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lundi 7 décembre 2015

Réconciliation : Conjuguer notre continentalité néo-française avec notre territorialité québécoise



Etre issus d'ancêtres qui ont civilisé un continent, qui ont fondé les plus grandes villes américaines, et vivre à la remorque de toutes les minorités en leur propre province, quelle déchéance !
Hermas Bastien
Condition de notre destin national, 1935
(Cité par Christian Saint-Germain)

Il faut assumer en l'articulant le rapport entre notre continentalité et notre territorialité, lesquels ne sont pas mutuellement exclusifs mais s'inscrivent au contraire dans la singularité de notre histoire.

Se dire Québécois, comme marque d'appartenance nationale est récent, une cinquantaine d'années. Pour être «plus» Québécois on a beaucoup promu l'idée dans les milieux autonomistes qu'il fallait exclure de nos consciences une identité plus ancienne, l'identité canadienne francophone. Être Québécois, c'est une identité qui coïncide avec un territoire, le territoire de la province de Québec défini par la Constitution de 1867 et modifié ensuite par le rattachement de Terre-Neuve au Canada en 1949. L'identité territoriale québécoise a ceci de particulier qu'elle tend à gommer l'occupation du sol par deux nations.  Le Canada anglais, qui y domine toujours, et les «descendants des vaincus» qui peinent toujours à faire valoir leurs droits. En revanche, derrière l'appellation de Québécois se trouve la volonté de prépondérance politique des Canadiens francophones sur un territoire bien défini.

L'identité québécoise n'a donc pas que des qualités pour les descendants des vaincus, surtout si cette identité se coupe de ses sources. La source de l'identité québécoise francophone se trouve dans la Nouvelle France et le Canada francophone. On a beaucoup cru depuis cinquante ans que de délaisser ces identités était nécessaire pour être Québécois, entrer dans la «modernité» a été invoqué comme un mouvement de rupture nécessaire avec notre passé identitaire.

Si l'identité territoriale québécoise ne saurait être remise en cause, on constate aujourd'hui qu'elle n'est pas incompatible avec nos autres identités. Bien plus, se séparer de nos identités fondatrices ne constitue pas un enrichissement mais un appauvrissement considérable.

En ce sens, nous avons au même titre que les autochtones le droit de revendiquer une pré-existence continentale, antérieure à l'établissement des États successeurs modernes que sont le Canada et les États-Unis. Ce concept de réconciliation entre notre soif du grand large et des grands espaces, qui se retrouve dans notre héritage néo-français, n'enlève rien, bien au contraire, à notre volonté de maîtriser notre destinée par un État posé sur un territoire défini.

7 décembre 2015
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La renaissance de la Nouvelle-France, clé de l'américanité québécoise


Gilles Verrier
      17 juin 2002



Une minorité coupée en deux
On admet généralement que les États généraux du Canada-français, tenus en 1969, consacrèrent en quelque sorte le schisme historique du peuple canadien-français. C'est à cette occasion que les délégués du Québec affirmèrent leur identité québécoise alors que les autres, ceux des autres provinces, restèrent Canadiens dans le sens traditionnel du terme. Le sentiment d'appartenance à un seul et même peuple francophone, sentiment qui avait prévalu depuis toujours, commença alors à s'effriter. Simultanément, le déclin des institutions religieuses dont les œuvres dans les domaines de la culture, de l'éducation et de la santé suivaient les Canadiens-français partout, continua de saper les solidarités de jadis. Bref, ce fut le début de la fin d'une identité partagée, un changement majeur dans la dynamique francophone continentale(1). Toutefois, on ne peut expliquer de façon satisfaisante le renforcement de cette tendance au cours des trente dernières années sans prendre en compte le rôle structurant joué par le fédéral pour cristalliser l'opposition des intérêts entre ce qui devint désormais les deux portions de la minorité francophone du Canada. 
En effet, la politique fédérale de bilinguisme instaurée par P. E. Trudeau renforça le sentiment de séparation effective des francophones en créant deux zones distinctes, deux statuts opposés, au sein même de la minorité linguistique du Canada. Existe-t-il une politique machiavélique typiquement anglo-saxonne ?(2) En tout cas, ici, on s'appliqua à diviser pour régner. Il advint donc que les francophones ne pouvant espérer mieux qu'une sorte de survivance furent soutenus financièrement et parfois même artificiellement alors que ceux qui grâce à leur concentration territoriale pouvaient aspirer à dépasser la survivance, voire à souhaiter l'émancipation politique, furent minés par une politique fédérale d'appui systématique aux organisations qui représentent la majorité anglaise canadienne au Québec. Pour les fédéralistes purs et durs, il y a dix provinces égales en droit et en statut au Canada. Ils oublient toutefois que les lois linguistiques font exception à cette vertueuse égalité. Le Canada, l'État central, a bel et bien façonné deux zones linguistiques pour sa minorité francophone, lui réservant des traitements inégaux en raison de son importance. Cette division de la minorité en deux zones est apparemment un fait singulier. Le Canada est-il le seul pays qui est assez «tordu» pour édifier une politique nationale de deux langues officielles qui fait de chacune d'elles une langue majoritaire et une langue minoritaire à la fois? C'est comme si la Norvège considérait les Lapons comme une minorité là où ceux-ci sont peu nombreux et une majorité là où ils se trouvent concentrés. Absurde, dites-vous ? Faut croire qu'à force de côtoyer l'absurdité elle finit par passer inaperçue… 
Notre américanité
En dépit de tout, le resserrement des rapports entre les francophones d'Amérique devrait être une chose naturelle, hautement souhaitable. Dans un monde où la diversité linguistique et culturelle s'imposent comme des enjeux de première importance, la défense de cette diversité passe nécessairement par la constitution de solidarités nouvelles qu'il faut tisser, organiser et mettre en œuvre. Tout cela est indispensable si l'on veut constituer une solution de rechange viable sur le long terme à la culture et à la langue uniques.

 

Pour y arriver, il faudra dépasser l'obstacle dressé par une certaine rectitude civique qui atteint parfois des sommets dans la pudeur au point qu'il devient hasardeux de viser la superposition des appartenances, en l'occurrence le resserrement actif des liens francophones, sans être au mieux taxé de «passéisme canadien-français» et au pire d'«ethnicisme». Ceci dit, au-delà des politiques de division entretenues par Ottawa, il faut reconnaître que les fondements traditionnels de la cohésion francophone sont disparus et le combat d'aujourd'hui ne consiste pas à les ranimer. Il faut plutôt s'employer à trouver les nouveaux et puissants ressorts qui feront renaître une communauté américaine francophone dynamique. 
À l'ère des identités et des appartenances multiples, il ne faut pas hésiter à se saisir de l'esprit intrépide et avant-gardiste de la Nouvelle-France pour en faire le socle d'une nouvelle alliance continentale des francophones. 

 

L'américanité, ce concept un peu galvaudé et fétiche du professeur Gérard Bouchard, a plusieurs visages. Si l'américanité possède un visage étatsunien illustré jusqu'à plus soif par Hollywood sur les écrans du monde entier, elle a aussi un autre visage, occulté par la domination anglo-saxonne sur l'ensemble de l'imaginaire américain. Visage voilé par un colonialisme qui étouffe l'expression du meilleur de nous-mêmes, qui nie nos propres repères et nos plus légitimes fiertés, nous défend de brandir fièrement des faits et gestes historiques qui, pour un peuple libre, seraient tenus en haute estime, enseignés dans toutes les écoles et portés sur tous les écrans petits et grands. Car l'épopée de la Nouvelle-France n'est pas une petite affaire. En revendiquer l'esprit tient lieu d'acte novateur et libérateur. 
La Nouvelle-France est une formidable épopée, nourrie par un désir authentique de connaître l'autre, de lier les peuples davantage par le sang du métissage que par le sang versé. Les néo-français ont colonisé le Nouveau monde avec une ouverture d'esprit qui étonne. Ils sont allés à la découverte de réalités et de territoires nouveaux, en ont dressé les cartes, les ont décrits et les ont occupés avec une économie incroyable d'hommes et de ressources matérielles. 
Si la colonisation étatsunienne et plus généralement la tradition coloniale britannique sont caractérisées par une violente conquête de l'Ouest, l'écrasement des établissements métis, le refoulement des autochtones dans des réserves et la spoliation de leurs territoires, il existe un contre-exemple. Si les Étatsuniens peuvent trouver grandeur, inspiration, fierté dans leur américanité et en faire partager l'émoi à l'échelle planétaire, la renaissance de la Nouvelle-France devient impérieuse. Le discours de l'Amérique sur elle-même est tronqué. Il sera toujours incomplet sans la renaissance de la Nouvelle-France. Cette renaissance renferme les ressorts d'une autre face de l'américanité dont la valeur est au moins égale à la première. 
Bien sûr, il ne faut pas tomber dans la facilité. Il n'est pas question de se satisfaire de contrastes esquissés à grands traits. Les experts apporteront d'autres éclairages, préciseront les faits et feront toutes les nuances nécessaires. Tout n'est pas noir et blanc mais, en dernière analyse, les différences qui ont marqué la rencontre des peuples autochtones avec l'un ou l'autre peuple européen, rencontres qui inévitablement devaient prendre une forme coloniale n'en faisons pas mystère(3), sont d'une envergure insoupçonnée. Si on a étudié l'histoire sous le rapport des colonisations comparées, on l'a encore trop peu fait. L'historiographie générale, dominée par les anglo-saxons d'esprit protestant, n'a-t-elle pas naturellement tendance à aplanir les différences entre les expériences coloniales ? Il faut donc se méfier de l'autre facilité, hypocrite ou mensongère, qui voudrait que toute colonisation soit également condamnable.
Voyons quelques faits marquants. La citoyenneté accordée aux Amérindiens par Richelieu dès 1627 sous condition de prendre la foi catholique, la Grande paix de 1701, le respect des indigènes et l'égalité avec eux dans une vie souvent étroitement partagée, sont sans équivalents à l'échelle des deux Amériques. L'exploration de 70% du territoire nord-américain par moins de 6 % de la population (4) est un exploit  grandiose, peut-être sans équivalence dans toute l'histoire des exploits coloniaux. Toutes ces réalisations ne pouvaient être possibles sans une attitude pacifique mais audacieuse et un savoir-faire particulier permettant de nouer rapidement des relations de confiance avec tous les peuples rencontrés au passage.

 

Les Néo-français explorèrent l'Amérique. Ils ne le firent pas en guerroyant partout où ils mirent les pieds, ils le firent dans un esprit de partage et de coopération. C'est une autre Amérique qu'ils inventèrent. 
Pourquoi le socle nous permettant de recréer des relations étroites avec les francophones d'Amérique ne serait-il pas l'appartenance commune à cette merveilleuse saga néo-française, une américanité particulière qui, si elle a peu à voir avec un Hollywood biaisé, n'a, en revanche, rien à lui envier ?

 

L'histoire de la Nouvelle-France est une histoire glorieuse. Nous pouvons plonger dans cette épopée et nous l'approprier pleinement pour la traduire en films, romans, chansons, opéras et la faire revivre de toutes les manières. Les valeurs de coopération, le désir d'aller vers l'autre et la soif authentique de connaissances s'y trouvent partout, à l'état de traces ou de semences, de Cœur d'Alène à Dubuque en passant par Saint-Boniface et Rivière-la-Paix. Dans leur particularité ces valeurs sont intemporelles et universelles. Néo-français et Québécois. 
Comme Néo-français, nous sommes unis (comme un possible et un passé) à tous les Néo-français et aux Métis d'Amérique. Nous pouvons revendiquer la vue sur les Rocheuses (eh oui !), que La Vérendrye et ses fils furent les premiers Blancs à voir en spectacle et à décrire, comme étant la nôtre. Nous pouvons revendiquer les appellations françaises de centaines de lieux, villes et villages du Canada et des États-Unis; l'exploration du Mississipi et du Missouri par Louis Jolliet et le Père Marquette. Par notre identité néo-française nous réconcilions, comme Québécois, notre besoin d'un pays propre, forcément limité sur le plan du territoire, le Québec, avec notre attirance traditionnelle, voire notre amour des grands espaces et du grand large, notre ouverture sur l'Amérique et sur le monde.
EN COMPLÉMENT
Reproduction d'un texte paru sur Avant-Garde Québec Pierre Martin (Extraits) 
En défense de la Nouvelle-France 
(…) le projet indépendantiste (et tout projet de société) est d'abord d'ordre poétique avant d'être politique : seul le mythe peut donner un sens à la volonté des peuples, les Américains l'ont bien compris, eux qui imposent les leurs à toute la planète. Il importe donc de retrouver nos propres mythes en faisant revivre la Nouvelle-France qui, s'il n'eut été du désastre anglo-saxon, était en passe d'établir de nouveaux paradigmes pour l'humanité, et ce, avant la révolution française qui, d'ailleurs, doit beaucoup à l'expérience franco-amérindienne. 
Retrouver l'esprit de la Nouvelle-France est donc primordial si nous voulons véritablement nous libérer.
Sinon, l'indépendance du Kébèk ne voudra rien dire puisque nous serons devenus des anglo-saxons parlant français. 
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(1) Idée originale de Claude Rifat qu'il défend vivement, en particulier dans des forums internet 
(2) Avec les conflits qui perdurent au Cachemire, au Moyen-Orient, en Rhodésie-Zibbabwe, (pour ne nommer que ces endroits) dont l'existence découle largement des politiques coloniales britanniques, on est en droit de se le demander. 
(3) Se référer notamment à l'œuvre collective «Le monde vers 1492», paru en 1999 
(4) «On constate que c'est vers 1680 que le Canada atteint la meilleure proportion de rapport de voisinage avec les colonies anglaises.» (Histoire des deux nationalismes au Canada, Maurice Séguin, annoté par Bruno Deshaies, p. 14) En fait, en 1680 les Néo-français comptent pour 6 % de la population des colonies anglaises. À la Conquête (1760), le rapport est de 4 % seulement, soit 70 000 habitants contre 1 600 000.
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http://vigile.net/archives/ds-souv/docs3/02-6-17-verrier-americanite.html

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