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dimanche 27 octobre 2019

Sortir de la matrice : La question nationale et la troisième voie

J'ai reçu des commentaires de lecteurs me disant qu'on ne sait pas trop ce que je veux dire, on ne sait pas trop où je veux aller... Il est vrai que sortir de la matrice peut poser un défi de compréhension.
Pour bien me faire comprendre, je vais reprendre ici l'essentiel de mes positions avec un souci redoublé de clarté et de concision. Je recommande une reformulation complète de la question nationale dans un cadre nouveau que j'appelle la troisième voie.

Pour une réflexion approfondie
Si ce que je propose n'est pas un changement de doctrine, disons que c'est un appel pour une réflexion approfondie, à chacun d'en juger. Cette réflexion est parfaitement justifiée par une histoire d'échecs qui, à mon avis, restent insuffisamment compris. Les analyses qu'on en a faites plafonnent, elles s'arrêtent aux cadres de la matrice. La raison est simple. Les biographes, universitaires, analystes et les médias, s'ils se distinguent utilement par certains cotés, sur l'essentiel ils achètent les excuses habituelles de leaders politiques, toujours plus enclins à laisser un bon souvenir d'eux-mêmes qu'à nous instruire de leurs erreurs, de leur manque de courage et des petites trahisons. Quoi de plus humain! En parallèle, de petits gardiens du temple s'activent pour endiguer une critique des chefs, des référendums, des partis, etc. qui, trop vive, ferait selon eux le jeu de l'ennemi. Assise sur ses certitudes, la relève freine des quatre fers à l'idée de réécrire le logiciel. Il y a bien des Martine Ouellet, mais on n'en sort pas. Le niveau de l'opposition politique déçoit : on se renvoie la balle entre ceux qui ne veulent pas parler d'indépendance et ceux qui veulent en parler tout le temps. On se promène, coincés entre les « petits pas » et le « référendisme ». Même si rien n'a fonctionné, on ne manque pas d'admiration pour des leaders du passé qu'il faudrait loger dans un panthéon des perdants. Penser à René Lévesque ou à Jacques Parizeau, avec en main L'Art de la guerre de Sun Tzu peut vous faire passer une soirée bien déprimante. 
Une réflexion sur cinquante ans de perdu demanderait le courage de mettre sur la table ce qui n'a pas fonctionné, soit à peu près tout. Cette initiative salutaire ne peut venir de ceux qui endossent ou minimisent cette succession d'échecs, ceux qui défendent un misérable bilan en blâmant le peuple « qui s'est dit non » et « n'a pas suivi ».

Sun Tzu, L'Art de la guerre
Un précis de stratégie militaire, un classique.
Accumuler les victoires, réduire ses pertes,
même dans un contexte de lutte politique pacifique.
La nation socio-historique, un rempart au mondialisme 
Ceux qui m'ont lu depuis les dix-neuf ans que j'écris sur la question nationale peuvent avoir une idée de ma trajectoire. Elle n'a jamais changé. J'ai toujours été une personne désintéressée, qui croit que consacrer du temps au bien public est une source d'élévation personnelle. Ma vision des choses s'est approfondie avec les années. J'en suis venu à comprendre que la question nationale relie le passé à l'avenir. Elle respecte la tradition et l'interprète pour qu'elle s'applique de manière originale aux nouveaux enjeux. Par exemple, j'ai la ferme conviction que la nation civique, qui, stricto sensu, n'est même pas une nation, est l'antichambre du mondialisme. La nation plurinationale, multiculturelle et multiconfessionnelle que peut ériger tout État par simple décret, qui est tant vantée comme « progressiste », n'a la cotte que parce que, chemin faisant, elle détruit les nations socio-historiques. Nous savons tous que la nation civique est le chouchou des États occidentaux, du Vatican, de l'ONU parce que leur préférence organise la diversité partout contre l'identité nulle part. C'est un stade transitoire vers la disparition des nations organiques et patrimoniales, en chemin vers un néo-nomadisme, vers un monde de l'indifférenciation. Entre le pouvoir mondialiste distant et non imputable; la nation socio-culturelle, forgée dans le temps et par l'histoire, cette forme d'organisation humaine impossible à recréer, qui forme un patrimoine irremplaçable de l'humanité, acquiert une pertinence nouvelle. Il faut comprendre que la nation est le seul palier historiquement constitué qui puisse, c'est notre espoir, s'interposer entre l'individu isolé et une gouvernance mondiale. Dans le grand échiquier, l'intérêt de l'individu qui veut conserver ce qu'il a de droits et d'enracinement social sera de coller à sa nation, dans le sens de patrie, de s'attacher à la tradition, comme à l'air entre le ciel et la terre. Même si ce n'est pas joué, c'est la voie à prendre pour maintenir une hiérarchie mondiale à trois paliers, et repousser le monde orwellien qu'on nous promet.

Le référendum : un droit pour deux nations de se prononcer sur le destin d'une seule
La prétendue existence d'une nation québécoise – une seule nation sur le territoire du Québec - a amené des tentatives inappropriées de solution au problème national au Canada. Ainsi les deux référendums, une idée proposée d'abord par des fédéralistes de haut rang, auront permis à deux nations de se prononcer conjointement pour décider du sort d'une seule. L'approche référendaire ne pouvait s'imposer sans que passe d'abord l'idée de l'existence d'une nation québécoise commune, sortie de nulle part, pour remplacer les deux nations historiques du Québec, dont l'existence sociologique est parfaitement fondée et vérifiable. Les deux référendums n'ont-ils pas confirmés d'ailleurs des votes nationaux opposés ? En créant la nation québécoise comme on crée une start-up avec ses relations publiques, on passait à la trappe la trop visible lutte nationale au sein du Québec. On y substituait la rivalité étatique entre Québec et Ottawa. C'était naturellement l'alibi pour renoncer à des mesures musclées au sein du Québec, comme le cegep français pour les nouveaux arrivants, jouant au maximum du prétexte que le lien avec Ottawa devait être d'abord rompu. L'attente du grand jour comme prétexte à l'immobilisme.

Le problème national : nature et solution
Il importe de sortir de la fumisterie et de remettre la question nationale sur ses assises. La question nationale pourrit les relations entre la collectivité nationale canadienne-française (et acadienne), fondatrice du Canada 150 ans avant que les Anglais débarquent, et la nation canadienne-anglaise. Une vraie solution au problème national du Canada se trouve dans la reconnaissance pleine et entière des deux nations socio-culturelles historiques qui débordent, quoi qu'on en dise, les limites des provinces. Ces entités politiques établies plus tard, et dont le découpage ne correspond pas vraiment aux réalités nationales. Certes, la vallée du Saint-Laurent est le berceau de la nation canadienne-française, mais par sa passion pour les grands espaces, notre épopée ne s'y est jamais confinée.

Le problème de l'État
Certes, l'État du Québec aurait un rôle considérable à jouer pour le dénouement de la question nationale, on ne le niera pas. Mais il le jouera seulement si il parvient à s'imposer comme le représentant des Canadiens-français. Pour le faire, il devra cesser de se constituer en gardien de l'inégalité entre les deux nations. Un cas de figure notoire de cette inégalité se cache dans les ¨considérants¨ de la loi 99 (2000). Une loi organique qui a statué que le partage inéquitable des dépenses publiques, un leg colonial, était un «droit consacré» en faveur de la nation canadiAn. 
Pauvre Québec, il consolide les structures coloniales sans même qu'Ottawa s'en mêle ! Dans ce contexte défavorable pour la nation demanderesse, celle qui réclame l'égalité, il me semble clair que peu importe les espoirs qu'on pourra mettre dans un gouvernement comme celui de François Legault, les tendances coutumières, ancrées dans l'État profond, ne seront pas renversées. Ceux qui sont séduits par l'idée des petits pas, qui y voient la préfiguration du grand soir, tel Sysiphe, seront encore déçus. 

Les Canadiens-français peuvent-ils compter sur l'État? Et d'abord, est-ce bien leur État?
Ainsi, faute d'une appropriation de l'État par la voie électorale, une voie ouverte un temps par Maurice Duplessis, Daniel Johnson père ainsi que par le PQ de la loi 101, les Canadiens-Français ne peuvent compter sur un aucun État. Plus vraisemblanlement, l'État du Québec continue de tenir à l'écart la nation fondatrice du premier Canada, il tient à prendre ses distances avec ses électeurs pour se conformer à un modèle de démocratie libérale et dissolvante. À quoi servent donc les élections si la démocratie annule le pouvoir du nombre au profit de la puissance coloniale. Quand on y pense, la parodie de la démocratie parlementaire ne se serait jamais autant jouée qu'au Québec ! Comme ses prédécesseurs, la CAQ n'est pas partie pour corriger le récit national pour que la nation canadienne-française s'impose dans les esprits et s'affirme dans la dignité; pour qu'elle assure sa pérennité et sa prospérité. Non, la nation québécoise est un fourre-tout commode, vouée à la rectitude politique venant des horizons coloniaux et mondialistes.
La nation canadienne-française doit prendre acte de la facilité avec laquelle l'État du Québec l'ignore. Puisqu'il en est ainsi, les Canadiens-français, trop privés d'influence, devront se mobiliser pour récupérer ou reconstruire des organisations de défense nationales afin de récupérer le poids politique perdu. D'autant plus que la Société Saint-Jean-Baptiste et la Ligue d'action nationale donnent sans cesse de nouveaux signes d'avoir troqué le patriotisme de leurs fondateurs, celui de l'amour de la patrie pour l'amour de l'État.

De la pédagogie au plan d'action
Le référendisme a besoin d'une « pédagogie de l'indépendance ». Voilà une de ces idées qui se maintiennent à flot vaille que vaille. En vertu de ce précepte, on veut bien croire que par l'éducation on saura convaincre les Québécois, un à un, pour qu'un de ces jours ils votent OUI. Cette approche a montré toutes ses limites. C'est du passé. Il faut la remplacer par un plan d'action politique qui fera apparaître nettement les réalités bi-nationales au Québec comme au Canada. Nous savons bien que si la dualité est refusée par les auteurs de l'Acte constitutionnel de 1982, on doit malheureusement admettre qu'elle est aussi refusée par le néo-nationalisme québécois qui fait l'autruche. Il faut un plan d'action pour mettre fin au déni, s'engager en faveur d'un accord historique, car il ne s'agit pas de partir en guerre contre le Canada-anglais mais de conquérir une juste paix. La paix des nations par le respect mutuel et l'égalité politique.

Pour un réquisitoire constitutionnel intégral
Pour conquérir cette paix il faudra partir de pied ferme avec un réquisitoire constitutionnel intégral. Il y a une quantité considérable de faits à réunir et à organiser pour former un plaidoyer implacable, qu'il faudra défendre sur la scène canadienne et internationale. À titre indicatif, le Livre noir du Canada anglais (Normand Lester) ou le plus récent livre de Gilles Proulx, constituent des mises en bouche. Il faudra aller beaucoup plus loin dans la documentation des injustices et formuler le tout avec l'aide de spécialistes formés dans différentes écoles de droit constitutionnel, pas uniquement en droit anglais. Et mobiliser largement la population derrière, pour forcer la main du Canada anglais qui, de guerre lasse, devra sortir tôt ou tard de son attitude renfrognée. 

Pour entreprendre un combat qui n'a jamais commencé
Il faut comprendre une chose absolument incroyable : après cinquante ans de souverainisme, la bataille constitutionnelle n'a jamais pu profiter d'un plaidoyer sur le fond. Le combat a toujours eu l'allure d'une affaire improvisée, un combat jamais préparé et finalement jamais livré. Pas davantage à l'époque du Canada-français d'avant 1960, ni dans le cadre du «Québec moderne» qui l'a suivi. L'impuissance politique du Canada-français de jadis s'est poursuivie dans le néo-nationalisme péquiste et ses variantes d'aujourd'hui. 

Parlons du neuf. À la base de cette entreprise de rénovation du nationalisme que je propose, il y a un principe non négociable : l'égalité des nations. On évitera ici de confondre le principe avec la formule politique qui pourrait lui donner une forme et l'habiller. En ce qui me concerne, c'est au tour du Canada anglais de nous faire l'honneur de ses propositions, quand il sera mûr. Entre temps, rien ne sert de parler à un sourd. C'était une erreur de faire des propositions détaillées à Ottawa, une autre erreur qui découlait directement de l'approche référendaire. Aujourd'hui comme hier, épiloguer sur différentes formules (association, partenariat, reconfédration, indépendance, souveraineté, etc.) ne ferait que nous diviser sans objet et unir le Canada contre nous. Concentrons-nous plutôt sur une priorité, celle de constituer un dossier de nature constitutionnelle sur les méfaits du deuxième Canada et réclamer l'égalité, voire des réparations. Avec cette approche non partisane et ouverte sur un solution où aucune partie n'est reléguée dans le rôle de perdant, on pourra réunir tous ceux, sans doute nombreux, qui peuvent se reconnaître et se mobiliser autour d'une demande d'égalité des nations, au Québec, en Acadie et ailleurs au Canada. Voilà quelques idées pour lancer une réflexion bien nécessaire, un renouveau qui donnera enfin toute sa pertinence à la question nationale.

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Le 16 novembre prochain, Le Bonnet des patriotes tiendra 
un forum pour les 45 ans de l'étapisme 
où il sera également question de la troisième voie.

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