Alors
que les médias ont rapporté une profusion de nouvelles sur la
collecte d'informations par Facebook et autres géants d'Internet,
des organisations secrètes qui constituent une menace majeure pour
notre vie privée et la sécurité publique sont rarement
mentionnées. Quand elles le sont, c'est que les politiciens veulent
louer leur activité et leur offrir plus d'argent pour espionner.
Par
exemple, dans une rare occasion, Justin Trudeau a récemment fait
état publiquement de l'entente de partage des renseignements pour le bénéfice exclusif de l'«anglosphère», au terme de sa participation à une
rencontre
avec ses homologues du Groupe des cinq – traduction officielle de la Défense
canadienne - Five
Eyes en
anglais.
Après cette rencontre à Londres, Trudeau a qualifié le
Centre
de la sécurité des télécommunications
du Canada (CST), qui compte
2 000 employés, de principal contributeur au Canada au Five
Eyes
et d' «institution extraordinaire». L'année dernière Trudeau
avait déclaré que «la collaboration
et la coopération entre alliés, amis et partenaires avait sauvé
des vies et préservé la sécurité de tous nos citoyens».
L'éloge
survient alors que le gouvernement cherche à élargir
considérablement les pouvoirs du CST. Il y a deux mois, il faisait
l'annonce d'un investissement de 500 millions de dollars pour créer
un centre
fédéral de la «cybersécurité».
Cet argent s'ajoute au budget annuel de 600 millions de dollars du
CST qui vient d'être doté d'un nouvel
édifice
ultra moderne de 1,2 milliard de dollars.
Depuis
sa création, le CST fait partie de l'accord de partage de
renseignements Five
Eyes.
Les principaux participants à l'accord sont la National
Security Agency
(NSA) des États-Unis, la Direction des signaux de défense de
l'Australie (DFS), le Bureau de la sécurité des communications du
gouvernement néo-zélandais (GCSB), le Siège de la communication du
gouvernement britannique (GCHQ) et le CST. Une série d'accords
postérieurs à la Seconde Guerre mondiale, avec au départ l'agence
de renseignement UKUSA en 1946, a évolué
pour
former
ce qui est devenu «AUS / CAN / NZ / UK / US EYES ONLY».
Écrit
avant Internet, le livre de James Littleton, Target
Nation:
Canada and the Western Intelligence Network
notait que «la quasi-totalité du globe est surveillée par les
agences SIGINT [agences de renseignement des signaux] des pays de
l'UKUSA [Grande-Bretagne et États-Unis].» Avec les progrès
technologiques majeurs des dernières décennies, Five
Eyes
surveille maintenant des milliards de communications privées dans le
monde entier.
Five
Eyes
opère dans le plus grand secret sans avoir beaucoup de comptes à
rendre. Le lanceur d'alertes de la NSA, Edward Snowden, l'a qualifié
d'«organisme de renseignement supranational qui échappe aux lois
connues des pays qui y participent». En plus de partager les
informations qu'ils ont interceptées, collectées, analysées et
déchiffrées, les cinq agences SIGINT échangent des technologies et
des tactiques. Ils coopèrent également au ciblage et «standardisent
leur terminologie, leurs codes, leurs procédures de traitement des
interceptions et leurs serments d'endoctrinement, tout ceci pour plus
d'efficacité et de sécurité».
Des
agents de liaison spéciaux du CST sont intégrés aux activités des
autres membres de Five
Eyes,
tandis que des collègues des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de
l'Australie et de la Nouvelle-Zélande sont insérés dans le CST. La
NSA a continuellement en rotation des invités à long terme au sein
du CST. Un document de la NSA révélé par Snowden, décrit comment
«les efforts de coopération
des agences américaines et canadiennes prévoient l'échange continu
d'officiers de liaison».
La
NSA a
formé
des « cryptanalystes » pour le CST et, dans les années 1960,
l'agence américaine a pris en charge une partie du coût de la
modernisation des installations canadiennes d'interception des
communications. En raison du manque de capacité du CST, les
renseignements recueillis aux postes d'interception installés dans
les ambassades du Canada à Cuba, en Jamaïque, en Russie, etc.
étaient souvent remis à la NSA aux fins de déchiffrement et
d'analyse. Dans son livre de 1986, Littleton écrit: «Une grande
partie du matériel SIGINT recueilli par le Canada est transmis
directement à la National
Security Agency
des États-Unis, où les métadonnées sont traitées, interprétées
et conservées. Beaucoup de ces données ne sont pas d'abord
traitées et analysées au Canada. »
Les
agences Five
Eyes
des cinq pays concernés se sont aidées mutuellement à contourner
les restrictions sur l'espionnage de leurs propres citoyens. L'ancien
solliciteur général, Wayne Easter, a déclaré au Toronto Star
qu'il était «courant»
que la NSA «transmette de l'information sur les Canadiens» au CST.
Inversement, Michael Frost, ancien agent du CST, affirme que la NSA a
demandé à l'agence canadienne d'espionner des citoyens américains.
Dans Spyworld:
Inside
the Canadian and American Intelligence Establishments (Au
sein des services de renseignement canadiens et américains),
Frost révèle qu'à la veille des élections britanniques de 1983,
le premier ministre Margaret Thatcher a demandé au GCHQ d'espionner
deux ministres «pour savoir non pas ce qu'ils disaient, mais ce
qu'ils pensaient». Reflétant les liens étroits entre les deux
organismes, le GCHQ a demandé l'aide du CST sur cette question très
délicate. Frost note que le CST n'était pas particulièrement
inquiet d'être compromis dans cette affaire puisque que le GCHQ
était justement l'agence chargée de protéger la Grande-Bretagne
contre l'espionnage à l'étranger.
Dans
la période précédant l'invasion américano-britannique de l'Irak,
la NSA a demandé au Canada et aux autres pays Five
eyes
d'espionner les membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Le 31
janvier 2003, le chef d'état-major adjoint du département SIGINT de
la NSA pour les cibles régionales a écrit à ses homologues de
l'alliance: «Comme vous l'avez probablement déjà entendu, l'agence
se tourne vers les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies
( à l'exception des États-Unis et de la Grande Bretagne bien sûr )
pour savoir comment les membres se positionnent sur le débat en
cours sur l'Irak, comment ils prévoient voter sur toutes les
résolutions connexes, quelles politiques / positions de négociation
peuvent être envisagées, alliances / dépendances, etc. - toute la
gamme d'informations qui pourraient donner aux décideurs américains
un avantage dans l'obtention de résultats favorables à leurs
objectifs et pour éviter les surprises. »
Bien
que le CST ait rejeté cette demande de la NSA, un certain nombre de
commentateurs suggèrent que le CST a fait preuve d'une complaisance
qui dépasse le niveau souhaité par la plupart des Canadiens.
Littleton écrit, «les accords ne peuvent pas dire explicitement que
les États-Unis, grâce à leur propre organisation SIGINT - la
National Security Agency (NSA) - dominent et contrôlent les
organisations SIGINT des autres pays membres, mais c'est néanmoins
ce que signifient les accords.»
Un
historique de la relation SIGINT entre les États-Unis et le Canada
publié par Snowden qualifiait le Canada de «partenaire externe de
grande importance», qui offre «des
ressources pour la collecte,
le traitement et l'analyse avancés» et a ouvert des sites secrets à
la demande de la NSA. Le CST fait profiter à la NSA de sa présence
dans certaines zones géographiques où les États-Unis n'ont pas
d'accès.
L'accord
du Groupe des Cinq a rendu le Canada complice de la politique
étrangère belligérante des États-Unis. Il est temps de débattre
de la participation du Canada à l'entente de partage de
renseignements des pays de l'anglosphère.
Source
originale : Yves Engler, Publié le 9 mai 2018
http://rabble.ca/blogs/bloggers/yves-englers-blog/2018/05/trudeau-promotes-five-eyes-spying-cse-gets-more-money
Traduit
par Gilles Verrier / Note : Les hyperliens en anglais ont été
remplacés par des équivalents en français quand il y en avait.
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