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jeudi 10 mai 2018

Situation coloniale au Canada

[ augmenté et mis à jour le 16 mai 2018 ]

Rappel historique pour ceux qui n'auraient pas étudié l'histoire du Canada 

Au lendemain de la Conquête, la population à l'ouest du Misissippi et au nord des treize colonies était à plus de 90 % néo-française.
Toutefois, les néo-français aussitôt installés, s'étaient toujours appelés Canadiens. Québec, ville judicieusement fondée par Champlain sur un rétrécissement du fleuve était la clé de l'intérieur du continent. Une ville convoitée pendant plus de 150 ans, tout au long de l'époque où la voile et la rame étaient sans conteste les moyens de cartographier et nommer l'Amérique du Nord.

« The province of Quebec », désignation officielle choisie par George III en 1763, était un trophée de chasse. Dans la vision anglaise, la prise de Québec supplantait symboliquement celle du Canada. Jusque là, personne ne s'était encore appelé Québécois pour se désigner du foyer ou du déploiement néo-français. C'est le roi d'Angleterre qui en décida ainsi. Néanmoins, pour le régime anglais trônant nouvellement sur « The Province of Quebec », faire disparaitre les natifs canadiens établis sur les rives du Saint-Laurent a été tout de suite entrepris. N'avait-on pas déjà réglé le sort des Acadiens ?
En Acadie, sur les ruines de laquelle se sont formées trois provinces canadiennes anglaises, on procéda à la déportation de la population civile établie sur des terres défrichées depuis 1605. Avec la déportation de 1755, les Anglais, qui avaient déjà pris possession du territoire depuis le traité d'Utrech en 1713, prirent intacts les fermes, le bétail, les récoltes et les embarcations. Une épuration ethnique suivie du vol des propriétés. Comme Israel, modèle plus contemporain de l'épuration ethnique et centre mondial de l'extrême droite identitaire.  

Après le Traité de Paris de 1763, qui mettait fin à la Guerre de sept ans, appelée en Amérique les French and Indian Wars (car les indiens étaient nos alliés ), la déportation massive appliquée aux Acadiens ne convenait plus aux intérêts anglais désormais menacés par l'indépendance des treize colonies. Les nouveaux maîtres du pays ralentirent leur projet d'extermination socio-culturelle, sans modifier en rien leur objectif final. L'assimilation des fondateurs du Canada, une fondation ne se produisant qu'une fois, reprit plus tard. Sous des formes militaires en 1837-38, 1870, 1885, 1970 ;  sous les formes d'une oppression politique, comme par l'interdiction de l'enseignement en français dans plusieurs provinces, l'imposition de l'anglais dans les  législatures et les tribunaux des provinces où les francophones et métis constituaient une forte proportion et même au départ une majorité. C'est ainsi que le gouvernement provisoire de Louis Riel, reconnu d'abord par les autorités, fut renversé militairement par Ottawa sous la pression des protestants orangistes qui n'hésitaient pas à clamer ouvertement leur volonté d'exterminer les Canadiens-français. Riel, chef métis catholique qui avait étudié à Montréal, finira pendu en 1885. Une pendaison qui fondera pas moins de deux provinces canadiennes, le Manitoba et la Saskatchewan. Deux provinces établies sur la ruine des populations locales, au mépris de leur droit de poursuivre pacifiquement la construction de leurs institutions sur des territoires encore inorganisés.

Avec l'Ontario et le Québec, puis l'ajout de la Saskatchewan en 1905, le Canada comptait à cette date neuf provinces. Cinq d'entre elles établies en tout ou en partie sur la ruine des foyers canadiens (f), acadiens et métis. Nous tenons là l'explication première du déclin du peuple français du Canada qui, pour finir, a été segmenté politiquement dans les nouvelles provinces. Condamné à l'aumône jeté à sa survivance par les autorités fédérales en contre partie d'une parfaite docilité d'élites entretenues. Toute revendication politique contre le fédéralisme leur est interdite. Parmi ces minorités seules certaines régions, notamment une partie de l'Acadie historique où sont retournés des déportés et ceux qui s'étaient cachés dans les bois, et une petite partie de l'Ontario, montrent encore de la vitalité après 250 ans de répression et de déficit de reconnaissance statutaire.

Mais à part les formes militaires et d'oppression politique organisées dont on vient de parler, la tromperie a été constamment utilisée pour leurrer les descendants des vaincus. C'est ce qui se produisit lorsque les maîtres du jeu parvinrent à neutraliser l'opposition des parlementaires canadiens-français au projet de Confédération par la multiplication des promesses en leur faveur, exprimant même l'idée qu'il s'agissait là d'un « pacte fraternel ». D'autres promesses de réparation et de réformes furent faites à l'occasion des référendums tenus en 1980 et en 1995, le premier en faveur d'une association avec le Canada et le second en faveur d'un partenariat. Deux initiatives qui conduisaient à constitutionnaliser l'égalité des nations. Au lieu de calmer le jeu en montrant son ouverture face à ces initiatives qui témoignaient plus d'un cri désespéré du colonisé que de moyens de faire sécession, le fédéral répondit néanmoins avec toute sa mauvaise foi. Il joua de la carotte et du bâton. Il cria d'abord au loup pour contrer une prétendue menace de destruction du Canada, pour finir avec des promesses alléchantes de réformes juste avant le vote. Volte face ! Encore une fois aucune promesse ne fut tenue. 

Après les deux référendums, soutenus par la nation socio-historique mais défaits par la section votante de la nation canadienne-anglaise - puissante minorité qui tient l'avenir du Québec - le fédéral en profita pour resserrer son emprise. 

Un rapport de domination de type colonial

Le travail de dissolution nationale est désormais si bien avancé que l'on n'entend guère les représentants du Québec s'indigner sur les faits que je viens d'évoquer. Le mot court depuis longtemps que nous sommes désormais « modernes » et « libérés dans nos têtes...»  Or tout récemment, le groupe des sept dissidents du Bloc québécois qui annonçait ne pas vouloir s'opposer directement au gouvernement fédéral se rendait très comparable aux minorités canadiennes-françaises les plus frileuses. Même si la « québécitude » s'en défend bec et ongles, nous sommes tous des Canadiens-français, en tout cas représentatifs d'une soumission assez largement distribuée, s'il faut représenter le Canadien-français dans son acception négative.  

Or, il ne fait aucun doute que la régression des francophones passés de 99 % à 20 %,  qui ne décélère pas sous les auspices du deuxième Canada (A), est le résultat du refus de la reconnaissance statutaire des fondateurs du Canada (F) par les nouveaux maîtres. La destruction d'un peuple pacifique par sa négation, oeuvre noire d'un pays qui ne cesse néanmoins de s'affirmer comme le défenseur des minorités sur toutes les tribunes. Nous vivons un état de fait qui ne peut se produire que dans le cadre d'un rapport de subordination de type colonial. Encore une fois, vous n'entendrez pas répéter cela à Ottawa ou à Québec par ceux qui se font élire avec le mandat de nous défendre. D'ailleurs, où auraient-ils appris cela ? 

Au lieu de travailler à faire connaître et reconnaître cette réalité désagréable à l'interne et sur le plan international, au lieu de mettre le Canada face à ses contradictions, la profonde colonisation des esprits conduit invariablement les représentants de la dernière majorité francophone au Canada à se chercher une sortie de secours après l'autre. 

Si nous nous situons dans un combat pour mettre fin aux survivances du colonialisme, il faut tenir la comptabilité des progrès et des reculs.

L'adoption du néo-nationalisme québécois, une vision québé-centrée de la réalité canadienne, nous a fait rejeter notre condition de minoritaires. Avec notre grosse majorité provinciale, comme on peut trouver un verre à moitié plein ou à moitié vide sauf qu'il y a ici des conséquences, on s'est trouvé satisfait que ce soit la minorité anglophone du Québec qui reçoive les aides fédérales pour les minorités de langues officielles. Une loi fédérale qui a eu la bonne idée de faire le décompte des minorités sur une base provinciale et non pan-canadienne. Ici, le néo-nationalisme et le fédéralisme s'accordent : nous sommes une majorité. Et pour le fédéral, une majorité qui peut menacer l'épanouissement de l'anglais. Le fédéral devance le Québec indépendant dans le traitement équitable de la  minorité anglophone. 

Et on en remet. La loi 99 n'énonce telle pas que le peuple québécois compte une minorité de langue anglaise aux droits reconnus ? Ce qui est une fausseté de colonisés. Il y aurait une minorité de langue anglaise dans un Québec indépendant. Entre temps, notre situation de Canadiens prévaut et les Anglais constituent au sein du Québec une fraction de la majorité dominante. On en a pour preuve l'existence d'une Martine Ouellet et d'un Keith Henderson, qui ne sont pas des compatriotes que je sache ?  Peut-on douter un instant que si l'affaire se rend en Cour suprême, Keith Henderson est celui qui aura l'oreille des magistrats quant au sort de la Loi 99 ? 

Le néo-nationalisme québécois est bien né pour former « une nouvelle nation » qui part des années de René Lévesque pour culminer avec la Loi 99. Une nation issue d'un révisionnisme historique qui définit le peuple québécois comme un peuple formé de trois minorités reconnues explicitement (articles ) et d'une majorité définie sans autre attribut que celle d'être une « majorité francophone ». Voilà ce qu'il reste de la majorité absolue des Canadiens (f) et de l'épopée de la Nouvelle-France. Voilà la haute opinion que l'État du Québec a de la nation réelle, socio-historique, décrite dans la loi 99. Voilà exposé dans cette loi, que plusieurs voient déjà comme le socle d'une future constitution québécoise, l'absence de charité envers nous-mêmes, l'absence absolu de patriotisme et notre effacement volontaire de l'histoire.

C'est le traitement que réserve l'État du Québec aux fondateurs du Canada. Les défricheurs et les explorateurs qui s'installèrent 150 ans avant que les Anglais escaladent l'Anse aux Foulons avec leurs canons. Un État du Québec sans histoire et sans mémoire, c'est cet État, assujetti à la majorité sociologique anglaise, qu'il nous faudrait défendre ! 

La séparation du Canada français en deux, voire en trois même en dix, compte pour un affaiblissement, une affaire orchestrée d'Ottawa. Elle a affaibli la légitimité d'un combat en coupant la surface de ses racines historiques. Elle a affaibli le pouvoir de revendications et réduit la possibilité de réclamer des réparations. Elle a fait disparaître toute référence à la Conquête, à ses survivances et à l'existence d'un rapport de type colonial pour expliquer notre absence de pouvoirs nationaux. Elle a conduit le Québec à mésestimer la valeur de la nation socio-historique pour la fondre dans une nation « nouvelle » « pluri nationale ». Notre compatriote n'est plus Louis Riel mais les descendants de Colborne et Amherst. Notre statut de nouvelle nation auto-proclamée a fait de nous une fausse majorité, et nous a réduit à un combat humiliant pour une majorité référendaire alors que notre combat, essentiellement légitimiste, pouvait s'en passer. Il pouvait être mené jusqu'au bout sans référendum en plaidant l'inconstitutionnalité des dérives constitutionnelles depuis 1867; demander la mise en application de la doctrine de George Brown, un pacte entre égaux. 

Tout comme la séparation du Canada français, l'exigence référendaire est une affaire orchestrée par Ottawa - et ses services secrets dans ce dernier cas - pour diviser et isoler les Québécois francophones et frapper d'un doute la légitimité incontestable de nos revendications historiques. Le néo-nationalisme n'y a rien trouvé à redire. 

Et c'est là que bât blesse. 

Le bilan des profits et pertes apparaîtra sévère mais il n'est que réaliste quand on songe que depuis cinquante ans rien n'a été fait pour construire une doctrine constitutionnelle qui reflète la légitimité de notre cause. Pire, les initiatives et négociations constitutionnelles menées non seulement depuis cinquante ans mais depuis 1867 ont été d'une pitoyable faiblesse, dépourvues des arguments les plus convaincants, dont les meilleurs pourraient se trouver dans les débats constitutionnels de 1865. Ajoutons que la faiblesse argumentaire se combinait à la faiblesse du leadership puisque, en effet, aucun des chefs n'est allé jusqu'au bout de son combat. De Lévesque à Parizeau, en passant par le Bourassa du Lac Meech et de Charlottetown, sans oublier Bouchard, ils se sont tous couchés, abandonnant avant la fin, souvent au moment critique, voire décisif. Et, pour perpétuer notre flirt morbide avec l'échec, on nous propose encore de les prendre pour modèles.

Selon Me Christian Néron, nous avons des arguments bétonnés pour défendre notre cause face au Canada,  pour contester la doctrine de l'immunité fédérale et la doctrine de la prépondérance fédérale et toutes les doctrines d'une suprématie fédérale fondée sur une jurisprudence postérieure à 1867 et contraire à l'esprit de la constitution. Rappeler que le pouvoir fédéral est une création des provinces et non l'inverse et que le principe de prépondérance et d'immunité fédérales ne peuvent s'appliquer. Nous avons des moyens comme la clause dérogatoire, à laquelle il nous faudrait recourir aussi souvent que nécessaire quand nos intérêts sont en jeu. 

Normalement, après cinquante ans de souverainisme, nous devrions maîtriser notre dossier constitutionnel sur le bout des doigts. Nous devrions être en mesure de réclamer des négociations constitutionnelles demain matin sur la base de l'égalité des nations. Mais nous ne sommes pas prêts. Nous n'avons rien de préparé pour rencontrer le Canada et exiger l'autonomie nationale interne - comme Lévesque et Parizeau - et, à défaut, l'autonomie externe. 

Et le pire, c'est que le plus grand risque que nous courons si nous lancions aujourd'hui un tel appel à négocier serait, faute de mieux, d'être obligé de constituer une équipe de négociateurs improvisés, comme en 1981 avec Claude Morin, ( ou Robert Bourassa dans les négociations de Charlottetown ) incapables de soutenir la pression fédérale et d'argumenter sur le fond. Cruellement, nous souffrons de l'absence d'un personnel politique et juridique aguerri capable de donner la répartie constitutionnelle à Ottawa, et soutenue par une opinion publique informée. Tout reste à faire. Les Lévesque et Parizeau ne nous ont rien laissé en héritage. Ils n'ont rien construit de durable. C'est pourquoi tenir des négociations constitutionnelles à ce stade ne pourrait que nous conduire à un autre échec.

À ceux qui disent que nous n'avons pas à négocier, nous n'avons qu'à faire l'indépendance. Ou qu'il nous faut écrire une constitution provinciale, préparer un autre référendum et toutes ces balivernes. 

Je réponds que des négociations sont incontournables dans tous les cas de figure qui peuvent être imaginés. Et c'est essentiellement par cette voie que nous obtiendrons gain de cause. Qu'il s'agisse d'une hypothétique révision constitutionnelle en profondeur entérinant l'égalité des nations ou d'une éventuelle indépendance, elles passeront par le même chemin. Et il faudra des années de négociations, comme dans le cas du Brexit, bien avant de conclure et de tout régler. Être indépendantiste et avoir toujours refusé de se préparer à rencontrer le Canada sur le terrain constitutionnel dénonce à sa face même le caractère fantaisiste de l'indépendantisme de collaboration québécois. 

Une éventuelle constitution du Québec pourrait faire partie des moyens de se préparer. Le projet reste pour le moment un exercice provincial peu convaincant, en serre chaude, bien à l'abri de notre histoire constitutionnelle et de ses exigences. C'est un projet qui botte en touche sur la nécessité de constituer un dossier à charge pour exposer l'illégitimité de l'autre constitution : la vraie, celle pourvue d'une pleine effectivité. Celle qui nous a été imposée et qui règle notre existence collective malgré nous. Celle aux multiples déviations contestables entre l'esprit de 1867 et l'application que la Cour suprême et le gouvernement fédéral en ont fait, sous nos yeux, sans autre réaction que des sursauts d'indignation sans lendemain. Souverainistes, oui, mais pas au prix d'être de mauvais canadiens !




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