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mardi 26 mai 2020

Réponse à Frédéric Bastien : P. E. Trudeau n'a pas trahi ses promesses


René Lévesque et l'hostilité anglo-saxonne
Le projet de souveraineté-association élaboré par René Lévesque n'a jamais tenu debout. Charmeur, René Lévesque était un homme populaire et convainquant. Il fera vite progresser son projet, entraînant avec lui une cohorte bigarrée de partisans. Même le
Rassemblement pour l'indépendance nationale de Pierre Bourgault, qui poursuivait d'autres objectifs, se fera harakiri pour être du nombre. Mais le plan de René Lévesque était plombé. Son optimisme faisait trop peu de cas de la volonté anglo-saxonne de perpétuer sa domination, de son hostilité générale à ce qu'une nation française en Amérique prenne librement son envol. 
Cet a priori, doublé d'une ambivalence identitaire qui le faisait craindre  toute expression de ferveur patriotique, faisaient du PQ une sorte de géant aux pieds d'argile. Au référendum de 1980, l'exacerbation des contradictions fera voler en éclats sa fragilité doctrinale. Le 14 mai, six jours avant le vote, Pierre Elliott Trudeau sera sans merci. Si son discours du Centre Paul-Sauvé recourait à une démagogie catastrophiste inadmissible, c'est la déculottée qu'il fit subir au Parti québécois qui, sans surprise, retiendra l'attention des médias. S'attardant sur le libellé de la question référendaire, Trudeau s'amusera à mettre en évidence les incohérences. On attendit en vain une riposte, une réplique, un redressement, un souffle... Il semble bien que Trudeau avait fait mouche. Le PQ est reporté au pouvoir en 1981, nous verrons bien ce qu'il en fera.


Pour Lévesque le Canada devait y trouver son compte
Dans un texte précédent1, j'ai plaidé que Daniel Johnson (père) s'était donné une position de négociation crédible – un plan B – qui faisait de l'indépendance la conséquence naturelle de négociations infructueuses. 

Daniel Johnson père, avec à gauche,
Claude Morin, l'homme à la pipe,
 pot de colle des premiers ministres

Dans Option Québec, publié pour lancer son projet, Lévesque élabore une refonte constitutionnelle qui mise sur un ralliement du reste du Canada à ses idées. Après une période de mûrissement, croyait-il, la souveraineté-association trouverait preneur au Québec, mais aussi au Canada anglais. Pour mousser l'idée, il comparera le Canada à une "maison de fous", caractérisée par "le gaspillage d'énergie", "la sclérose des structures", "les chevauchements de législation", le dédoublement des champs de compétence", le vieillissement de la confédération, etc. Peu retiendront (ou voudront retenir) que le projet de Lévesque visait d'abord une rationalisation de la superstructure étatique Québec-Canada. Suffisante pour certains, cette priorité laissait loin derrière la dimension existentielle et patriotique du projet. L'exercice du pouvoir le prouvera amplement et fera pâlir les quelques passages nationalistes d'Option Québec. D'ailleurs, tous savaient que la ferveur nationaliste d'une partie des membres ne faisait qu'agacer René Lévesque qui, du reste, mettra un jour sa tête en jeu sur cette question. 

Le livre qui propose la quadrature du cercle
de la "souveraineté-association" et qui servira 

à la "déconfliction"de la question nationale.

La suite des événements prouva également que la pensée de Lévesque se trouve la mieux exprimée dans Option Québec. Dans ce remodelage du Québec avec l'assentiment d'Ottawa, qui y trouverait aussi son compte, Lévesque était dans son élément. En bonus, la souveraineté-association pouvait servir de soupape de « déconfliction » de la question nationale aussi longtemps que le mirage souverainiste opérait. C'est donc sans surprise qu'aucune page d'Option Québec ne prévoit un plan B en cas d'échec. De cette posture doctrinale irréaliste, qui ne retenait que les vertus intrinsèques de la souveraineté-association pour amadouer Ottawa, s'ensuivra un état apparemment irrépressible de sidération dès qu'une situation réclamait qu'on réponde à Ottawa du tac au tac. Jamais de deuxième manche, jamais de match revanche. 

Frédéric Bastien accuse Trudeau d'avoir trahi ses promesses 
Pour les fidèles du péquisme il semble très difficile, voire impossible de sortir du dogme selon lequel tous les revers du mouvement souverainiste sont attribuables aux "méchants fédéralistes". 

Frédéric Bastien,
candidat à la chefferie du Parti québécois

ménage son parti. 

On peut regretter que Frédéric Bastien ne fasse pas exception. Dans un texte qu'il vient de publier,2 on veut bien se joindre à lui pour clouer au pilori Pierre Elliott Trudeau, mais encore faut-il le faire correctement. La partisanerie mène à l'analyse unilatérale, tronquée, incomplète... On ne peut donc souscrire à la silencieuse complaisance de Bastien avec le comportement du Parti québécois dans la période qui suivit le retentissant discours de Trudeau mentionné plus haut.3 Bastien reproche à Trudeau d'avoir trahi ses promesses. Mais est-ce bien vrai? 

Il écrit : «la déclaration [de Trudeau] a été entendue par presque tout le monde comme une ouverture à ce qu’on a appelé les demandes traditionnelles du Québec, c’est-à-dire des revendications exigeant plus de pouvoirs et une reconnaissance du peuple québécois en tant que nation.»

Toutefois, comprendre ce qu'a dit Trudeau comme une «ouverture … aux demandes traditionnelles du Québec, etc.» peut aussi apparaître d'une naïveté désarmante. Or, s'il y a quelqu'un qui a été clair et constant contre le nationalisme canadien-français depuis «La nouvelle trahison des clercs », parue en 1962, c'est bien Pierre Elliott Trudeau. Il faut donc s'interroger car, si « presque tout le monde » avait compris ce que prétend M. Bastien, on le trouve nulle part dans le texte. Si «presque tout le monde» a cru déceler une « ouverture » de cet ordre, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'était pas claire. Dans les circonstances, avouons que la « promesse » en question ne pouvait engager que ceux qui voulaient bien y croire. 

Claude Morin, commis-voyageur
Avant de poursuivre, un bref rappel des faits sera utile pour rafraîchir les mémoires. Au lendemain du référendum, Trudeau reprend immédiatement l'initiative constitutionnelle. 

Pierre Elliott Trudeau en 1968,
pourfend le nationalisme 

canadien-français

Le caractère unilatéral qu'il entend donner à sa démarche suscite la formation d'un front commun des provinces dans lequel le Québec joue un rôle de premier plan. À partir de l'été 1980, Claude Morin fait la navette entre les capitales provinciales, un rôle qui lui sied à merveille. Remarquez que tout ceci se passe après que le PQ vient d'essuyer un non à des négociations constitutionnelles et avant une nouvelle élection. Il s'engage donc dans cet activisme sans politique constitutionnelle et sans mandat du même ordre. Mais Lévesque, qui jongle un moment avec des élections, les repousse finalement en avril 1981, onze mois après le référendum. Esquivant les questions de Claude Ryan, son opposant libéral aux élections, il reste évasif sur l'orientation constitutionnelle qu'il entend prendre. Pendant ce temps Claude Morin voyage. Mais laissons là ces considérations de contexte pour revenir à l'essentiel.

Pourquoi le PQ n'a pas demandé à Trudeau de clarifier ses promesses ?
Au lendemain des élections gagnées par le PQ, qui récolte une majorité historique, le temps est propice pour revoir la stratégie constitutionnelle improvisée, engagée sans réflexion après le référendum. Martine Tremblay écrira : «Idéalement, il n'eut certes pas été mauvais, pour René Lévesque et les siens, de prendre un peu de recul et de ré-examiner la stratégie suivie jusque-là.»4

Et comment !

Effectivement, n'était-ce pas le moment tout désigné pour un gouvernement péquiste fraîchement élu de «Prendre un peu de recul» au lieu de continuer de foncer comme une bourrique avec un front commun provincial, dont Lévesque avait jugé peu avant qu': «il est illusoire de compter sur une action concertée des provinces.5» N'était-il pas dans l'obligation du nouveau gouvernement de «ré-examiner sa stratégie»? Frédéric Bastien n'en parle pas. Comme si Trudeau était seul en scène, le seul acteur pouvant agir avec envergure. Comme si le Québec n'existait pas, ou n'avait aucune carte à jouer. Mais qui peut croire que Québec ne pouvait pas aller au bâton à son tour? 

Si Trudeau avait gagné une manche avec son discours de la veille référendaire, n'était-ce pas le temps pour Lévesque d'exiger de Trudeau qu'il précise le sens de ses promesses? D'autant que, à tort ou à raison, plusieurs pensaient, qu'il s'agissait d'une ouverture allant dans le sens des revendications du Québec. Il fallait donc clarifier tout ça publiquement. Le Québec devait savoir à quoi s'en tenir afin de pouvoir légitimement considérer ses options, avant de s'enfoncer davantage avec sa stratégie improvisée. De surcroit, interpeller Trudeau là-dessus était aussi une façon pour Québec de montrer son sérieux et de gagner un peu de respect. Et, quant aux options elles-mêmes, il y en avait plusieurs si le gouvernement voulait bien se mettre au travail pour en trouver, sans exclure la possibilité de s'adresser directement à Londres et même à une instance internationale. Mais Québec, avec sa grosse majorité péquiste ne fera absolument rien. 

Au lecteur sceptique qui ne verrait dans ce qui précède que les affabulations d'un gérant d'estrade, j'ai trouvé deux personnalités de bonne notoriété pour venir à ma rescousse. Voici d'abord ce qu'en pense Martine Tremblay, qui a été proche de René Lévesque pendant de longues années : 
En réalité, la fameuse « Nuit des longs couteaux » du 5 novembre 1981, devenue le symbole pathétique de l'affaiblissement du Québec et de l'humiliation personnelle de René Lévesque, n'est que l'épisode ultime, et beaucoup moins inattendu qu'on le croit, d'une démarche engagée depuis plusieurs mois et dont l'étape la plus cruciale se situe précisément le 16 avril, trois jours seulement après l'élection québécoise.6

Le politologue Guy Laforest n'est pas en reste quand il écrit à son tour : 
Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque, [...] le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d'amendement qui substituait le principe d'un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée.7

Point d'orgue
Pour être sûr que le clou est bien enfoncé, voici mon point d'orgue. Fort d'une victoire électorale sans précédent, René Lévesque, Claude Morin et son gouvernement ont trahi les intérêts du Québec par négligence, bêtise et opportunisme politique, le tout chapeauté par une doctrine bancale. Ils sont les premiers responsables de la Nuit des longs couteaux. Par leur inconscience, leur improvisation et l'absence d'une stratégie crédible, ils sont tombés dans tous les pièges. Ce sont eux qui ont facilité grandement l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

Qu'ont à répondre Frédéric Bastien et les autres candidats à la chefferie? Pourquoi gardent-ils le silence? Quelle est leur interprétation de ces événements?  Cautionnent-ils l'action de leur parti à cette époque? Sont-ils prêts à continuer de la même façon?

Comme les pères canadiens-français de la Confédération s'étaient laissés duper en 1865 par des promesses rassurantes et des allégations, les Canadiens-Français (remplacez Canadiens-Français par la périphrase de votre choix si vous voulez !) se laisseront prendre de nouveau par les «promesses » de PET en 1980. Et encore par celles de Jean Chrétien en 1995. Dans les trois cas on s'abstiendra de rebondir pour demander des comptes. Certes, les petites nations doivent se garder de ressasser indéfiniment leurs défaites si elles veulent conserver leur foi dans l'avenir. Mais notre premier problème relève peut-être bien davantage d'un déni de réalité. Au lecteur sceptique, je n'ai rien fait d'autre que de relier les pointillés pour faire apparaître un portrait plus véridique.

Notes
1-http://www.lebonnetdespatriotes.net/lbdp/index.php/chroniques/
item/23038
2- https://www.journaldequebec.com/2020/05/14/il-y-a-40-ans-la-promesse-qui-devint-trahison
3- https://www.collectionscanada.gc.ca/primeministers/h4-4083-f.html
4- Tremblay, Martine; Derrière les portes closes, Québec-Amérique, 2006, p. 262
5- ibid. p. 261 CDPQ, Mémoire des délibérations du Conseil des ministres, séance du 27 août 1980, cité par l'auteur
6- Ibid. p. 262
7- https://gilles-verrier.blogspot.com/2018/01/le-perdant-extraits-du-livre-de-martin.html



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Ajout du 3 juin 2020

Commentaire
Denis Monière a raison du point de vue des politologues ou de ceux qui suivaient la politique de près à cette époque. Toutefois, Mathieu Bock-Coté (https://www.journaldemontreal.com/2020/05/21/le-21-mai-1980), s’exprime dans le même sens populaire que F. Bastien. Il faut considérer que de nombreux citoyens ordinaires ont été impressionnés ou séduits par la métaphore dramatique de la « tête sur le billot ». Le jugement tranchant de M. Bock-Côté tombe juste : P.E.T. est le « pire traître de notre histoire ».
Le 21 mai 1980
journaldemontreal.com
Le 21 mai 1980
  • Gilles Verrier On aura sans doute l'occasion d'en reparler mais voici quelques remarques. Pour trahir il faut être du même camp. Trahir, c'est passer à l'ennemi, manquer au devoir de fidélité. Dans le cas de Trudeau, le terme est mal choisi et utilisé abusivement par ceux qui en font le thème de leur analyse. Je pense que Trudeau a dupé ceux qui ne demandaient qu'à l'être car il s'adonne que, contrairement à d'autres, sa doctrine était claire. "Tout art de la guerre repose sur la duperie ". (Sun Tzu - L'art de la guerre) Et Trudeau était en guerre. Il s'était entouré de gens du même esprit, tels que Jean Chrétien et tant d'autres, comme Charles "Chuck" Guitté "Nous étions en guerre". 

    Les "nombreux citoyens ordinaires" se sont laissés berner d'abord parce qu'ils n'avaient pas de vrais chefs. L'influence du discours de Trudeau a été d'autant plus grande qu'il n'y avait personne de l'autre coté pour dénoncer la ruse. Le discours de Trudeau a été un révélateur de la faiblesse du leadership souverainiste. 

1 commentaire:

Marc Labelle a dit...

Plusieurs se sont laissés piégés par les ratiocinations perverses de P.E.T. Certes, le Canada anglais aurait dit Non à la négociation de l’association, mais aussi à tout renouvellement du fédéralisme correspondant aux attentes du Québec malgré les prétentions hypocrites de P.E.T. Par exemple, le futur ratage de l’accord minimaliste du lac Meech auquel P.E.T. s’est opposé. Frédéric Bastien a raison de dénoncer P.E.T., qui fut perçu par René Lévesque comme un faux Québécois. La preuve : l’importation unilatérale de la Constitution canadienne en 1982 par le fourbe a diminué les pouvoirs de l’Assemblée nationale.

Denis Monière a raison du point de vue des politologues ou de ceux qui suivaient la politique de près à cette époque. Toutefois, Mathieu Bock-Coté (https://www.journaldemontreal.com/2020/05/21/le-21-mai-1980) s’exprime dans le même sens populaire que F. Bastien. Il faut considérer que de nombreux citoyens ordinaires ont été impressionnés ou séduits par la métaphore dramatique de la « tête sur le billot ». Le jugement tranchant de M. Bock-Côté tombe juste : P.E.T. est le « pire traître de notre histoire ».