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vendredi 8 janvier 2016

Et si Poutine réhabilitait Lionel Groulx pour de bon ?

Une révolution tranquille « à l'envers » 
en Russie


Une volonté marquée d'ancrer la société dans le meilleur de son passé, que j'appelle la révolution tranquille à l'envers, s'opère en Russie depuis 2010. Cette révolution du bon sens  suscite un intérêt inquiet de la part des pays occidentaux en perte de repères. Pour ces derniers, le nationalisme est mort, sinon il doit mourir. 

Joueur qu'on attendait pas dans le grand échiquier, la Russie a mis à mal l'idée d'une nation sans histoire et sans transcendance. Une nation ¨défuntisée¨ devenue la nôtre et dont la majorité des souverainistes ne cessent de se réclamer. En revanche, en Russie, une nation qui plonge ses racines dans l'histoire, qui ne tourne pas le dos à son identité, qui porte une vision qui valorise la tradition sans refuser la modernité, cette nation ne serait pas une utopie du XXè siècle. Et ce serait cette vision qui a cours en Russie. Une ¨russitude¨ qui reconnaît des nations avant de reconnaître des territoires. Mais ce n'est pas ce dont nos médias nous abreuvent. Mises à part les oppositions légitimes, sur lesquelles nos médias restent discrets, nous n'avons pour nous forger une opinion déformée que les affres des minorités «sororisées» dont nos médias font grand cas.

Le lecteur qui tire sa seule information de Radio-Canada ou d'autres médias standardisés comme Le Monde, Le Devoir, etc. est un handicapé de l'information. L'internet existe, mais il n'exploite pas ses possibilités. Il sera surpris d'avoir été tenu à l'écart de bien des développements s'il lui advient un jour de percer l'encerclement médiatique. Présumant de sa bonne foi.

Inversement, en gros, la moitié de l'humanité a déjà pris l'habitude de s'alimenter à des sources d'information diversifiées, moins uniformément orientées que celles de la grande presse des pays de l'OTAN, lire Canada. Ils seront déjà mieux outillés. Ils auront déjà une opinion formée au contact d'arguments venus de tous bords, inclusivement sur Vladimir Poutine et la Russie.

*   *   *

Selon l'ifrii, le tournant conservateur russe plairait aux pays d'Asie. Ces pays seraient pour la Fédération de Russie (FR) les partenaires de l'avenir parmi lesquels elle se sent respectée dans ses différences et surtout traitée en égal. Elle est en bonne compagnie avec ces pays qui s'efforcent de conjuguer la modernité avec leur attachement aux traditionsii

Elle-même pays d'Europe, la Russie ne délaisse pas pour autant ses partenaires européens, même quand ceux-ci boudent le dialogue avec elle pour recourir à des sanctions. Piètre diplomatie, les désaccords, aussi nombreux soient-ils, devraient être résolus par voie de négociation, je pense au contentieux ukrainien, etc. La Russie, déjà au centre de bien des enjeux mondiaux, plonge dans la défense du national avec une approche particulière qu'elle assume pleinement. Elle ne se départit jamais d'une défense bien sentie de son indépendance, ce qui fait se tourner vers elle les regards sourcilleux de ceux pour qui la disparition des nations n'est qu'une affaire de temps. Le Québec a certes intérêt à ne pas prendre pour argent comptant la campagne de dénigrement permanent dont la Russie est l'objet dans notre coin du monde, Il faut y regarder de plus près.

Cette révolution tranquille à l'envers que rien n'annonçait est d'autant plus inusitée qu'elle survient après 70 ans de socialisme «scientifique», qui s'est traduit par une dénationalisation menée de main de fer par les bolchéviques, dont la composition ethnique était plus juive que russe, selon l'oeuvre jamais démentie d'Alexandre Soljenitsyne. Une idéologie basée sur le matérialisme, la primauté de l'économie, le dirigisme culturel, le remplacement de la religion et de la tradition par l'éducation laïque et la volonté de construire un «homme nouveau» débarrassé des «préjugés». Pas étonnant qu'une source d'inspiration des révolutionnaires russes coulait de la révolution française. 

Le renforcement du national en Fédération de Russie est très intéressant à observer du fait que ce pays possède une diversité ethnique qui n'est dépassée que par celle de l'Inde. La grande diversité ethnique et linguistique de la Russie ne semble pas être un poids pour elle. À preuve, elle n'aurait pas freiné un consensus social conservateur qui ne fait que s'affirmer autour des valeurs patriotiques. Le respect des minorités nationales, une tradition russe qui remonterait à la tradition tsariste, contraste avec la tradition anglo-saxonne subie par les Canadiens-Français. Deux mondes. La popularité de Vladimir Poutine, jamais démentie, incarne le phénomène de relative unité que vit présentement la Fédération de Russie. Le conservatisme social, le conservatisme pragmatique et le pragmatisme conservateur de Poutine, trois appellations couramment utilisées, forment donc un socle politique de rassemblement. Il semble promis à durer. 

Dans sa lettre «La question russe», en janvier 2012, au cours de la campagne électorale, Poutine écrivait : 
« L'auto-identification du peuple russe, c'est une civilisation multiethnique unie par le noyau culturel russe».iii 
Une citation transmise par Léonid Poliakov, qui enchaîne avec ce commentaire à propos de Poutine :
«Au fond, il formule ainsi une ¨troisième voie¨, située entre le projet multiculturel occidental, dont Poutine estime qu'il a échoué, et le défi alternatif d'un ¨État national¨ qui serait fondé ¨exclusivement sur l'identité ethnique¨.»iv 
Pour Pliakov, Vladimir Poutine considère son conservatisme 
«comme une vision politique et morale du monde cohérente et pleine de bon sens. C'est sur cette base qu'il a fondé sa campagne électorale de 2011-2012 et sa stratégie de développement jusqu'en 2025...»
Lors des rencontres annuelles du Club Valdaï, en 2014, Poutine poursuivait de la façon suivante : 
«Pour que la société existe, il convient de soutenir des choses élémentaires que l'humanité a élaborées au cours des siècles : c'est le respect de la maternité et de l'enfance, le respect de notre histoire et de ses accomplissements, le respect de nos traditions et des religions traditionnelles»v
À la lumière de tout ceci, en viendra-t-on à considérer Lionel Groulx comme un visionnaire dont l'heure n'était pas encore venue? 

Il a certes combattu une forme de modernité aguicheuse et illusoire, une menace dont il nous entretenait notamment dans sa lettre à Jean Éthier-Blais «Sur les dangers de l'influence américaine».vi Un filet dans lequel se sont pris plusieurs intellectuels d'avant-garde, vantant comme un progrès indépassable de faire table rase, jugeant à jamais dépassé l'héritage spirituel (spirituel au sens profane comme au sens transcendant) de Lionel Groulx sur le petit peuple francophone d'Amérique.

Dans la présentation du dossier Lionel Groulx, publié par les Cahiers d'histoire du Québec au XXè sièclevii, Benoit Lacroix et Stéphane Stapinsky expliquent :
«Les citélibristes et certains nationalistes (notamment ceux d'extrême gauche) allaient prendre le relais au cours des années 1950 et 1960. Pour plusieurs souverainistes des années 1990, la figure de Groulx fait problème. Il leur semble que, en réponse aux accusations de «racisme» et de «fascisme» qu'on adresse tant de l'intérieur que de l'extérieur à la société québécoise (et en particulier au mouvement nationaliste), il leur faille prouver à tout prix à la face du monde qu'ils ne sont pas coupables, eux «modernes», de ce qui leur est reproché; pour ce faire, ils insisteront donc sur une rupture radicale entre la société d'autrefois et la nôtre et s'en prendront publiquement à ce Québec obscurantiste d'avant 1960 et au symbole du racisme et du fascisme de l'ancien régime que serait à leurs yeux Lionel Groulx. Une manifestation récente de ce nouveau rituel peut être relevée chez Gérard Bouchard.»
Plus loin, les auteurs nuancent en citant quelques noms, parmi eux, à gauche, Pierre Falardeau, Gaston Miron, Andrée Ferrettiviii, qui ont accepté 
«de nouer un dialogue avec Groulx». 
Ils finissent par demander avec raison qu'on tourne la page à cet infantilisme 
«qui fait que, pour certains, il paraît impossible de se reconnaître dans une continuité à moins d'y trouver la trace d'une pureté conforme à nos valeurs actuelles.»ix
On pourrait épiloguer longuement sur l'héritage de Lionel Groulx, mais l'affaire est entendue. On en reviendra donc à ceci. Les arguments de ses pourfendeurs, lorsqu'il s'agissait d'arguments et non de demi-vérités et de falsifications, ont été réfutés avec patience et plus d'explicitations que la plupart des objections n'en méritaientx. Depuis une trentaine d'années, grâce à des intellectuels courageuxxi, tous les arguments pour discréditer Groulx et son oeuvre ont été répudiés d'une façon ou d'une autre; si bien que le dossier Groulx est clair et net. Alors pourquoi parler de réhabilitation de Groulx par Poutine ?

La réhabilitation de Lionel Groulx par Poutine est bien sûr une figure de style. Elle met en évidence le fait que si la joute intellectuelle a été remportée par les nôtres, ils n'ont pas prévalu. La société civile ne l'a pas répercutée par des changements fondamentaux comme en Russie. Le discours politique et le projet d'indépendance, qui restent défensifs, ont continué à freiner des quatre fers pour que survive la mauvaise conscience de notre passé. On refuse de faire à Lionel Groulx une place au panthéon de notre histoire parce que notre élite nationale dite «moderne» a rejeté tout ce qu'il représentait. Il était prêtre catholique et défenseur de la tradition. Et, cocasserie de l'histoire, c'est encore le prêtre catholique qui, depuis la grande noirceur de 1943, leur fera la leçon  : 
«D'où nous vient, qui nous a donné ce goût morbide de nous accuser de tous les péchés, et plus particulièrement de ceux que nous n'avons pas commis.(sic)» xii
Après 60 ans de lutte souverainiste-indépendantiste infructueuse, ne sommes-nous pas rendu au bout du rouleau? Peut-on sérieusement avoir racorni la «civilisation française en Amérique» au point où l'argumentaire des figures montantes ne semble plus considérer que l'enrichissement personnel comme motif central de la cause? Ceci après avoir épuré au fil des ans toute référence à ce que nous sommes et d'où nous venons. Le phénomène de retour aux sources, qui a amené les Russes au succès après 70 ans de dénationalisation violente (clin d'oeil à la dénationalisation tranquille), surtout avant Staline, à recouvrer leur patriotisme, prouve qu'il est possible pour une nation, singulièrement une nation  fondatrice, de recouvrer ses droits fondés sur la continuité historique. 
_______________________
i www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_rnv_90_fr_poliakov_protege.pdf  Le « conservatisme » en Russie : instrument politique
ou choix historique ? , déc. 2015
ii  Japon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour, selon ifri
iii  Que penserait-on d'une nation multiethnique unie par le noyau culturel néo-français, canadien français et Québécois?
iv Ifri, p.18
vi  Les Cahiers d'histoire du Québec au XXè siècle, No 8, automne 1997. Sur les dangers de l'influence américaine, 7 décembre 1964, p.175
viii Il faudrait rajouter Michel Chartrand et Simone Monet-Chartrand dont le mariage dut béni par Lionel Groulx
ix Cahiers p.10 ou lien ici
x Pensons ici à la réfutation détaillée par notre sociologue québécois anglo-protestant Garry Caldwell, de la thèse de doctorat d'Esther Delisle http://agora.qc.ca/Documents/Antisemitisme--Le_discours_sur_lantisemitisme_au_Quebec_par_Gary_Caldwell Thèse effectivement couronnée d'un doctorat, à la courte honte de l'Université Laval.
xi Stéphane Stapinsky, Garry Caldwell, Fernand Dumont, Serge Cantin, Nicole Gagnon et bien d'autres
xii «Notre force...» Groulx, Lionel, 1943; cité dans la présentation des Cahiers... No 8    

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