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dimanche 9 juin 2019

L'État du Québec n'est pas notre ami !

« Quand l'opinion publique s'est à ce point éloignée de la réalité, il lui devient très difficile de donner naissance à un véritable leadership. »

[mis à jour le 12-06-2019-23:00]

L'expression pourra surprendre mais l'État du Québec n'est pas notre ami. Naturellement, on pourra rétorquer qu'un État n'a pas d'amis mais que des intérêts. Justement, les intérêts de l'État du Québec ne s'imposent pas d'emblée comme étant ceux de la majorité de ses électeurs. Quiconque suit l'actualité depuis longtemps sait, au moins confusément, que ce n'est pas d'hier que l'État du Québec s'emploie à aménager le rapport de force entre les deux nations, à arbitrer leur cohabitation sans franchir de lignes rouges. L'État du Québec se destine à "accompagner" la minorisation démographique - et paisible - des Canadiens-français, qui, selon des études sérieuses, pourrait se produire aussi tôt qu'en 2035. Selon les tendances actuelles, nous sommes condamnés à rejoindre les Canadiens-français des autres provinces avec à peine quelques décennies de retard. Le plan du deuxième Canada, le Canada britannique, semble donc en voie de réalisation. Le dispositif mis en place pour contrer cette tendance dès la fin des années 1960 n'a pas fonctionné. 



Dans plusieurs de mes textes précédents, qu'on peut trouver dans Vigile, j'ai analysé l'imposture du Parti québécois, un parti qui après avoir suscité beaucoup d'espoirs a perdu presque tous ses appuis. Je ne reviendrai pas ici sur une stratégie perdante, scellée sans retour dès le congrès de 1974. Je vais plutôt démontrer par d'autres exemples en quoi l'État du Québec n'est pas notre ami. La "québécitude", qu'on peut aussi appeler le néo-nationalisme québécois issu de la révolution tranquille, a consisté à faire silence sur la survivance de rapports coloniaux inégalitaires au sein même de la société québécoise. C'est donc un concept fondamental à saisir pour la reprise en main de notre destinée.

De manière générale, l'imposition d'une démocratie libérale, qui n'est déjà plus la démocratie, a été un catalyseur de cette tendance. Par la démocratie libérale, il faut comprendre que les élections ne sont plus destinées à changer, voir même à influer de façon notable sur le cours de l'histoire. Si la démocratie libérale excite et encourage les électeurs à se choisir des représentants, le pouvoir de ces derniers est encadré dans une gouvernance qui ne parvient pas à mettre en application des changements aussi mineurs que le PL 21, réclamé par la population. Le pouvoir des élus est réduit le plus souvent à une intendance, marquée par la continuité entre des gouvernements qui se passent la main. Autrement dit, les élus ont très peu de pouvoirs...et d'autant moins qu'ils se soumettent aux sondages et au clientélisme. 


C'est l'expansion des valeurs libérales, de concert avec l'abandon de toute référence à la dimension coloniale de notre combat national, qui ont permis à un Bernard Landry d'affirmer, au nom du PQ, que les Québécois devaient se définir comme étant tous les habitants du Québec. Par cette formule, le néo-nationalisme occultait le caractère bi-national et inégalitaire du Québec.

Pour conséquence, la fin de toute évocation des survivances du colonialisme a offert un prétexte à la gauche radicale, et à la gauche social-démocrate, de qualifier péjorativement d' "identitaires" tous ceux qui ne se ralliaient pas à un nouveau nationalisme étatique, tâchant de les isoler et de les priver de crédibilité. Mais notre combat est légitimiste et non identitaire.

En matière de dénationalisation, par son indifférence face à une inégalité nationale inscrite dans une loi organique, la loi 99 (2000), la SSJB est passée à la conception de la nation de "tous les Québécois" de Bernard Landry et des autres. Le combat "national" s'est dilué dans un combat entre deux États qui partagent les mêmes valeurs : libéralisme, multiculturalisme, immigrationnisme, définition de la nation à partir de l'appartenance à l'État.



«Moi, explique-t-il, je propose à nos compatriotes du reste du Canada une union de type confédérale, à l'européenne. Je vais avoir besoin d'interlocuteurs politiques et de la société civile. Alors, ça m'impose, et je vais le faire, de rebâtir des ponts, de rebâtir des liens. Personne au Canada anglais ne pourra dire que j'ai persévéré dans mon erreur d'une façon arrogante. Je l'ai reconnue et je m'en suis excusé». 
Bernard Landry
[Vigile, 26 janvier 2001]


Il appert que la loi 99 (2000) est considérée par plusieurs comme le socle d'une future constitution. Mais son préambule contient un énoncé foncièrement inégalitaire, qui restreint l'interprétation qu'on peut faire du corps de la loi. Il ne faut donc pas se laisser duper par son titre : "Loi sur les prérogatives de l'État et du peuple québécois", piège dans lequel est tombé la SSJB, Maxime Laporte en tête, faisant passer le combat de la vénérable institution dans le camp de la rivalité de deux États, Québec Vs Canada. Comme les autres, la SSJB est passée de la défense de la patrie culturelle et historique, raison de sa fondation, à la défense des prérogatives d'un État inégalitaire envers ses deux nations; un État qui par ailleurs refuse de reconnaître leur existence dans la loi 99.


L'Action nationale et la SSJB n'ont pas voulu suivre les conseils de leur chef éclairé, celui qui avait tout compris de la québécitude dès 1980, celui qui déjà, avec clairvoyance, faisait le bilan du référendum et de la tangente prise par le mouvement national depuis 1974. François-Albert Angers est le père de la lutte contre la "québécitude". 

François-Albert Angers écrivait :  

« ...si nous insistons pour n'être que des Québécois, notre sort se réglera vraisemblablement en fonction de la confusion qui en résulte. Notre histoire nationale propre vient pour ainsi dire de se terminer. »
Notre 
 « droit de réclamer la latitude d'aménager le territoire en nation française de langue et de civilisation...»
s'est terminé avec la québécitude, qui est en somme un acte multiculturaliste précoce mais non moins mortifère. Nous pouvons en apprécier aujourd'hui toutes les conséquences

Il est important pour tous les patriotes de réaliser que la Loi 99 enchâsse des privilèges coloniaux en faisant de la "communauté anglophone" une communauté d'exception; la seule à se voir attribuer des "droits consacrés." J'estime que les intérêts d'une nation, fondée 150 ans avant la conquête, passent par l'abrogation de la loi 99 ou, à tout le moins, par la ré-écriture de ses considérants dans un esprit de stricte égalité, avec toutes les conséquences économiques et distributives que cela implique.

Entre temps, si on prend au pied de la lettre sa valeur constitutionnelle, la loi 99 fait obstacle au Mouvement Québec français et aux volontés francophones en général. Elle fait obstacle à tous ceux qui osent encore remettre en cause le sur-financement des institutions anglophones en santé et en éducation. Car, en quoi consistent donc les "droits consacrés" des anglophones sinon leur permettre de profiter éternellement d'un système d'éducation, d'enseignement supérieur et de santé largement sur-financé par rapport à leur taille démographique. Les pratiques courantes mises en vigueur ailleurs au Canada, eu égard au financement de leur minorité de langue officielle, ne devraient-ils pas être considérées comme un modèle de justice ? Nous savons bien pourquoi le traitement des minorités diffère : une minorité anglaise n'a pas le même poids qu'une minorité francophone. Ainsi le veut la dictature linguistique du Canada qui encourage l'extinction de sa nation fondatrice depuis la conquête. Ottawa a commémoré récemment le cinquantième anniversaire l'adoption de la loi des langues officielles, il y avait là dix journalistes des médias francophones et aucun des médias anglophones... Qui se déplacerait du coté anglais pour une affaire aussi triviale ? 


Au Québec, l'avenir du français ne pourra être assuré que par le renversement des tendances lourdes qui conduisent à une minorisation de la nation historique canadienne-française, ou des "Québécois francophones", mais quelle différence ? Notre avenir se trouve dans la fin d'une injustice qui n'a jamais cessé. L'égalité des nations, l'équité des dépenses de l'État pour chacune des nations, est la clé de notre survie nationale aujourd'hui, et la condition d'une plus grande indépendance un jour. Avec la loi 99, l'État bi-national du Québec a renoncé à l'égalité des nations pour ré-affirmer les privilèges anglo-saxons issus de la conquête. L'État du Québec est non seulement pas notre ami, mais il n'est pas l'ami de l'égalité non plus. En refusant d'affirmer l'égalité des nations, il s'est révélé non seulement l'arbitre des deux nations, mais un arbitre déterminé à maintenir le sens dans lequel évolue l'histoire.

Références 

(1) François-Albert Angers avait tout compris -Dans son analyse du référendum de 1980, il répudie à titre posthume les dérives de ses successeurs à la tête de la SSJB et de l'Action nationale.
https://gilles-verrier.blogspot.com/2019/01/francois-albert-angers-avait-tout.html
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Deux exemples du rôle de l'État du Québec tirés de l'actualité récente
1- Charles Castonguay
https://vigile.quebec/articles/le-mensonge-entourant-l-efficacite-de-la-loi-101
Les organismes mis en place par la loi 101 ne font pas leur travail sous le regard passif de l'État du Québec

2- Gilles Paquin
https://vigile.quebec/articles/legault-prend-le-relais-de-couillard-pour-doubler-le-campus-de-mcgill
Les avantages coloniaux à ce qu'on appelle faussement la "minorité" anglophone du Québec se poursuivent
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Vaut-il mieux une communauté minoritaire aux droits consacrés ou deux nations égales ? La Loi 99 fait du chichi sur l'existence des deux principales nations du Québec. Soit la nation canadienne-française dont le berceau est au Québec; soit, la nation canadienne-anglaise, dont le berceau est également au Québec. Cette dernière s'estime inséparablement liée au destin du Canada anglais, sa loyauté est à Ottawa. Une réalité obscurcie par l'euphémisme hilarant d' "une communauté aux droits consacrés", sixième considérant de la loi 99.


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