[Texte publié simultanément au Bonnet des patriotes]
Enfin, qu’on le veuille ou non, l’identité d’une nation est charnelle :
une part d’elle-même repose dans sa terre et ses morts.
Hubert Falco
Hubert Falco
Les piques des néo-nationalistes contre des personnes qui expriment leur attachement à la patrie du coeur se succèdent. Ainsi, André Parizeau, candidat communiste-bloquiste aux dernières élections, se
mobilise-t-il contre Réjean Labrie, qui se serait rendu coupable d' «une véritable apologie du racisme sur une base assez grossière» et contre Jean-Jacques Nantel, un «personnage du même genre». Un lecteur lui répondra ceci :
«Monsieur Parizeau, si vous voulez discuter d'idées commencez par exposer de façon honnête la pensée de vos adversaires en l'identifiant en citant des affirmations afin qu'on puisse comprendre ce à quoi vous faites référence. Quand vous laissez sous-entendre que prétendre aimer sa race est raciste, est-ce que vous pensez que la détester ou la mépriser est sain ? Que ce n'est pas aussi cela une forme de racisme envers sa propre identité.»
Bon conseil. Argumenter sur le fond, le Bonnet le fait. Pour mon camarade Mike Deschamps, Réjean Labrie, loin d'être raciste, défend maladroitement un nationalisme de droite en adoptant des valeurs de gauche, faisant du coup le jeu du mondialisme. En gros, le Bonnet est d'accord avec deux points énoncés par Labrie, et en désaccord ou a des réserves sur les six autres. De «véritable apologie du racisme», on n'en a pas vue.
Tout compte fait, on peut avoir des désaccords avec Labrie, Nantel et bien d'autres, sans juger ces personnes incompatibles avec le débat public, comme tente de le faire André Parizeau avec un brin d'intolérance. Pour ma part, il s'agit en grande partie d'attaques contre des ennemis imaginaires grossis à la loupe, des contradictions au sein du peuple, comme dirait Mao. Qui en profite? Le régime canadiAn. Il est épargné des dénonciations les plus justifiées en ce qui concerne un racisme, réel celui-là, pendant que l'attention est retenue ailleurs. On semble toujours en présence d'un indirect rule bien huilé, qui permet de dissimuler les méfaits d'un colonialisme anglo-saxon qui survit à travers ses mutations.
Il faut choisir son camp. Entre certains propos plus tranchants que d'autres, qui émergent de temps en temps chez un peuple qui a toujours longé les murs (en manque de pouvoir! ) et les méfaits systémiques d'un régime qui n'a pas toujours caché se croire d'une race supérieure (et au pouvoir! ), on aimerait bien savoir où André Parizeau situe la véritable menace ?
Piqure de rappel historique
À l'intention de M. Parizeau, voici un bref rappel de ce qu'il importe de retenir des relations nationales. Notre histoire est marquée par la volonté assimilatrice de notre conquérant. Cette volonté est constante et elle est bien illustrée par l’évolution démographique des locuteurs du français au Canada, le français parlé ayant passé de 99% à la conquête à 23% aujourd'hui. Les conquérants, hésitants au début dans leur projet, faute de moyens et dans le calcul de leur propre intérêt, se sont ensuite repris sans discontinuer pour nous faire disparaître. Une politique d’État méticuleusement décrite par Lord Durham en 1839, qui ne voyait d’autre remède à notre «infériorité» qu'une assimilation totale à la « race supérieure ».(1)
L’Acte d’Union, une recommandation du Rapport Durham, décida de la spoliation économique du Canada-français (union des dettes du Bas et du Haut-Canada) en même temps que la mise en œuvre de l’assimilation comme la « solution finale », ce que la natalité de l'époque empêcha. C'est donc la Confédération qui viendra redéfinir, en 1867, le rapport de domination dans un contexte où les anglo-saxons étaient devenus majoritaires, ce qui permettait l’élargissement de la démocratie à leur profit. Bien joué. La Confédération se maintiendra par la suite en dépit du bris des nombreuses assurances d'égalité politique données aux Canadiens-français, un subterfuge qui avait été utilisé pour obtenir leur adhésion au projet.
La brutale destruction de la colonie de la Rivière rouge et la famine organisée sur le territoire métis, pour servir les intérêts des orangistes de l'Ontario; la fin de la coopération avec les autochtones, remplacée par leur refoulement dans des réserves, et la pendaison de Louis Riel ne sont que quelques uns des gestes répréhensibles des débuts de la Confédération. L’interdiction de l’enseignement du français dans plusieurs provinces suivra. Autrement dit, s'organisait une lente éradication du français. Les 900 pages d'injustices que comptent les trois tomes du Livre noir du Canada anglais de Normand Lester, suivent à la trace la classe dirigeante anglo-saxonne, toujours à l'aise avec ses a-priori suprémacistes.(2) J'espère que M. Parizeau prendra le temps de méditer là-dessus avant d'écrire la nouvelle charge qu'il nous promet contre Réjean Labrie et Jean-Jacques Nantel.
Certes, on pourrait excuser le passé en s'imaginant que le rapport d'inégalité historique entre vainqueurs et vaincus est chose du passé. Il n'y aurait plus lieu de reprendre ces mots, utilisés pour la première fois dans un contexte de réconciliation des deux nations par George Brown, père de la Confédération, lors des débats constitutionnels de 1865, mais ce serait contraire aux faits.
Passons sur l'intervention militaire de 1970 qui jeta dans la stupeur un mouvement autonomiste en plein essor et légitime à plus de 99,9 %. C'était la cinquième intervention militaire contre les CanadiEns-Canadiens-français-Québécois-francophones. Allons tout de suite aux faits et gestes du pouvoir fédéral autour du référendum de 1995. Nous y retrouvons intact la tradition du vainqueur anglo-saxon paranoïaque qui, dès qu’une volonté de vivre dans la dignité et l'égalité se pointe, ne ménage aucun moyen pour transformer cette aspiration naturelle d'un peuple en épreuve de force destinée à accroître sa puissance. C’est ce qu’exprimera avec une franchise déconcertante un Charles « Chuck » Guité en disant sans ambages : « Nous étions en guerre ».(3)
L’absence de bienveillance du régime canadiAn à l’égard des fondateurs est constant. Le cas du Canada est d'autant plus condamnable que l'absence de bienveillance historique frappe ici le peuple fondateur. Pour qui a examiné la question, le Canada se compare défavorablement avec plusieurs autres pays pluri-nationaux, dont la Chine et la Russie. Non sans étonnement, ce sont là deux pays où la protection des minorités nationales est bien mieux garantie qu'au Canada, y compris à l'époque tsariste pour la Russie. Et même à l'époque communiste. Plusieurs citations de Lénine et de Staline montrent bien que la nation pour eux est d'abord de nature ethnique et non civique. Monsieur Parizeau est-il toujours sur ces positions ? Si c'est le cas, pourquoi semble-t-il s'en prendre à tout ce qui apparaît être une expression ethnique de la nation ? Rappelons au passage que ethnique n'est pas "ethniciste". Pour qui serait tenté de faire un faux débat sur l'ensemble de l'oeuvre communiste, le lecteur intelligent aura compris que ce n'est pas le sujet.
Les CanadiEns et Acadiens ne disposent que peu de moyens pour se défendre face à la puissance anglo-saxonne qui les grignote numériquement depuis 250 ans. Privé des moyens d'une revalorisation, le français perd de son attrait. Le vainqueur profite de sa force et n'hésite pas à prendre des libertés occasionnelles avec le droit (qu’il a lui-même écrit), et avec la démocratie (dont il a lui-même fixé le cadre). On l'a vu en 1995. Quand les civilités ne suffisent plus on recourt à d'autres moyens de l'arsenal. Par exemple, le vol référendaire, suivi d'un programme de commandites, qui violait toutes les procédures parlementaires et réglementaires, a permis de dépenser des millions de dollars en propagande fédéraliste au Québec.
Un vol référendaire qui restera sans conséquence. Je fais un petit détour pour insister sur une affaire d'importance. Si la forte présomption de vol échappera malheureusement à tout examen judiciaire... C'est en grande partie grâce au chef du camp du OUI qui, bon prince, passera l'éponge sur les irrégularités fédérales. Ce que Lévesque avait fait le premier en 1980. Jacques Parizeau écrira en 2012 « On a longtemps discuté des nombreuses irrégularités qui auraient marqué le vote. Mais le résultat était là. » (4) Il n’ira pas plus loin. Imperturbable dans sa candeur, sept ans après la parution du Référendum volé de Robin Philpot. Rien. Que des « irrégularités », exprimées au conditionnel, dont « on a longuement discuté », dira-t-il, qui ne méritaient pas – qui n’auront jamais mérité – qu’on s’y attarde. Mais par charité pour l'homme, la critique dont M. Parizeau est l’objet ne le concerne pas trop personnellement. Elle concerne davantage une doctrine politique qui fait bon ménage avec une collaboration persistante, une sous-culture nationale de collabos qui compromet désormais toute sortie par le haut.
Jacques Parizeau aura marché jusqu’au bout dans les traces de René Lévesque et de Claude Morin pour qui la pathologie suprémaciste de l’élite anglo-saxonne était une maladie imaginaire. Parizeau aura ménagé le «partenaire fédéral raisonnable» jusqu’au bout. Dédouanant la classe politique souverainiste, il écrira : « Lorsque, dans la société, l’indépendance du Québec sera redevenue un sujet intéressant, la politique recommencera à s’y intéresser.» Mais diable, en 1995, c’est la politique qui s’est désintéressée de l’indépendance ! Comment « la politique », qui venait de renoncer à tout pouvait-elle blâmer « la société » de ne pas s’intéresser à l’indépendance ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité !
Si ça va bien aujourd'hui dans les relations fédérales-provinciales, la CAQ nationaliste-fédéraliste à Québec et le Bloc nationaliste-fédéraliste à Ottawa, et les souverainistes qui pensent qu'on avance, c'est que tout ce beau monde profite de l'attentisme et pense à sa poche. Personne ne veut parler des inégalités nationales, personne ne veut plus parler de ce qui avait provoqué une montée irrésistible de l'indépendantisme au début des années 1960.
À tel point qu'un Yves-François Blanchet ou un André Parizeau peuvent monter au créneau pour stigmatiser ceux qui parlent de la nation dans leurs propres mots, en y mettant un peu de leurs tripes. Quelles fins poursuivent ceux qui s'en prennent à de simples citoyens, comme Réjean Labrie et Jean-Jacques Nantel, tout en glissant superbement sur les injustices du régime ? En s'exprimant sur le texte controversé de Réjean Labrie, le Bonnet des patriotes livrait une critique constructive. André Parizeau n'a pas ce mérite, du moins pas encore. Pour ménager le régime et, qui sait ? son éventuelle victoire électorale, il semble bien qu'il fera tout pour délégitimer la parole de ceux qui, comme Labrie, sont fiers de leur origine, de leur nation, de leur "race", dans le sens de Lionel Groulx et d'Henri Bourassa. Labrie dit que défendre sa race n'est pas raciste. Conséquent, il n'épilogue pas sur l'existence d'une race supérieure, d'un peuple supérieur ou d'un peuple élu. Si c'est ce que cherche à débusquer André Parizeau, il lui faudra chercher ailleurs. Et il y en a des tonnes à écrire.
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Extrait pertinent, empreint d’une « bienveillante » condescendance, les faire disparaître pour leur bien, propre à l’esprit anglo-saxon depuis l’ère victorienne et son empire colonial. « Ni trop vite, ni trop rudement », sauf s’ils refusent leur disparition et veulent former un pays. « Je n’entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada : ce doit être celui de l’Empire britannique, celui de la majorité de la population de l’Amérique britannique, celui de la race supérieure qui doit à une époque prochaine dominer sur tout le continent de l’Amérique du Nord. Sans opérer le changement ni trop vite ni trop rudement pour ne pas froisser les esprits et ne pas sacrifier le bien-être de la génération actuelle, la fin première et ferme du Gouvernement britannique doit à l’avenir consister à établir dans la province une population de lois et de langue anglaises, et de n’en confier le gouvernement qu’à une Assemblée décidément anglaise... »
2. Une ré-écriture plus rigoureuse et moins sensationnaliste des livres de Lester, qui répertorient un nombre considérable de faits, pourrait compter parmi les sources d'un "réquisitoire national" à opposer au Canada-anglais.
3. « Nous étions en guerre » https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/165231/commandites-jeudi
Mais il n’y pas que Guité. http://gilles-verrier.blogspot.ca/2016/01/a-propos-des-cas-de-mepris-de-la.html
4. L’indépendance maintenant, Collectif des intellectuels pour la souveraineté (IPSO), ed. Michel Brulé, 2012, p. 8
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