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mardi 10 avril 2018

Bourassa s'est écrasé - Ils se sont tous écrasés dans une sous-performance généralisée

Comment Bourassa - dans un cas d'école de démission égal à celles du PQ - nous donne par l'intermédiaire d'acteurs directs (André Tremblay et Diane Wilhelmy) la mesure de ce qu'il faut de préparation et de détermination - sans compter la nécessité d'organiser l'appui populaire -  pour tenir le fort, faire face à la machine de guerre canadienne, dans des négociations constitutionnelles. Le problème de la sous-performance constitutionnelle chronique du Québec, de sa négligence dans la préparation de sa défense, forme la trame des événements officiels qui marquent nos reculs historiques depuis la Confédération. Il est clair que Lévesque, Bourassa et Parizeau n'étaient pas de taille. Ils n'avaient ni la préparation mentale ni le dispositif politique pour affronter ces ogres. Comme Gorges-Étienne Cartier, ils se sont faits bouffer tout rond. Le PQ actuel et singulièrement le tout frais programme politique du Bloc québécois reprennent le paradigme des perdants.


*  *  * 

Document

LA CONVERSATION WILHELMY-TREMBLAY






La Presse, jeudi le 1er octobre 1992, page B8.
«ON S'EST ÉCRASÉ, C'EST TOUT»


À la suite d'une entente entre les procureurs de Mme Diane Wilhelmy et ceux des médias, La Presse publie aujourd'hui la transcription d'une conversation téléphonique entre deux des principaux conseillers constitutionnels du permier ministre Robert Bourassa, conversation qui fait l'objet d'une vive controverse depuis deux semaines.

La conversation a eu lieu le 28 août 1992, quelques heures après la fin de la conférence de Charlottetown au cours de laquelle les premiers ministres avaient conclu l'entente constitutionnelle qui fait aujourd'hui l'objet de la campagne référendaire. Les interlocuteurs sont Me André Tremblay, expert en droit constitutionnel, bras droit du ministre Gil Rémillard, qui revient de Charlottetown, et Mme Diane Wilhelmy, secrétaire générale associée aux affaires intergouvernementales canadiennes, qui reçoit l'appel à son domicile de Québec.

(…) indiquent soit des propos inaudibles, soit des passages illisibles dans la transcription, soit enfin des propos concernant la vie privée des interlocuteurs que La Presse a choisi de ne pas publier. 




AT : … appartient la décision. C'était un beau ça hein.

DW : C'est un peu dans la lignée de ce qui se passe depuis trois semaines, hein? Qu'est-ce que tu veux, à un moment donné, c'est parti, là hein. On se demandait pendant des mois c'était quoi le bottom line de notre premier ministre, t'sais. Aye, ayayaye… Quand tu penses (rire) au travail qui s'est fait depuis un an, du monde à moitié mort…

AT : Il faut te dire qu'on a tenu le coup sur bien des affaires, on est détesté là, on n'est pas aimé là, t'sais.

DW : Oui mais tenu le coup sur bien des affaires, qu'est-ce que tu veux, le résultat net quand même… ça enlève pas le mérite j'en doute pas, vous devez être épuisés, mais…

AT : On les a fait reculer sur bien des questions mais on rapporte pas des grosses prises, là.

DW : C'est ça. (…) Je vous ai suivi à Newsworld (rires)

AT : Tu nous voyais la bette de temps en temps, là.

DW : Oui, oui. Je vous voyais. Puis j'avais bien de la misère à comprendre. C'est-à-dire ça m'a pris quasiment trois jours avant d'accepter le fait qu'on avait réglé bas comme ça. Je me disais : Ça se peut pas, ça se peut. Je dois pas comprendre. Il doit y avoir une stratégie derrière ça. Puis d'une fois à l'autre je me disais : Ah non, encore! Puis là évidemment arrivé au vendredi sur le partage des pouvoirs, ayoye! Puis le samedi sur la dualité, ah bien là, j'ai dit franchement. Enfin… (soupir) (…)

AT : Je pense que je vais peut-être me sauver un peu du euh… parce que je suis pas d'une composition, de bonne composition de ce temps ici. J'ai désobéi au ministre. Hier il m'a demandé des affaires. J'ai dit : Non, jamais. Il a insisté : j'ai dit non, j'y vais pas. Il voulait m'envoyer à une réunion de high offi… d'officials, j'ai dit : Je vas pas là. On marche sur… J'ai dit : Mes genoux sont usés. (rires de Mme Wilhelmy) On marche sur les genoux comme tu sais, hein. Je pense qu'ils sont troués. Alors je suis pas allé. Je me suis réveillé et je l'ai envoyé promener (…)

DW : C'est ça, le premier minsitre, c'est au fond, par exemple, quand on pense au modèle de Meech, j'oublierai jamais le rôle de Louis Bernard (NDLR : conseiller de M. Bourassa durant les négociations de l'accord du lac Meech). Un peu comme le coach à la boxe. Mais il était plus rough que nous tous, oui, quand il disait : «Non, Robert, je le sais que tu veux dire oui, mais il faut que tu dises non.» Puis il le tutoyait oui hein… En ce sens-là cette espèce de body guard, là, t'sais puis juste de dire une heure après l'autre : «Non, non, mets toi dans la tête que tu vas continuer à dire non. Rentre dans la salle, puis dis toi ils vont t'hair tu vas dire non, t'sais. Puis si tu veux dire oui, sors de la salle et viens nous voir.» Il lâchait jamais Louis, pour ça. Faut quasiment que tu fasses ça à un moment donné. Mais il faut pas le faire tout le temps. Mais ça, ça a dû à un moment donné. Veux, veux pas, Jacques Chamberland (NDLR : le sous-ministre de la Justice) connaissait pas assez M. Bourassa pour faire ça.

AT : Non, non.

DW : Puis M. Rémillard (NDLR : Gil Rémillard, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes) est pas dans ce mood-là.

AT : Ah lui… l'équitation.

DW : Oui, oui. Puis Benoît (NDLR : Benoît Morin, secrétaire du Conseil éxécutif) a pas ce tempérament-là. Fais que c'était toi qui était pogné tout seul. Tu peux pas toujours fair ça. Tu peux pas être à toutes les tables. Puis (à) toutes les…

AT : …toilettes, à côté de toi il y a un anglophone du Québec, un gars d'Alliance Québec. Et tu parles de constitution dans la toilette. Tu sors de la toilette, et puis tu rencontres un francophone hors Québec, tu te fais interpeller. Ils ont toujours des choses à te demander. Parce que t'es l'enfant de chienne de service, toi là. Et c'est toi qui bloque, qui empêche les gens de tourner en rond, là. Alors c'était comme ça tout le temps. On était agressés, harcelés, fatigués. Alors bref, beaucoup, beaucoup de ce type de problème-là. C'est lourd à supporter sur le plan, au plan psychologique, tout le monde contre toi. Et ils sont tous contre nous. Et les Ontariens là, c'est les plus enfants de chiennes que tu puisses imaginer. Plus que ça, c'est terrible.

DW : C'est ce qu'on disait l'année passée et â c'est pas amélioré, hein.

AT : Ah non, non, non, non, non, non. C'est vraiment, des, le vilain mot, des C… là, des… Puis Jeff Rose (NDLR : sous-ministre des Affaires intergouvernementales de l'Ontario) c'en est un parfait. Bornstein (NDLR : Stephen Bornstein, délégué de l'Ontario à Québec) c'est à deux faces, trois faces. Et t'as David Cameron (NDLR : conseiller spécial du premier ministre ontarien Bob Rae) qui est un gars profondément hypocrite. Et qui fait qu'il nous dit des choses et invraisemblables sur (…). Ma chère, je me suis couché à (…) heures.

DW : Ah! Non arrête ça.

AT : Benoît à 4 heures et quart. Chamberland y heures et quart.

DW : Ouf, quelle folie. Mais quand hier j'ai vu à la télévision aux nouvelles que ça repartait le bal. Puis même qu'ils revenaient sur la Cour suprême et l'immigration. Là j'ai dit, ça c'est la honte nationale. On devrait s'absenter. M. Bourassa devrait prendre l'avion tout de suite et s'en venir ici. Comme humiliation, en arriver là.

AT : Diane, la réalité c'est que Bourassa n'avait aucune marge de négociation.

DW : Mais il en avait plein avant d'arriver là.

AT : Ouais mais.

DW : C'est parce qu'il s'est mis dans cette situation-là.

AT : … dans cette situation-là. Et puis. Ils n'avait pas le choix, il voulait des offres puis il fallait qu'il revienne à Québec avec des offres.

DW : Ouais, parce qu'il en avait, avec la loi 150 et son retrait des tables. Au début du mois de juillet, il en avait en maudit. Pour leur dire : Écoutez, vous autres vous avez compris…

AT : Mais en revenant aux tables, non, non. Il savait ce qu'il faisait. C'est un grand garçon en politique. Alors il s'est interdit d'avoir beaucoup de marge de manoeuvre.

DW : Il en avait beaucoup de cartes. C'est parce qu'il ne les a pas jouées.

AT : Non, non.

DW : Parce que, entre toi pis moi, comme premier ministre du Québec avec les demandes historiques du Québec, puis toute ce qu'il y avait comme pression ici, il pouvait très bien dire no way.

AT : Le document du SAIC (NDLR : Secrétariat des Affaires intergouvernementales canadiennes) et les demandes traditionnelles du Québec (…) Il ne les a pas défendues avec vigueur, là. En tout cas, je peux pas dire que dans la salle… Puis ensuite dans la salle, il soulève des affaires, mais pas tout le temps. Il travaille toujours en pensant que Brian (NDLR: Brian Mulroney, premier ministre du Canada) va le faire, en pensant que Bob Rae (NDLR: premier ministre de l'Ontario) va le faire. Il s'acoquine avec Wells (NDLR: Clyde Wells, premier ministre de Terre-Neuve)Puis il parle pas, tu comprends. Il veut régler ça en bilatérale, on refile les questions aux avocats et pensant que ceux-ci vont faire le travail de nettoyage pour que lui puisse se la fermer.

DW : Ah! Seigneur.

AT : Ah! Il a pas changé. C'est vraiment lui, ça.

DW : Mais comme il n'y avait pas eu de travail de fait dans les premières vagues de fond par les fonctionnaires, bien là c'est un désastre, parce que quand on était à des tables multilatérales et qu'on préparait ça, on faisait les batailles avant et disait no way. Mais là, personne avait été là, personne avait été là dans le multilatéral.

AT : Le bonhomme arrive, il entre, il est en conflit direct avec ses collègues. C'était une drôle de dynamique. Une dynamique (…)

DW : Non, puis je veux dire ultimement, par rapport à la population du Québec, je sais pas ce qui va transparaître, qu'est-ce que les gens vont…

AT : Ah!… la population du Québec est tellement ambivalente. Là, là, ils vont faire un gros show médiatique puis ils vont réussir à vendre. Le ministre est parti, là. C'est un communicateur. Puis là, écoute, ça va être bon, positif demain, là, puis ça va bien sortir tu vas voir.

DW : Ah! Ils n'auront pas de misère avec leur parti, â c'est pas, c'est attaché…

AT : Puis la semaine prochaine, ça va être rendu à 55% pour les offres, tu verras.

DW : C'est-tu ça que Jacques pense, Jacques Chamberland puis Jean-Claude (NDLR : Jean Claude Rivest, principal conseiller de M. Bourassa)?

AT : Ah, non, non, mais tu vas voir.

DW : Jean-Claude, il doit être découragé, avec tout ce qu'on a dit depuis un an, il y a pas une ligne dans les documents du COSMOS (NDLR : un groupe de travail du Québec sur la constitution) avec laquelle Jean-Claude était pas d'accord.

AT : Mais Jean-Claude, dans le crunch, il va toujours être pour son boss.

DW : Parce que c'est pas compliqué, l'entente, quand tu la regardes, là. Je viens de la recevoir, tantôt, il y a à peu près trois heures. Mais la version finale ou celle de la semaine passée, il y a à peu près pas un ligne sur laquelle on n'a pas écrit depuis un an que ça avait pas de bon sens. Il existe des centaines de papiers dans les classeurs, là les archives vont parler dans 25 ans -, hein, que l'administration publique du Québec - t'as fait des centaines de notes toi -, que l'administration publique du Québec a dit (…) puis partage de pouvoirs, puis clause de sauvegarde pour le spending, puis la charte sociale, puis tout. On a tout écrit ça, des centaines de fois, qu'il fallait pas accepter ça. Des fois on peut dire t'sais il y a dix pour cent de ce qu'on a écrit qui est pas accepté. Mais là c'est quasiment 100 pour cent. Fait que, Jean-Claude, je peux-tu croire, quand il a fait des shows à Mme Bourgon (NDLR : Jocelyne Bourgon, secrétaire du cabinet fédéral pour les relations fédérales-provinciales), là, puis y a rien qu'il n'a pas dit, dans le dossier autochtone, notre réunion incendiaire là, le 2 juin, comment aujourd'hui y peut vivre avec ça, je le sais pas. Demande-moi pas, comment la semaine passée il pouvait même pas imaginer que ça se pouvait par rapport aux intérêts supérieurs du Québec. Parce que, c'est pas pour les dix prochaines années qu'on fait ça, là, c'est pour les cinquante puis soixante-quinze à venir. Mais t'sais ça va être beau…

AT : Il ne voulait pas, il n'en voulait pas de référendum… sur la souveraineté. En tous cas, on s'est écrasé, c'est tout. C'est le ministère qui va être écrasé, hein. Ma chère, je dois aller me coucher, je suis vanné.

DW : Ouais, puis prends pas de décision puis dramatise rien ce soir. Puis qu'est-ce que tu veux. Pour ton rôle en fin de semaine, bien qu'est-ce que tu veux, essaie comme tu dis de rester dans une salle, pointe-toi pas, fuis les caméras, rentre par les tunnels, je sais pas quoi. C'est demain matin qu'il fait son speech (NDLR : au congrès extraordinaire du Parti libéral du Québec).

AT : Non, je ne me jetterai pas sur les caméras de télévision, c'est sûr, je suis capable de me sauver, puis de passer par les magasins, de passer par les entrées de service, mais c'est une question de principe, là. Je l'ai dit à Michel, puis le ministère devra le savoir, là, t'sais.

DW : Oui, mais ce que je veux dire c'est que t'sais, dans le contexte actuel où tout est en débandade, là, il faut pas que tu prennes tout sur tes épaules non plus. Il y a une décision du PM puis je veux dire, à un moment donné, t'es obligé de vivre avec. Mais de là à dire que ta crédibilité personnelle est atteinte, je pense qu'il y a un gros pas qu'il faut franchir allègrement comme ça.

AT : Ah mais, je suis pas porté à rester bien longtemps, là, t'sais. Surtout que Jocelyne est pas là. Et puis, je veux pas non plus m'imposer trop d'obligations démesurées. Surtout que je me demande si ça vaut la peine.

DW : L'autre problème c'est sur la pertinence et puis à quoi ça servira dans les prochaines semaines, là c'est un autre problème. Là leur lit est fait. Il leur reste à vendre ça à la population. Quant au reste, l'administration publique a fini. Il reste quelques petits guidis puis c'est tout. Une campagne référendaire c'est pas une affaire…

AT : Je te rappellerai demain?

DW : Oui, donne-moi des nouvelles n'importe quand parce que (…)
 


1 commentaire:

Anonyme a dit...

M. Verrier vous dites "N'aurait-on pas eu avantage – pour mettre les choses dans ce qui pourrait être la bonne perspective – à être absolument intraitables sur l'exigence d'égalité des nations, et flexibles, ouverts, ( exclure le mot ambigüe ) sur la forme politique que celle-ci pourrait prendre au bout du processus ?"

Il me semble que c'est précisément la position que devrait prendre tout parti nationaliste.

"Pourquoi avoir voulu décider de nos options avant de négocier ? D'ailleurs, il était et il serait, encore aujourd'hui, beaucoup plus difficile d'attaquer la légitimité d'un combat pour l'égalité qu'une revendication d'indépendance, qui sera immanquablement reçue par une levée de boucliers des opposants à la menace séparatiste et sécessionniste"

Il me semble, et j'ai toujours cru cela, qu'avec un combat pour l'égalité, et non nécessairement l'indépendance, on a 75% des gens avec nous en partant. La situation politique quant à la question nationale se retourne comme un gant, nous ne sommes plus victimes, nous devenons une majorité solide qui demande des comptes au Canada, et c'est ce dernier qui se trouve sur la défensive. Avec le bonus dont vous parlez on ne peut pas perdre.

Pierre Bouchard