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mardi 30 novembre 2021

De Canadiens à Canadiens-Français et Québécois

Les tribulations d'une identité malmenée 

Notre changement d’identité ne se trouve pas dans les broutilles d’une distinction à faire entre « Canadiens » et « Canadiens-Français ». La tendance à utiliser davantage Canadiens-Français

au lieu de Canadiens tout court était devenue nécessaire à mesure que les Anglais voulaient se nommer eux-mêmes Canadians. Dans ces nouvelles circonstances il devenait impossible de se comprendre en cas de traduction, Canadien devenait Canadian et vice versa. L’exigence de clarté à l’écrit explique largement une telle évolution du vocabulaire. À retenir, la transition d'un vocable à l'autre n'était pas justifiée par une transformation politique ou socioculturelle, elle n'avait rien d'un changement d’identité. (1) 

Quand on examine une œuvre comme le Dictionnaire général du Canada en deux tomes ( Le Jeune, 1931, plus de 800 pp chacun ), on constate qu’à cette date, si les deux vocables étaient employés sans distinction particulière, c’est encore Canadiens qui domine dans l’usage et non Canadiens-Français. Entre Canadiens et Canadiens-Français la continuité était parfaite, les deux vocables désignant la même réalité sociale, culturelle et nationale. Mais, si on en croit la thèse de l'inventeur d’une identité canadienne-française, datée et distincte de l’identité canadienne des fondateurs, on aurait dû trouver dans l’oeuvre de Le Jeune, vu sa date de parution, une nette dominance du vocable canadien-français, ce qui n’est pas du tout le cas. La thèse d'Yves Frenette se vérifie difficilement. (2)

*   *   *

La vraie rupture identitaire de notre peuple se trouve ailleurs. Les deux citations qui suivent, sont d’un acteur de premier plan d'une transition identitaire qui fut d’abord bien accueillie. Mais on y verra plutôt une rupture graduelle mais assez radicale de notre continuité historique. 

« Je n’ai jamais été aussi fier d’être Québécois », 

lançait René Lévesque devant une foule de partisans enthousiastes le soir de sa victoire. En 1976, René Lévesque avait adhéré à l’identité québécoise depuis quelques années. Pour le reste, né en 1922, il avait grandi et vécu comme Canadien-français. 

C’est le même homme qui avait dit :
 

« Il est une chose certaine, je le répète, c’est que nous sommes un peuple, nous, les Canadiens français. Peuple ou nation, nous sommes un groupe humain avec sa propre culture, sa langue, ses traditions, son habitat géographique qui a été marqué par nous autres : Jacques Cartier à Gaspé et le Père Albanel à la baie d’Hudson, et tous ceux qui sont venus après. C’est à nous autres le Québec, historiquement et à tous les points de vue qui peuvent compter dans l’histoire du monde. Nous sommes autant un peuple que n’importe qui, et beaucoup plus que de nombreux autres peuples qui ont atteint un statut que nous n’avons pas. » 

L’Actualité, 1966 ( v. aussi Option Québec, 1968, p.19 )

Riche de promesses, l’identité québécoise s’est vite gâtée. En quelques étapes : ce fut d’abord le coup de force de 1973 avec la carte de rappel électoral (v. photo). Ce premier épisode était le prélude à l’imposition du coup de frein référendaire. L'approche référendaire est importante parce qu'elle mettait fin à un combat, fondé sur le droit des peuples, pour le faire passer au droit démocratique. Clairement, c'était de faire passer à la trappe le droit des nations, un droit collectif, pour ramener le tout au rang d'un droit individuel. Un exercice en parfaite harmonie avec la doctrine de P. E. Trudeau pour qui n'existaient que des droits individuels. Rappelons encore une fois qu'entre Trudeau - Claude Morin et René Lévesque, la chaîne d’influence était fluide, discrète, mais néanmoins structurée. Leur communion était d'ailleurs favorisée par une volonté commune de se libérer surtout de la « grande noirceur » pour « accéder à la modernité ».  Ils partageaient leurs réserves (un euphémisme dans le cas de Trudeau) envers le nationalisme.  

Distribuée massivement à la veille des élections
de 1973, cette « carte de rappel » a été
un coup de force qui modifiait de facto le programme
du parti. L'opération sera complétée en novembre
1974 par l'adoption de la stratégie référendaire,
néanmoins refusée par 30 % des congressistes.  


Par la suite, la conséquence de tout faire reposer sur les électeurs d’un territoire plurinational a enclenché l'obligation de courtiser les autres, tous les autres, une nécessité qui s'est vite imposée. Elle entraînait à son tour le besoin de modifier ce qui devenait graduellement un 
« projet de société », formulé pour convaincre les anglos, les communautés ethniques et les autochtones. On voulait que tout ce beau monde donne son oui OUI pour un grand soir commun. Pour épurer le discours, tout le lexique de l'émancipation nationale, apporté par le RIN et d'autres éléments du nationalisme, fut considéré comme une faute, mise à l'index à partir de l'arrivée de Claude Morin au PQ, en 1972. S'atténuaient donc, dans la même mesure, les revendications et les volontés en lien avec nos propres intérêts nationaux. 

L’aboutissement d'une démarche de dénationalisation entreprise vingt-cinq ans plus tôt vint finalement à sa conclusion avec la loi 99 ( 2000 ), dont le préambule cosmopolite célèbre toutes les communautés du Québec à l'exclusion de la nôtre. À tel point que la nation canadienne-française se trouve privée de son droit élémentaire à la reconnaissance ethnique, statut qui est cependant accordée aux autres, à toutes les autres nations autochtones qui se sont dressées pour en faire la demande. Dès l'adoption de la loi 99, la québécitude fera tomber des têtes. Le sort réservé à Yves Michaud (2000) et à Ghislain Lebel (2002) servira d'avertissement à ceux qui seraient tentés de refuser l'imposture.

(m-à-j le 16-12-2021)
 ________

1. L’Action nationale, Notre référendum II, François-Albert Angers, oct. 1980 

« L'addition du mot "français" à Canadien est devenue nécessaire parce que des Anglais ont voulu à un moment donné se considérer comme "Canadians" et que nous avons voulu bien préciser notre différence en cas de traduction. Canadiens-Anglais et Canadiens-Français expriment donc bien ce que nous sommes respectivement comme nations, et non les termes Québécois, Ontariens ou Albertains, etc. »

2Brève histoire des Canadiens français d’Yves Frenette, Montréal, Boréal, 1998, 209 p 

Ce livre « raconte l'histoire d'un peuple qui n'existe plus » malgré « sa forte identité nationale »  (p. 9) Pour Frenette, l'histoire du peuple canadien-français débute vers 1840 et s'effrite comme entité après la Première Guerre mondiale (1914-1918), pour s'achever au cours des années de la Révolution tranquille.

Frenette, qui écrit de Saint-Boniface et a étudié à l’université d’Ottawa, semble écrire l’histoire des Canadiens-Français du point de vue d’une certaine diaspora satisfaite d'avoir perdu ses racines. Moins du coté de l’ancrage que constitue le foyer national des Canadiens-Français au Québec. 



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