[20-11-2018]
Dans sa chronique du 19 novembre, Québécois ne changeons pas de nom ! Mathieu Bock-Coté s'oppose à ce que les « Québécois francophones » reprennent leur identité historique de Canadiens-Français. Je prétends qu'il faut le faire pour se distinguer sur le plan national de la pluri-nationalité et de l'ambiguité que recouvre désormais l'identité québécoise.
1- « Ne redevenons pas minoritaires »
Retrouver notre statut de fondateurs du Canada ne change en rien au rapport de force dans l'immédiat. Cela ne compromet en rien la possibilité que le Québec devienne indépendant un jour. Par contre, oui, cela fait de nous des minoritaires, avec des droits qui s'appliquent aux minorités, aux nations non reconnues et ne jouissant pas de l'égalité politique. Prétentions mises à part, n'avons-nous pas toujours été une minorité sociologique, y compris au Québec ? Nous n'avons jamais détenu la majorité politique, celle-ci est détenue par la nation canadienne-anglaise au Québec, aussi appelée minorité de blocage.
Il faudrait plutôt parler de ré-appropriation de notre conscience historique noyée dans la « québécitude ». Savez-vous que l'identité québécoise a pour créateur Lord Halifax, artisan du génocide acadien ? Savez-vous que le nom The Province of Quebec apparaît pour la première fois dans l'histoire du monde dans une décision du Conseil privé de Londres, le 19 septembre 1763 ? Inversement, les Canadiens (Français) sont signataires des traités internationaux (France, Angleterre, Canada) que constituent les Articles de capitulation de Québec et de Montréal. Ils étaient déjà reconnus par les Anglais dès 1759. Pendant 250 ans, nous étions les seuls Canadiens.
Si la France a eu Charlemagne, les États-Unis Benjamin Franklin, l'Italie Garibaldi, le Québec doit son existence à Lord Halifax. Voilà bien de quoi nourrir une riche conscience historique !
Le Canada de la Nouvelle-France, notre berceau national, a donné des Samuel de Champlain, des La Vérendrye, des François La Mothe de Cadillac, des Étienne Brulé, des Louis Riel, toutes des figures hors norme qui, comme tant d'autres, ont rayonné très au-delà des frontières du Québec d'aujourd'hui. Ces géants de notre patrimoine national ne sont pleinement compréhensibles que dans la mesure où ils sont rattachés à notre histoire, qui commence avec le Canada de la Nouvelle-France. L'unité nationale a une exigence. Elle est fondée sur la fidélité à une histoire. Et non dans sa falsification pour la faire correspondre à une doctrine délétère, celle du « péquisme » qui sévit depuis cinquante ans.
Lord Halifax est celui qui a décidé de la céation de The Province of Quebec, dont la date de création a été finalisée à Londres les 3 et 8 octobre 1763. Trois ans après que la signature du Canadien Vaudreuil paraphait les Articles de capitulation de Montréal. C'était une première tentative pour faire disparaître le Canada des Canadiens-Français. Une deuxième tentative suivra en 1840, au moment de l'Acte d'Union, inspirée par le Rapport Durham. Une troisième tentative, plus insidieuse peut-être, apparut au tournant des années 1960. Cette dernière nous aura laissé cinquante ans bien comptés d'échecs cuisants (aucune victoire) ; et un trouble d'identité qui ne s'était jamais posé avant.
3- « C’est là où nous avons cherché à nous constituer en État indépendant »
Dans l'esprit des militants l'indépendance peut être un objectif ou un idéal permanent. Mais hélas, cette volonté ne s'est jamais projetée dans les actions gouvernementales du Parti québécois. Sauf, à l'occasion, de façon purement symbolique et expiatoire. Le gouvernement du Québec ne s'est jamais permis d'agir librement, autrement que dans l'intérêt de tous les Québécois. C'est-à-dire qu'il a toujours respecté l'interdit - non écrit mais combien réel - d'agir pour l'intérêt primordial des Canadiens-Français ou, si l'on préfère, dans l'intérêt des Québécois francophones.
4- Notre peuple « s’est battu pour constituer une communauté politique où il serait majoritaire. »
Faut-il comprendre dans cet énoncé que ceux qui ne sont pas Québécois francophones ne sont pas des Québécois ? Si le Québec est un espace politique, ses habitants ne sont-ils pas tous des Québécois ? Belle confusion entre les droits démocratiques et les droits nationaux incidemment.
5- « ...c’est un espace politique où se trouve le seul gouvernement contrôlé par une claire majorité de francophones en Amérique du nord. »
C'est vrai. Mais ce serait la même chose en reprenant notre identité de Canadiens-Français, mais simplement plus clair. Encore une fois, qui sont les Québécois ? Bock-Coté en parle tantôt comme tous les habitants du Québec et à d'autres moments comme les seuls successeurs des Canadiens-Français. Faudrait savoir.
Le gouvernement du Québec légifère sous la tutelle du Canada et sous la menace de blocage, jamais loin, de la puissante minorité anglophone interne, adossée au Canada anglais, dont il se réclame. Jamais ces derniers ne se diront Québécois. Ils seront toujours Canadians d'abord. Le gouvernement du Québec, même avec sa « claire majorité de francophones », dont Bock-Coté semble séduit par les apparences qu'elle suggère, n'est-il pas perpétuellement entravé par les survivances du colonialisme ? Il ne contrôle pas l'État. Il en est le mandataire, le gardien; il arbitre un équilibre politique, forcément injuste, établi par la violence coloniale. Il ne peut exercer son pouvoir législatif que dans le cadre de balises établies hors de tout cadre démocratique. Un cadre politique étroit dans lequel les législateurs du PQ se sont toujours confinés, refusant la plupart du temps de dénoncer la servitude coloniale dans laquelle leur rôle de député les réduisait sur tous enjeux de taille. Bock-Coté nie l'existence de deux nations principales au Québec, une dominante et une dominée. Mais n'est-ce pas à ça que sert l'identité québécoise aujourd'hui ? Brouiller la réalité des nations concurrentes au Québec. Comme au Canada où ces réalités ne sont pas reconnues.
6- « Il était naturel qu’un jour, notre peuple finisse par s’identifier à sa communauté politique au point d’en prendre le nom: telle est la trame de fond de notre histoire.
l’intuition d’un nom – puisque tout a toujours commencé par un nom – retrouve dans toute sa réalité notre véritable identité, un nom qui lève toute ambiguïté, un nom clair et transparent, précis et dur, un nom qui nous reconstitue concrètement dans notre souveraineté et nous réconcilie avec nous-mêmes: Québécois».
Bock-Coté ( et Bouthillette ) réfère visiblement aux Québécois du slogan « Le Québec aux québécois », nom qu'a pris le site indépendantiste « Le Québécois », par exemple. C'est un nom qui renommait les Canadiens-Français du Québec en vue de réaliser leur indépendance. C'est ce que j'appelle la phase 1 de l'identité québécoise. La phase où l'identité québécoise est définie par les militants. La signification de « Québécois » a ensuite évolué pour devenir profondément ambigüe. Les gouvernements successifs du Parti québécois (et du Parti libéral ) ont rendu inclusif le mot Québécois, comme dans des actes législatifs importants que sont les considérants de la Loi 99 et le préambule de la loi 101. Ce qui veut dire que Québécois recouvre aujourd'hui la nation canadienne-française et la nation canadienne-anglaise au Québec. C'est la phase 2, la phase celle de la récupération étatique. L'État du Québec a joué dans ce cas un rôle de sujet colonial, récupérant la nouvelle appellation de « Québécois » pour la dépouiller de son sens canadien-français et la faire coïncider avec la doxa de l'inclusivisme. C'est l'idée de cette nation, créature étatique monstrueuse, qui a été rejetée des deux bords aux dernières élections. Rejetée par le bon sens des Canadiens-Français québécois et par le vote massif des Canadiens-anglais du Québec, qui ne s'y étaient jamais reconnus. Il y a tout lieur de croire que la dernière élection sonne le glas de la sombre période du néo-nationalisme québécois.
Au Québec, pour pouvoir se distinguer de nouveau, il faut désormais se dire Québécois francophones. Nous avons donc changé de nom deux fois en cinquante ans. On pourrait dire trois fois. Nous sommes passés de Canadiens-français à Québécois pour finir Québécois francophones. Pour continuer à exister il faudra s'en tenir à Québécois francophone ou reprendre notre identité canadienne d'origine et la disputer au Canada usurpateur. N'est-ce pas là le vrai combat au lieu de nous plaindre du vol de notre identité primitive, comme le feraient des colonisés ? On a le choix entre l'appellation d'origine ou la copie.
Il y a un prix à payer pour renoncer à son statut de fondateur du Canada
Note
1- « Ce que je vous ai dit ce printemps, ce que j’ai dit au Centaur, vous me l’entendrez dire encore souvent et longtemps. Nous sommes le gouvernement de tous les Québécois. Malgré les provocations, les stratégies fédérales, la radicalisation et les mauvaises humeurs des uns et des autres, je n’arrêterai jamais de penser qu’il est dans l’intérêt de toute la société québécoise qu’un gouvernement souverainiste, donnant un vigoureux élan pour la défense et la promotion du français, jette en même temps les bases d’un modus vivendi avec sa communauté anglophone.
Car lorsqu’un gouvernement du Parti Québécois aura établi un aménagement linguistique qui conjurera nos deux insécurités, qui fera avancer la tolérance chez la majorité et la minorité, nous aurons réglé le problème,bien et pour longtemps. Mais dans la tourmente actuelle, si nous cédons à la tentation d’abandonner cet objectif, nous nous rapetissons, nous devenons l’adversaire dont rêve Jean Chrétien. » Lucien Bouchard
« Une idée circule ces temps-ci: selon certains, nous devrions, comme peuple, redevenir des Canadiens-français, en reprenant notre nom d’antan. Ils soutiennent, généralement, que ce terme correspondrait à notre réalité la plus profonde, alors que la référence québécoise se viderait aujourd’hui de sa substance avec l’échec de l’indépendance.C’est une très mauvaise idée.
Il s'agirait d'une régression de la conscience historique: notre peuple s’est toujours défini à partir de son noyau historique de la vallée du Saint-Laurent, autour duquel il s’est battu pour constituer une communauté politique où il serait majoritaire.
C’est là où notre présence était suffisamment massive que nous avons pu poursuivre la grande histoire de l’Amérique française autrement qu’à la manière d’un résidu historique. C’est là où nous avons cherché à nous constituer en État indépendant, et c’est à où nous y parviendrons un jour. Le Québec n’est pas qu’un territoire: c’est un espace politique où se trouve le seul gouvernement contrôlé par une claire majorité de francophones en Amérique du nord. Il était naturel qu’un jour, notre peuple finisse par s’identifier à sa communauté politique au point d’en prendre le nom: telle est la trame de fond de notre histoire. Être Québécois, cela consiste à se poser comme norme chez soi et à se reconnaître un droit à assumer pleinement son destin.
C’est d’ailleurs ce qu’avait noté Jean Bouthillette : «À l’heure de la décolonisation du monde, [l’instinct ontologique de la liberté] nous rend universels d’emblée. C’est lui qui, depuis 1960,, nous fait lentement renaître à nous-mêmes et au monde; c’est lui qui, dans l’intuition d’un nom – puisque tout a toujours commencé par un nom – retrouve dans toute sa réalité notre véritable identité, un nom qui lève toute ambiguïté, un nom clair et transparent, précis et dur, un nom qui nous reconstitue concrètement dans notre souveraineté et nous réconcilie avec nous-mêmes: Québécois».
Inversement, redevenir Canadien-français consisterait à nous assumer comme minoritaires se définissant dans un espace plus vaste ne nous appartenant pas – ou du moins, ne nous appartenant plus, dans la mesure où nous en avons été effacés démographiquement et expulsés symboliquement - et dans lequel nous serions surtout occupés à chercher à faire valoir nos droits, sans prétendre avoir une pleine maîtrise sur notre destin. En redevenant Canadiens-français, nous redeviendrons 25% de quelqu’un d’autre, comme l’écrivait Gaston Miron – il serait obligé de ramener à la baisse ce pourcentage aujourd’hui, d’ailleurs.
En d’autres mots, le Canadien-français se montre vigilant dans la défense de ses droits d’autant qu’il les sait toujours menacés alors que le Québécois assume et exerce le pouvoir dans une communauté politique où il est la norme (on notera toutefois que le régime canadien travaille activement à nous convaincre de n’être au Québec qu’une communauté plus nombreuse que les autres, une vision à laquelle se rallie les partisans de la version locale du multiculturalisme). C’est toute la différence entre le destin d’une minorité ethnique, toujours menacée par une dynamique de folklorisation, ou le destin d'un peuple, maîtrisant un État, et capable de se projeter vers l’universel. Il est par ailleurs essentiel que les francophones demeurent clairement majoritaires au Québec. Qu’on le veuille ou non, la politique et la démographie sont intimement liées.
Faut-il le rappeler: on réclame ses droits à un pouvoir qu’on ne maîtrise pas et qui peut toujours nous les retirer – qu’on en parle, ces jours-ci, aux Canadiens-français de l’Ontario.
***
Au fil de notre histoire, nous avons souvent changé de nom.
Français, Canadiens, Canadiens-français, Québécois, Québécois francophones, et Canadiens-français à nouveau, selon le désir de certains: un peuple qui change aussi souvent de nom au fil de son histoire ne témoigne pas, comme le voudraient les optimistes, d'une grande flexibilité identitaire et d'une capacité d'adaptation à son environnement, qui lui permettrait de réaffirmer sa singularité en l'adaptant chaque fois à un nouveau contexte. J'y vois plutôt le signe d'une inconstance existentielle, d'une inconsistance identitaire aussi, et peut-être d'une incapacité aussi à nous inscrire dans une durée qui confirmerait fondamentalement notre droit à l'existence collective.
Comment, comme peuple, assurer notre continuité historique si nous ne cessons de congédier de grands pans de notre identité comme s'ils étaient périmés? On ne fonde pas grand-chose sur le principe de la table-rase.
Nous sommes enfin devenus Québécois. Je note d’ailleurs qu’à l’étranger, les Québécois n’aiment pas se faire dire qu’ils sont Canadiens. On ne sous-estimera pas la portée politique de cette observation.
Nous ne devrions pas nous désincarner à nouveau pour passer d’une époque à une autre.
2 commentaires:
Ce texte est très bon. Est-il possible de communiquer avec vous en privé?
Excellent texte. Comment peut-on entrer en contact avec vous Monsieur Verrier?
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