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mercredi 2 décembre 2015

Comment la laïcité affaiblit le Québec


«Au lieu de dénier la magie qui nous lie au Québec, nous aurions à revenir sur elle pour examiner ses procédés et ses démarches. Non pas pour oublier que nous sommes de cette société, de cet objet qui nous enveloppe et nous angoisse, mais pour récupérer autant que faire se peut les démarches implicitement comprises dans notre adhésion à cette culture-ci. La mémoire serait le commencement de la méthode

Fernand Dumont

«... nous qui sommes un peuple aux assises fragiles, nous avons besoin plus que d'autres de références stimulantes à une histoire qui nous serait propre et de posséder des « lieux de mémoire » pour nous approprier la genèse et l'évolution de notre identité et tirer profit de l'expérience acquise à chaque tournant majeur de notre histoire

Léon Dion (Dans un éloge de Fernand Dumont)

Comment la laïcité a piégé le Québec ?

Des voix trop peu nombreuses se sont exprimées, notamment par des commentaires en marge de la pétition contre l'accueil des réfugiés syriens (77 000 noms), pour réclamer que les réfugiés soient sélectionnés parmi les chrétiens. Les chrétiens comptent pour dix pour cent de la population syrienne, ils représentent une part importante des nombreuses minorités religieuses du pays. Ces minorités figurent parmi les premières victimes des atrocités de l'islamisme radical qui ne prospère que grâce à la duplicité de nos pays. Rappelons que, en gros, la Syrie a été christianisée il y a 2000 ans et s'est graduellement convertie à l'islam à partir de années 700. La cause de ce changement m'est inconnue.

Le Québec a été peu ému par le sort réservé aux chrétiens et autres minorités religieuses. L'importance de la féminisation du débat public et les manipulations médiatiques ont facilement maintenu le cadre du débat sur « le fait particulier » dont l'apogée fut le tsunami émotionnel qui a fait vibrer notre petit monde, le monde occidental qui est de mèche avec les terroristes, pour le cas du un quatre millionième (1/ 4 000 000e) réfugié, soit le sort du petit Aylan ...

Parmi les 4 000 000 de déplacés Syriens, une estimation que l'on retrouve un peu partout, le Canada, faute de sauver Aylan, est en cours de retenir une sélection à partir de cette petite loterie à l'issue de laquelle sortira un échantillon de 25 000 personnes. Chaque destin, chaque vie humaine compte, 25 000 est somme toute généreux, mais ne représente qu'un poids modeste dans la balance et, disons-le carrément, ne règle rien. Je n'aborderai pas ici les solutions de rechange à l'accueil de réfugiés, il y en a, dont le ré-investissement dans la reconstruction des zones pacifiées, une solution qui serait nettement plus productive. Oublions une possible dénonciation par le Canada du double jeu mené par les États-Unis et ses alliés.

Venons-en plutôt à Louis Audet, le patron de COGECO, qui voudrait lui que le Canada accueille 100 000 syriens, voyant là grossir le potentiel d'abonnés à la cablo-distribution et le cheap labour à la clé. Business is business. Personne ne peut croire que l'afflux de réfugiés, cette forme d'intervention choisie par le Canada, constitue un geste absolument désintéressé. Mais je laisserai là cette question qui n'est pas mon sujet.

Mon propos, qui pourra en choquer plus d'un, est simplement de faire réaliser comment le Québec s'est piégé en ramenant son héritage catholique au statut de tout autre culte religieux. Concevons qu'en 1964, année charnière de la chute de la pratique religieuse, on ne pouvait voir venir l'importance que prendrait l'immigration musulmane. En rétrovision, l'effondrement du catholicisme, qui marque l'effondrement d'un conservatisme social qui nous avait préservé jusque là de l'assimilation, un aspect du phénomène insuffisamment souligné, n'était-il pas la condition préalable à la construction d'une opinion publique favorable (ou neutre) à l'immigration «obligatoire» ?

Chez les opposants, on a tout de suite prétendu que le fait de sélectionner des chrétiens donnerait raison aux islamistes? J'ai un peu de mal à comprendre cet argument, faudrait-il les garder là-bas pour qu'ils soient exterminés ? Où élargir le droit de sélection en y incluant le critère d'appartenance religieuse, où cela donnerait raison aux islamiques ? L'argument ne tient tout simplement pas la route.

Il y a quelque temps j'ai eu l'occasion de partager un repas estival avec une famille syrienne chrétienne et des amis québécois. Ce que j'en retire c'est le sentiment nuancé de ces immigrés envers leur pays d'origine et sa direction politique, ils écoutent les radios et télés internationales. Ils parlent un bon français et, après quelques années parmi nous, semblent être sur la voie d'un succès d'intégration.

Il m'a semblé que l'accueil de réfugiés syriens chrétiens serait tellement plus simple. Ces derniers partagent avec nous un bagage culturel assez proche; déjà plus européens, ils partagent avec nous le simple humanisme chrétien, sans halal ni kosher, ce qui facilite leur relation avec nous. Ceci apparaît tellement évident que l'accueil de réfugiés sunnites, en comparaison, saute aux yeux comme du masochisme que nous nous imposons. Mais on s'est déjà imposé cette flagellation en nous illusionnant sur le fait que «la langue française en partage» suffisait pour faire des étrangers des Québécois, n'est-ce-pas?

La laïcité innocente et égalitaire, ce parangon de l'incontestable «progrès», apparaît désormais comme la compagne de route du multiculturalisme. Avec le rejet en bloc de la catholicité nationale, sédiment de notre identité avec la langue française, nous avons rejeté le critère politique-religieux, donc la possibilité d'invoquer l'appartenance à la civilisation chrétienne dans le choix des réfugiés. L'État québécois a bien séparé la langue de son substrat. Bienvenue dans le choc des civilisations. Le Québec de demain, qui se forme au-dessus de nos têtes, pourrait nous faire regretter amèrement le Québec d'hier, contre lequel une critique méchante n'a jamais cessé de sévir. 

De nos jours, le multiculturalisme est devenu la doxa non seulement du Canada mais du monde occidental tout entier. Une méta-politique (c-à-d : une politique apparemment impossible d'infléchir par les délibérations politiques instituées) contre laquelle on ne peut s'élever avec la moindre efficacité, avec le moindre écho positif. Si certains croient que le Québec croit y avoir échappé, il faudrait bien me mettre sur la piste... Pas différent des autres le Québec ici. Comme ailleurs, au Québec, tout écart à la doctrine multiculturaliste fait vite de vous un crypto raciste, un xénophobe, un pas ouvert aux autres. Dans cette marche forcée vers la dissolution des États-nations qui se déroule sous nos yeux, le religieux fait office de joker* face à la nouveauté laïque qui se pose comme l'arbitre artificiel du domaine religieux par des officiants qui aiment bien s'imaginer au-dessus de tout soupçon. En fait, la laïcité joue au Québec le rôle objectif suivant : elle est là pour s'assurer que le catholicisme au Québec a les mêmes droits que le bouddhisme mais pas plus. Les mêmes droits que les Juifs mais pas plus. Les mêmes droits que les musulmans mais pas plus. Et ainsi de suite. Vouloir que le catholicisme ait des droits particuliers patrimoniaux et fondateurs au Québec tiendrait d'une discrimination positive qui n'a pas lieu d'être, tiendrait de l'hérésie.

Le catholicisme moderne, qu'on observe ses rites ou qu'il soit purement politico-culturel, reste par sa symbolique et son histoire un instrument de résistance, peut-être le dernier rempart, déjà pas mal amoché, de la cohérence nationale. Expédient bureaucratique, la laïcité court-circuite l'organisation de l'ordre national organique et continuera d'être impuissante contre l'essor des cultes les plus militants et les plus réfractaires à l'intégration, en particulier l'islam. Au Québec, un peuple aux assises fragiles, ce n'est qu'en faisant un avec tout ce que nous sommes que la légitimité s'imposera, que le dispositif idéologique et spirituel nous permettra de mener un vrai combat contre le multiculturalisme.

La laïcité est une approche généreuse en apparence mais elle demanderait l'assurance qu'un peuple fragile n'a pas. Cette volonté d'étendre la laïcité et de l'imposer comme médiateur religieux, dans un esprit où toutes les confessions religieuses sont égales est une approche formelle d'une question organique, ce qui n'est pas sans rappeler les positions de Pierre-Elliott Trudeau avec sa loi sur les langues officielles qui instituait, en principe, formellement, l'égalité du français et de l'anglais au Canada. En réalité, ce que propose la laïcité procède de la même approche libérale (sens philosophique) tordue, c'est-à-dire de laisser prospérer la libre concurrence des cultes sous la bienveillance de l'État.

Qu'on me comprenne bien, il ne s'agit pas de réprimer les confessions religieuses déjà installées au Québec. Il s'agit de prévenir leur essor en mettant fin à notre propre absence du champ religieux et d'amorcer un changement de cap de notre élite politique sur la question. Affirmer que la foi catholique est nationale et patrimoniale au Québec, un statut qui la distinguerait de toute autre foi religieuse n'est pas outrancier, c'est d'admettre la réalité. C'est hiérarchiser et ordonner la réalité, la sanctuariser dans notre décor national pour assurer l'avenir du Québec dans sa continuité.

Car en effet le Québec québécois est fragile. Il lutte contre le Québec canadien qui domine la vie politique et les médias, il lutte contre le Canada et il lutte contre le mondialisme qui lamine toutes les nations en commençant par celles qui ont peu de moyens de défense. L'immense attraction rassembleuse que connut la Nouvelle-France à son apogée, qui se traduisait en prestige et estime, cette assise faite de cohésion qui occupait tous les plans de la vie et qui s'est longuement poursuivie ensuite, même diminuée, n'a plus rien à voir avec la pauvreté intégrationniste que représente le Québec d'aujourd'hui qui, après avoir rejeté des grands pans de son identité, voudrait demander aux autres venus des cinq continents de s'intégrer à lui.

Le Québécois est aujourd'hui en grande partie un Californien 2.0 Pour Bernard Landry, notre libre-échangisme militant, il fallait tirer une certaine gloriole d'être plus progressiste que le Canada, qui était alors moins favorable à l'ALENA. Le Québec n'est-il pas la contrée la plus féministe et la plus homophile du monde ? Il suffit de se taper les émissions du matin à Radio-Canada pour qu'on vous gave trois fois sur quatre de ces thématiques. Plus ouvert aux LGBT, plus ouvert au «monde», plus près que quiconque d'être le citoyen du monde par excellence. Le Québécois est hors sol**, hollywoodien, multiculturaliste et laïque et de plus en plus inculte, notamment en ce qui concerne son histoire. Les gouvernements successifs du Parti québécois n'ont rien pu faire pour inverser cette tendance, méta-tendance faudrait-il dire. Le Québec a perdu son enveloppe osmotique. Il est en fait aussi perméable que le reste du Canada aux valeurs du mondialisme telles qu'énumérées plus haut, il y est même souvent plus perméable, tel un clone du californien libéral-progressiste. Au fil du temps, ce processus de désagrégation a rendu caduques les causes fondamentales, les raisons hautes qui justifiaient sa quête d'indépendance. De l'indépendance, il ne reste plus que « le français en partage », lequel est déjà piètrement défendu, et « l'indépendance pour devenir plus riche », et peut-être plus honnête, tel que le promet PKP. C'est donc le projet de société que nous aurions, un projet de société au sens de projet de compagnie.

Dans son livre l'Éloge des Frontière, Régis Debray explique que le mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer. Or, comme le Québec n'a pas de vrais pouvoirs sur les flux migratoires chez lui, et le peu de pouvoir qu'il détient n'étant pas nécessairement exercé dans ses intérêts, il ne reste qu'au peuple, encore attaché à ses valeurs, s'il en est, de créer lui-même les frontières, les conditions d'accès, bref de recourir à la résistance qui fut toujours son mode d'auto-défense. La revendication de son catholicisme historique tient lieu de frontière relative. Deux voies sont encore possibles : On continuera de négliger son potentiel par mondialisme ou on s'en servira en ajoutant cette légitime couche à notre identité.

L'écologie humaine persistera et fleurira si les frontières, garantes de la diversité de l'espèce enracinée sont maintenues et, aujourd'hui, il faut le dire, renforcées. L'ordre mondial peut certes exister sans frontières mais ce sera un monde simplifié où les masses multi-culturelles et multi-religieuses seront contraintes à se battre partout entre elles dans la prémonitoire guerre des civilisations (disparues), dominées par une hyper classe qui n'aura vraisemblablement que des esclaves.
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    *Élément inattendu qui se révèle déterminant dans le succès d'une entreprise
    ** Selon l'expression détaillée par Hervé Juvin dans son livre, La grande séparation (Pour une écologie des civilisations), Gallimard, 2013



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