[m-à-j du 2-06-019 19:05]
Je cherchais à illustrer ma dernière chronique, publié sur Vigile, par un article d'actualité qui me servirait d'exemple. C'est Gilbert Paquette qui m'en fournira l'occasion.
Gilbert Paquette est membre fondateur du Mouvement Québec indépendant, ancien ministre du Parti québécois et militant pour l'indépendance du Québec. Il a beaucoup de mérite mais il s'écarte de l'essentiel en ce qui concerne la question nationale.
Dans un chronique, reprise par Vigile, M. Paquette déplore que le processus de nomination des juges de la cour suprême, qui vient de faire l'objet d'une entente administrative entre le gouvernement fédéral et le gouvernement Legault, est moindre que ce que prévoyait l'entente du lac Meech, qui, elle-même, ne parvenait pas à satisfaire les demandes traditionnelles du Québec.
Paquette déplore que :
« En clair, on voit se dessiner une tendance de plus en plus nette au remplacement du bijuridisme canadien (Common Law et droit civil québécois) par le multijuridisme faisant du droit civil québécois une tradition parmi d’autres traditions légales. Elle donne ainsi suite sur le plan juridique à la constitutionnalisation du multiculturalisme. »
Je réserverai mon jugement sur le bijuridisme et son véritable intérêt. Mais dans l'ensemble de sa critique Paquette s'efforce de mettre en contraste les "valeurs québécoises" qui se heurtent au centralisme canadien, les valeurs québécoises, qui seraient plus progressistes, différentes des valeurs canadiennes, ressortent chez lui comme un fondement important de l'opposition moderne entre le Québec et le Canada. Sa défense de l'indépendantisme québécois en est tout imprégnée. Selon moi, nous nous retrouvons ici dans la rivalité inter-étatique, où trop souvent une défense magnifiée d'un Québec-ÉTAT prend le pas sur la défense de la patrie naturelle ! Car, après tout, peut-on concevoir le Québec lui-même autrement qu'un État bi-national ? Qui reste lui-même divisé sur les enjeux que Paquette présente trop hâtivement comme une vision partagée par tous les Québécois. La nation anglo-québécoise, donc l'extension de la nation canadienne-anglaise au Québec, n'a qu'une seule allégeance et elle s'appelle Ottawa.
Le reste de son article (peut-on dire qu'il passe du coq à l'âne ?) se concentre sur la défense et l'illustration d'un pays de cocagne, le Québec indépendant, dont il ne resterait plus qu'à convaincre les contribuables d'y adhérer pour qu'il devienne réalité. Nous sommes donc toujours dans une logique référendaire qui ne s'est pas renouvelée : dans cette logique, le travail à faire est un travail de pédagogie auprès des Québécois.
J'estime pour ma part, que Paquette fait des faveurs au fédéral. Il refuse de mener une lutte intégrale contre la constitution canadienne. Il commet l'erreur de passer sous silence le caractère illégitime de la cour suprême en tant que telle, dès sa fondation, en 1875, ce qui entache tout ce qui a suivi. Sans faire le procès intégral du fédéralisme, sans le discréditer quand il le mérite, sur la base de faits documentés, sur la base du droit naturel classique et du droit international coutumier, nous ménageons notre adversaire colonial historique.
D'ailleurs, j'estime, que le combat existentiel est entre des nations réelles et non entre les entités canadiennes elles-mêmes, dont la province de Québec est partie prenante. Cette dernière n'a jamais appartenu à la majorité démographique, si bien que le pouvoir étatique s'est toujours appliqué à arbitrer les intérêts nationaux des deux nations internes. La dynamique de la minorisation se poursuit et elle est renforcée par la loi 99 qui consolide les pouvoirs des anglo-saxons par la consécration du sur-financement inique de cette communauté dans les domaines de la santé et de l'éducation. Si le Québec pouvait appartenir à sa majorité démographique, il y a longtemps qu'un plan progressif en faveur de l'équité des institutions francophones et anglophones aurait vu le jour. Mais, en vérité, c'est à se demander si une telle chose n'entraînerait pas l'incendie d'un autre parlement. En consacrant les privilèges issus du colonialisme, le gouvernement québécois s'est infligé une belle humiliation coloniale dont, même si, par ailleurs, on ne finit plus d'entendre qu'une telle chose n'existe pas. Dans la logique de M. Paquette, le Québec pourrait être libre si seulement les Québécois répondaient plus favorablement aux enseignements pédagogiques. Quelle illusion !
Je concluais mon propre article avec ces mots :
« Au terme de cette réflexion, je suis convaincu que le Canada britannique, ne se relèverait pas d'une offensive constitutionnelle intégrale, qui refuserait la camisole de force du common law. Il faudrait largement puiser dans d'autres sources du droit moderne, soit le droit continental traditionnel auquel réfère Mme Bugault, que Me Néron appelle, lui, le droit naturel classique qui devient le droit international coutumier.
Notre combat est un peu comme celui d'Alexandre Soltjenytsine qui a eu l'audace de ré-écrire l'histoire d'un trait, et non de réclamer des corrections à la pièce. Il a eu l'audace de partir des résultats des injustices sur les victimes. Alexandre Soljenytsine a fragilisé l'URSS, il a fragilisé le régime en rétablissant la vérité. Nous avons le devoir de rétablir la vérité dans le cadre d'un réquisitoire constitutionnel. Nous étions une majorité, nous sommes devenus une minorité dont le pouvoir est en perpétuelle régression. La question est simple, qui et comment a été organisé notre effacement graduel de cette terre ? »
1 commentaire:
À la suite de Marc Chevrier, Gilbert Paquette affirme que le multijuridisme menace de succéder au bijuridisme dans le régime canadien. Si l’on suit la démonstration de M. Paquette jusqu’à son terme logique, seule l’indépendance du Québec peut nous libérer tant de l’un que de l’autre.
Quant aux valeurs québécoises, dont la laïcisation, on peut en discuter la nature ou la portée, mais leur analyse exhaustive n’était pas l’objet de son article. Son but consistait à souligner que le régime fédéral cherche à imposer les valeurs canadiennes, qui sont souvent radicalement étrangères aux nôtres.
Il ne suffit pas de recourir à l’argument de la nation ethnique « canadienne » originelle pour libérer le peuple français d’ici, que les aléas de l’histoire ont concentré sur le Québec, devenu notre territoire national naturel. C’est incontournable : notre reconnaissance statutaire tant ici qu’ailleurs dans le monde passe par le recours à l’instrument collectif qu’est l’État québécois. Autrement, c’est se livrer à une lutte abstraite stérile. L’État du Québec est notre acteur collectif. Sans lui, votre concept de reprise du combat constitutionnel fondé sur le droit naturel classique ou le droit international coutumier est inopérant.
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