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samedi 17 mars 2018

La « nation québécoise » cinquante ans plus tard : un marché de dupes au profit des « Rhodésiens »

Toute nation encore en santé est constituée d'un noyau ethnique auquel se joignent des individus provenant de tous les horizons. La nation moderne est un produit de la civilisation,  une communauté de conscience, une parenté spirituelle. [1]

La nation a un dehors et un dedans ; elle est inclusive et exclusive. L'inclusivité des francophones du Québec apparait comme une évidence qui se vérifie tous les jours quand des étrangers, n'étant plus des étrangers, adhèrent au noyau. Mais on commet facilement l'erreur de confondre l'inclusivité avec la cohabitation des nations dans une promiscuité malsaine. 
« La vie collective, comme celle de tout un chacun, exige une surface de séparation. Emballage d'abord. La profondeur suit, comme l'intendance. »[2]


Bien que dotées d'une identité propre, les nations ne s'excluent pas mutuellement. Elles peuvent cohabiter sur un même territoire, dans un même pays, mais dans l'ordre. C'est ce que nous montrent les fédérations découpées politiquement sur les espaces sociohistoriques, autrement dit sur les assises géographiques des nations. La constitution de la Fédération de Russie – qui compte pas moins de 89 entités politiques reconnues, dont 17 républiques internes - et la Confédération suisse, avec ses cantons, nous en fournissent deux exemples. Deux nations ne sauraient être « inclusives » l'une envers l'autre, sans espace réservé, sans que l'une d'elle disparaisse. C'est toutefois ce cas que présente le fédéralisme canadien et ses provinces, découpées dans le territoire avec le minimum de prise en compte des communautés historiques d'appartenance. Le Canada force partout la cohabitation inter nationale des Canadiens-Français, un mécanisme qui a produit leur mise en minorité suivie de l'assimilation. 

The Province of Quebec, de son nom d'origine, est principalement constituée de deux nations qui pratiquent « l'inclusivité » pour leur propre compte. Ce sont deux nations qui s'adjoignent des membres provenant de tous les horizons dans leur intérêt. À cette fin, elles se livrent une concurrence permanente. D'un côté, la puissante « minorité » canadian s'appuie sur les avantages de sa domination au Canada et elle profite, en plus, de l'énorme pouvoir d'attraction de l'anglais dans tous les secteurs de la vie publique, économique et sociale. De l'autre, des francophones (Canadiens-Français), forment une minorité sociologique privée de reconnaissance politique. Ils parviennent rarement à profiter de leur position de majorité démographique. Seules des mesures suffisamment fortes pourraient servir de contrepoids à ce déséquilibre enfoui dans des causes lointaines.

Or, on prétend ici et là, notamment sur le site Vigile, que l'État pourrait, dépendant du parti porté au pouvoir le 1er octobre 2018, remédier à cet état de fait. C'est sous-estimer la doctrine permanente de l'État du Québec, doctrine que l'on associe parfois à l'état profond, laquelle se fait un point d'honneur de représenter équitablement tous les Québécois des deux communautés linguistiques, ceci dans un déni assumé du caractère plurinational d'un Québec, partagé entre les Canadiens-français et les Canadians. Le discours officiel de l'ensemble des partis politiques de la province présente plutôt, non sans euphémisme, les deux nations comme des groupes linguistiques québécois. Le topo est entièrement canadianisé dans le sens de P-E Trudeau. La Charte des droits individuels a bien pénétré les esprits. Le concept d'inclusivité, qui devrait se limiter sans émoi aux transferts linguistiques individuels, selon la constitution, devient dans la bouche de représentants du pouvoir - comme vient de le faire le libéral Carlos Leitao – une passe d'armes démagogique et virulente dans la concurrence entre les deux nations, qui pousse encore les « descendants des vaincus » sur la défensive. On a beau nier les nations, elles réapparaissent par la porte de derrière.

L'optimisme démesuré des années 1970, qui avait fait rejeter l'héritage longtemps transmis d'une génération à l'autre de notre appartenance légitime au Canada (fr.), singulièrement à titre de fondateur, ce rejet, au profit d'une nation québécoise nouvelle, unitaire, et généreuse apparaît aujourd'hui comme un épisode raté, qui s'étale sur cinquante ans de notre histoire longue. Le pari d'intégrer les anglophones (portion d'une autre nation) dans une nation québécoise sortie de nulle part n'a pas résisté à l'épreuve des faits. Les anglo Canadians du Québec ne se sont pas assimilés. Ils ne sont pas devenus une minorité nationale destinée à occuper la place d'une minorité. Ils ne sont rien devenus d'autre que ce qu'ils étaient depuis 1763 : les descendants des vainqueurs. On le voit bien par le nombre et le poids des institutions qu'ils tiennent toujours, comme autant de châteaux forts, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation. On le voit aussi dans les élections, où ceux que René Lévesque avait appelés un jour les « Rhodésiens », constituent plus que jamais une solide minorité de blocage, forte d'une espèce de droit de veto, génératrice de frictions perpétuelles, qui se soldent, à l'Assemblée nationale, par des compromis qui sauvegardent les privilèges garantis en dernière instance par la Cour suprême. Il est désormais évident que la « minorité rhodésienne » continue de s'imposer de plus belle comme une majorité sociologique, puisqu'elle constitue au sein du Québec la portion de la majorité dominante canadian. Sans que la majorité démographique canadienne française soit déterminée à dominer son aire politique en vertu d'une application intégrale des règles de la démocratie, l'État restera l'instrument du maintien des concurrences nationales, qui sont à la base du renforcement continu de la nation dominante.

En abandonnant son identité canadienne-française, cette appartenance revendiquée qui lui conférait sa légitimité sociohistorique, le Québec francophone est vite entré dans une dynamique de concessions au profit de la nation voisine qui le domine plus facilement. Un marché de dupes, justifié par l'ambition d'une indépendance territoriale de « l'état-nation auquel on aspire... », quitte à gommer la brutale réalité pluri-nationale.

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1. Christian Néron :
« Ce sont les Anglo-saxons qui font de la nation un synonyme de l'État.
La nation n'est pas l'État.
La nation est une communauté conscience ;
Elle est un état de fait ;
Une réalité objective ;
Une parenté spirituelle ;
Une construction de l'histoire ! »

2. Régis Debray, Éloge des frontières, éd. Gallimard, 2010, p.37

[m-à-j 12-11-2021]

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