Roméo Bouchard connaît son histoire. La synthèse qu'il nous livre dans son texte du 3 janvier 2020 est sur la coche à plusieurs égards. Sa dénonciation d'un Canada dominateur et impérialiste, qui se situe dans la tradition anglo-saxonne protestante est convaincante. Il termine avec ces mots justes: «Le multiculturalisme canadien est un autre mot pour désigner l'impérialisme mondial qui castre toutes les identités en les réduisant à des ghettos ethniques.»
J'ai toutefois quelques réserves ici et là, qui n'ont pas trop d'importance. Par contre, j'ai retenu trois points qui m'apparaissent plus importants, sur lesquels j'interviens plus bas. Ce que je mets de l'avant se situe dans une nécessaire transition vers un nouveau paradigme du national. Mon commentaire est en gras et les passages de Roméo Bouchard que je discute sont en jaune. Révisionisme historique 1 |
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Texte de Roméo Bouchard - 3 janvier 2020 [Facebook]
Le CANADA
n'est pas une nation multiculturelle ni un état plurinational
mais un pays britannique.
Cessons de nous laisser leurrer par les mots.
Premier point
Le multiculturalisme canadien est une invention de Pierre-Éliott Trudeau
Cette idée de Pierre-Elliot Trudeau est constitutionnalisée. On ne saurait en amoindrir la portée. Une invention qui fait non seulement notre malheur au Canada, mais celui des populations autochtones de la plupart des pays occidentaux. Le multiculturalisme est porté par un mouvement mondialiste qui surpasse P-E Trudeau, même si ce dernier était aux premières loges de ce mouvement.
Si on n'en fait pas mention dans l'Acte final, on le fait explicitement dans les débats parlementaires de 1865 sur le pacte confédératif. L'unanimité parlementaire s'était réalisée en faveur d'un "pacte de paix" qui mettrait fin aux chicanes entre les "descendants de vainqueurs et les descendants des vaincus". Ces expressions réfèrent clairement à l'existence de deux nations. Ce n'est donc pas une invention : la nation canadienne-française a déjà été reconnue, ce qui lui donne une assise de légitimité que la prétendue nation québécoise n'a pas. En droit anglais, les conclusions des deux chambres peuvent être réputées comme faisant partie de la constitution. Il est tout de même étonnant qu'en 50 ans d'indépendantisme, supposément décomplexé (depuis la révolution tranquille), on n'a jamais plaidé la légitimité constitutionnelle des deux nations ! Assurant ce qu'on appelle le "minimum syndical" c'est ce qu'aurait dû faire le tandem Lévesque-Morin en 1981 au lieu de se plier à l'agenda fédéraliste. Nos misères ne viennent pas que du Canada anglais!
...pour tuer l'idée des deux nations fondatrices qui avait survécu à la Confédération de 1867, bien qu'on ait pris bien soin de ne pas en faire mention dans le pacte confédératif.
Le Canada n'est pas un pays plurinational ni une nation multiculturelle : c'est un pays et une nation britanniques, qui ne fédère pas les minorités mais les assimile.
Révisionisme historique 2 |
Historique
2- Il a été peuplé intensivement, à partir de 1776, par des Loyalistes britanniques évincés des nouveaux États unis indépendants d'Amérique et déterminés à soumettre et submerger la nation canadienne-française, dans le but avoué de permettre à l'Angleterre de maintenir son emprise sur l'Amérique.
3- Il a été constitué en colonie britannique en 1763, en province britannique en 1774 et en double parlement monarchique du Bas et Haut Canada en 1793, muté en Parlement uni pour boucler la Rébellion en 1840,
4- puis en fédération de colonies britanniques instituées provinces en 1867, puis en Dominion britannique indépendant en 1931, puis en État indépendant, membre du Commonwealth britannique et toujours lié constitutionnellement à la monarchie britannique, avec le rapatriement et l'amendement de sa constitution en 1982.
Encore aujourd'hui, le serment de citoyenneté canadienne débute par une profession d'allégeance à la Reine.
Encore aujourd'hui, le serment de citoyenneté canadienne débute par une profession d'allégeance à la Reine.
Deuxième point
Toute l'histoire témoigne du fait que les Britanniques, loin de vouloir constituer un état multinational ou plurinational, ont tout fait même pour réduire la population canadienne-française d'origine, première nation fondatrice du Canada moderne, à l'état de minorité, même dans la province de Québec (Bas-Canada) où ceux-ci ont toujours été concentrés et largement majoritaires. De leur propre aveu, celui de Durham en particulier, l'immigration massive a toujours été la stratégie privilégiée pour dénationaliser les Canadiens-français, aujourd'hui les Québécois, et construire un Canada britannique.
"Les Canadiens-français, aujourd'hui les Québécois", est une formulation boiteuse qui offense la réalité. Les Canadiens-français ne sont qu'une partie des habitants du Québec. Ils se distinguent des Anglais (West Island, etc.) et des immigrants récents, selon la définition officielle du "peuple québécois" adoptée par l'État du Québec. De plus, "Les Québécois" constitue le fourre-tout grâce auquel se poursuit la dénationalisation des Canadiens-français. Une dénationalisation largement prise en charge par l'État du Québec lui-même.
Contre leur intérêt, ils le découvriront plus tard, les Canadiens-français ont soutenu initialement des gouvernements qu'ils ont cru vecteurs de libération finale du colonialisme, ils n'y ont trouvé que des gouvernements forts d'une réthorique sans substance. Des gouvernements qui leur ont imposé une dénationalisation accrue, basée sur l'adaptation au Québec des mêmes valeurs que défendait P-E Trudeau. Le passage de Canadien-français à Québécois prolonge donc la volonté coloniale de la dénationalisation, qui est prise en charge par la petite élite "nationaleuse"technocratique. C'est le résultat du passage à Québécois qu'une assez forte proportion des Canadiens-français d'aujourd'hui rejettent leur nation socio-historique-culturelle, qui d'ailleurs fait honte à plusieurs, pour s'identifier à une création politique du Canada britannique (The Province of Quebec, fondée en 1763) et reconduite en 1867.
Le "Québec aux Québécois" de Pierre Bourgault est devenu "le Québec de tous les Québécois", comme l'Ontario aux Ontariens. Québécois ne veut plus rien dire. Le vocable se situe en complète rupture avec le combat historique de la nation vaincue, dominée, colonisée et toujours privée de reconnaissance politique. La québécitude est l'idée fausse d'une identité québecoise commune, la mise aux normes à la canadiAn d'une résistance nationale enracinée et la fin de toute référence politique au premier Canada. Ce Québec annonce la minorisation des Canadiens-français, désormais privés d'organisations propres, qui attendent un pays tout en s'étant délesté de ce qui le justifiait; ils risquent de ne même pas constituer, à terme, une minorité ethnique bien organisée. L'expansion d'un souverainisme mondialiste et dénationalisé, tel que promu par Québec solidaire, le PQ, etc. finira la job.
Que ce soit par la constitution, les institutions parlementaires, la langue, les tribunaux, le droit, la culture, l'immigration ou l'importance accordée aux droits individuels et à la propriété privée, les Britanniques ont fait du Canada un état britannique anglais, ou du moins, britannico-américain, dans le sillon de l'Empire anglosaxon mondial actuel. Les concessions faites aux minorités francophones sont toujours considérées comme des privilèges temporaires et les politiques soi-disant multiculturelles visent à assimiler la minorité francophone à toutes les autres minorités et l'État national du Québec à tous les autres états provinciaux.
Le comportement du Canada envers les Premières nations, dont il est officiellement le tuteur, relève du même nationalisme britannique identitaire et réducteur. Partout en Amérique les Britanniques ont cherché à éliminer les Autochtones pour s'emparer de leurs terres. Alors que les Français ont fait alliance avec les Indiens et que Québec a reconnu les Premières nations présentes sur son territoire comme des nations de plein droit et s'est engagé à traiter avec elles de nation à nation,
C'est dans un cas comme le suivant qui révèle l'imposture de la "nation québécoise" et de son État national. Un véritable "geste de rupture"aurait été de négocier la réciprocité de la reconnaissance nationale avec les Premières nations. Demander aux onze nations autochtones de reconnaître la nation canadienne-française. Une telle évolution aurait été un pas de géant pour la reconnaissance internationale du peuple fondateur du Canada (aujourd'hui les Canadiens-français), lui-même un peuple autochtone par rapport aux gagnants de la guerre de sept ans, un geste de souveraineté audacieux, un acte de résistance contre le régime fédéral. Vu sous cet angle, revendiquer la nationalité québécoise ne fait que nous jouer de mauvais tours, fait de nous des perdants.
le gouvernement canadien continue à traiter les communautés autochtones, y compris au Québec, comme des assistés sociaux parqués dans des réserves où ils sont considérés juridiquement comme des mineurs en tutelle, en attendant de disparaître. Les Premières nations, elles aussi fondatrices s'il en est, n'ont pas droit au statut de nations autonomes ni à des ententes de nation à nation. Le Roi ne négocie pas.
Ce qui constitue le Canada comme nation et comme pays, c'est le territoire autochtone et français que les colonies anglaises se sont appropriées par la force, c'est la langue et la culture anglaises et anglo-américaine dominantes, la monarchie et les institutions britanniques, les chartes britanniques centrées sur les droits individuels, la neutralité de l'état par rapport aux religions (et non la laïcité de l'État), la propriété privée et le libéralisme économique.
Le multiculturalisme canadien est un autre mot pour désigner l'impérialisme mondial qui castre toutes les identités en les réduisant à des ghettos ethniques.
Voilà le pays réel dans lequel nous vivons, que ça nous plaise ou non.
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Réponse de Roméo Bouchard
(5 janvier 2020 - 15h30)
C'est bien connu, nous ne partageons pas cette notion de la nationalité canadienne-française et québécoise. Une nation n'est pas qu'une communauté de langue et de de culture, c'est une communauté qui se distingue par un projet politique. Jusqu'à la Révolution tranquille, on peut dire que les Canadiens-français cultivaient ce projet politique d'un État national français. Groulx répétait: "Notre État français, nous l'aurons".C'est foncièrement, selon moi, le sens de la Révolution tranquille: la naissance du Québec comme État national du noyau dur de la nation canadienne-française concentrée sur un territoire précis, le Québec: un peuple, une langue et une culture commune, un territoire, une majorité, un projet politique, à savoir un État national, une citoyenneté, des institutions sociales et économiques distincts en construction.Ce n'est pas une négation de notre identité canadienne-française ni une renonciation à nos droits et nos liens avec le territoire immense couvert par l'épopée française en Amérique, mais une prise en considération que nulle part ailleurs qu' au Québec les minorités francophones ne peuvent espérer se doter d'un projet politique. On ne réécrit pas l'histoire.
Ce n'est pas non plus un abandon de nos compatriotes francophones de la diaspora: la nation et l'État québécois ont le devoir d'entretenir des liens étroits avec cette diaspora et de la soutenir dans ses combats et ses revendications.
Mais ce serait suicidaire pour toute la grande communauté francophone en Amérique que d'affaiblir l'État national québécois et la nation québécoise en la ramenant à un statut de minorité pure et simple au Canada et en Amérique (en attendant qu'elle ne le devienne même au Québec).
Réponse de Gilles Verrier
[6 janvier 2020 9h45]
Le projet politique ce n'est pas le Québec qui le porte, ni les Québécois. Ce sont les 60% de Canadiens-français qui ont voté OUI au référendum de 1995. Sur la base de ce suffrage, Jacques Parizeau aurait dû réclamer des négociations constitutionnelles sur le champ, justifiées par le manque de légitimité d'Ottawa vis-à-vis du peuple fondateur du Canada. En résumé, dans le cas des négociations de 1981, dans le cas des négociations avec les Premières nations et dans le cas du référendum de 1995, la "québécitude" nous a tués. Ce ne sont naturellement que trois exemples parmi d'autres.
Roméo Bouchard
[6 janvier 2020 10h15]
Gilles Verrier Tu as le droit de la défendre, mais selon moi, ton approche férocement ethnique ne peut mener nulle part: la réalité historique, sociale et politique est différente et n'est pas optionnelle.
Gilles Verrier
[6 janvier 2020 10h20]
Roméo Bouchard Nation ethnique = les Premières nations, impossible de s'y joindre ; nation socio-culturelle = on peut s'y joindre, elle est ouverte aux autres. Elle a une base ethnique, comme toute nation, mais sa finalité ne l'est pas. "Férocement ethnique" ne me semble pas du tout approprié, une manière de discréditer à peu de frais une approche entièrement légitime.
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