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lundi 21 janvier 2019

L'identité québécoise a-t-elle encore un avenir ?

Ne concluez pas trop vite

« Je n'ai jamais été aussi fier d'être Québécois » s'exclamait René Lévesque devant une foule de partisans enthousiastes le soir de sa victoire. En 1976, René Lévesque adhérait à l'identité québécoise depuis quelques huit à dix ans. Pour le reste, né en 1922, il avait grandi et vécu Canadien-français. 

Jacques Parizeau, cibla « l'argent et des votes ethniques ». Ceux visés par ces mots étaient-ils pour lui des Québécois ? Ses compatriotes ? Les membres d'une nation civique ? À ma connaissance il n'a jamais clarifié sa pensée. Bernard Landry, qui n'en manquait pas une pour mousser la nation civique, le fera à sa place :


 « L'usage du mot «nous» pour désigner les membres de la nation civique québécoise est incontournable: il englobe toutes les personnes de citoyenneté canadienne -- et j'espère bientôt québécoise -- qui habitent notre territoire. »(1) 

Pour les néo-nationalistes Landry, Bouchard, Lisée, etc., les contribuables canadiens forment la nation du Québec. Ces ultra-libéraux ont adopté la conception anglo-saxonne de la nation qui fait de celle-ci une simple émanation de l'État, ce qui en souligne le caractère civique. Sur ces prémices, ils sont parvenus à vider le mot Québécois de la puissance émancipatrice qui suscitait tant d'espoirs à ses débuts. 

En 1972, l'historien Michel Brunet disait des Québécois 


« qu'ils se conçoivent dans une continuité historique de trois siècles et demi à l'intérieur du territoire qu'ils habitent et où ils demeurent encore la majorité. »(2) 

Avant l'étapisme, adopté deux ans plus tard, il pouvait encore écrire que « Les Québécois s'identifient à une collectivité ayant droit à l'auto-détermination ». Le droit à l'auto-détermination appartenait à cette collectivité majoritaire et pas à d'autres, c'était la conception la plus répandue à l'époque. Dans Raisons communes, Fernand Dumont perpétuera cette idée : 


« Si nos concitoyens anglais du Québec ne se sentent pas appartenir à notre nation, si beaucoup d’allophones y répugnent, si les autochtones s’y refusent, puis-je les y englober par la magie du vocabulaire ? L’histoire a façonné une nation française en Amérique ; par quelle décision subite pense-t-on la changer en une nation québécoise ? »

Pour Wikipedia, Québécois peut désigner les habitants de la province de Québec. Mais Québécois désigne aussi les membres d'un parti politique qu'on pourrait par ailleurs qualifier de « trop ethnique », puisqu'il ne parvient pas – pas encore – à représenter toute la diversité québécoise. Le PQ est pourtant né en 1968 pour réaliser le droit à l'auto-détermination d'une nation socio-historique et culturelle; aujourd'hui, sa mission première semble être de représenter une nation civique multiculturelle ? On ne peut honnêtement prétendre que le combat est resté le même. 


Que sont finalement les Québécois ?

Nos représentants politiques et culturels connotent différemment l'identité québécoise, tout dépend de qui s'exprime et dans quel contexte. Le gouvernement Harper a reconnu la nation québécoise dans le sens de Bernard Landry : tous les Canadiens qui habitent le Québec. En fait, on pourrait multiplier les exemples pour étaler la confusion des esprits. La rectitude politique navigue péniblement entre deux écueils : « Québécois francophones » aujourd'hui, le « Québec de tous les Québécois » le lendemain. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'après le passage quelque peu culpabilisant de l'épuration ethnique sur la nation, l'identité québécoise en est ressortie plus que jamais comme une identité hésitante, incertaine, indéfinie. Elle se cherche une légitimité dans le multiculturalisme, faire comme le Canada(3) !


Esdras MINVILLE
La liquidation de la dimension libératrice liée à l'identité québécoise des premiers temps appelle à une riposte qui, selon moi, déplace les obligations patriotiques du passé récent pour en créer de nouvelles. Pour ne pas mourir dans l'insignifiance d'une version québécoise du post-nationalisme canadian, il faut résister à la dissolution de notre identité historique dans l'anonymat de la « québécitude ». Ce sont les dérives d'une conception abusivement civique de la nation qui nous forcent à réclamer aujourd'hui notre identité de Canadiens français.(4) Cette obligation met en relief le glissement, suivi de l'échec total du néo-nationalisme des années 1960. Un néo-nationalisme qui avait commencé par rejeter le nationalisme traditionnel comme une condition de la libération, une assertion qui apparaît aujourd'hui hautement suspecte. Elle revenait à jeter le bébé avec l'eau du bain pour se précipiter ensuite sur une pente déclinante dont on ne voit plus la fin. Dans ce contexte, un retour à la vitalité nationale nous porte à reconsidérer les sources saines, plus désintéressées et moins partisanes de la révolution tranquille et de ses promesses. Il faut retourner dans les pages des Esdras Minville, François-Albert Angers, Lionel Groulx, à la recherche de repères stables pour retrouver notre boussole nationale. 


François-Albert ANGERS
Un premier geste de redressement pourrait être d'exiger que soient modifiés les Considérants de la loi 99 (2000) pour que la nation canadienne-française y soit reconnue. Qu'elle y trouve sa place à l'égal des nations autochtones explicitement reconnues, à coté des anglophones qui profitent de cette loi par la consolidation de leur statut particulier. Il ne faut pas s'arrêter au titre trompeur de la loi 99. Négociée entre Lucien Bouchard et Jean Charest, elle est par ses considérants une pièce d'anthologie des inégalités nationales, un exercice de l'État du Québec dans l'art de faire disparaître la nation historique, fondatrice du Canada.


Nation ethnique / nation civique : le piège de la fausse opposition

Parler « de l'argent et des votes ethniques » n'était-il pas juste mal nommer la nation Canadian au Québec ? Parizeau venait de mettre le feu aux poudres. S'ensuivit un déchirement simpliste et émotif sur la place publique entre deux absolus : une conception civique contre une conception ethnique de la nation. Le débat devait davantage à l'idéologie qu'à l'analyse rationnelle, mais il aura servi à mettre les souverainistes sur la défensive. Ils étaient du reste fort mal préparés pour s'y engager. Les registres ethnique et civique, loin d'être opposés, se retrouvent dans toutes les conceptions modernes de la nation, qui ne peuvent manquer de reconnaître que la nation est historiquement et sociologiquement ethnique mais que le cadre des institutions lui donne une dimension civique, basée sur l'égalité des droits individuels. 

Lionel GROULX
Les droits consacrés des anglophones

Quelques années plus tard, l'Assemblée nationale fera acte de soumission à « l'argent » de Parizeau. On rebaptisera les privilèges hérités du colonialisme en « droits consacrés ». C'était vouloir tardivement, en 2000, reconduire des privilèges et les consacrer. Dans un régime d'égalité des droits, n'est-il pas étonnant qu'une communauté puisse se distinguer des autres par des droits consacrés qu'elle semble être la seule à posséder ? Distinguer, distinct, cela ne vous rappelle rien ? En vertu de quoi cette communauté spéciale disposerait-t-elle de droits consacrés et apparemment exclusifs ? D'abord, il faudrait énumérer ces droits, les définir et en fixer les limites... ce que la loi 99 omet de faire. Ensuite, on se rappellera que le Canada anglais avait vivement rejeté la prétention du Québec de constituer une société distincte à l'époque des accords avortés du lac Meech. On y voyait là une distinction qui introduisait les germes d'une inégalité de droits. Or, des droits consacrés au profit d'une communauté particulière ne sont-ils pas également des droits distincts ? De toute évidence, on voit bien que le poids du rapport colonial, bien que dissimulé par la disparition de son coté formel, l'a emporté sur le crédo libéral canadien qui ne jure que par l'égalité des droits individuels. Les deux poids deux mesures dans le traitement que l'on peut observer entre la « société distincte » et les « droits consacrés » sont un excellent cas d'école, un puissant révélateur de l'actualité des survivances coloniales. Pour décrypter l'hypocrisie jusqu'au bout, on pourra ajouter que des droits consacrés - donc pratiquement constitutionnels - peuvent être accordés à la communauté anglophone traditionnellement dominante sans que personne ne soulève la moindre objection, mais pas à la nation canadienne-française. Une nation dont la loi 99 ne daigne même pas mentionner l'existence.    

Notre assemblée nationale s'est piégée dans des pratiques de type colonial... et sans même l'ingérence d'Ottawa !


Pour une politique d'égalité des nations 

Dans son allégeance idéologique à une nation aux dimensions civiques hypertrophiées, l'élite politique souverainiste fait précisément ce qui a toujours été reproché au Canada anglais : elle refuse l'existence de la dualité nationale. C'est pourtant la reconnaissance de nations égales qui pourrait permettre d'établir une vraie justice distributive entre elles. Au contraire, en refusant une politique d'égalité des nations à l'intérieur du Québec, on a, à la place, consolidé les prérogatives d'une minorité historique dominante. On a retenu son aspect minoritaire seulement, ce qui en rend moins visible la domination. La sociologie a bien démontré que la domination de type colonial pouvait être le fait d'une minorité. On parle dans ce cas d'une minorité statistique qui occupe la place d'une majorité sociologique.(5) Ce qui décrit précisément le cas de la minorité anglo-saxonne du Québec. Une nation qui détient un pouvoir démesuré par rapport à son nombre, grâce à son appartenance nationale au Canada anglais et des circonstances historiques que l'on préfère oublier à notre assemblée nationale. Dans les années 1960 on se mobilisait pour annuler les survivances de la conquête, en 2000 on les réaffirma. 

Aveuglé, l'État québécois intervient comme si la minorité anglo-saxonne avait besoin de sa protection ! Une sorte de recolonisation du Québec par son État a pu progresser sous le sophisme du droit de la « minorité » à la protection contre une « majorité » prétendument menaçante. Ce qui avait commencé dans les années 1960 par une lutte pour l'affirmation d'une majorité provinciale – vraie minorité nationale du Canada - se termina par la consolidation du pouvoir de la minorité dominante – vraie majorité canadienne - par l'État de la nation civique du Québec. L'État du Québec, en abusant du droit à la protection d'une minorité contre la majorité, procéda à l'inversion des causes. L'État provincial aura confondu le pouvoir sociologique – colonial – avec le poids démographique de ceux qui n'ont jamais mené le bal. 

L'Égalité pour mettre fin aux privilèges

Il me semble toujours que c'est le concept clé de l'égalité des nations qui peut donner les moyens et les justifications nécessaires pour mettre fin progressivement au sur-financement des institutions anglophones en santé et en éducation. C'est l'égalité des nations qui permettrait que le nombre des étudiants francophones dans les cégeps et les universités reflète le poids de la majorité francophone dans des institutions francophones. Un milliard de $ au CUSM et un milliard au CHUM. On aura beau multiplier les études sur les « écarts » socio-linguistiques et s'en indigner, c'est l'État – qu'on appelle trop facilement « notre État » – qui a posé les gestes qui ont verrouillé les privilèges de la minorité dominante. Créant ainsi un obstacle supplémentaire à l'établissement de la justice distributive entre les nations. L'État québécois n'a pas représenté la majorité canadienne-française, n'a pas défendu l'équité et, par conséquent, n'a pas défendu le bien commun. Encore une fois, il s'est imposé comme le gestionnaire des inégalités nationales, se limitant à l'arbitrage des différends dans les balises de la continuité. Et c'est justement dans les balises de cette « continuité » que tient tout le contentieux national !

Défendre ses droits nationaux demande de la suite dans les idées. C'est un combat forcément enraciné dans l'histoire et qui s'appauvrit quand on en perd le fil. On ne peut ré-écrire l'histoire pour se conformer aux dictats de la puissance idéologique du moment sans en payer le prix. 

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2- L'Action nationale, La révision constitutionnelle, Avril-mai 1972

3- Jean-Claude Dupuis s'exprime sur le passage de Canadien-français à Québécois - extrait d'entrevue (http://quebecoisdesouche.info/entrevue-avec-lhistorien-jean-claude-dupuis-ph-d/ )


Le terme « Québécois » s’est imposé à la fin des années 1960, mais le discours multiculturaliste n’a véritablement émergé que dans les années 1980. À mon avis, ce n’est donc pas le multiculturalisme qui est le facteur d’explication de ce changement de nom. Dans les années 1970, on se disait Québécois par indépendantisme ou parce que ça faisait plus jeune et plus moderne, entendons moins Catholique et moins conservateur. Mais le Québécois restait un descendant des Français qui avaient colonisé la vallée du Saint-Laurent au XVIIe siècle. Lorsque les anglophones ont fondé en 1977 une association pour combattre la loi 101, ils l’ont appelée « Alliance-Québec », et non pas « Alliance-Canada ». Les Anglais commençaient ainsi à nous voler le nom de Québécois, comme ils l’avaient déjà fait au XIXe avec notre nom de Canadiens. Au référendum de 1980, les fédéralistes avaient un slogan d’une portée symbolique considérable : « Mon NON est Québécois. ». C’était un jeu de mot qui pouvait s’entendre ainsi : « Mon NOM est Québécois ». Ça voulait dire que l’on pouvait être fédéraliste tout en étant un bon Québécois. Les Québécois n’étaient pas seulement les péquistes, ni même les descendants des colons français. C’étaient tous les citoyens qui habitaient le territoire de la province de Québec, quelles que soient leur race, leur langue ou leur religion.
Le « nationalisme territorial » est un concept fédéraliste qui correspond à la vision antinationaliste de Pierre Elliott Trudeau. Quand on pense qu’il a été récupéré par le PQ, ça montre la bêtise congénitale de nos pseudo-souverainistes. Un péquiste, c’est quelqu’un qui pense comme un libéral, mais dans un cadre géographique plus restreint. Il veut faire du Québec souverain un modèle réduit du Canada : un pays multiculturel, bilingue et même fédéral (les régions administratives deviendraient des États régionaux). C’est un peu comme la Charte des valeurs québécoises, qui n’est qu’une servile imitation du laïcisme républicain français. Les péquistes sont des colonisés. Leurs modèles sont canadiens-anglais, américains ou français. Ils ne puisent jamais aux sources de notre histoire et de notre identité nationale. Ils sont incapables d’élaborer un projet de société authentiquement québécois.


4- Pour les immigrants qui affluent, l'existence de deux Canada doit leur sauter aux yeux. Québécois représente d'abord pour eux une province. Seule l'appellation Canadien-français permettrait de leur faire rapidement saisir l'existence d'un premier Canada, celui des fondateurs, et l'autre, commencé 150 ans plus tard. D'ailleurs, cette distinction est aussi valable pour le ROC et force finalement tout le monde à prendre note de notre existence nationale sans ambiguïté. 

5- Voir à ce sujet Georges Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique noire, 1955 - « D'un autre côté, il est insisté sur l'arbitraire régissant le partage entre nations coloniales et les découpages administratifs. Ces derniers ont conduit à fragmenter des ethnies importantes, à briser des unités politiques de quelque envergure ou à constituer des regroupements artificiels. Aussi, nombre d'initiatives prises par les peuples colonisés apparaissent-elles comme la manifestation d'une volonté de remembrement. » p.13

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