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vendredi 5 février 2016

À propos du «suprémacisme» anglo-saxon dans la problématique néo-française-québécoise

Une révolution tranquille «à l'envers» 
en Russie - les étonnantes proximités de Lionel Groulx et de Vladimir Poutine

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Une volonté marquée d'ancrer la société dans le meilleur de son passé, que j'appelle la révolution tranquille à l'envers, s'opère en Russie depuis 2010. Cette révolution du bon sens  suscite un intérêt inquiet de la part des pays occidentaux en perte de repères. Pour ces derniers, le nationalisme est mort, sinon il doit mourir. 

La Russie est le joueur qu'on attendait pas pour mettre à mal l'idée d'une nation sans histoire et sans transcendance. Comme cette nation "défuntisée" devenue la nôtre, soutenue dans cette dérive par une majorité de souverainistes qui ne cessent de lorgner pour l'inclusif au sacrifice de tout ce qui subsiste à nous distinguer. En revanche, en Russie, on a une nation qui plonge ses racines dans l'histoire, elle ne tourne pas le dos à son identité. C'est de notre proche voisin du Nord que nous vient une vision qui valorise la tradition sans se refuser à la modernité, cette nation n'est pourtant pas une utopie du XXè siècle. Selon plusieurs sources, ce serait cette vision revigorée du national qui a cours en Russie. Une "russitude" qui reconnaît aussi de nombreuses nations en son sein sans capoter ! Mais cette réalité n'est pas celle dont nos médias nous abreuvent. Les oppositions légitimes de Russie passant inaperçues dans nos feuilles de chou, pour se forger une opinion il ne reste plus au lecteur du dimanche que les affres des minorités téléguidées de l'Ouest, tels les Navalny, avec les louanges du sempiternel culte victimaire. Mais qu'arrive-t-il du goulag dans lequel est enfermé Julian Assange dont le seul crime est d'avoir révélé quelques vérités ? Le pauvre lecteur qui tire sa seule information de Radio-Canada ou d'autres médias lourdement subventionnés comme Le Monde, Le Devoir, etc. est devenu un handicapé de l'information. L'internet existe, mais il n'en exploite pas les possibilités. Il sera peut-être surpris un jour d'avoir été tenu dans une réalité parallèle, s'il lui arrivait de percer le dôme médiatique sous lequel son cerveau bombardé est, pour toute unité qu'il soit, un part de l'enjeu stratégique mondial.  

Inversement, en gros, l'autre moitié du monde, moins idéologisée, a déjà pris l'habitude de s'alimenter à des sources d'information relativement plus diversifiées. Chez-nous, il est à peine exagéré de parler d'un "rideau de fer" mental fermé par les tenailles  médiatiques des pays de l'OTAN. Une autre partie de l'humanité est informée plus diversement sans l'être bien. Les masses qui sont moins dans la certitude d'être libres sont forcément plus critiques. Mais parfois, entre la liberté et l'asservissement la ligne est fine. N'était-ce pas de la Boétie qui écrivait De la servitude volontaire. Je suis témoin de gens qui préfèrent ne pas se poser de questions et suivre la voie qu'on leur intime de suivre. Se poser des questions les obligerait à l'inconfort d'y répondre, ce qui peut être au-delà de la capacité physique de ceux qui ne vivent que pour leur confort immédiat. N'est-ce pas le fruit de la société de consommation et des slogans de mai 1968 et du printemps des Cegeps de 1969 : Jouir sans entraves. Mais c'est aussi le problème de tous les goulags, le désir de se conformer. 

*   *   *

Selon l'Institut français des relations internationales (ifri)i, le tournant conservateur russe plairait aux pays d'Asie. Ces pays seraient pour la Fédération de Russie (FR) les partenaires de l'avenir parmi lesquels elle se sent respectée dans ses différences et surtout traitée en égal. Elle est en bonne compagnie avec ces pays qui s'efforcent de conjuguer la modernité avec leur attachement aux traditions ii

Elle-même pays d'Europe, la Russie ne délaisse pas pour autant ses partenaires européens, même quand ceux-ci boudent le dialogue avec elle pour recourir à des sanctions. Quelle déchéance de la diplomatie ! Dans nos sociétés dont on vante l'évolution, les désaccords aussi compliqués soient-ils, ne devraient-ils pas être résolus par la voie des négociations, je pense bien sûr au contentieux ukrainien, mais pas seulement. Et n'est-ce pas ce qu nous enseignait le père de la diplomatie issue des créateurs du droit international La Russie, qui est déjà au centre de bien des enjeux mondiaux, plonge dans la défense de sa dimension nationale avec une approche particulière, un souverainisme qu'elle assume pleinement. Ne s'écartant jamais d'une défense bien sentie de son indépendance, ce qui fait se tourner vers elle les regards sourcilleux de ceux pour qui la disparition des nations n'est qu'une affaire de temps, elle garde le cap. Le Québec, en particulier sa composante canadienne-française, a grand intérêt à ne pas prendre pour argent comptant la campagne de dénigrement permanent dont la Russie est l'objet dans notre coin du monde. Il faut y regarder de plus près.

Cette révolution tranquille à l'envers que rien n'annonçait est d'autant plus anachronique qu'elle survient après 70 ans de socialisme «scientifique», qui s'est traduit par une dénationalisation menée de main de fer par les bolchéviques, dont la composition ethnique au sommet était plus juive que russe, selon l'oeuvre jamais démentie d'Alexandre Soljenitsyne. Une idéologie basée sur le matérialisme, la primauté de l'économie, le dirigisme culturel, le remplacement de la religion et de la tradition par l'éducation laïque et la volonté de construire un «homme nouveau» débarrassé des «préjugés». Pas étonnant qu'inspiration importante des révolutionnaires russes coulait de la révolution française. 

Ce qui est encore plus étonnant c'est que le renforcement du national en Fédération de Russie n'avait rien de prévisible du fait que ce pays possède une diversité ethnique qui n'est dépassée que par l'Inde. Or, la grande diversité ethnique et linguistique de la Russie ne semble pas être un poids pour elle mais une richesse. À preuve, elle n'aurait pas freiné un consensus social conservateur qui ne fait que s'affirmer autour de valeurs patriotiques partagées. Le respect des minorités nationales, une tradition russe qui remonterait à la tradition tsariste, contraste d'ailleurs fortement avec la tradition anglo-saxonne subie par les Canadiens-Français. Deux mondes. Il est vrai, faut-il le rappeler, que 260 ans après la Conquête, le Canada d'Ottawa ne reconnaît pas la nation canadienne-française qui a pourtant bien servie l'empire britannique dans des tournants difficiles. 

La popularité de Vladimir Poutine, jamais démentie, incarne le phénomène de relative unité que vit présentement la Fédération de Russie. La presse le qualifie de dictateur mais les 70 % d'appuis qu'il recueille chez lui contrastent avec les maigres appuis de Justin Trudeau. Le conservatisme social et le pragmatisme conservateur de Poutine, appellations consacrées, forment donc un socle politique de rassemblement qui semble là pour rester. 

Dans sa lettre «La question russe», en janvier 2012, au cours de la campagne électorale, Poutine écrivait : 
« L'auto-identification du peuple russe, c'est une civilisation multiethnique unie par le noyau culturel russe».iii 
Une citation transmise par Léonid Poliakov, qui enchaîne avec ce commentaire à propos de Poutine :
«Au fond, il formule ainsi une "troisième voie", située entre le projet multiculturel occidental, dont Poutine estime qu'il a échoué, et le défi alternatif d'un "État national" qui serait fondé "exclusivement sur l'identité ethnique".»iv 
Pour Poliakov, Vladimir Poutine considère son conservatisme 
«comme une vision politique et morale du monde, cohérente et pleine de bon sens. C'est sur cette base qu'il a fondé sa campagne électorale de 2011-2012 et sa stratégie de développement jusqu'en 2025...»
Lors des rencontres annuelles du Club Valdaï, en 2014, Poutine poursuivait de la façon suivante : 
«Pour que la société existe, il convient de soutenir des choses élémentaires que l'humanité a élaborées au cours des siècles : c'est le respect de la maternité et de l'enfance, le respect de notre histoire et de ses accomplissements, le respect de nos traditions et des religions traditionnelles»v
À la lumière de tout ceci, en viendra-t-on à considérer Lionel Groulx comme un visionnaire dont l'heure n'était pas encore venue ? 

Il a certes combattu une forme de modernité aguicheuse et illusoire, une menace dont il nous entretenait notamment dans sa lettre à Jean Éthier-Blais «Sur les dangers de l'influence américaine».vi Un filet dans lequel se sont pris plusieurs intellectuels d'avant-garde, vantant comme un progrès indépassable de faire table rase, jugeant à jamais dépassé l'héritage spirituel de Lionel Groulx sur le petit peuple français d'Amérique.

Dans la présentation du dossier Lionel Groulx, publié par les Cahiers d'histoire du Québec au XXè sièclevii, Benoit Lacroix et Stéphane Stapinsky expliquent :
«Les citélibristes et certains nationalistes (notamment ceux d'extrême gauche) allaient prendre le relais au cours des années 1950 et 1960. Pour plusieurs souverainistes des années 1990, la figure de Groulx fait problème. Il leur semble que, en réponse aux accusations de «racisme» et de «fascisme» qu'on adresse tant de l'intérieur que de l'extérieur à la société québécoise (et en particulier au mouvement nationaliste), il leur faille prouver à tout prix à la face du monde qu'ils ne sont pas coupables, eux «modernes», de ce qui leur est reproché; pour ce faire, ils insisteront donc sur une rupture radicale entre la société d'autrefois et la nôtre et s'en prendront publiquement à ce Québec obscurantiste d'avant 1960 et au symbole du racisme et du fascisme de l'ancien régime que serait à leurs yeux Lionel Groulx. Une manifestation récente de ce nouveau rituel peut être relevée chez Gérard Bouchard.»
Plus loin, les auteurs nuancent en citant quelques noms, parmi eux, à gauche, Pierre Falardeau, Gaston Miron, Andrée Ferrettiviii, qui ont accepté 
«de nouer un dialogue avec Groulx». 
Ils finissent par demander avec raison qu'on tourne la page à cet infantilisme 
«qui fait que, pour certains, il paraît impossible de se reconnaître dans une continuité à moins d'y trouver la trace d'une pureté conforme à nos valeurs actuelles.»ix
Comme c'est bien dit.

On pourrait épiloguer longuement sur l'héritage de Lionel Groulx, mais l'affaire est entendue. On en reviendra donc à ceci. Les arguments de ses pourfendeurs, lorsqu'il s'agissait d'arguments et non de demi-vérités et de falsifications, ont été réfutés avec patience et avec plus d'explicitations que la plupart des objections n'en méritaient x. Depuis une trentaine d'années, grâce à des intellectuels courageux xi, tous les arguments pour discréditer Groulx et son oeuvre ont été répudiés d'une façon ou d'une autre; si bien que le dossier Groulx est clair et net. Alors pourquoi parler de réhabilitation de Groulx par Poutine ?

La réhabilitation de Lionel Groulx par Poutine est bien sûr une figure de style. Elle met en évidence le fait que si la joute intellectuelle a été remportée par les nôtres, ils n'ont pas prévalu. La société civile n'a pas répercutée la victoire intellectuelle par des changements fondamentaux comme en Russie. Le tropisme des médias de masse, grassement y est certes pour quelque chose. En outre, le discours politique et le projet d'indépendance, toujours restés sur la défensive, ont continué à freiner des quatre fers pour empêcher que vole en éclats la mauvaise conscience de notre passé. Feu la libération.  

On refuse de faire à Lionel Groulx une place au panthéon de notre histoire parce que notre élite nationale dite «moderne» a rejeté tout ce qu'il représentait. Il était prêtre catholique et défenseur de la tradition. Et, cocasserie de l'histoire, c'est encore le prêtre catholique qui, depuis la grande noirceur de 1943, leur fera la leçon  : 
«D'où nous vient, qui nous a donné ce goût morbide de nous accuser de tous les péchés, et plus particulièrement de ceux que nous n'avons pas commis.(sic)» xii
Après 60 ans de lutte souverainiste-indépendantiste infructueuse, on aura tout de même réussi à racornir la «civilisation française en Amérique» au point où l'argumentaire des figures montantes ne semble plus que, outre l'enrichissement personnel et l'ouverture aux autres, aucun autre motif ne justifie la cause. Ceci après avoir épuré au fil des ans, modernité oblige, toute référence à ce que nous sommes et d'où nous venons. Le phénomène de retour aux sources, qui a amené les Russes au succès après 70 ans de dénationalisation violente (clin d'oeil à la dénationalisation tranquille), surtout avant Staline, à recouvrer leur patriotisme, prouve qu'il est possible pour une nation, singulièrement une nation fondatrice, de recouvrer ses droits fondés sur la continuité historique. 
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i www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_rnv_90_fr_poliakov_protege.pdf  Le « conservatisme » en Russie : instrument politique
ou choix historique ? , déc. 2015

ii  Japon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour, selon ifri

iii  Que penserait-on d'une nation multiethnique unie par le noyau culturel néo-français, canadien français et Québécois?

iv Ifri, p.18
vi  Les Cahiers d'histoire du Québec au XXè siècle, No 8, automne 1997. Sur les dangers de l'influence américaine, 7 décembre 1964, p.175

viii Il faudrait rajouter Michel Chartrand et Simone Monet-Chartrand dont le mariage dut béni par Lionel Groulx

ix Cahiers p.10 ou lien ici

x Pensons ici à la réfutation détaillée par notre sociologue québécois anglo-protestant Garry Caldwell, de la thèse de doctorat d'Esther Delisle http://agora.qc.ca/Documents/Antisemitisme--Le_discours_sur_lantisemitisme_au_Quebec_par_Gary_Caldwell Thèse effectivement couronnée d'un doctorat, à la courte honte de l'Université Laval.

xi Stéphane Stapinsky, Garry Caldwell, Fernand Dumont, Serge Cantin, Nicole Gagnon et bien d'autres

xii «Notre force...» Groulx, Lionel, 1943; cité dans la présentation des Cahiers... No 8    

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