaît qu’après les clivages entre bourgeois et prolétaires, nés dans le terreau de la révolution industrielle, d’autres clivages apparaissent. Il y a ceux qui savent accéder au monde du numérique et de la réalité virtuelle et les autres habitants du « village global. » Ces derniers sont menacés d’une perpétuelle dépendance envers ceux qui savent. Le clivage pourrait également s’approfondir entre ceux qui sont littéralement aux manettes de l’intelligence artificielle et les utilisateurs. Par ailleurs, le fait que l’intelligence artificielle se développe en parallèle dans plusieurs pays et sur plusieurs continents pourrait être positif. Au-delà de la rivalité que cela suppose à la base, avec un peu de bonne foi, la concurrence pourrait aussi conduire à une multipolarité de l'intelligence artificielle. 2023 nous laisse ici avec beaucoup de questions et peu de réponses.
On dira avec raison que l’ordre international est largement identifié à l’ONU. On entend de nombreux reproches envers l’institution et non sans raison. J’en suis pour dénoncer ses biais, sa bureaucratie, voire ses préjugés. On le sait, l’ONU est une institution de compromis établie par les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. Dans sa forme actuelle de trophée de guerre, elle ne peut durer. Le droit de veto accordé à cinq pays (Royaume-Uni, États-Unis, France, Union soviétique, Chine) correspondait à un état du monde qui n’existe plus. C’est peut-être là qu’on touche au plus grave dysfonctionnement de l’organisme. Les États-Unis profitent plus que tout autre de leur veto pour contrer des résolutions majoritaires, mais qui ne leur conviennent pas. Nous l’avons vu encore récemment quand ils ont mis dans la balance leur veto sur un cessez-le-feu à Gaza, pour citer un seul exemple.
Dans l’attente d’une réforme et en dépit de tout, l’ONU demeure à ce jour le seul mécanisme de création de droit international au sens large. L’ONU reste préférable au vide et mérite même d’être renforcée face à un « ordre international basé sur des règles » que les États-Unis voudraient imposer. Il s’agit d’une invention récente. Elle est concurrente et sape en fait l’autorité de l’ONU comme seule institution habilitée par ce qu’on appelle la communauté internationale.
Une grande puissance, même quand elle se croit destinée à l’hégémonie globale, devra tôt ou tard taire ses prétentions. Au même titre que tous les pays, les États-Unis devront éventuellement s’en tenir à occuper une place parmi les autres. Va pour Make America Great Again (MAGA) chez soi, mais pas chez les autres. Encore en 2023, faute de moyens de négociations suffisamment imprégnés dans les mœurs de la diplomatie internationale, notre monde a continué d’être trop marqué par le bruit des bottes et la puissance du feu. Et notre presse populaire n’aide pas toujours à la formation d’un jugement équilibré. Elle n’est jamais à court d’allusions défavorables envers des pays ciblés ou les pays indépendants de l’OTAN, par exemple. La peur de l’étranger existe toujours. Des remèdes existent. Il s’en trouve en partie dans la recherche d’une information plus proche des sources primaires au lieu de dépendre d’interprétations journalistiques simplifiées, unanimistes, sinon tendancieuses.
Avec les moyens d’échange dont nous disposons aujourd’hui, la planète s’est couverte d’un réseau de communication en temps réel. Il y a 150 ans à peine, il pouvait s’écouler plusieurs heures, voire plusieurs jours, avant que les nouvelles passent d’un village à l’autre. Dans notre monde moderne, tout s’est rapproché. L’indépendance et la souveraineté ne peuvent plus guère exister que dans un cadre régulé d’interdépendances. Pour l’avenir, cela pose d’immenses défis. Une régulation équitable de l’interdépendance pourrait être la meilleure garantie des marges de souveraineté et d’indépendance. D’abord pour gérer le patrimoine commun : l’espace lointain, l’air, la mer, le cours des fleuves, etc. ne peut plus être à qui les prend, comme au temps de la découverte des Amériques. Ensuite, protéger le patrimoine particulier et indivisible, comme celui des petites nations constituées au fil des tribulations de l’histoire. Dans le nouveau contexte planétaire, les défis posés au patrimoine collectif de l’humanité ne pourront être surmontés sans des médiations et des mécanismes bien établis et mutuellement acceptés. C’est une condition de la paix qui, l’espérons-nous, fera des progrès en 2024.
Pour des raisons bien à eux, que ne partagent pas les Anglo-saxons, les Canadiens-Français ont intérêt à défendre une institution aussi imparfaite que l’ONU. C’est à eux de miser sur les probabilités que des réformes rendent compte éventuellement des nouveaux équilibres, qu’elles n’accordent à l’anglosphère pas davantage que ce qui lui revient en regard de son poids géoéconomique et politique net. La lucidité permet de croire qu’en cas d’éventuelles représentations internationales, en appui à notre propre cause, des sympathies nouvelles apparaissent sur d’autres horizons, venant de pays plus neutres, plutôt que de ces pays qu’on désigne un peu machinalement comme nos alliés de l’OTAN, tous menés par l’anglosphère. Reconnaissons que de n’avoir jamais misé sur l’internationalisation du conflit national au Canada est une erreur incompréhensible, que je laisse à chacun la liberté d’interpréter.
Il faut le rappeler, car les partis du souverainisme institutionnel l’ont oublié : le problème de la nation canadienne-française n’a jamais été celui d’une élection ou d’un référendum gagnant. Il tient du manque d’aménité (ponctuée d’arrogance) que perpétue le Canada anglais envers un peuple conquis en 1760.
Toujours raisonnables et d’une modération exemplaire, nos revendications historiques, peu importe qui les formulait et comment elles étaient formulées, n’ont jamais ému et encore moins convaincu la classe dirigeante anglo-saxonne du Canada. Elles se sont toutes fracassées sur un mur de refus. Les maîtres du jeu politique, de George Brown à P. E. Trudeau, n’ont jamais consenti à nous reconnaître comme peuple ayant droit à des institutions politiques propres et représentatives d’une plénitude nationale. Y compris dans le cadre d’un arrangement avec le Canada anglais, nous avons vécu la fermeture des esprits. À la différence, bien des pays d’Afrique et d’Asie ont réalisé leur indépendance par voie de paisibles négociations. Pourquoi cette obstination agissante contre notre émancipation ? Parce que l’Amérique du Nord anglo-saxonne tolère mal la différence ? Parce qu’elle veut se projeter comme exclusivement anglophone ?
Et les choses ne s’arrangent pas. Avec la loi 99, ce sont les nôtres, ceux du Parti québécois, qui acceptent désormais que notre existence de nation issue de Nouvelle-France soit terminée. Pour eux, et ils tâcheront de vous en convaincre, il est superflu et même inconvenant de nommer la nation, de la décrire dans sa continuité historique ou de la célébrer, sauf dans un cadre folklorique. La revendication d’une langue commune leur suffit, insérée dans la célébration d’un Québec plurinational statutaire, à la manière trudeauiste, mais vidée des Canadiens-Français.
Il faut bien l’admettre, la nation patrimoniale dont nous disposons aujourd’hui a été constituée à une autre époque. Cette nation socioculturelle et historique du Canada de Nouvelle-France ne pouvait émerger que dans un environnement territorial partagé, occupé en commun et relativement stable. À cela, il faut ajouter un élément géopolitique décisif: la guerre entre les Anglais pour le contrôle de l’Amérique du Nord nous donna un sursis, le temps de refaire nos maigres forces.
Bien que comptant des effectifs limités, l’originalité de notre nation d’Amérique constitue un bien immatériel et matériel à préserver et à transmettre, une richesse pour l’humanité. Certes, la jeunesse d’aujourd’hui ne dépend plus de la culture de la terre pour vivre, ce qui modifie forcément son rapport avec le sol par rapport aux ancêtres. Certes, les déplacements des jeunes pour se rendre dans les collèges classiques dépassaient rarement quelques centaines de kilomètres, avec des exceptions, comme Louis Riel, élève au Collège de Montréal. Et si les Jacques Parizeau et les Robert Bourassa étaient un peu des précurseurs avec leurs études à Londres, ils avaient été devancés en Europe par plusieurs autres. Aujourd’hui, les voyages à l’étranger sont monnaie courante. Il y a une évolution de la nation que l’on ne peut récuser.
Avec la faible natalité et l’immigration massive, le poids électoral des Canadiens-Français a fondu. En 1958, Diefenbaker, et plus tard P. E. Trudeau devaient au vote canadien-français leur confortable majorité. C’est un électorat qu’aucun parti de pouvoir ne pouvait ignorer. Ce n’est plus le cas. Maxime Bernier, dont j’apprécie plusieurs des propositions du Parti populaire du Canada, peut se permettre de passer entièrement sous silence la question nationale. Il prend plutôt la défense d’un Canada uni, indépendant et moins centralisé, avec une seule nation (apparemment) la nation canadienne bilingue, fondée par PET. Si la décentralisation a son mérite, Maxime Bernier voit bien que le poids démographique a fondu et que l’empressement des premiers intéressés à défendre leur propre cause s’est émoussé. Le p’tit gars de la Beauce a compris que la question nationale pourrait le mettre mal à l’aise. En bon politicien, il restera discret sur l’épineux sujet, considérant qu’il n’en tirerait aucun bénéfice. Et, en réalité, le Parti québécois est aux yeux de plusieurs un simple parti d’alternance, porteur d’un « enjeu national » domestiqué, qui ne pose pas la question du régime.
Fin
ANNONCES
Le premier janvier marque le début de la Fédération des Canadiens-Français, il y a quatre ans.
Suivez-nous le 5 février prochain pour la commémoration de l'allocution de Daniel Johnson à la conférence constitutionnelle tenue à Ottawa en 1968.
Bonne, heureuse et vertueuse année 2024
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Commentaire reçu :
Si le principe d'une assemblée générale des nations est constructif dans l'optique d'un De Gaulle qui parlait de "concert des nations", force est de constater que sa bureaucratie est un instrument de l'oligarchie financière internationale à la source de nos maux qui n'est qu'un prolongement de la East India Company qui a longtemps contrôlé le quotidien de l'Empire britannique. Dans un nouvel ordre mondial multipolaire, probablement que seulement l'assemblée générale de l'ONU ne devrait être conservée.
1er janvier, 13:35
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