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samedi 22 septembre 2018

Le problème de civilisation - La Nation

J.-T. Delos et LA NATION
 Une oeuvre méconnue
Une pensée réfractaire au libéralisme
[ première publication  22 sept. 2018]
[dernière m.-à-j le 04-12-2019] 


Une biographie de J-T Delos
https://journals.openedition.org/dominicains/1996

Si vous ouvrez la biographie, lien ci-dessus, on s'intéressera notamment à son séjour au Canada (paragraphe 6), où le fait venir le Père Georges-Henri Lévesque, qui venait de fonder la faculté de sociologie de l'Université Laval. On notera que les deux tomes de « La Nation » sont publiés à Montréal en 1944, aux Éditions de l'arbre. (par. 17)

Auteur modeste, il signe ses livres J-T Delos, ne prenant pas la peine d'écrire ses prénoms. On trouve peu de photos de lui dans Internet. En fait j'en ai trouvé une seule que j'ai modifiée. 

L'auteur d'une thèse de doctorat à son sujet (2016) me semble très bien saisir le personnage : 

Joseph-Thomas Delos
en 1948

« L'œuvre confidentielle de Joseph-Thomas Delos répond à l'ambition de proposer une pensée alternative chrétienne à la société libérale. Professeur de droit international public, thomiste, ce dominicain n'a eu de cesse de vouloir articuler les résultats de la sociologie à une réflexion juridique sur le bien commun. » 
http://www.theses.fr/2016EHES0040
*   *   *

On peut reprocher à bien des écrits d'être entachés d'un manque de clarté faute de définir avec précision les concepts de nation, de peuple et d'État. Les écrits de Delos échappent à cette lacune. Il va même plus loin en donnant des clés conceptuelles pour une résolution viable du rapport entre les deux entités que sont l'État et la nation. Pour lui, il est impératif de ne pas les confondre. Sa rigueur est sans doute un trait de sa personnalité. Mais elle doit aussi beaucoup au fait, selon moi, qu'il combine l'approche du sociologue à celle du juriste. Il décrit la nation comme un fait de civilisation à préserver. Il s'efforce de fonder en droit le national pour le situer comme un droit de l'homme, au même titre que le droit du citoyen est, lui aussi, un droit corollaire au droit de l'homme.
« En parlant des Droits de l'homme et du National, nous établissons volontairement un certain parallélisme entre ces droits et les Droits de l'homme et du Citoyen. Les Déclarations, qui les ont enregistrés au cours de l'histoire, montraient, par leur titre même, qu'elles rattachaient les droits du citoyen à la nature de l'homme. C'est à celle-ci aussi que nous rattachons les droits du national, mais en les distinguant des droits du citoyen. »

La terminologie anglo-saxonne et celle du nationalisme libéral emploient aussi volontiers l'une que l'autre le mot Nation dans un sens politique et étatique. Ainsi la Déclaration des droits et des devoirs des Nations... de 1916, qui figure dans le Projet de Convention... nous donne un bel exemple de la conception anglo-saxonne : 
« la nation est une personne morale et juridique, création de la loi et subordonnée à la loi comme la personne naturelle dans la société politique »
Renvoyant dos à dos le nationalisme ethnique et totalitaire ainsi que le nationalisme libéral, il distingue ensuite fortement les concepts d'État et de la nation. Compte tenu de son apport original et de haut niveau, on s'étonne que son oeuvre ne soit pas mieux connue.




«... se développera au cours du XIXe siècle une conception politique, démocratique, libérale et volontariste de la nation. Elle est pleinement respectueuse de l'individu humain; elle fait constamment appel au droit naturel ; elle est rationnelle ; on serait tenté de dire intellectualiste. Elle a deux lacunes pourtant : plus politique et plus rationnelle qu'ethnique elle confond la nation et l'État, et en même temps elle néglige un ensemble de valeurs et de forces qui, plus proches peut-être de l'histoire, de la nature et de l'instinct collectif, font cependant partie du capital humain. » ( p.137 )
*  *  * 

J-T Delos ne s'est jamais mêlé de politique canadienne. Il a par contre fondé à Québec un Comité de la France libre avec d'autres personnes et est ensuite retourné en France. Faut dire qu'entre 1941-1945 la question nationale au Canada n'était pas dans l'actualité. Il a ensuite occupé des fonctions diplomatiques et n'a rien écrit d'aussi substantiel par la suite. Je dois dire que ses ambitions de voir naître un nouvel ordre « super étatique » ne se sont pas matérialisées, loin de là. Il était sans doute défenseur de l'Union européenne et de la formation des Nations unies. Il faut se reporter au contexte de l'époque. Cette partie m'apparaît vieillie.

Christian Néron et son idée de la nation qu'il reprend largement de Delos
https://vigile.quebec/articles/la-nation

« La familiarité entre les hommes, les similitudes de la vie en société, le prolongement des liens de solidarité dans une sorte de parenté spirituelle, continuent de façonner la structure sociale du groupe. Il se crée alors un profond sentiment d’appartenance, un sentiment d’être réellement chez soi et de pouvoir y vivre en toute sécurité. C’est la force de ce sentiment qui amène le groupe à ne plus se contenter de simplement exister, mais à vouloir se perpétuer, à se donner un projet d’avenir, et vaincre le temps en s’affirmant dans la durée. C’est à ce moment qu’il y a nation.

Ainsi, lorsqu’une telle communauté de conscience prend à ce point conscience d’elle-même, de son originalité, de son unicité, bref, de tout ce qui la distingue des autres communautés, on peut dire qu’elle est parvenue à un état de conscience national, qu’elle est consciente de former une personne collective à la recherche d’un bien commun qui lui est propre, d’un état social dans lequel chacun peut vivre, s’enraciner et se projeter dans l’avenir. (1)

On peut également ajouter que la nation ainsi formée constitue un cas particulier du phénomène de civilisation puisque, de toutes les formes de regroupement social qui ont pu exister depuis la nuit des temps, la nation est certainement celle qui a le plus favorisé la paix, l’harmonie et la prospérité à l’intérieur d’un regroupement.

La nation peut donc être considérée comme un enrichissement du phénomène de civilisation, une évolution naturelle qui va au-delà de toutes les formes connues de regroupement social. Ajoutons que la nation, ainsi constituée sous la forme d’une personne collective de droit naturel, possède, comme dans le cas des individus, des droits et libertés qu’elle peut revendiquer contre tous, y compris contre son propre État, et ce, conformément aux mêmes règles de justice. »
1-  J.T. Delos, Le problème de civilisation, La Nation, éd. de l’Arbre, T. I, p. 70 à 96
*   *   *
La nation est un acquis de la civilisation, elle garantit 
la diversité du monde et elle représente un 
irremplaçable patrimoine de l'humanité 

Ce que je retiens et qui porte à réflexion : 

* la définition qu'il donne de la nation

UNE COMMUNAUTÉ DE CONSCIENCE QUI CHERCHE À VAINCRE LE TEMPS ET À S’AFFIRMER DANS LA DURÉE.
« Le sentiment national est une manifestation de conscience collective liée à des conditions historiques et à un milieu déterminé.» 
(Delos, LA NATION, tome 1, p.80)

* le fondement de l'égalité des nations 

- par exemple les droits des nations autochtones, ceux des Canadiens-français et ceux des Canadians - une égalité qui ne se retrouve PAS dans la Loi 99. P.e.« Droits consacrés de la communauté anglophone »  = subsistances de privilèges coloniaux. Il vaudrait mieux que les anglophones soient reconnus comme nation avec les mêmes droits que les autres nations, pas plus. Notamment pour le financement des institutions d'éducation et de santé. Notons également que la seule possibilité d'atteindre l'égalité n'existe qu'entre entités qui se reconnaissent égales. « La communauté aux droits consacrés » n'est pas un concept juridique courant, c'est un statut d'exception. Il est temps de questionner la source juridique de cet exceptionalisme  et de comprendre ce qu'il cache. 

* les droits du national - prolongement naturel des droits de l'homme
C'est le droit de la personne à une appartenance socio-historique particulière. Comme Beethoven ne pouvait être qu'Allemand pour composer l'oeuvre qu'il a créé et Jean Racine ne pouvait être que Français. Comme il fallait être Canadien-français pour composer le Ô Canada en 1880. La particularité de ces oeuvres est d'enrichir l'humanité à partir d'un enracinement national. L'enracinement national produit une façon particulière d'être un humain. 

* la différence entre État et nation 
- le rôle de l'État sur un territoire pluri national (comme le Canada ou le Québec) n'est pas forcément de s'identifier à une nation en particulier mais d'être garant de l'application de droits nationaux égaux entre elles. Delos prend donc ses distances de l'État nation. Et effectivement, le concept ne peut être une solution optimale pour le Québec comme pour le Canada plurinational. Au fond, il n'y a pas de différence hiérarchique entre les droits des Premières nations et les droits des Canadiens-français, les droits nationaux étant intangibles et de même valeur pour toute nation. Les premières nations n'ont pas de droits spéciaux que les Canadiens-français n'auraient pas et la post-nationalité du Canada - qui est un couvert pour la suprématie anglo-saxonne - n'a pas sa place. 

* le rapport entre l'État territorial et les nations qu'il contient ou peut contenir 

Son travail est d'ordre conceptuel, et socio-juridique. En fait la sociologie lui sert à créer du droit.






*   *   *
Terminologie anglo-saxonne de la nation 
La terminologie anglo-saxonne et celle du nationalisme libéral emploient aussi volontiers l'un que l'autre le mot Nation dans un sens politique et étatique. En voici un exemple : 

« ... la nation est une personne morale et juridique, création de la loi, et subordonnée à la loi comme la personne naturelle dans la société politique. »


Sur l'impérialisme et le nationalisme 
« Si les nationalismes modernes ont conduit souvent et même fatalement à l'impérialisme et à la conquête, c'est que, confondant la nation et l'État, ils ont conjugué leurs dynamismes, ils ont exagéré l'un par l'autre, et les ont dévié tous les deux vers des buts autres que les leurs.»
La Nation, Tome I, p.133  

«Ses enfants se lèvent unanimement pour défendre le sol et la patrie, la lutte pro aris et focis est celle qu'un peuple soutient avec le plus de tenace héroïsme et il ne s'avoue jamais vaincu dans le combat pour la libération du territoire»
id. p. 132 
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LA NATION SELON ERNEST RENAN

Source :  http://classiques.uqac.ca/classiques/renan_ernest/qu_est_ce_une_nation/qu_est_ce_une_nation_texte.html

L'essentiel de Qu'est-ce qu'une Nation ? réside dans la définition double que Renan formule à l'issue de sa conférence :
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. »
On ne retient d'ordinaire de cette double définition que le second des éléments qu'elle combine : Renan serait alors le théoricien qui aurait affirmé que la Nation est le pur produit de la volonté de ceux qui la composent. Ce n'est pas là un total contresens car c'est bien cette dimension de l'identité nationale que Renan, en réaction à la philosophie allemande, privilégie.
Cependant, la définition proposée par Renan est plus complexe. Si Renan insiste bien sur la liberté des peuples et des individus à choisir eux-mêmes leur sort, cette liberté doit selon lui s'enraciner dans un passé commun ; elle n'a de sens que de se développer à partir d'un héritage reçu et partagé. Curieusement, Renan semble donc bien combiner deux théories opposées de la Nation : celle qui va chercher dans le passé le fondement même de l'identité collective et celle qui n'accepte pour un groupe d'autre lien que le désir manifesté de vivre ensemble. La France apparaît dès lors à la fois comme un héritage et un projet : elle nous donne ce que nous sommes mais, simultanément, nous la faisons ce qu'elle est.
Il y a bien là contradiction. Car Renan semble affirmer à la fois que nous sommes soumis entièrement au poids de notre passé et totalement libres du visage que nous voulons attribuer à notre présent.
Mais ce caractère contradictoire de la définition est peut-être justement ce qui en fait la force et non la faiblesse. Pour Renan, les contraires, loin de s'exclure, doivent en effet se répondre. C'est dans leur équilibre, leur jeu, leur harmonie et leur écart que résident la justice et la vérité. Il en allait ainsi des rapports entre science et religion. Il en va de même dans cette fragile et nécessaire construction historique qu'est la Nation. Hésitant entre la fidélité à un passé et l'invention d'un présent, entre la soumission à ce que nous avons reçu et la création de ce que nous avons choisi, la Nation est inévitablement une réalité double et contradictoire. Mais à ce contradictoire, nous sommes voués. Et la grandeur de Renan est de nous le rappeler car si rien n'est possible qui ne s'enracine dans l'histoire, rien n'est légitime qui ne se fonde dans le droit des peuples et des individus à disposer d'eux-mêmes.






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