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dimanche 25 novembre 2018

L'insoutenable pesanteur de ne pas être

Deux articles en parallèle : 
Le débat se poursuit. Deux auteurs, Alexandre Soublière et Steve E. Fortin expriment des positions divergentes sur l'indécise identité des « descendants des vaincus ». 
[mis-à-jour le 26-11-2018 - 22:37]
Pendant plus de deux siècles, notre identité encore saine ne produisait pas d'Elvis Gratton. Mais aujourd'hui, face à l'échec de la gageure péquiste, faut-il s'accrocher à une identité d'occasion, conçue pour l'entraînement psychologique à notre séparation du Canada ? 

Que fait-on quand l'indépendance apparaît impossible et que le parti qui nous pressait de changer de nom pour la réaliser s'est lui-même effondré ? En fait, parce que les Anglais ne voulaient pas, il s'est effondré devant eux. Le reste n'est qu'une réthorique de faux jetons qui veulent mutuellement se sauver la face. Comme les funérailles de Bernard Landry ! Pour sortir du système péquiste, qui ressemble à un système soviétique de nomenclature ne produisant rien, sauf des félicitations mutuelles, faut-il se retourner vivement et renouer avec notre tradition d'infatigables combattants pour contester aux Canadians l'usurpation de notre nom et de nos symboles nationaux ? Cette fois-ci, le tour de force ne consisterait pas à broyer une identité au profit de l'autre, comme il y a cinquante ans, mais de retrouver la largeur et la profondeur d'une identité qui a été diminuée dans le processus. Une largeur qui renvoie à notre continentalité; une profondeur pour nous ressouder avec les 150 années les plus remarquables de notre histoire.

La réclamation de notre nom et de nos symboles : castor, feuille d'érable verte, le O Canada ! résumerait quasiment notre lutte pour la reconnaissance politique et l'égalité des nations. Aux Canadians de se trouver un autre nom et d'autres symboles. Il y en a ! En attendant, on pourrait toujours les appeler les usurpateurs ou les voleurs. Pour nous, l'abdication devant l'usurpation de notre identité primitive et fondatrice n'est-elle pas un geste de renoncement à la vie ? Une manifestation de l'esprit suicidaire du colonisé ? 

Les textes des deux auteurs se trouvent reproduits à la suite, sans autre commentaire. 
*    *    *

1- Alexandre Soublière

OPINION



Il est toujours bon de savoir pour ou contre qui on se bat. Pareil pour la nécessité d’appeler les choses et les gens par leur nom. Voilà donc : je suis l’auteur d’un livre (La Maison mère) qui propose de renouer avec le vocable « Canadien français » (et non d’abandonner complètement « Québécois » comme certains en ont fait la lecture dans les médias) et depuis quelques semaines, la discussion ne pourrait être plus d’actualité. Il semblerait que ça fait réagir.

Soit Mathieu Bock-Côté ne fait pas référence à mon livre dans sa chronique « Québécois, ne changeons pas de nom » ou alors il est devin pour en réfuter le propos sans en connaître l’existence (nous partageons le même éditeur). Qu’il ait occulté mon nom exprès ou non, il n’en reste pas moins que je le comprends. Si je suivais sa logique, je répondrais de la même manière par rapport au Québec et à son « noyau historique de la vallée du Saint-Laurent ».



Mais la question du livre est justement toute là : est-ce la bonne stratégie que nous avons empruntée au cours des 50 dernières années ?



Est-ce que la nostalgie des années boomers était la bonne en 1995 avec ses marguerites sur les pancartes du OUI ? Avec candeur et en toute honnêteté, je ne sais pas si j’ai la réponse. Je voulais surtout poser des questions.

D’ABORD L’AMBIGUÏTÉ 
Lorsque Pierre Curzi a dit après les élections que « de Québécois, on est redevenus des Canadiens français », il est permis de se demander s’il se servait de ces termes comme de synonymes interchangeables. Parlait-il de l’ensemble des Québécois, ou alors des Québécois francophones ?


Vous remarquerez qu’on ne présentera jamais Leonard Cohen dans la presse anglophone en disant « the Québécois singer », mais on pourrait très bien y trouver, par exemple, « the Québécois billionaire Guy Laliberté ». Bien souvent, sous l’appellation Québécois se cache en réalité Canadien français. Personne n’est dupe du stratagème. 

DOUG FORD ET L’ONTARIO

Il semble y avoir un plaisir malsain chez certains souverainistes à voir les communautés canadiennes-françaises hors Québec disparaître. Comme si ces sacrifices prouvaient mieux la nécessité de leur projet et qu’ils pourraient ensuite leur dire « hate to say I told you so ».



La vérité, c’est que nous avons dû les abandonner. Dans Le Devoir, Jean-François Nadeau s’amuse à imaginer une fiction dans laquelle Legault utiliserait « tous ses fonds destinés jusqu’ici aux services aux anglophones afin de financer les services aux francophones d’Ontario… » Imaginez cette autre fiction alternative : si nous ne nous étions pas séparés de nos sœurs et frères francophones pour nous isoler sémantiquement dans la Province of Quebec et que nous avions assumé notre titre, rôle et nos responsabilités de « peuple fondateur » avec de la créativité, même, et surtout, dans l’adversité. N’est-ce pas là, d’ailleurs, une de nos grandes forces, la créativité ?

LA MAISON MÈRE : UN ROMAN SURVIVALISTE APOCALYPTIQUE

Je me suis toujours méfié des gouvernements centralisateurs, et de l’État tout court. Mon livre est tout sauf l’apologie du fédéralisme. Il m’arrive d’y critiquer des stratégies péquistes tout en avouant que, dans le feu de l’action, je n’aurais guère fait mieux. Surtout, mon roman est un hommage à notre nation avec laquelle je veux reconnecter, mais autrement.



Je parle de Borduas, Papineau, Champlain, Kerouac, Vadeboncœur, Bouchard, Miron, Martin Picard. J’évoque la nordicité, le territoire, je chante À la claire fontaine. Je désire comprendre la profondeur de notre identité en remontant avant l’an zéro de la Révolution tranquille tout en essayant de nous positionner dans ce nouveau monde technologique.



Ce que certains voient comme un pas en arrière peut toujours être perçu par d’autres comme un pas vers l’avant. Être minoritaire sera toujours un combat, appelons un chat un chat. Justement, ceux qui aiment les sports de combat en savent quelque chose : il faut transporter le poids de l’arrière vers l’avant pour contre-attaquer. Et comme Jacques Godbout l’a si bien écrit à propos de mon livre, « en politique, il n’y a pas de GPS » 


2 - Steve E. Fortin

https://vigile.quebec/articles/revenir-a-l-assignation-canadiens-francais-non-merci

Alors que l’on passe notre patrimoine au pic démolisseur sans que cela ne suscite indignation, je ne m’étonne pas que certains veuillent que nous abandonnions du même souffle notre distinction du Canada.

Car militer pour que les Québécois cessent de s’identifier comme tels revient justement à gommer notre parcours national, celui qui nous a toujours conduit à constater notre statut de 2e solitude.

Et rien ne nous permet de croire que tout à coup, il serait justifié de se fondre dans ce Canada post-national où à coup sûr, ce qui nous attend, c’est la folklorisation de notre identité; en attendant que l’assimilation fasse son œuvre.

L’identité usurpée
Dans cette nation où la devise est « Je me souviens » mais où il semble qu’il soit devenu subversif d’enseigner tout référent historique, on ne s’étonnera pas que trop peu de gens se souviennent – ou savent – que le terme « canadien » est, en soi, un témoignage de l’usurpation de notre identité nationale.

J’emprunte ici un passage d’un texte que j’ai publié à ce sujet en juin dernier :


« Ce Canada qui s’est « approprié » les symboles identitaires des Canayens, cette nation conquise- dans le sens de « Conquête- - 1760 ».

Le professeur de géographie et grand ethnologue Jean Morisset a publié en 1985 un ouvrage qui avait beaucoup fait jaser intitulé L’identité usurpée. Ce brûlot dénonçait le « rapt national », le « viol identitaire » dont ont été victimes les « Canadiens », nom qu’il donne aux francophones d’Amérique.

La professeure Andrée Mercier du département de littérature de l’Université Laval avait d’ailleurs écrit un résumé critique de ce livre dans la revue Voix et images en 1986 qui résume bien la thèse de l’auteur :
« Avec cet essai de Jean Morisset, nous nous retrouvons maintenant en plein Québec contemporain. Le Français, conquérant parmi d'autres, a cédé depuis belle lurette la place au Canayen conquis. L'Angleterre, que la décennie 1660 laissait au seuil de la suprématie démographique, a définitivement gagné le territoire de l'Amérique du Nord aux dépens des puissances hollandaise et française. Mais elle a aussi subi le morcellement de ses immenses possessions face aux désirs d'autonomie de colonies récalcitrantes.

Si l'on croit reconnaître là les inévitables prémisses au discours nostalgique et amer sur le Québec conquis, on trouvera mieux. Car Jean Morisset propose une voie originale à l'essai «nationaliste».

Tout d'abord, plutôt que de s'associer aux prétentions de la nation québécoise, l'auteur revendique l'identité canadienne que les British North Americans, non contents de s'approprier un pays, devaient aussi usurper. Rapt national donc, si bien réussi, que le véritable Canadien n'aura d'autres ressources que de se créer une identité toute fictive: celle de Québécois; nom emprunté d'ailleurs de Québec, désignation administrative dont les Anglais nous affublèrent après la Conquête. »

Comment ne pas voir une régression intrinsèque dans l’acceptation de ce « rapt national » et identitaire? Pour les Québécoises et les Québécois, consentir à l’assignation « Canadien-français » serait, en quelque sorte, un acte de capitulation. La fin de l’identité distincte du Canada.

On saisit aisément qu’il y a, au Québec, des gens qui ne voient pas d’un mauvais œil du tout que la « francophonie québécoise » se joigne à la « francophonie canadienne », non pas dans la seule optique de la défense et de la protection de la langue, mais bien comme l’abandon du combat pour le plein État en terre du Québec; un État francophone, distinct du Canada.

Pourtant, quiconque s’intéresse un peu à l’évolution de la question linguistique au Canada sera plutôt pessimiste par rapport à la perspective de la pérennité du français dans ce pays. Du moins fais-je partie de ceux qui doutent.

Le « bilinguisme canadien » tient en grande partie du fait que trois provinces (Québec, Ontario, Nouveau-Brunswick) poussent les chiffres vers le haut. Toutefois, deux de ces trois provinces sont présentement dirigées par des adversaires féroces du bilinguisme.

Blaine Higgs au Nouveau-Brunswick fut l’un des fondateurs d’un parti politique provincial dont le mandat était de se battre contre la dualité linguistique et le bilinguisme. Doug Ford en Ontario, sans vergogne, s’est attaqué de manière brutale aux services des Franco-ontariens depuis quelques semaines.

Vrai que celui-ci met un peu (très peu) d’eau dans son infect vin, mais est-ce en raison d’une soudaine amitié envers ses concitoyens d’expression francophone? Encore, ici, j’en doute. Disons que la grogner au sein de son propre parti le fait réfléchir. Selon le Toronto Star de la fin de semaine, il y aurait jusqu’à sept députés qui considéreraient quitter la formation politique menée par Ford.

Voilà qui secouera même le pire des idéologues.

La réalité demeure que ces politiciens allergiques au bilinguisme réussissent à se faire élire. Et ce ne seront pas les derniers à y arriver.

La pérennité du français en Amérique du Nord, au Canada, passe inévitablement par l’établissement d’un État francophone, par l’accaparement de tous les leviers de pouvoir pour en assurer la défense, la promotion, et la vivacité dans le futur.

Un Québec-province (le mot province vient du latin pro victis, qui signifie « territoire des vaincus ». La question qu’on peut se poser est : pourquoi le Québec conserve-t-il un nom si péjoratif) forcé de financer la vivacité et la pérennité des institutions de sa « minorité » anglophone tout en agissant de vecteur de la défense des institutions francophones hors Québec court à sa perte.

On y réussirait mieux en tant qu’État indépendant. Et non pas à titre de « Canadien français » qui peinent à assurer leur propre survivance dans le Canada.

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