extraits - les caractères gras sont de moi
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Jacques Parizeau aurait dû contester le résultatClaude Morin a été la bête noire de Jacques Parizeau
Aux Éditions du Parti québécois dont j’étais le secrétaire, nous avons publié en 1971 une plaquette intitulée : « Comment se fera l’indépendance », un titre que j’avais fait approuver par René Lévesque. C’était une série d’articles publiés par le journaliste Robert McKenzie dans le Toronto star. Nous en avons fait la traduction. C’est là que Jacques Parizeau a dit qu’en régime britannique « le Parlement de Québec peut tout faire sauf changer un homme en femme » et « nous sommes entrés dans la Confédération sans référendum et nous en sortirons sans référendum ». Le Parti québécois avec René Lévesque en tête soutenait cette idée que ce serait une élection qui serait décisive et un vote pris à l’Assemblée nationale pourrait décider de l’avenir du Québec. Il y aurait un référendum en fin de processus pour faire adopter la constitution d’un Québec indépendant.C’était avant que Claude Morin ne sévisse. Comme Parizeau n’avait pas changé d’idée, ça aide à comprendre les tensions qu’il a vécues au sein d’un Parti où son chef avait été converti par Claude Morin aux vertus de l’étapisme. D’abord un bon gouvernement puis, plus tard, on décidera de l’avenir du Québec par référendum pouvait-on lire sur une carte de rappel la veille des élections du 29 octobre 1973. Puis, d’étape en étape, de recul en recul, cela a abouti au mandat de négocier de la question du référendum de 1980 qui a été formulée dans le dos de Parizeau. Avec l’étapisme, on n’osait jamais demander aux Québécois le mandat de réaliser l’indépendance du Québec.
A partir de 1973, Claude Morin a été la bête noire de Jacques Parizeau. Le sphinx a toujours proposé des stratégies de contournement au lieu d’en appeler aux convictions, au travail des militants et a la clarté de l’engagement indépendantiste qui fait confiance aux Québécois et Québécoises. (C’est une énorme leçon pour PKP…) Bête noire aussi pour le militant que j’étais (et que je suis toujours) et pour l’ensemble des militants dont le travail de persuasion était miné par l’accent mis sur le « comment » au détriment du « pourquoi » de l’indépendance.
Quand en 1980, j’ai participé à un comité du référendum avec André d’Allemagne et que tout ce qu’on nous a demandé, c’est de rédiger les questions qui devaient être posées lors d’un sondage, j’ai compris et j’ai mis mes énergies ailleurs que dans les structures du Parti québécois. Et j’ai écrit avec Pierre Drouilly un livre d’essais politiques : « Les illusions du pouvoir » (1981) qui contient une critique virulente de l’étapisme. Je tiens Claude Morin (et René Lévesque qui l’a suivi) pour responsable de la difficulté énorme actuelle de relancer le débat sur l’indépendance à cause de la fatigue du peuple québécois dont la patience a été épuisée par tant d’atermoiements le dernier étant « la gouvernance souverainiste » qui nous a menés au désastre des élections du 7 avril 2014. Si vous êtes masochiste, lisez le dernier livre de Claude Morin qui se résume dans la formule : « Sans référendum, point de salut ! ». L’homme à la pipe de Québec qui fut un artisan de la Révolution tranquille, cela, nous le savons, nous dit que c’est tellement important comme changement de faire du Québec un pays qu’un gouvernement indépendantiste ne peut rien faire à moins d’avoir gagné un référendum…que les gens ont été conditionnés par toute la machine des médias fédéralistes à ne pas vouloir…Voyez le cul-de-sac auquel nous conduit cet étapisme qui est le plus néfaste détournement du projet de faire du Québec un pays. La conséquence de ce détournement, c’est que le mouvement indépendantiste a été embourbé et paralysé : c’est beaucoup plus grave que les rencontres rémunérées du ministre avec des agents de la GRC qui rendaient le gouvernement Lévesque vulnérable au chantage.
Après avoir vu les manoeuvres de Lucien Bouchard pour forcer la main de Jacques Parizeau pour ajouter le partenariat économique et politique dans la question du référendum de 1995 et même pour ajouter un deuxième référendum où les Québécois se prononceraient sur le résultat des négociations au lieu de proclamer, après un an, l’indépendance du Québec comme Parizeau le voulait, j’aurais été tenté de dire à Lucien Bouchard : « Claude Morin, sors de ce corps ! »
Lucien Bouchard a ramené Parizeau dans un vieux film : refaire les stratégies de Claude Morin : contourner la difficulté au lieu d’y faire face et reculer jusqu’à compromettre le projet de pays. Pas surprenant que la première chose que Lucien Bouchard a dite dans son discours du 30 octobre 1995 c’est d’accepter le résultat. « Le souvenir que j’en ai, c’est que j’ai accepté le résultat » a-t-il déclaré à Chantal Hébert et Jean Lapierre. Lui qui était prêt à négocier une entente économique et politique avec le Canada anglais qui aurait sans doute abouti à une forme de néo-fédéralisme pouvait-il, le soir du 30 octobre, se retourner de bord et les traiter de voleurs en refusant d’accepter une victoire du camp des tricheurs ? Non, il ne le pouvait pas. Il a donc accepté la défaite avant que Parizeau ait pu dire un mot.
Quand Parizeau a parlé et a dit que le camp du OUI avait perdu à cause de l’argent , il aurait dû en tirer la conséquence logique : ne pas accepter les résultats et contester la victoire du NON. Parizeau savait que le camp du NON n’avait pas respecté le plafond des dépenses de 5 millions imposé par la loi québécoise des référendums. Il en savait assez pour justifier le discours suivant qu’il aurait pu prononcer.Jacques Parizeau, le soir du référendum, au lieu de faire le discours qu’il a fait, aurait dû dire :
« Mes amis, les résultats du référendum sont tellement serrés que je ne peux pas, ce soir, déclarer que le camp du NON a gagné. Il y a eu 2,308,360 votes pour le OUI (49.42%) et 2,362,648 votes pour le NON (50.58%) soit une différence de 54,288 votes en faveur du NON avec un taux de participation exceptionnel de 93.25%.Et je ne parle pas des votes ethniques encouragés part le camp du NON qui a incité les leaders des communautés grecque, italienne et juive à faire une conférence de presse conjointe où ils conseillaient aux Grecs, aux Italiens et aux Juifs de voter NON sans oublier les milliers d’immigrants avec lesquels on a accéléré le processus de citoyenneté pour qu’ils puissent voter NON après avoir prêté serment à la reine. Le camp du NON a utilisé des votes ethniques dans un grand élan de nationalisme ethnique.Nous allons réfléchir avant de concéder la victoire. Nos informations sont à l’effet que la loi québécoise des référendums n’a pas été respectée surtout au chapitre de la limite des dépenses permises. Nous en savons assez ce soir pour affirmer que le camp du NON a amplement dépassé la limite des dépenses permises de 5 millions de dollars. Pensez aux dépenses encourues pour organiser le « Love in » du Canada anglais à Montréal. Nous n’irons pas jusqu’à dire que ce référendum a été volé mais plusieurs indices penchent dans cette direction. Nous allons dormir là-dessus et nous vous reviendrons. Nous pensons qu’une commission d’enquête sur les irrégularités commises par le camp du NON pourrait nous permettre de contester le résultat. Paraît-il qu’il y a même eu une organisation secrète nommée Option Canada qui a dépensé beaucoup d’argent pour le NON.Mes amis, nous ne sommes pas une république de bananes où on peut faire n’importe quoi. Il y a des lois au Québec qui encadrent légalement la démocratie, lois que certains vont apprendre à devoir respecter. La démocratie et le fair-play britannique ont des exigences et nous verrons si ces exigences ont été respectées. Si tel n’est pas le cas comme de nombreux indices nous le montrent déjà, nous prendrons les mesures qui s’imposent. Le peuple québécois ne se laissera pas voler son pays. Il se peut même que nous allions en appel devant des instances internationales.Une chose est certaine : je ne démissionnerai pas de mon poste de premier ministre. L’Etat québécois existe et il peut agir. C’est le plus important instrument d’action politique de la nation québécoise. Nous agirons. Bonne nuit. Vous pouvez dormir en paix : votre gouvernement ne vous abandonnera pas. » Après 50 ans de militantisme en faveur de l’indépendance ce qui devrait empêcher quiconque de me traiter de gérant d’estrade, j’affirme que ce discours aurait été LA position à prendre qui aurait changé l’histoire du Québec. Ce discours que Jacques Parizeau aurait pu faire le soir du référendum, pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? On sait pourquoi il n’en a pas eu la force. En particulier, la lutte qu’il a dû mener pour tenir tête à l’étapisme de Lucien Bouchard (qui était l’homme politique le plus populaire de l’heure) et garder le cap sur l’indépendance. Inventer un tel scénario est un exercice d’imagination politique pour faire comprendre où était la voie du courage et de la résistance contre tous ceux que Robin Philpot a dénoncés dans son livre remarquable :« Le référendum volé ».
Il n’est pas question ici de blâmer Jacques Parizeau. Nous ne le suivrons pas quand il prend personnellement la responsabilité de la défaite comme il le fait dans le film « Monsieur » de Francine Pelletier. N’était-il pas entouré de conseillers brillants ! Comment se fait-il que personne n’a pensé à contester les résultats ? C’est une bonne question. Que Lucien Bouchard n’ait rien trouvé de mieux à dire le soir du 30 octobre que d’accepter la défaite et de quitter le Palais des congrès avant le discours de Jacques Parizeau ne nous étonne pas.
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