[dernière mise-à-jour le 10-12-18 06:52]
Hier c'était Montfort (1), en santé. Aujourd'hui, c'est pour l'éducation et une représentation au sein de l'État.
Il aura fallu la décapitation du Commissariat des services en français et l'avortement de l'embryon d'Université de l'Ontario français pour que les Franco-Ontariens forment «la résistance».
Résistance en Ontario contre doux souvenirs et paralysie au Québec ? On pourra s'étonner d'entendre ça, mais il y a là une bonne part de vérité. Depuis que le Québécois francophone s'est rassuré avec l'idée qu'il formait un peuple majoritairement francophone, qui « contrôle » son État, se plaît-on à répéter, tout combat a cessé. Le statu quo entre les deux nations s'est installé de facto et de jure, en attendant un mythique Grand soir. Et encore ! Entre temps, le statu quo s'exerce à notre détriment.
Si décortiquer les privilèges des Anglais faisait jadis l'objet de démonstrations passionnées, la dynamique des revendications a été gelée sur place par l'État du Québec. Et bien sûr que le Parti québécois y est pour quelque chose ! Mais au sein de la conjuration des souverainistes accomplis et des gardiens de l'orthodoxie, s'il est coutume de se féliciter à la ronde pour les oeuvres accomplies, la première mission semble être de chérir les causes des maux qu'on dénonce. En gros, l'État du Québec et ses institutions a mis au monde une classe de parvenus du souverainisme. Partis de bons libéraux comme René Lévesque, ils n'ont vu le salut national qu'à travers les rouages de la superstructure étatique. Ils n'ont jamais su ce que voulait dire le mot résistance. Un mal qui a épargné la minorité franco-ontarienne.
C'est par la Loi 99, adoptée en 2000, qu'on a rehaussé le statut des privilèges coloniaux en les qualifiant du titre enviable de « droits consacrés ». Mais ce n'était pas vraiment une révolution, on ne faisait que verrouiller un état de fait qui était devenu la règle.
C'est par l'insinuation d'une démocratie insuffisante, incomplète, en déficit de légitimité, bref trop lourde à porter pour les colonisés que sitôt au pouvoir, sitôt on y renonça : « nous sommes la majorité et nous devons nous amoindrir pour ne pas « abuser » de la minorité dominante », voilà qui résume l'abdication nourrie par l'esprit coupable de l'insuffisance démocratique. Il ne fallait surtout pas contrarier la minorité anglaise. Autant lui consentir généreusement le droit de gruger à perpétuité notre position de majorité statistique.
Aux prises avec une mauvaise conscience de nation majoritaire, sentiment intériorisé par une élite infatuée, le Québec francophone a cessé de lutter pour l'égalité. Plus question de s'attaquer aux survivances des privilèges coloniaux. On ira même jusqu'à expurger d'une « québécitude » béate tout le vocabulaire qui outillait la compréhension d'une injustice qui n'a jamais cessé. Plus de Mc Gill français ! Plus de lutte pour l'équité en matière d'éducation : dans ses congrès le PQ forcera les tenants de la fréquentation d'un Cégep en français pour les immigrants à longer les murs. Et en santé, on trouvera normal que les institutions anglophones servent de vacuum à l'anglicisation des nouveaux arrivants (2). Plus de lutte pour ré-équilibrer graduellement l'allocation des ressources de l'État selon le poids linguistique.
Et rappelons-nous, pour que l'État s'engage exceptionnellement du coté de la majorité des « perdants », il aura fallu l'accouchement difficile de la Loi 101. C'est là que tout a commencé et que tout s'est arrêté. Si bien arrêté qu'on a ensuite refusé de la défendre contre la Cour suprême. Certes, on pouvait facilement le faire au moyen de la clause dérogatoire. Mais de l'avis de nos élites, un tel geste - inqualifiable aux dires de certains - nous aurait fait passer pour des bigots, voire bien pire. On pouvait aussi le faire par un autre chemin. Mais nos élites ont tant de respect pour la Cour suprême du Canada que jamais il ne leur serait venu à l'esprit de contester l'autorité de cette cour auprès d'un tribunal international. Une contestation pour laquelle il y aurait matière, mais ce n'est pas le sujet. Et, de toute façon, ce serait faire preuve de bien trop de grandeur pour un si petit peuple ! Et on aime bien trop Ottawa pour lui faire un tel coup !
La situation de la majorité statistique du Québec, qui est plus colonisée que jamais, ne fait que reculer devant la prospère et privilégiée minorité anglo-saxonne, pérennisée par la Loi 99. La position dominante de la communauté anglophone, choisie par les nouveaux arrivants qui se collent à elle, celle à qui va facilement leur loyauté, est facilitée par l'État du Québec : un pouvoir complice des privilèges coloniaux. Si on ne peut le changer, il faut avoir l'honnêteté d'en reconnaître la nature. L'État du Québec a fait ce que l'État fédéral ne pouvait pas faire : il est allé plus loin pour solidifier les survivances coloniales dans ses champs de compétences : santé, éducation, langue et culture. Tout ceci a été fait sous le couvert facilitant d'une approche « souverainiste ». Mais il s'agissait en fait de donner des gages à la puissante « majorité sociologique » anglophone.
Sous l'influence du Parti québécois l'État du Québec s'est saisi d'une rhétorique souverainiste manipulatoire pour se constituer en arbitre du maintien des inégalités, au motif d'amadouer la communauté anglophone pour le cas d'une éventuelle « indépendance ». Au motif additionnel de gouverner pour tous les Québécois, soit d'occulter les inégalités nationales pour les maintenir au détriment de la nation qui souffre toujours d'une carence de droits politiques. On reconnaît là toute l'imposture du vocable Québécois, supposé représenter tous les Québécois comme un seul peuple. Mais on sait bien lequel des deux s'est fait duper ! En fait, l'indépendance telle que façonnée par Claude « GRC » Morin dès 1973, année de l'adoption de l'étapisme, ne pouvait arriver sans que la minorité y consente et sans qu'elle en profite. C'était ça l'étapisme : le refus d'utiliser les manettes de l'État au profit de la majorité historique (3). Il fallait la permission de nos maîtres, qui n'est jamais venue et qui ne viendra jamais.
À ce stade, faute de dénoncer l'imposture, il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre les référendums, l'indépendance, le nirvana, en regardant des Franco-Ontariens moins engoncés défendre leurs droits. Rien à faire en attendant le feu vert de la toute puissante minorité anglophone ! Et l'on ne voudrait surtout pas qu'elle s'interpose devant nos pieuses réclamations en faveur de l'égalité. Mais nous, on sait au moins une chose, nous ne sommes pas des Canadiens-français comme les minorités ethniques du Canada. Yes Sir !
Si ce topo peut apparaître à certains comme une invitation à la confrontation, ce n'est pas l'intention. Ce qui est en jeu c'est le droit des nations à vivre dans l'égalité et le respect mutuel. Deux choses dont les fondateurs du Canada des origines, sens européen, ont été privés depuis qu'une conquête survenue il y a longtemps a détruit leur possibilité de se maintenir comme peuple sur le long terme. Leur nombre est en décroissance continue. Leurs droits politiques sont incomplets. C'est en s'efforçant de bien comprendre la vérité des rapports nationaux, qui prennent bien souvent la forme de rapports de pouvoir et de domination, c'est en exprimant la réalité sans les mensonges politiques habituels que le chemin pour de nouvelles relations entre les nations pourrait, peut-être, se tracer.
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1- L'hôpital francophone Montfort (Ottawa) défend son identité francophone avec fierté et sans complexe. Une chose que le Québec francophone, pétri de « québécitude » ne sait plus faire, et qu'il trouve d'ailleurs très laide : le sort misérable des minorités ethniques. Pouah !
https://hopitalmontfort.com/fr/les-victoires-de-montfort
https://hopitalmontfort.com/fr/lhistoire-de-lhopital-montfort
2-
« L’État québécois avait la capacité d’intervenir afin de corriger les iniquités collectives, mais la dynamique politique a plutôt favorisé un laisser-aller généralisé. Ce dernier a d’ailleurs produit une situation aberrante : une forte majorité de francophones incapable de s’arracher du bas de la division culturelle du travail, même quand la moitié de la minorité anglophone est moins bien formée et qu’elle est nouvellement arrivée...»https://action-nationale.qc.ca/tous-les-articles/240-numeros-publies-en-2015/janvier-2015/1038-le-bilinguisme-rend-il-riche-2
3-
« C'était ça l'étapisme : le refus d'utiliser les manettes de l'État au profit de la majorité historique. »Cette formule m'est inspirée par l'analyse de l'évolution du Québec au regard de la pensée de Maurice Séguin. Un texte riche que vient de nous offrir Simon-Pierre Savard-Tremblay. Un texte sur lequel il vaut la peine de s'attarder pour l'ouverture qu'il fait sur une nouvelle pugnacité, fondée sur une doctrine moins marquée par la peur du colonisé.
https://www.journaldemontreal.com/2018/12/08/comprendre-le-1er-octobre-dernier-avec-maurice-seguin?fbclid=IwAR305bGi566O8wVteh6b1ifFXWENyEiLEjO0YdQoHVs5-OPqNCHOkszvf3s
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