L'Action nationale, janvier 2018 (p. 114 à 121)
À propos du livre de Jean-Martin Aussant
La fin des exils : résister à l'imposture des peursAtelier 10, coll. Documents, Montréal, 102 pages
David Leroux nous apporte un réalisme bienvenu dans un paysage dominé par les plus irréalistes fantaisies politiques en ce qui concerne le changement de statut politique pour le Québec et, forcément, pour le reste du Canada.
Mais le texte n'est pas entièrement débarrassé d'illusions. Il faudra encore bien des efforts et du temps pour comprendre que le Parti québécois nous a été d'aucun secours et d'aucune utilité - Parizeau compris - mis à part la Loi 101. Démêler la réthorique et l'histoire à l'eau de rose pour dresser un bilan sans complaisance reste à faire.
Je vais commencer par la partie la plus critiquable de Leroux avant de m'attarder sur les excellents passages où l'auteur fait preuve de beaucoup de lucidité dans son analyse.
Revenant sur le discours de JMA aux funérailles de Jacques Parizeau, Leroux compare Jean-Martin Aussant à un corps qui apparaît puis disparaît dans le firmament, il l'appelle « objet céleste JMA2012 ».
Cette journée-là, je m'en souviens, nous disions adieu à Jacques Parizeau, notre père à tous, la seule personne à ce jour ne m'étant pas intime dont le départ m'a fait verser des larmes. Tes mots, ton appel à « la fin de tous les exils », avaient fait revivre mon âme en deuil, ils étaient ceux qu'il fallait dire pour me consoler. Mail ils étaient hélas ! ceux qui allaient me faire ne plus jamais t'attendrait t'espérer nulle part. Car, objet céleste JMA2012, lorsqu'on se pose devant un peuple entier comme l'enfant prodige annonçant son retour, il faut être à la hauteur, il ne faut pas décevoir, sans quoi cet espoir que l'on tue dans le coeur de ceux qui nous attendent devient une allégorie de notre propre mort, même si cette dernière n'est prise qu'au sens figuré. (mes caractères gras) (p.115)Il n'est pas apparu à Leroux une étrange similitude entre Parizeau et Aussant. On dit que Parizeau était le mentor de Aussant, était-ce pour lui enseigner l'art de disparaître au pire moment ? Le corps céleste JP1995, qui avait déserté le navire amiral, avait sans doute bien des choses à raconter au capitaine de la goélette. Si pour Aussant le geste n'est pas glorieux compte tenu de la suite, en ce qui concerne Parizeau, ce fut son pire geste face à l'histoire. N'est-ce pas un trait du colonisé de s'avouer vaincu bien avant l'heure ? En tout cas, René Lévesque l'aura toujours fait !
En page 117, Leroux pourfend l'individualisme libéral, écorchant la gauche dévoyée (libérale libertaire) et la droite qu'ils renvoie dos à dos.
Certes notre société souffre d'un grave problème en effet : elle peine à se penser elle-même comme autre chose qu'un amas d'individualistés en compétition entre elles. Le collectif se dissout plus que jamais dans ce libéralisme des moeurs porté par la gauche et celui économique économique porté par la droite assoiffée de libre concurrence.Plus loin, poursuivant sa critique du libéralisme, il reproche à Aussant (en plus d'avoir abandonné la goélette) de ne pas faire de l'indépendance « le pivot absolu » de son écrit.
C'est un exil des hommes du politique auquel on assiste, littéralement, exil engendré par une idée de la liberté et des valeurs qu'on lui accole aujourd'hui (ouverture, tolérance, diversité) corrompue et dévoyée par un libéralisme qui se croit l'apothéose idéologique du genre humain. Il faut, si l'on veut regarder nos terres intellectuelles, mieux identifier l'ennemi que cela, et c'est, je crois, la plus grande faille de ton essai après celle de ne pas avoir fait de l'indépendance de notre nation le pivot absolu de ton écrit. (p. 117)
Critiquant avec raison le point de vue du révisionnisme historique - quasiment a-historique - que met de l'avant Aussant, pour qui « le Canada est un magnifique et aimable pays, mais qu'il n'est pas notre pays », Leroux s'attaque à l'indépendance du bisounours : édulcorée, fantasmée, facile et civique de Aussant. Les pages 118 et 119 offrent des passages d'une grande lucidité, ce sont les pages les plus solides et les plus originales du texte. Leroux y propose un point de vue sur l'indépendance qui nous ramène dans le camp de la réalité.
Premièrement, je comprends que le fait de considérer ouvertement le régime canadien comme un régime ennemi n'est pas très séduisant selon les standards de notre époque outrageusement festive. (... ) Le droit à l'autodétermination des peuples peut aisément être bafoué sous le regard complice des grandes institutions supranationales et de leurs membres gardiens du libéralisme mondial, et ce par des démocraties libérales exemplaires. (p. 118)Leroux y va ensuite d'une définition de la souveraineté d'une grande vérité, une définition qui nous fait voir qu'au Québec on se paie de mots depuis des décennies.
La souveraineté c'est avant toute chose d'avoir le pouvoir absolu sur un territoire. C'est d'être capable d'en contrôler les frontières, d'empêcher les forces ennemies de l'occuper, d'avoir entre certaines limites géographiques bien définies le monopole de l'utilisation de la violence physique. Un grand penseur politique a résumé la chose magnifiquement : « est souverain celui qui décide de l'état d'exception », c'est-à-dire celui qui peut, s'il le faut, suspendre les droits et libertés civiles sur son territoireafin de préserver l'intégrité de la constitution, des institutions et de l'État. C'est le Canada qui a actuellement cette prérogative. (p. 119)Et pour bien enfoncer le clou, s'adressant à Aussant :
La grande faiblesse de ton livre, c'est donc d'avoir de la difficulté à comprendre ces aspects plus rugueux de la lutte pour notre libération nationale. (p. 119)Même en se forçant un peu la vue, le lecteur ne perdra pas son temps en lisant les deux pages ci-dessous, qui sont une contribution utile au réalisme en matière de politique nationale.
En terminant, à la page 120, l'auteur prend parti contre la dégradation de la politique, « du politique », ce qui porte à la réflexion alors qu'un nouveau cycle (cirque ?) électoral s'enclenche au Québec où le débat politique se limite typiquement « à des questions de couches-culottes dans les CHSLD et de toilettes pour transmettre, ce que la gauche et la droite appellent de concert « les vraies affaires ».
Il faut souhaiter que nous aurons plus de textes qui, comme celui-ci, nous sortent des idées convenues. Leroux se positionne avec quelques idées originales et bien articulées au nombre de ceux - trop rares - qui ne craignent pas de revoir les enjeux et les termes dans lesquels ils se posent.
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