À 50 ans, l'approche référendaire
a griffé le Québec
Nous savons tous que le référendum a été soufflé à l'oreille de Claude Morin par trois membres éminents de l'équipe de négociations constitutionnelles de Trudeau. Morin qui avait ses interlocuteurs en haute estime retiendra leurs conseils référendaires «des plus démystifiants.»(1) L'épisode de son acquisition de la cible référendaire, relaté par lui-même, se passe en 1969. Trudeau, déjà bénéficiaire d'une trudeaumanie "spontanée" et "gratuite" est déjà en selle pour changer le Canada en profondeur.
Le père de l'étapisme, Claude Morin, rejoint le Parti québécois en mai 1972. Au sein du PQ, il va s'employer à vendre le référendum jusqu'à ce que ce soit chose faite. Ses souhaits sont exaucés le 16 novembre 1974. Réuni en congrès à Québec, le parti gagné par l'usure et les jeux d'influence, Lévesque et Morin le voulaient, se prononce à la majorité des 2/3 en faveur de ce qu'on appelle aussi l'étapisme.
L'avènement du référendum est un moment clé de la québécitude. La québécitude ? En voici une définition simple : c'est l'identité québécoise à l'exclusion des Canadiens-Français. Avec le référendum et sa doctrine, car c'en est une, s'accélère la séparation tissulaire des Canadiens-Français. Le commencement de cette séparation est difficile à épingler. Cependant, on se rappellera que René Lévesque pèsera de tout son poids pour s'opposer à la Déclaration historique de Daniel Johnson du 5 octobre 1968. Il dénonce avec véhémence l'élément canadien-français que défend Johnson. Un antinationalisme d'après-guerre que véhicule notamment Cité Libre et P.E. Trudeau voudrait mettre les Canadiens-Français sur la liste des nationalismes suspects, sinon, pas mieux, des nationalismes moribonds qui ne méritent rien d'autre qu'on les pousse au bas du précipice.(2)
La doctrine référendaire est antinationale et représentative de la "québécitude". Elle consolide dix solitudes canadiennes-françaises établies par la Loi sur les langues officielles de Trudeau (1969), une loi de dénégation de l'unité nationale canadienne-française et acadienne. Les sceptiques retiendront qu'elle rabat l'existence nationale à une majorité et des minorités linguistiques de langue officielle française dans chacune des provinces. Or une langue n'est pas une nation et ne lui suffit pas.
Avec la doctrine référendaire, le Québec, qui est dans la bouche de Daniel Johnson le foyer principal et le point d'appui des Canadiens-Français, accentue son isolement. Selon la doctrine référendaire la séparation est cependant de mise et encouragée, tandis qu'elle est subventionnée par Ottawa dans les provinces. 500 000 Canadiens-Français de l'Ontario et 300 000 Acadiens, sans compter les autres, seront séparés de leur point d'appui historique. Un séparatisme "progressiste" qui fait la chasse aux vieilles idées et aux corps morts est à l'œuvre depuis l’échec provoqué des États généraux du Canada français.
La dénationalisation forcée mise en œuvre par Trudeau, avec son libéralisme et la doctrine de l'Open Society en pointe aggrave l'injustice nationale au Canada. Néanmoins, la décrépitude continentale des Canadiens-Français est toujours applaudie par les souverainistes québécois, dont René Lévesque qui, étant de la même école que Trudeau, se montre réfractaire à l'invocation des droits nationaux, voire même à leur existence. Les deux leur préférant le droit démocratique exclusivement, depuis lequel la doctrine référendaire est issue. On me pardonnera d'y revenir, mais il y a lieu d'insister.
En fin de compte, bien qu'on s'en chagrinait au coin du feu, les souverainistes voyaient dans l'amputation de la famille nationale une occasion de compenser une perte "négligeable" à leurs yeux. Ils n’anticipaient rien de moins que de prendre, en douce revanche, les anglophones du Québec. Pas forts aux échecs, ils étaient même pressés d'en faire leurs nouveaux compatriotes. Bien que le nouveau « destin commun » dans lequel on bascule se situe dans un espace d'à peine dix ans, le nouvel idéal fonde désormais tous les espoirs. La "nation québécoise", territoriale, civique et aussi "propre" qu'un George Soros peut le souhaiter est née. Elle ne lèvera du reste que dans un imaginaire en roue libre où le progrès de la « cause » prend l'allure d'une perpétuelle fuite en avant…
L'exercice référendaire, dont on ne soulignera jamais assez l'origine fédérale (Morin), sera un puissant accélérateur de notre dépossession nationale. Il fait reculer dramatiquement la cause d'une nation ethnoculturelle disposant de droits à l'autodétermination (interne ou externe), (3) droits reconnus et incontestés sur le plan international. Inlassablement resucée, la doctrine référendaire fera miroiter la fiction d'une "nation québécoise". Comme elle est fictive et non enracinée, elle est la proie facile, sinon le produit des valeurs trudeauistes, ce qui a d’ailleurs été abondamment documenté par quelques-uns de nos historiens et intellectuels les plus allumés.
Pour se séparer du Canada, qu'on estime en certains milieux être « la seule solution », en dépit d’expériences à travers le monde qui montrent que d'autres solutions existent à la question nationale, on demande aux "francophones" (une identité linguistique dénationalisée chère à Trudeau), de se mettre en frais de séduire les Canadiens anglais et ceux qui en masse les suivent. Le projet fédéral atteint son but : il conduit à une impasse permanente. Claude Morin se garde bien d'en évoquer la possibilité ou de la prédire dans ses élucubrations. L’homme qui n’a jamais écrit une ligne pour l'amour de sa patrie a atteint son but : le référendum est partout.
En 1995, la québécitude porte le droit démocratique
contre le droit national
Le 30 octobre 1995 se tenait le deuxième référendum sur la souveraineté, 39 ans aujourd'hui. Encore une fois, une doctrine souverainiste déficiente aurait pu être un moindre mal si elle ne s'était pas empêchée de saisir au vol les occasions, rares, de se propulser avec force sur la scène pancanadienne ou internationale. C'est certainement un manque commun aux nations occidentales de l'après de Gaulle, pour mettre un signet dans le temps. Ce qu'a fait un cousin étranger, Charles de Gaulle, il faut s'y arrêter, n'a jamais été tenté par un natif.
Hubert Aquin ? (4) « Il vivait en hauteur dans un univers à l’horizontale » [Jean Basile]. Il ne croyait pas qu'un René Lévesque pouvait être l'homme de l'indépendance. Ce constat lucide, une déception inconsolable, le conduira à la mort trois ans avant le premier référendum. Il arrive donc que l'on meure délibérément pour sa patrie sans être un conscrit de l'État. Contre exemple, la conscription de 1941 heurtait justement la patrie.
Yukio Mishima mettra sa mort en scène de manière plus magistrale et étudiée. Sa mort a été sa plus grande œuvre, dira Marguerite Yourcenar. Il ne voulait pas que la victoire américaine s'assouvissant sur les populations civiles du Japon ne laisse plus rien du Bushido, outre que des jeux vidéos. Tout amour de la patrie et de nos ancêtres, tout culte de là où nous venons dans les profondeurs du temps nous différencie de l'espèce animale. Cet amour fait œuvre de civilisation. C'est là une caractéristique unique à l'espèce humaine. C'est en reconnaissance de cette réalité qu'a été institué le droit national, qui en quelque sorte reflète une humanité à la fois unie et différenciée. Mais pour qu'elles soient unies, les différences humaines ne doivent pas être réprimées, mais admises dans le cénacle et protégées en général dans le cadre naturel de leur apparition dans le temps. C'est en quelque sorte de la simple écologie humaine. L'immigration massive est en ce sens un crime contre la nation et par extension un crime contre l'humanité. Le procès est à faire aux passeurs et non aux victimes instrumentalisées.
Aquin, Bourret(5), Mishima... Guevara avait 28 ans quand il s'embarqua sur le Granma. Des sacrifices plus ou moins inutiles au final, selon la conception que l'on se fait de la vie. Certainement inutiles quand on estime que notre vie est une quête infinie d'acquisitions et des jouissances de biens matériels. Mais n'est-ce pas là, à d'autres égards, une vie assez pauvre ? Pierre-Louis Bourret, vite oublié, à vingt ans bien comptés, cherchait sans doute une aventure nationale héroïque. Dans son idéal, il n'attendait pas sa mort précoce au terme d'une poursuite détonante de coups de feu.
On imagine parfois des personnages en format plus grands que nature. En amont de 1980 Parizeau n'avait pas souscrit à l'approche référendaire. "On y est entré sans référendum, on en sortira de la même manière...", avait-il lancé.
Cette vérité de base allait dans le sens de son adhésion au PQ, où, chez Butch Bouchard, il évoquait sans gène la cause des Canadiens-Français.
Avait-il suffisamment réfléchi ? Changer d'avis n’était-ce pas carrément changer de doctrine ? Bref, deux décennies avant son rôle de figure de proue référendaire, Jacques Parizeau aurait apparemment été prêt à rebondir sur un vote des Canadiens-Français qui se reconnaissaient à hauteur de 60 % . En 1995, il ne l’était plus.
Qu'est-ce qui avait changé du grand portrait ? À peu près rien. Seule la québécitude avait changé les mentalités et secoué une doctrine nationale déjà mal assurée. Le PQ nous fera passer d'un souverainisme malléable et juvénile, le temps de digérer les RIN, les RN et les libéraux de base, ce qui n'était pas de la galette. Digestion faisant, on pouvait toujours espérer quelque chose... sauf Hubert Aquin, le colibri dans la mine. De la social-démocratie bon teint, faux-nez du mondialisme, on passa à un souverainisme trudeauiste décomplexé. Parizeau s'est étouffé.
Le 30 octobre 1995, le oui des Canadiens-Français, car on ne peut croire qu'il ne s'agit pas de ces galeux, avait toute la valeur d’une motion de censure envers les institutions fédérales. Comme ce verdict était celui de la nation porteuse de la cause, Parizeau aurait été pleinement justifié de surprendre l'adversaire par un coup fourré, comme une volte-face à la Sun Tzu. Il ne le fit pas. Mais on est en guerre où on ne l'est pas. Ceci selon les propos révélateurs d'un Charles "Chuck" Guité, qui s'était illustré dans la campagne des commandites, campagne de propagande fédéraliste qui balaya le Québec juste après le référendum, sans rencontrer la moindre résistance d'un PQ égal à lui-même.
Parizeau, c'est de l'histoire, joua donc à son corps défendant le rôle que la québécitude et les hyènes fédéralistes attendaient de lui. Un suicide politique à la Mishima, moins le sang et les éclats. Pas de seppuku, même si on sentait sa frustration. Sans aller si loin, bien qu'il le pouvait à ce point, il pouvait aussi, maître du jeu, se déclarer le mandataire désigné des Canadiens-Français. C'eût été une sortie par le haut qu'entre l'humiliation et le seppuku il fasse de lui un Pierre Le Moyne d'Iberville des temps modernes.
Considérons que l'échec du référendum de 1995 n'était pas tant dans les résultats chiffrés que dans leur interprétation. Nominalement le non l'emportait. Mais il ne l'emportait pas chez les Canadiens-Français. Sur le plan du droit démocratique, le non l'emportait, sur le plan du droit national, le oui l'emportait. Les Canadiens-Français s'étant largement dit oui à eux-mêmes, ils validaient leur cause.
L'interprétation négative au soir du 30 octobre est attribuable à l'autocensure imposée par une identité québécoise moderniste et trudeauiste. On a perdu pour cause de québécitude. Pour cause d'une doctrine, qui par des vertus déclaratoires un peu magiques, a réussi le tour de force de transformer la menace héréditaire anglo-saxonne, coloniale et dominante, en des co-nationaux. Un droit de veto sur notre destin a encore une fois été consenti sous le faux drapeau d'une libération.
C'est l’erreur ou la fraude référendaire de base de laisser croire que le droit démocratique l'emporte sur le droit national. C'est aussi là le noyau argumentaire de Morin. On ne peut vraiment contester cet argumentaire sans un retour à la cause nationale bien comprise.
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1. Au moment où Claude Morin a ses discussions en 1969, l'enjeu est apparemment que des politiciens provinciaux pourraient être avides de pouvoirs additionnels, sans que cela représente le vœu de la population. Ottawa voudra s'en assurer, être le juge de la légitimité et du caractère démocratique des revendications du Québec.
Or, déjà à ce stade précoce, la question est entièrement détournée. La question nationale au Canada ne tient pas de ce qui précède, elle n'est pas contenue dans les courtes citations de Morin, plus bas. La question nationale est un héritage de la Conquête laissé en suspens par l'histoire, soit par la force des vainqueurs des plaines d'Abraham. Or, cet aspect, qui renvoie à un long contentieux historique a été systématiquement occulté par la québécitude, une occultation qui cache mal l'abdication continue du néonationalisme québécois devant le crédo trudeauiste.
CITATIONS :
Tiré de Une idée née à Ottawa [Claude Morin, Mes premiers ministres, Boréal (1991) p. 480 et suiv.]
Par une de ces ironies dont l’Histoire est friande, l’idée du référendum me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral.
(...)
À quelques reprises, j’abordai ouvertement le sujet avec trois membres importants de l’équipe fédérale de négociation: Gordon Robertson, secrétaire du cabinet fédéral et, à ce titre, premier fonctionnaire d’Ottawa, Robert Bryce, ancien sous-ministre fédéral des Finances et éminent mandarin d’Ottawa, et Al Johnson, sous-ministre de la Sant nationale et du Bien-être social (il deviendrait plus tard président de Radio-Canada).
Ils me firent chacun, l’un après l’autre et même une fois les trois ensembles, des commentaires fort instructifs. Ces échanges se situent parmi les plus démystifiants de toute ma carrière. Je n’étais pas près de les oublier. Ils corroboraient ma propre observation expérimentale.
(...)
Voilà comment le recours au référendum s’insinua dans nos conversations.
Là-dessus, leurs propos furent transparents: bien que pratiquement jamais utilisée en régime parlementaire britannique, seule une consultation de ce genre serait susceptible, me dirent-ils, d’inciter Ottawa et les provinces à consentir à un nouveau partage des pouvoirs plus avantageux pour le Québec. Pourvu, cependant, que les Québécois s’y fussent montrés très majoritairement favorables et qu’on eût permis l’expression du point de vue fédéral. Même là, le succès de la négociation intergouvernementale n’en serait pas pour autant garanti et les demandes québécoises ne seraient pas toutes satisfaites, mais, chose sûre, l’attitude fédérale et canadienne-anglaise évoluerait si un référendum confirmait qu’une majorité de la population québécoise, et non plus seulement ses politiciens, souhaitait l’acquisition de compétences constitutionnelles nouvelles.
2. v. Pour un fédéralisme des nations
https://canadiens-francais.com/pour-un-federalisme-des-nations-au-canada/
3. Dans la plupart des cas, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se règle de nos jours en équilibre avec le droit des pays à leur intégrité territoriale et souveraine. En pratique, une autodétermination interne s'applique et ses contours sont définis par la constitution. C'est le refus du droit de la nation canadienne-française à l'existence, de part et d'autre du référendisme, qui a prévenu jusqu'ici qu'une approche raisonnable, éprouvée et largement reconnue à travers le monde, y compris par l'ONU, soit réclamée depuis Daniel Johnson.
4. https://www.ledevoir.com/lire/788971/essai-portrait-d-un-suicide-hubert-aquin-mystique-quebecois
1 commentaire:
Tu invites (véritablement) à penser, Gilles.
C'est déjà un cadeau...
Ta réflexion, articulée, bien qu'à contre-courant de l'opinion (disons) généralisée sur le sujet, n'est pas sans intelligence.
Tant s'en faut.
Vous me bousculez donc à nouveau, mon cher ami...
Je m'en plaindrai.
À ma défunte mère au premier chef !
Merci à toi,
et longue vie (en santé).
jlg
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