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Gilles VERRIER
Ces jours-ci, la question de l'unité des souverainistes refait surface dans l'actualité avec le vingtième anniversaire du référendum de 1995. Encore une fois, est-ce réaliste?
Voyons d'abord, si le projet d'unir des forces comportant d'importantes dissemblances est possible et même souhaitable.
Si on prend un peu de hauteur pour passer en quelque sorte à un niveau méta politique, on peut poser que le trait commun qui traverse le camp souverainiste-indépendantiste est sa soumission à la doxa mondialiste. Précisons. Le Parti québécois et Option nationale occupent le centre alors que Québec solidaire est identifié au mondialisme de gauche. Par mondialisme de gauche, il faut comprendre qu'il s'inscrit dans la tradition trotskyste. Donc, pour ce dernier, c'est plus d'immigration, plus de multiculturalisme et plus d'«alter mondialisme». Pour le PQ et ON, le mondialisme pratiqué est celui du «mainstream», soit le mondialisme généralement intégré dans l'inconscient politique et collectif. Obligatoire, tel qu'illustré par le mot devenu célèbre de Margaret Thatcher : «There is no alternative». [i]
Si la mouvance souverainiste-indépendantiste a bien intégré cette notion mondialiste du progrès en vertu de laquelle l'éloge de la nation, de son histoire et de sa culture est à proscrire, même dans le cas d'une petite nation dominée par l'empire anglo-saxon, Québec solidaire représente la partie la plus ouvertement affirmée à cet égard, voyant d'abord dans la nation l'instrument pour accomplir un internationalisme de gauche, ultimement sans nation, celle-ci faussement dépeinte comme la cause première des guerres et des conflits. Une autre contre-vérité du catéchisme mondialiste.[ii]
Outre la tendance mondialiste qui domine largement le courant indépendantiste, ce courant compte également une aile minoritaire que les indépendantistes-mondialistes voudraient bien faire sortir du portrait. En son sein des tendances diverses s'expriment. Je distinguerai deux tendances dont les contours peuvent être définis comme suit. Il y a les nationalistes qui s'inscrivent dans la tradition longue, devenus presque inaudibles, particulièrement méprisés par les médias, dont les ambitions politiques sont par conséquent mal définies mais qui par leur existence, font opposition au déracinement que tente d'imposer le mondialisme. Ils s'opposent aux avancées de l'idéologie mondialiste par leur défense des valeurs traditionnelles, familiales, culturelles et religieuses. Ils font un pied de nez à l'idéologie de l'accélération du «progrès» perpétuel, du tout est jetable et remplaçable. Sans nécessairement se nommer anti-mondialistes, ils en sont les opposants objectifs. Ils rejoignent dans le dialogue les indépendantistes issus du mouvement anti-nouvel ordre mondial, un courant qui compte aussi des désabusés de la politique traditionnelle et qui s'appuie notamment sur les avancées de l'analyse politique et géo-politique mondiale. Les deux perçoivent la montée des valeurs mondialistes comme la menace principale à l'encontre de la nation organique.
Revenons maintenant à la question de l'unité. La recherche de l'unité du Parti québécois avec les autres forces souverainistes, Québec solidaire étant l'organisation la plus mentionnée, représente un danger considérable pour l'avenir du Québec. Advenant la réussite de l'union des mondialistes du centre avec les mondialistes de gauche, il en serait fini de toute forme de promotion des intérêts du Québec qui n'épouserait pas les contours «civiques», «a-nationaux» qui sont les seuls tolérés par le mondialisme (à l'insigne exception d'Israel et des États-Unis, qui eux peuvent être patriotes, nationalistes et chauvins de plein droit).
Par l'existence de sa base qui n'a pas perdu tous ses sens, le Parti québécois conserve encore une certaine volonté, même affaiblie, de promouvoir la nation québécoise, sa pérennité et son épanouissement. Certes, son programme et sa tradition sont marqués par sa soumission aux puissances du moment et son renoncement aux pouvoirs indispensables pour l'indépendance du Québec. C'est clair. En dépit de tout cela, ce parti aurait plus de chance de servir le Québec en préservant son indépendance vis-à-vis Québec solidaire. Il pourrait redonner un peu de ce que le Québec lui a donné et modestement abandonner ses prétentions indépendantistes en regard desquelles il n'a jamais été sérieux. Fi de la rhétorique vide, le Parti québécois, s'il peut être encore utile à quelque chose devra recadrer son action pour commencer à faire aboutir ce qu'il a toujours voulu réaliser, conformément à son discours récurrent et ses vraies dispositions :
1. Abandon de la rhétorique souverainiste-indépendantiste et de tout objectif référendaire afin de faire le plein de votes chez les Québécois de souche et de souche plus récente.
2. Préférence nationale explicite en économie partout où c'est possible et justifiable
3. Gestion rigoureuse et probité de l'État et de ses institutions, répression du favoritisme
4. Occuper audacieusement ses champs de compétence :
- Valoriser l'usage et l'utilité de la langue française dans tous les domaines
- Revenir à un enseignement de l'histoire qui n'occulte pas notre objectivité nationale : Conquête, traitement des Amérindiens, etc.
- Défendre et valoriser la culture québécoise et néo-française
C'est déjà beaucoup. Peut-être assez pour mettre fin à des décennies de javellisation de notre identité nationale, peut-être assez pour que les québécois cessent d'être tentés par l'idée morbide de la disparition de leur propre identité, pour que les jeunes cessent d'être attirés par le suicide individuel et collectif, instillé par des valeurs qui ne servent qu'une humanité «hors-sol». Ce serait le retour d'un sain patriotisme, un acte de résistance contre le déni national. Donc, un retour à nos positions traditionnelles de résistance. Réalisera-t-on que l'existence et les progrès de la nation ne sont pas tributaires des discours politiques? D'ailleurs, après le sérieux examen de conscience que le Parti québécois a souvent appelé de ses vœux mais n'a jamais fait, il réalisera qu'il n'est pas prêt à aller plus loin.
Voudrait-il aller plus loin?
On ne le laissera pas faire. Et dans son état d'impréparation idéologique et politique il n'en aurait pas la force, il prendrait son rang comme le fit Alexis Tsipras, en Grèce, et Jacques Parizeau avant, différemment. On a vu comment le référendum grec a été reçu avec mépris par les technocrates de l'oligarchie européenne. Impassibles sans cœur, ils n'ont pas bougé d'un poil. On a vu, en France, comment Nicolas Sarkosy a passé en douce la constitution européenne, sans égard aux résultats du référendum qui la rejetait.
On a vu au Québec, comment malgré une forte volonté exprimée par la population dans plusieurs circonstances s'échelonnant sur plus d'un siècle le Canada n'a pas bougé et ne lui a pas accordé davantage de latitude, bien au contraire. On voit tous les jours un pays comme la France qui n'est plus lui-même, privé de plus en plus de son indépendance, l'Élysée n'étant plus qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises à Bruxelles dans les officines de l'oligarchie mondiale. La France se voit spoliée des joyaux de son économie nationale (Asltom[iii], etc.) comme Hydro-Québec qui, n'en doutons pas, est dans le collimateur des prédateurs. On voit la vassalisation des pays de l'Union européenne s'accélérer au profit des intérêts américains et autres intérêts étrangers. La liste est longue et ce sont partout les mêmes forces qui agissent similairement. L'avenir qui nous attend fait frissonner.
Il faut en prendre note, la démocratie est devenue dans la plupart des pays sous l'influence américaniste-mondialiste un produit de consommation de masse qui n'engage que ceux qui y croient. Le Parti québécois est fortement sous l'emprise de l'idéologie mondialiste, plongé dans le déni de la géo-politique canadienne, américaine et mondiale. Il se fait petit. L'indépendance du Québec sera peut-être possible un jour, mais cela ne pourra se faire que par une voix plus courageuse, une voix qui saura dire la vérité politique telle qu'elle est. L'indépendance du Québec viendra d'une autre tradition, d'un autre courant que celui commencé par le Parti québécois. Je suis de ceux qui pensent néanmoins que s'il se ressaisit il peut encore jouer un rôle positif dans la résistance, avec des ambitions ramenées à sa mesure. Mais ce n'est pas gagné, le nationalisme dit «civique» a fait fort dans la rééducation des masses. La nouvelle donne c'est le refus de la direction péquiste de s'approcher de notre épopée nationale et de la partager, le refus de valoriser le français pour le rendre indispensable, la gène de se prononcer contre l'immigration incontrôlée, non désirée et difficilement intégrable dans notre minuscule cadre national. Se ressaisira-t-il? Est-il encore capable d'un sursaut national? Le faire représenterait un geste de résistance aux forces délétères du nouvel ordre mondial sans frontiériste, et je suis loin de croire que le PQ peut réunir le courage qu'il faudrait.
Parallèlement, l'indépendance du Canada se rétrécit elle aussi "tendantiellement", le gouvernement de Stephen Harper n'y mettant aucun frein. L'élection de Justin Trudeau pourrait marquer une pause à cet égard, mais cette pause risque d'être de nature plus politicienne qu'une remise en cause des traités commerciaux trans-atlantique et pacifique, traités qui n'ont pas pour seules fins de réduire des barrières tarifaires déjà assez basses en général. Ils sont des instruments à plus longue portée. Ils servent sur le grand échiquier[iv] à habituer les signataires économiquement plus petits à un environnement limité, réduisant leur espace commercial aux dimensions du bloc d'appartenance, créant la dépendance par l'étendue graduelle de la suprématie des normes américaines en matière de qualité, du droit commercial, du droit du travail, de la technologie, du génie, des produits pharmaceutiques, des engrais, etc. Par exemple : pression sous-jacente pour utiliser les semences OGM, faire de la CSA canadienne une copie conforme des normes américaines (ce qu'elle est déjà en partie), obligation d'approuver dans tout pays du bloc les médicaments approuvés dans l'espace économique, domination absolue des dispositifs internets américains sur tous, soit Google, Facebook en liaison avec les agences de renseignements comme la NSA, connues depuis les révélations de Edward Snowden pour collecter les informations personnelles des utilisateurs et ainsi de suite. Ces traités nous feront passer à une division plus poussée du travail effectuée au profit des États-Unis, qui se réserveront notamment la technologie militaire de pointe et autres vecteurs qui les avantage et perpétue leur domination. Bref, à terme, selon ce plan, c'est fin la fin des souverainetés nationales pour toutes les nations et la marchandisation totale du monde, y compris du vivant. Avec à la clé, une autorité supra nationale anonyme, non élue et toute puissante. La constitution de blocs économiques exclusifs a en toile de fond la domination des marchés et le contrôle des ressources, question de faire pression, et éventuellement de priver d'accès, sanctionner, déclarer un embargo (cas de Cuba) ou fomenter une révolution colorée, contre les pays indépendants qui ne veulent pas se soumettre à une seule et unique autorité mondiale. C'est par voie de conséquence un sérieux risque d'aggravation des troubles mondiaux qui pourrait conduire au dérapage nucléaire et à la vitrification du monde. C'est peut-être le sort qui attend cette humanité devenue trop orgeuilleuse. Les choses pourraient bien sûr tourner autrement. La montée en puissance de la Russie, qui s'efforce d'agir dans le plus strict respect du droit international, l'apparition d'alternatives économiques, telles que les BRICS, impensables il y a vingt ans, donne de l'espoir. Mais pour nous au Québec, le diable est aux commandes.
Pris sous cet angle, l'existence du Québec dans sa continuité se joue sur le fond d'un monde occidental lui-même en déclin économique relatif mais continue par rapport au reste du monde. Les États-Unis restent puissants mais leur politique apparaît de plus en plus marquée par l'instabilité en raison des influences de divers groupes d'intérêts qui s'opposent à l'interne, et, à l'externe, ils ne parviennent pas à imposer cette doctrine qu'ils appellent la full spectrum dominance [v], basée sur leur exceptionnalism [vi] auto-proclamé. En fait, sur le plan de leurs interventions étrangères agressives, qu'ils s'attribuent le droit d'enclencher de manière toute impériale, ils encaissent plus de revers que de succès depuis quelques décennies, n'atteignant nulle part leurs objectifs déclarés : Vietnam, Cuba, Iraq, Iran, Libye, etc. Et maintenant en Syrie où leur duplicité est désormais du domaine public.
Dans ce contexte mondial, absolument incompris par le Parti québécois, il s'est avéré incapable de distinguer en ce monde les amis de l'indépendance de ceux qui lui sont hostiles et qui la menacent. Incapable de se prononcer en faveur d'un ordre mondial multipolaire, alors que le Québec en aurait tant besoin... Alors? Présence aux Nations-Unies? une exigence, un objectif repris souvent par le Parti québécois pour se donner de l'importance ou de la crédibilité, votre choix. Mais si seulement le Québec avait quelque chose à dire qui vienne de lui! Dans ce contexte où la hauteur de vue ne dépasse pas le carré de sable, l'objectif de l'indépendance se révèle une fantaisie
d'enfants d'école. Quand les Québécois, entraînés par le PQ dans le monde des bisounours sortiront de leurs rêves insensés, on pourra peut-être reparler d'avenir. En attendant, l'urgence appelle à l'union nationale et à toute forme de résistance pour préserver ce qu'il nous reste.
[i] «There is no alternative (TINA, en français « Il n'y a pas d'autre choix ») est un slogan politique couramment attribué1 à Margaret Thatcher2 lorsqu'elle était Premier ministre du Royaume-Uni. Ce slogan signifie que le marché, le capitalisme et la mondialisation sont des phénomènes nécessaires et bénéfiques et que tout régime qui prend une autre voie court à l'échec. Margaret Thatcher a toutefois peu utilisé cette expression en ce sens au cours de sa carrière3 dans ses interventions officielles. L'expression, notamment sous forme de l'acronyme « TINA », est restée4.» (Wikipedia)
[iii] http://www.egaliteetreconciliation.fr/La-vente-d-Alstom-histoire-d-une-guerre-economique-35754.html
[iv] Zbigniew Brzeziński, Le Grand échiquier (1997) – version complète https://electrodes.files.wordpress.com/2014/03/brzezinski_zbigniew__le-grand-echiquier.pdf
Il s'agit d'un classique maintes fois cité, un livre qui expose très impudiquement les plans de subversion des pays insoumis et les visées de domination globale. Les efforts pour couper l'Ukraine de son voisin et partenaire traditionnel, la Russie, s'y trouvent, de même que les ambitions de scinder la Russie en trois États distincts, incluant, pour le faire, l'appui en sous-mains aux terroristes que les États-Unis peuvent mettre en mouvement pour faire avancer leurs intérêts. On dit que le livre est un peu dépassé, pas tant par la perspective qui n'a pas vraiment changée mais par les tactiques et stratégies à employer.
«Il a été conseiller à la sécurité nationale du président des États-UnisJimmy Carter, de 1977 à 1981. En tant que tel, il a été un artisan majeur de la politique étrangère de Washington, soutenant une politique plus agressive vis-à-vis de l'URSS – en rupture avec la Détente antérieure – qui mettait l'accent à la fois sur le réarmement des États-Unis et l'utilisation des droits de l'homme contre Moscou.» (Wikipedia)
[v] Full spectrum dominance – un projet pour encercler la Russie et la Chine en vue d'assurer la domination mondiale par les État-Unis. http://www.globalresearch.ca/the-pentagons-strategy-for-world-domination-full-spectrum-dominance-from-asia-to-africa/5397514
[vi] Exceptionalisme américain. Pour retracer les sources (nombreuses citations) de la propension des États-Unis à s'attribuer une mission mondiale, inspirée souvent de sources divines, voir ici : https://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-14-histoire/
Ce sentiment de supériorité bien assumé expliquerait en partie la difficulté des États-Unis de respecter le droit international et leur difficulté à entrer en relation avec les autres pays comme des partenaires égaux. Israel n'est pas épargné d'un semblable problème relationnel.
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