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La stratégie machiavélique du fédéral pour mettre en échec la menace des Canadiens-Français : référendum et langues officielles

Le 16 novembre 1974, il y 50 ans, l'accession de la souveraineté par la voie référendaire était adoptée. Disons qu'il y a 50 ans ça...

lundi 25 janvier 2021

Un Québécois et un Canadien-Français discutent

Question nationale et indépendance

Le dialogue politique entre les tenants d'un continuité réformée et les tenants d'un nouveau paradigme du national a intérêt à être poursuivi. On le sait, tout le monde n'est pas prêt à discuter de ses positions politiques. Dans un monde idéal on le ferait tous, mais, en réalité, ça ne marche pas comme ça.

Aussi, je remercie Marc Labelle de me donner la réplique et de me permettre de m'expliquer à mon tour. Et vice versa. Les dialogues francs, même sans convaincre personne, font partie de la vie en société et, ici, de la vie politique. Selon moi, ces discussions sont essentielles. Elles servent à clarifier les enjeux et contribuent à la perspicacité et au discernement en politique. Que nous parlions des "Québécois francophones" ou des "Canadiens-Français", l'acquisition d'une plus grande compétence politique, qui part ici de citoyens ordinaires, comme Marc et moi-même, peut être retenue comme une cause commune. 

Pour les premiers éléments de ce dialogue, on peut aller voir ici : 

https://www.facebook.com/groups/621076805143230




 L'homme est naturellement un animal politique. 
Aristote ; La politique, I, 1, 9 - IVe s. av. J.-C.

*  *  *

Marc Labelle : La loi 99 fut une riposte tactique plutôt que stratégique à la loi fédérale dite sur la clarté. Sans doute trop timide, la loi du gouvernement Bouchard ne cherchait pas à transgresser l’ordre constitutionnel de 1867, d’où une certaine ambiguïté.

Gilles Verrier : La loi 99 n’est pas accidentellement timide et ambiguë. N'oublions pas qu'il s’agit d’un projet de loi qui a été au feuilleton pendant un an et qui a été en commission parlementaire avant d’être adopté. Le gouvernement de Lucien Bouchard a reconnu qu’il s’agissait d’une loi fondamentale. Largement débattue entre les libéraux et les péquistes, il ne fait aucun doute que cette loi reflète fidèlement les vues du Parti québécois et du gouvernement de l'époque sur la nation québécoise. Les orientations douteuses qu'il contient, vieilles de vingt ans, auraient pu être contestées à l'occasion de la récente course à la chefferie. Or, même un Frédéric Bastien, considéré comme un audacieux, n'osera pas un couac.

Marc Labelle : L’appellation «peuple québécois» revient une vingtaine de fois dans la brève loi 99. Il est défini comme étant un peuple «majoritairement de langue française». On devrait biffer «majoritairement», qualificatif superflu et dangereux dans notre contexte. Si on tient à être clair et limpide, on se contentera d’écrire simplement «peuple de langue française».

GV :  À ce sujet, la loi 99 marque un recul. Elle le marque non seulement sur les ancrages du nationalisme canadien-français, mais aussi par rapport à la loi sur l’avenir du Québec (la loi référendaire – projet de loi 1, adoptée en septembre 1995). En cinq ans de péquisme, on est passé de pays de langue française à peuple majoritairement de langue française

Dans la partie de la loi 1 intitulée Nouvelle constitution, article 7 : 

«La nouvelle constitution précisera que le Québec est un pays de langue française et fera obligation au gouvernement d’assurer la protection et le développement de la culture québécoise.»

ML : Un peuple se définit nécessairement par sa majorité, et non ses minorités. Autrement, les peuples n’existeraient plus puisque 80 % des pays dans le monde ont des minorités. D’ailleurs, c’est par la reconnaissance et la promotion exacerbée de toutes espèces de minorités que les mondialistes cherchent à dissoudre les peuples occidentaux. Imagine-t-on caractériser la France comme un pays «majoritairement français» parce qu’il y a une minorité bretonne ou corse, ou l’Allemagne comme un pays «majoritairement germanophone» à cause de sa minorité turque ? 

Ma définition de «peuple québécois», loin d’être personnelle, est organique en ce sens qu’elle correspond au sentiment général que nous formons nation. 

GV : Il s’agit donc d’une définition subjective, mais d’une subjectivité partagée, fondée sur «le sentiment général que nous formons une nation». Mais cette subjectivité, réelle en conscience, s’oppose à la définition étatique de la nation. Comme bien d’autres, c’est une contradiction dont vous préférez sous-estimer les implications. Comment comptez-vous réconcilier l’opposition entre le sentiment national canadien-français et la définition officielle d'un peuple québécois pluri national ? La définition officielle, ne l'oublions pas, est un produit pur jus du Parti québécois, réalisé sans pression fédérale.

ML : Dans l’esprit populaire, les Canadiens français du Québec sont devenus des Québécois au cours des années 1960. Le nationalisme laurentien de Lionel Groulx avait alors finalement triomphé du binationalisme pancanadien étriqué d’Henri Bourassa du début du 20e siècle. En s’enracinant dans un territoire, le groupe canadien-français d’ici sortait de la stricte ethnicité folklorique.

GV : Le binationalisme canadien d’Henri Bourassa s'esr replié au Québec où il s'est trouvé de nouveaux habits. Nous sommes à même de constater le recul encaissé par le déclin d’une identité forte, remplacée par une identité théâtrale. De sympathiques noms d’artistes ont remplacé les désignations claires et précises des réalités qui, elles, n’ont pas changé. 

Les appellations sont d’ailleurs frauduleuses. La «communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés» n’est québécoise que parce qu’elle réside au Québec. En réalité — subjectivement et objectivement — la portion des English canadian, auxquels s’ajoutent naturellement ceux qui leur sont assimilés, ont formé le contingent le plus résolu des NON référendaires. En contrepartie, les «Québécois francophones» ont dilué leur propre identité pour pouvoir compter leurs adversaires historiques au sein d’une «nouvelle nation», un pur fantasme. Contraire à toute logique, l'inclusion des anglophones dans notre nation avait aussi pour objet de se garantir un territoire commun, mais à quel prix ?  

Les efforts désespérés d'Henri Bourassa sont remplacés par ceux aussi désespérés de nos néonationalistes péquistes les plus sincères. Un séparatisme qui fait de la nation organique le centre de son intérêt, et non un territoire donné et son État, a toujours été la seule solution à la survie des peuples minoritaires. Les Canadiens-Français ne quittent-ils pas graduellement Montréal pour s'en séparer ? L'erreur de Bourassa était de penser un territoire bi-national accommodant, avant un espace national sécurisé, quel qu'il soit. C'est l'erreur que reproduisent aujourd'hui les néonationalistes dans les frontières d'un Québec qui ne correspond plus à la nation. Au lieu de prendre acte de cette réalité, on a changé la définition de la nation pour en faire un assemblage pluri-national accommodant.

ML : Je supprimerais également la mention de la “communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés”, puisque l’indépendance devrait abolir les privilèges mal acquis de cette minorité.

GV : Vous écrivez, non sans témérité, que «l’indépendance devrait abolir les privilèges mal acquis de cette minorité». Pourriez-vous appuyer votre assertion, ne serait-ce que par une seule citation qui en fait état ? Honnêtement, je pense que ça ne se trouve nulle part, sauf au compte des bénéfices imaginaires de l’indépendance. 

Les lois du Québec continueront de s’appliquer au lendemain d’une hypothétique indépendance. Et comme l’indépendance plurinationale obtenue par référendum ne peut vraisemblablement pas se faire sans l’appui de la «communauté aux droits consacrés», l’indépendance leur garantirait un statu quo avantageux en vertu de la succession des engagements de l'État.

De plus, je rajouterais qu’un ré-équilibrage linguistique graduel, en faveur des Canadiens-Français, n’a pas la moindre chance de se produire sans que ces derniers forment de nouveau un corps national organisé, condition indispensable pour faire valoir leurs intérêts auprès de l’État du Québec. 

Il y a urgence de reprendre le rôle de défenseur qui avait été dévolu à la SSJB (M) et à l’Action nationale, entre autres organismes qui ont changé leur fusil d'épaule peu après la fondation du Parti québécois. Par le vide qu'ils ont laissé, la nation a souffert d'une sous représentation. Nos organisations patriotiques se sont mises au service d’un État du Québec qui n’était pas le nôtre. Comble de malheur, le penchant plurinational et multiculturel de cet État n’a fait que se renforcer depuis, faisant des Canadiens-Français des déshérités politiques. Quel mauvais calcul!

ML : Tout ce qui la concerne (ed : anglophones) pourrait faire l’objet de négociations avec le reste du Canada en regard des droits des Canadiens francophones. Pour arriver à un résultat satisfaisant, il faudra négocier avec lui au moyen de notre instrument complet, celui d’un État indépendant.

GV : Ni la loi 1 (loi référendaire de 1995) ni la loi 99 (2000) ne proposent une telle réciprocité. De plus, il faut admettre que ni l'une ni l'autre de ces lois ne met le français et la culture française au centre de la prospérité d’un Québec indépendant. Tout ce que le souverainisme néo national offre aux Canadiens-Français c’est la reconduction d’un statu quo qui représente un glissement continu vers l’anglicisation. Le gouvernement Legault, qui vient d’allouer de nouveaux fonds aux anglophones en santé et en éducation n’est pas très différent du Parti québécois, dont la CAQ est issue.

Chez les souverainistes on se plaint du demi-état du Québec, mais on ne lui reproche jamais de ne pas occuper jusqu'à la dernière limite du concevable ses champs de compétence en faveur de la majorité historique et légitime. 

Il faut retenir que la souveraineté n’a de sens que si elle nous procure une protection linguistique et culturelle supplémentaire. Mais l’évolution législative s’est faite dans le sens inverse. On entretient les allégations que l'indépendance nous serait favorable. On illusionne à peu de frais le naïf politique, pendant que les anglophones rendent plus explicites leurs droits statutaires à chaque virage.

La dynamique politique mise en place au Québec, tous partis confondus, garantit une attraction continue vers l’anglais, avec à la clé l’anglicisation des immigrants, indépendance ou pas. La pesante routine d'une gouvernance équilibrée entre anglos et francophones ne permet pas de créer un rapport de force qui pourrait modifier quelque peu l’évolution linguistique en notre faveur. 

Dans ce contexte, dépeint avec réalisme, il est facile de se convaincre que tant que nous refuserons de nous donner de nouveau une voix indépendante, ce qui serait le premier pas d’une indépendance en marche, nous ne ferons qu’assister, impuissants, à notre marginalisation. 

*   *   * 

Pour finir et bien étayer mon propos de Canadien-Français, voici en deux citations la progression des droits consentis aux anglophones par Québec entre 1995 et 2000. 

1— La loi sur l’avenir du Québec (1995) : «La nouvelle constitution garantira à la communauté anglophone la préservation de son identité et de ses institutions.»

2— La Loi 99 (2000) Fait partie du peuple québécois la «communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés»

En cinq ans, on est parti de la « préservation de son identité » à la « jouissance de droits consacrés ». Les droits des anglophones, renchéris délibérément par la trahison de Québec, sans aucune pression d’Ottawa, leur assurent de continuer de s’étendre en nombre et de prospérer sur ce qu'on appelle notre territoire.  

Quant aux Canadiens-Français, peuple fondateur et autochtone non reconnu, il n’a nulle part sa place. S’il avait une place et un gouvernement pour les représenter, il se trouverait quelque part un énoncé politique qui pourrait ressembler à ceci : 

Le gouvernement du Québec garantira la prépondérance du français et de la culture française au Québec. Il en fera les moyens incontournables de la prospérité individuelle et collective. Pour ce faire, il prendra des mesures pour rétablir le nombre des locuteurs usuels du français au pourcentage qu’ils occupaient en 1981, date de l’adoption de la Loi constitutionnelle sans le consentement du Québec. Ou, selon une autre formule, rétablir graduellement le français au niveau d’importance qu’il occupait selon les moyennes combinées de ses locuteurs en 1760, 1867 et 1981, soit 99,5 % + 90 % + 81 % / 3 = 91 %).

Mais une telle affirmation est aujourd’hui impensable. Elle sera toujours un exercice en futilité sans un réveil des Canadiens-Français et le retour de leur nationalisme. Aucun état plurinational d’orientation libérale et chartiste ne nous défendra si nous refusons de nous donner nous-mêmes une existence politique indépendante de l’État.


ML : En conclusion de la présente discussion, j’estime que
MM. Bock-Côté et Bédard ont historiquement raison. Dans l’esprit
des nationalistes québécois comme Jacques Parizeau, la Révolution
tranquille (garder la majuscule S.V.P. parce qu’il s’agit d’un tournant
majeur dans notre destinée), par l’éducation étendue à l’ensemble des
citoyens et la modernisation de la société, devait naturellement
aboutir à l’Indépendance. Quels furent les empêchements ?
Il y a d’abord la réaction du gouvernement fédéral, avec son
envahissement à répétition des compétences constitutionnelles du
Québec, notamment en santé et éducation, et ses tricheries lors du
référendum de 1995. Je remarque que sur le présent site on se prive
d’attaquer notre principal ennemi, comme s’il n’existait pas ; or, cela
est la stratégie même de Québec solidaire qui vise un électorat
multiculturaliste et anglophone.

Le mouvement souverainiste a aussi fait preuve d’une grave
insuffisance sur le plan de l’action. Il a mis tous ses œufs dans le
panier du référendum. Alors que ce dernier n’est qu’un seul des trois
moyens de reprendre l’initiative constitutionnelle : les deux autres
flèches dans le carquois québécois sont le vote majoritaire des
députés de l’Assemblée nationale et la récupération unilatérale du
pouvoir constituant, c’est-à-dire le pouvoir déclaratoire du
gouvernement du Québec à titre de seul représentant légitime de
notre peuple. Soit pour accéder à l’indépendance directement, soit
pour adopter des mesures d’affranchissement comme l’adoption
d’une Constitution ou d’une Cour suprême québécoise, cette dernière
détenant le pouvoir ultime de décision concernant la politique
linguistique par exemple. 
Les occasions sont innombrables dans le domaine des communications, 
du développement durable, etc. Quefaut-il comprendre ? 
C’est la volonté politique qui a fait défaut. La
continuation et la reprise de la lutte devraient être incessantes,
malgré les défaites provisoires. Les objectifs partiels comme la
Constitution ou la Cour suprême québécoises adoptées avant
l’indépendance accélèreraient l’avènement de cette dernière. Pour
s’émanciper collectivement, il faut rechercher l’effet synergique, qui
offre des perspectives et des stratégies potentiellement infinies.

Je constate que le pivot de votre argumentation est strictement
identitaire, privé du dessein de prendre le pouvoir. Vous êtes dans le
domaine des idées platoniques comme si l’identité du Canadien-
Français était une essence éternelle détachée de la réalité concrète.
Je reviens sur la formule identité + indépendance + territoire : il
s’agit de réévaluer constamment ces trois aspects changeants de la
réalité globale qui, malgré leur caractère hiérarchique, agissent
comme des vases communicants. Ils appellent la réflexion et l’action,
qui sont indissociables d’une existence féconde.

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