(version définitive du 28 décembre 2015)
Gilles
VERRIER
Tenir
un référendum «le plus tôt possible après la prise du pouvoir»
(http://vigile.net/Independance-s-unir-et-agir)
continue de susciter bien des émois chez les indépendantistes.
Pour PKP, marchant dans les pas de Jacques Parizeau, le référendum
serait la seule voie de la légitimité. Une orthodoxie que rejette
parmi d'autres Claude Bariteau qui, en regard de la loi sur la
Clarté, soutient que l'absence d'un accord avec le Canada sur
l'environnement référendaire ferait de l'élection le seul choix
possible du Québec pour décider de son destin, citant en appui les
cas de la Namibie et des pays baltes.
(http://vigile.net/Nouvel-article-No-65897).
Pas
en reste, Alain Raby (
http://vigile.net/Le-mouvement-declarationniste
défendait récemment le recours à la Déclaration unilatérale
d'indépendance (DUI), arguant qu'une quinzaine de pays membres des
Nations-Unies ont accédé à leur indépendance de cette façon
depuis 1991. Il fournit en complément une liste (partielle) de pays
devenus indépendants sans référendum préalable, nuançant que
cela n'exclue pas un référendum de ratification après.
La DUI a déjà fait l'objet d'éloquentes prises de position
(http://vigile.net/Declaration-unilaterale-d-42268?t=22
) et constituait d'ailleurs la voie que retenait Option nationale,
jusqu'à ce que l'on revienne à une position plus orthodoxe. Campé
dans sa priorité sociale, Québec solidaire préconise la
convocation d'une assemblée constituante populaire pour jeter les
bases d'une constitution souveraine, une position reçue avec
scepticisme dans les rangs péquistes mais qui se défend face à la
fragilité de l'argumentaire référendaire.
L'indépendance
dans le monde, une diversité d'approche
La
diversité des approches indépendantistes en vogue dans le Québec
d'aujourd'hui se situe dans la diversité plus large des approches
qui ont réussi à travers le monde, et l'on se prend à se demander
pourquoi les indépendances ne font pas l'objet de plus d'études,
dont une classification de leurs processus et de leurs fondements. À
ma connaissance, l'inventaire des processus employés dans l'histoire
moderne pour accéder à l'indépendance ne se trouve nulle part.
Certes, dresser la typologie des indépendances pose plusieurs
difficultés dû au fait que chaque passage à l'indépendance
(plusieurs centaines de nouveaux pays depuis 200 ans) se présente
rarement comme appartenant à un seul type. Par conséquent, tenter
de construire une typologie serait forcément un projet perfectible
mais déjà utile si le résultat permet d'introduire certaines
distinctions dans un classement susceptible de regrouper tous les
événements d'indépendance. En ce sens, une meilleure connaissance
du phénomène peut servir d'outil de réflexion et de mise en
perspective, aider à situer plus correctement le cas du Québec dans
l'ensemble mondial.
Dans
la foulée, il ne fait pas de doute que les militants et les cadres
indépendantistes devraient acquérir une expertise mondiale sur
toutes les dimensions de l'indépendantisme. Il faudrait favoriser
l'émergence d'une ample culture en rapport avec l'indépendance
légitime, de son maintien et de sa défense en présence d'un
mondialisme idéologique au tropisme prédateur de nations. Il est
vrai que pour y arriver, compter sur nos propres forces est un choix
qui s'impose naturellement puisqu'il est pratiquement exclu que les
universités, devenues les obligées des chaires de recherche du
Canada, s'engagent sérieusement dans ce créneau comme elles le
feraient si elles étaient libres de travailler pour le Québec. En
contre partie, un futur institut de recherche sur l'indépendance,
promis par PKP, pourrait s'y intéresser sans restriction, même si
rien ne semble acquis à cet égard. En attendant je vous livre ma
modeste contribution.
Classification
des indépendances
Je
tenterai de dresser une classification des indépendances en tâchant
de montrer les modes par lesquelles elles sont advenues et je
donnerai des exemples parfois commentés. Dans un deuxième temps,
j'aborderai la question des événements déclencheurs d'indépendance
pour finir avec des remarques en ce qui concerne les référendums et
la fixation particulière du mouvement indépendantiste québécois,
surtout péquiste, sur cette question.
Types
d'indépendance
1-
Accord
de gré à gré ou
accord négocié en présence d'un rapport de force établi et de
deux États concurrents
Cas
de l'indépendance octroyée par la Grande-Bretagne à l'Égypte en
1922
Cas
de la Norvège, indépendance obtenue de la Suède
2-
Déclaration
unilatérale d'indépendance
(DUI) avec derrière, pour les cas les plus réussis, une forte
volonté populaire, parfois organisée,
pour que cède l'État colonial;
Cas
des États-Unis d'Amérique – déclarée en 1776, État de
facto
qui obtint sa reconnaissance internationale (de
jure)
sept ans plus tard, de manière essentielle de la Grande-Bretagne, en
1783
Cas
de la Déclaration d'indépendance du Bas-Canada en 1838 par Robert
Nelson à Noyan, accompagné de 300 Canadiens en armes
(http://www.1837.qc.ca/1837.pl?out=article&pno=document62)
Cas
(autres) : Philippines (Espagne 1898); Bangladesh (Pakistan 1971);
Slovénie et Croatie (Yougoslavie 1991);
Cas
d'échecs : Biafra, sécession ratée du Nigeria (1967);
Rhodésie (1965) scession de la Grande-Bretagne pour instituer un
État officiellement ségrégationniste devenu depuis le Zimbabwé.
3-
Délestage
colonial
La volonté de l'État colonial de se départir d'une colonie devenue
une charge tout en cherchant à préserver ses intérêts, en
présence de pressions populaires inscrites dans le cadre général
du recul colonial européen de première génération.
Cas
des colonies britanniques dont les rapports avec la métropole seront
restructurés au sein du Commonwealth
et par le biais de relations bilatérales privilégiées. Concerne le
Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ainsi que les colonies
africaines et asiatiques du domaine colonial britannique.
Cas
de la France en Afrique avec le franc CFA, etc.
Cas
général du domaine colonial espagnol
4-
Démembrement
extérieur
Il s'agit d'accessions à l'indépendance qui ne se produiraient pas
sans la volonté de démembrement de pays existants par des
puissances étrangères pour servir des intérêts géo-politiques
globaux (cas des États-Unis avec ou sans l'OTAN). Ce redécoupage
des cartes peut prendre des accents néo-coloniaux. C'est un
processus moderne qui fait largement appel à «l'idéologie de
l'humanitaire» ou «sécuritaire», c'est selon et s'accompagne
souvent de l'exacerbation délibérée des tensions ethniques,
religieuses ou territoriales.
Cas
d'Israel, cas tardif d'une implantation coloniale de peuplement sur
le territoire d'une population déplacée ou superposée sur elle,
opération parrainé par la Grande-Bretagne.
Cas
du Kosovo dans le cadre du démembrement de la Serbie par l'OTAN,
Cas
du Soudan / Soudan du Sud ?
Cas
des républiques auto proclamées (voir DUI précédée d'un
référendum) de
facto (voir
plus bas)
des
républiques de Donetsk et de Lugansk, poussées hors de l'Ukraine
par l'expansionnisme de l'OTAN (coup d'État, encouragement de la
russophobie et de l'ukro-nazisme).
Cas
de la France de de Gaulle, celle du «Vive le Québec libre», qui
sans pouvoir prétendre au démembrement du Canada de l'extérieur,
intervint comme l'expression d'une volonté (restée sans suite) de
contenir l'essor de la projection de puissance anglo-saxonne dans le
monde.
Cas
anticipés aujourd'hui de menaces sur l'intégrité territoriale de
l'Irak, de la Libye et de la Syrie.
NOTE
IMPORTANTE : À l'instar de l'Écosse et de la Catalogne,
respectivement intégrés dans l'OTAN par la Grande-Bretagne et
l'Espagne, il faut considérer le Québec comme un cas pour lequel ne
joue en sa faveur aucune force extérieure intéressée par le
démembrement du Canada. Malgré le commerce important du Canada avec
la Chine, celle-ci n'a aucune influence sur le Canada. La Russie est
totalement discréditée dans l'opinion publique par une médiacratie
aux ordres et n'a pas davantage d'influence, admettant qu'elle soit
intéressée. La France est entièrement sous domination de l'OTAN
(via l'Union Européenne) et ne pourrait retrouver certaines
sympathies en faveur de l'indépendance du Québec que dans le cas de
l'élection d'un gouvernement du Front national. Ce que voit d'un
mauvais œil Sol Zanetti (Option nationale), adoptant ainsi une
position «trotskyste» qui donne la préséance à la politique du
«bien dans le monde» plutôt qu'aux intérêts bien compris du
Québec. Peu lui chaut que la seule présidentiable (Marine Le Pen)
qui défend un tant soit peu l'indépendance de la France soit la
seule à pouvoir éventuellement sympathiser avec notre cause.
Par
conséquent, le Québec est seul comme une barque en mer et ne peut
se laisser séduire par le nombre de pays qui accèdent à leur
indépendance car, comme on le voit, au nombre des indépendances
récentes, il s'en trouve de nombreuses qui sont des indépendances
fabriquées en tout ou en partie de l'étranger.
Quel
chance reste-t-il aux nations subordonnées comme le Québec, ces cas
ou aucune puissance étrangère ne veut briser le Canada? Le Canada
étant déjà membre de l'OTAN et soumis à son leader étatsunien,
«la puissance indispensable» ? Il faudra y réfléchir! Entre
temps, la tentation est grande de penser qu'une éventuelle
indépendance serait une souveraineté limitée (culturelle,
représentation internationale, etc.), réalisable uniquement après
avoir donné des gages à l'OTAN.
5-
Indépendance
de
facto Ces
territoires dont le statut définitif n'est pas encore fixé.
Généralement absents de l'ONU, reconnus par quelques pays, parfois
plusieurs, mais pas universellement reconnus. Ils disposent du
rapport de force nécessaire pour jouir d'une certaine indépendance
pratique mais n'ont pas la capacité de déclarer leur indépendance
légale,
de jure, sans
risquer que leur existence soit menacée ou provoquer le
déclenchement d'hostilités. Se compare avec 240 ans d'écart à la
situation des États-Unies entre 1776 et 1783!
Cas
du Kosovo, reconnu par plus de 100 pays
Cas
de la Transnistrie, du Somaliland, du Haut-Karabagh, de l'Abkazie et
de l'Ossétie du Sud
Cas
de la Palestine
Pour
explorer la question :
http://www.egaliteetreconciliation.fr/Palestine-Transnistrie-Somaliland-Haut-Karabagh-les-Etats-de-facto-et-la-communaute-internationale-29726.html
6-
Guerre
de libération
L'indépendance accordée par l'État colonial à l'issue d'une
guerre de libération nationale. Se résout rarement (jamais?) par un
référendum mais par la négociation qui conduit à la
reconnaissance de la souveraineté, qu'il devient superflu de
ratifier par référendum.
Cas
de l'Algérie, cas des colonies portugaises d'Afrique (Mozambique,
Angola, Guinée Bisau) du Vietnam, de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe
(Rhodésie), notamment. Dans la plupart des cas, il y absence de
structure étatique et institutionnelle permettant de faire avancer
les intérêts nationaux. Une situation qu'il importe de distinguer
ici de celle du Québec.
7-
Lutte
de libération pacifique ou
principalement pacifique.
Cas
du Raj de l'Inde (Grande-Bretagne) qui conduisit aux indépendances
de l'Inde et du Pakistan. Comme dans le cas de la guerre de
libération, l'absence d'une structure étatique est remplacée par
la vigueur de la résistance populaire.
Les
déclencheurs /accélérateurs de l'indépendance
L'indépendance,
le passage du pouvoir d'un État à un autre, peut se faire de gré à
gré mais il est rare qu'il se fasse sans une montée des tensions.
Dans la période qui précède le dénouement politique de la
question nationale, le rapport de force entre les parties s'exacerbe
et prend la forme d'une crise suscitée et nourrie par deux types de
déclencheurs /accélérateurs que j'ai pu distinguer et que
j'illustre par des exemples du Canada-Québec.
1-
Une affaire litigieuse devant le parlement qui, si l'affaire est
menée sans flancher, peut évoluer pour atteindre le point de
rupture.
a)
Ce qui fut le cas en 1834-1837-38 – si on admet que la rébellion a
été provoquée pour être écrasée dans l'oeuf – on peut poser
raisonnablement l'hypothèse que sans la répression qui a suivie la
lutte parlementaire entamée en 1834 aurait fini par aboutir
b)
Plus récemment le cas de l'échec de l'accord du lac Meech qui a
fourni la meilleure occasion au Québec de déclarer unilatéralement
son indépendance (par Bourassa, en 1990, qui l'a presque fait
d'ailleurs...) et de tenir immédiatement après un référendum de
ratification que tous les sondages donnaient gagnant.
2-
Des événements extérieurs qui ont un effet catalytique sur les
conditions internes : guerre, crise...
a)
Cas
de la pendaison de Louis Riel en 1885 à Régina, qui fut l'occasion
de soulèvements importants au Québec pendant une semaine avec en
pointe 50 000 montréalais dans la rue.
b)
Cas la crise de la conscription de 1918 ponctuée de troubles dans la
ville de Québec avec présence des forces armées. Une partie de
l'élite canadienne-française derrière la cause, Henri Bourassa et
une partie du clergé.
c)
Faut-il anticiper l'effondrement économique du Canada ou des
États-Unis ?
Référendum
– sa pertinence (rarement) et ses mirages (souvent)
Les
deux référendums tenus au Québec le furent pour signifier au
fédéral la volonté du Québec de s'asseoir à la table de
négociation. L'histoire des indépendances tend à montrer que
lorsqu'un État offre la possibilité d'un gouvernement fort, comme
le Québec, il ne devrait pas y avoir de référendum sur un tel
enjeu. L'obligation de négocier tient davantage de facteurs comme la
légitimité, la pugnacité du gouvernement provincial, l'habileté
politique, l'avancement de certains dossiers ainsi que de
l'expression de la volonté populaire. En d'autres termes, elle tient
du rapport de force qui évolue entre deux entités séparées par un
litige, la partie demanderesse s'efforçant d'amener l'autre à
négocier. Ce qui nous amène à pousser les distinctions sur la
question référendaire.
Référendum
de ratification de l'indépendance
Si
un référendum peut constituer en temps opportun un instrument
souhaitable, il n'apparaît pas comme un passage obligatoire dans le
processus d'accession à l'indépendance de la majorité des pays.
Pour le cas particulier du Québec, des attentes référendaires
fortes ont été créées dans l'histoire récente sous l'influence
de Claude Morin. Il aura fait du référendum un point de doctrine
alors que celui-ci aurait dû demeurer un moyen d'action politique
asservi à la stratégie et à la tactique. Or, il appert que la
doctrine référendaire de Claude Morin a été vite avalisée par la
direction du PQ qui ne disposait pas d'une volonté claire d'opérer
un changement de statut pour le Québec. Le résultat est que cette
confusion des genres n'a jamais été combattue adéquatement par le
caucus et les intellectuels de la mouvance péquiste. Ces années
Morin ont eu pour effet de ramener le large boulevard de l'accession
à l'indépendance à un étroit sentier. Encore aujourd'hui, le
Québec reste largement captif de ce que j'appelle la «fixette»
référendaire, laquelle ne pourra être neutralisée que par une
meilleure éducation politique. Entre temps, le «référendisme» en
2015 constitue toujours la doctrine officielle du Parti Québécois.
Un
institut pour mettre le référendum à sa place (entre autres)
Il
nous faut anticiper sur l'Institut de recherche scientifique sur
l'indépendance. Comme plusieurs, j'aurais souhaité que l'Institut
surgisse rapidement, rappelant la vigueur d'un poing fermé au bout
d'un bras levé. Force est de constater qu'il y a ici une lenteur que
l'on peut redouter comme annonciatrice de lourdeur... L'avenir le
dira.
Chose
certaine, la nécessité d'aérer
la question référendaire est
claire. Il faut replacer les référendums dans un contexte élargi,
en relativiser l'importance en se rappelant la diversité des
expériences nationales à travers le monde.
L'utilisation
du référendum ne se situe pas tant dans le cadre d'une
problématique du pour et du contre.
Cet outil s'inscrit plutôt dans le cadre d'une lutte où tous les
moyens sont possibles et aucun n'est exclu. Il suffit de redonner à
l'esprit la souplesse stratégique qui permet de choisir et de doser
les éléments de la lutte politique intégrale, sans a-priori.
Un
référendum gagné par la peau des dents en 1995 aurait été
difficilement gérable. Un référendum gagné de peu dans quelques
années (supposant que cela soit possible) le sera encore moins.
Toute la haute fonction publique est occupée par des libéraux. Il
en va de même de l'appareil judiciaire et des sociétés d'État,
comme la Caisse de dépôt et de placement, les missions étrangères,
et autres dépendances de l'État. Tout cet État profond, mis en
place de longue date par les libéraux, allant des notables jusqu'aux
malfrats, se fera fort de se constituer en pouvoir parallèle pour
résister sourdement aux changements, voir saboter toutes les
initiatives gouvernementales post-référendaires. Quant au PQ ? Il
est toujours composé de militants et de dirigeants d'une persistante
candeur politique qui n'ont pas voulu prévoir de plan B en cas de
courte défaite en 1995, misant tout sur l'absolutisme référendaire,
et de ces politiciens «apatrides» qui ont rejeté de leur propre
corps un patriote et membre émérite de leur parti, Yves Michaud,
dans la plus grande confusion politique, pour attendre ensuite quatre
longues années avant de commencer à exprimer de molles excuses. Une
situation emblématique des divisions au sein du PQ. Voudriez-vous
aller au front, jouer la nation sur un autre va tout référendaire,
avec de telles troupes pour affronter un redoutable adversaire
planqué dans tout l'appareil d'État?
Si
vous répondez oui, je ne donnerais pas cher de votre peau.
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