«Au
lieu de dénier la magie qui nous lie au Québec, nous aurions à
revenir sur elle pour examiner ses procédés et ses démarches. Non
pas pour oublier que nous sommes de cette société, de cet objet qui
nous enveloppe et nous angoisse, mais pour récupérer autant que
faire se peut les démarches implicitement comprises dans notre
adhésion à cette culture-ci. La mémoire serait le commencement de
la méthode.»
«...
nous qui sommes un peuple aux assises fragiles, nous avons besoin
plus que d'autres de références stimulantes à une histoire qui
nous serait propre et de posséder des « lieux de mémoire »
pour nous approprier la genèse
et l'évolution de notre identité et tirer profit de l'expérience
acquise à chaque tournant majeur de notre histoire.»
Léon
Dion (Dans un éloge de Fernand Dumont)
Comment la laïcité a
piégé le Québec ?
Des voix trop peu nombreuses se sont
exprimées, notamment par des commentaires en marge de la pétition
contre l'accueil des réfugiés syriens (77 000 noms), pour réclamer
que les réfugiés soient sélectionnés parmi les chrétiens. Les
chrétiens comptent pour dix pour cent de la population syrienne, ils
représentent une part importante des nombreuses minorités
religieuses du pays. Ces minorités figurent parmi les premières
victimes des atrocités de l'islamisme radical qui ne prospère que
grâce à la duplicité de nos pays. Rappelons que, en gros, la Syrie
a été christianisée il y a 2000 ans et s'est graduellement convertie à l'islam à partir de années 700. La cause de ce changement m'est inconnue.
Le Québec a été peu ému par le sort
réservé aux chrétiens et autres minorités religieuses.
L'importance de la féminisation du débat public et les manipulations médiatiques
ont facilement maintenu le cadre du débat sur « le fait particulier »
dont l'apogée fut le tsunami émotionnel qui a fait vibrer notre
petit monde, le monde occidental qui est de mèche avec les
terroristes, pour le cas du un quatre millionième (1/ 4 000 000e) réfugié, soit le
sort du petit Aylan ...
Parmi les 4 000 000 de déplacés Syriens, une estimation que l'on retrouve un peu partout, le Canada,
faute de sauver Aylan, est en cours de retenir une sélection à
partir de cette petite loterie à l'issue de laquelle sortira un
échantillon de 25 000 personnes. Chaque destin, chaque vie humaine
compte, 25 000 est somme toute généreux, mais ne représente qu'un
poids modeste dans la balance et, disons-le carrément, ne règle
rien. Je n'aborderai pas ici les solutions de rechange à l'accueil
de réfugiés, il y en a, dont le ré-investissement dans la
reconstruction des zones pacifiées, une solution qui serait
nettement plus productive. Oublions une possible dénonciation par le
Canada du double jeu mené par les États-Unis et ses alliés.
Venons-en plutôt à Louis Audet, le patron de COGECO, qui voudrait lui que le Canada accueille 100 000 syriens, voyant là grossir le potentiel d'abonnés à la cablo-distribution et le cheap labour à la clé. Business is business. Personne ne peut croire que l'afflux de réfugiés, cette forme d'intervention choisie par le Canada, constitue un geste absolument désintéressé. Mais je laisserai là cette question qui n'est pas mon sujet.
Venons-en plutôt à Louis Audet, le patron de COGECO, qui voudrait lui que le Canada accueille 100 000 syriens, voyant là grossir le potentiel d'abonnés à la cablo-distribution et le cheap labour à la clé. Business is business. Personne ne peut croire que l'afflux de réfugiés, cette forme d'intervention choisie par le Canada, constitue un geste absolument désintéressé. Mais je laisserai là cette question qui n'est pas mon sujet.
Mon propos, qui pourra en choquer plus
d'un, est simplement de faire réaliser comment le Québec s'est
piégé en ramenant son héritage catholique au statut de tout autre
culte religieux. Concevons qu'en 1964, année charnière de la chute de la
pratique religieuse, on ne pouvait voir venir l'importance que
prendrait l'immigration musulmane. En rétrovision, l'effondrement
du catholicisme, qui marque l'effondrement d'un conservatisme social
qui nous avait préservé jusque là de l'assimilation, un aspect du
phénomène insuffisamment souligné, n'était-il pas la condition
préalable à la construction d'une opinion publique
favorable (ou neutre) à l'immigration «obligatoire» ?
Chez les opposants, on a tout de suite
prétendu que le fait de sélectionner des chrétiens donnerait raison aux islamistes? J'ai un peu de mal à comprendre cet
argument, faudrait-il les garder là-bas pour qu'ils soient exterminés ?
Où élargir le droit de sélection en y incluant le critère d'appartenance
religieuse, où cela donnerait raison aux islamiques ? L'argument ne tient
tout simplement pas la route.
Il y a quelque temps j'ai eu l'occasion
de partager un repas estival avec une famille syrienne chrétienne et
des amis québécois. Ce que j'en retire c'est le sentiment nuancé
de ces immigrés envers leur pays d'origine et sa direction politique, ils
écoutent les radios et télés internationales. Ils parlent un bon
français et, après quelques années parmi nous, semblent être sur
la voie d'un succès d'intégration.
Il m'a semblé que l'accueil de
réfugiés syriens chrétiens serait tellement plus simple. Ces derniers
partagent avec nous un bagage culturel assez proche; déjà plus
européens, ils partagent avec nous le simple humanisme chrétien,
sans halal ni kosher, ce qui facilite leur relation avec nous. Ceci
apparaît tellement évident que l'accueil de réfugiés sunnites, en
comparaison, saute aux yeux comme du masochisme que nous nous
imposons. Mais on s'est déjà imposé cette flagellation en nous
illusionnant sur le fait que «la langue française en partage»
suffisait pour faire des étrangers des Québécois, n'est-ce-pas?
La laïcité innocente et égalitaire,
ce parangon de l'incontestable «progrès», apparaît désormais
comme la compagne de route du multiculturalisme. Avec le rejet en
bloc de la catholicité nationale, sédiment de notre identité avec la langue française, nous avons rejeté le critère politique-religieux, donc la possibilité d'invoquer l'appartenance à la
civilisation chrétienne dans le choix des réfugiés. L'État
québécois a bien séparé la langue de son substrat. Bienvenue dans
le choc des civilisations. Le Québec de demain, qui se forme
au-dessus de nos têtes, pourrait nous faire regretter amèrement le
Québec d'hier, contre lequel une critique méchante n'a jamais cessé
de sévir.
De nos jours, le multiculturalisme est
devenu la doxa non seulement du Canada mais du monde occidental tout
entier. Une méta-politique (c-à-d : une politique apparemment impossible
d'infléchir par les délibérations politiques instituées) contre
laquelle on ne peut s'élever avec la moindre efficacité, avec le
moindre écho positif. Si certains croient que le Québec croit y
avoir échappé, il faudrait bien me mettre sur la piste... Pas
différent des autres le Québec ici. Comme ailleurs, au Québec,
tout écart à la doctrine multiculturaliste fait vite de vous un crypto
raciste, un xénophobe, un pas ouvert aux autres. Dans cette marche
forcée vers la dissolution des États-nations qui se déroule sous
nos yeux, le religieux fait office de joker* face à la nouveauté
laïque qui se pose comme l'arbitre artificiel du domaine religieux
par des officiants qui aiment bien s'imaginer au-dessus de tout
soupçon. En fait, la laïcité joue au Québec le rôle objectif
suivant : elle est là pour s'assurer que le catholicisme au
Québec a les mêmes droits que le bouddhisme mais pas plus. Les
mêmes droits que les Juifs mais pas plus. Les mêmes droits que les
musulmans mais pas plus. Et ainsi de suite. Vouloir que le
catholicisme ait des droits particuliers patrimoniaux et fondateurs
au Québec tiendrait d'une discrimination positive qui n'a pas lieu
d'être, tiendrait de l'hérésie.
Le catholicisme moderne, qu'on observe
ses rites ou qu'il soit purement politico-culturel, reste par sa
symbolique et son histoire un instrument de résistance, peut-être
le dernier rempart, déjà pas mal amoché, de la cohérence
nationale. Expédient bureaucratique, la laïcité court-circuite
l'organisation de l'ordre national organique et continuera d'être
impuissante contre l'essor des cultes les plus militants et les plus
réfractaires à l'intégration, en particulier l'islam. Au Québec,
un peuple aux assises fragiles, ce n'est qu'en faisant un avec tout
ce que nous sommes que la légitimité s'imposera, que le dispositif
idéologique et spirituel nous permettra de mener un vrai combat
contre le multiculturalisme.
La laïcité est une approche généreuse
en apparence mais elle demanderait l'assurance qu'un peuple fragile
n'a pas. Cette volonté d'étendre la laïcité et de l'imposer comme
médiateur religieux, dans un esprit où toutes les confessions
religieuses sont égales est une approche formelle d'une question
organique, ce qui n'est pas sans rappeler les positions de
Pierre-Elliott Trudeau avec sa loi sur les langues officielles qui instituait, en principe, formellement, l'égalité du français et de
l'anglais au Canada. En réalité, ce que propose la laïcité
procède de la même approche libérale (sens philosophique) tordue,
c'est-à-dire de laisser prospérer la libre concurrence des cultes
sous la bienveillance de l'État.
Qu'on me comprenne bien, il ne s'agit
pas de réprimer les confessions religieuses déjà installées au
Québec. Il s'agit de prévenir leur essor en mettant fin à notre propre
absence du champ religieux et d'amorcer un changement de cap de notre
élite politique sur la question. Affirmer que la foi catholique est
nationale et patrimoniale au Québec, un statut qui la distinguerait de toute autre foi religieuse n'est pas outrancier, c'est d'admettre la réalité. C'est
hiérarchiser et ordonner la réalité, la sanctuariser dans notre décor national pour assurer
l'avenir du Québec dans sa continuité.
Car en effet le Québec québécois est
fragile. Il lutte contre le Québec canadien qui domine la vie
politique et les médias, il lutte contre le Canada et il lutte
contre le mondialisme qui lamine toutes les nations en commençant
par celles qui ont peu de moyens de défense. L'immense attraction
rassembleuse que connut la Nouvelle-France à son apogée, qui se
traduisait en prestige et estime, cette assise faite de cohésion qui
occupait tous les plans de la vie et qui s'est longuement poursuivie
ensuite, même diminuée, n'a plus rien à voir avec la pauvreté
intégrationniste que représente le Québec d'aujourd'hui qui, après
avoir rejeté des grands pans de son identité, voudrait demander aux
autres venus des cinq continents de s'intégrer à lui.
Le Québécois est aujourd'hui en
grande partie un Californien 2.0 Pour Bernard Landry, notre
libre-échangisme militant, il fallait tirer une certaine gloriole d'être plus progressiste que le
Canada, qui était alors moins favorable à l'ALENA. Le Québec
n'est-il pas la contrée la plus féministe et la plus homophile du
monde ? Il suffit de se taper les émissions du matin à Radio-Canada
pour qu'on vous gave trois fois sur quatre de ces thématiques. Plus
ouvert aux LGBT, plus ouvert au «monde», plus près que quiconque
d'être le citoyen du monde par excellence. Le Québécois est hors
sol**, hollywoodien, multiculturaliste et laïque et de plus en plus
inculte, notamment en ce qui concerne son histoire. Les gouvernements
successifs du Parti québécois n'ont rien pu faire pour inverser
cette tendance, méta-tendance faudrait-il dire. Le Québec a perdu
son enveloppe osmotique. Il est en fait aussi perméable que le reste
du Canada aux valeurs du mondialisme telles qu'énumérées plus
haut, il y est même souvent plus perméable, tel un clone du
californien libéral-progressiste. Au fil du temps, ce processus de
désagrégation a rendu caduques les causes fondamentales, les raisons
hautes qui justifiaient sa quête d'indépendance. De l'indépendance,
il ne reste plus que « le français en partage », lequel est déjà
piètrement défendu, et « l'indépendance pour devenir plus riche »,
et peut-être plus honnête, tel que le promet PKP. C'est donc le
projet de société que nous aurions, un projet de société au sens
de projet de compagnie.
Dans son livre l'Éloge
des Frontière, Régis Debray explique que le
mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une
frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû :
elle est là pour filtrer. Or, comme le Québec n'a pas de vrais
pouvoirs sur les flux migratoires chez lui, et le peu de pouvoir qu'il
détient n'étant pas nécessairement exercé dans ses intérêts, il
ne reste qu'au peuple, encore attaché à ses valeurs, s'il en est, de créer lui-même les
frontières, les conditions d'accès, bref de recourir à la
résistance qui fut toujours son mode d'auto-défense. La
revendication de son catholicisme historique tient lieu de frontière
relative. Deux voies sont encore possibles : On continuera de négliger son potentiel par mondialisme ou on s'en servira en ajoutant cette légitime couche à notre identité.
L'écologie humaine persistera et
fleurira si les frontières, garantes de la diversité de l'espèce
enracinée sont maintenues et, aujourd'hui, il faut le dire,
renforcées. L'ordre mondial peut certes exister sans frontières
mais ce sera un monde simplifié où les masses multi-culturelles et
multi-religieuses seront contraintes à se battre partout entre elles
dans la prémonitoire guerre des civilisations (disparues), dominées
par une hyper classe qui n'aura vraisemblablement que des esclaves.
________
*Élément
inattendu qui se révèle déterminant dans le succès d'une
entreprise
**
Selon l'expression détaillée par Hervé Juvin dans son livre, La
grande séparation (Pour une écologie des civilisations),
Gallimard, 2013
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