Article de Me Christian Néron
paru sur le site Vigile
Mis à jour le 5 mars 2018
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Présentation :
À la lecture de l'article on comprendra que sept des dix provinces canadiennes doivent leur existence à la répression violente et à l'abus de pouvoirs « légaux » mais illégitimes des anglo-saxons protestants à l'encontre des fondateurs du Canada, devenus les descendants des vaincus.
Le Québec n'est pas un nation socio-historique mais une portion du territoire conquis en 1759 et constitué par la décision d'un souverain anglais. Le nom donné à ce territoire est « Province of Quebec ». Ce territoire est peuplé par plus d'un million de ceux que René Lévesque appelait - dans ses moments de lucidité « les Rhodésiens ». Ils sont acquis au Canada unitaire et dominateur auquel ils s'identifient. La cause de la nation socio-historique, rejetée par René Lévesque pour y préférer le territoire multi-national du Québec, demeure toutefois celle de la légitimité, celle ancrée dans l'histoire et déniée depuis seulement cinquante ans. Et avec quels résultats !
Le Québec territoire de la majorité, entêté dans sa quête inaccessible d'unité qui nie l'existence de la nation anglo-canadienne en son sein, a vu sa marge de manoeuvre politique diminuer et se trouve bien souvent paralysé depuis qu'il a décrété que la majorité formait avec sa minorité de blocage, une seule et même nation. Un déni de réalité quant on songe que la puissante minorité canadienne au Québec - en fait la majorité sociologique - s'oppose et résiste au renforcement de la sécurité culturelle de la nation socio-historique canadienne française, elle-même désormais plus divisée que jamais. Le Québec francophone, paie le prix de sa prétention à former une nation territoriale unitaire. Il courtisera ses irréductibles opposants à l'interne. Il se fera un point d'honneur de ne pas relancer ses précieuses alliances traditionnelles en Acadie et ailleurs. Pourtant, la nation socio-historique se trouve dans le peuple que George Brown, le principal artisan de la Confédération, désignait par l'expression de « Descendants des vaincus ». C'est cette légitimité à remémorer qui est le talon d'Achille du Canada.
Cette présentation de l'article de Me Christian Néron n'est pas un résumé du texte qui suit mais une mise en contexte avant de lire un autre épisode de la rupture de ce qui devait être un pacte de réconciliation, mais ne fut qu'un subterfuge dans la lutte des descendants des vainqueurs pour faire disparaître les descendants des vaincus.
GV
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Malgré une certaine appréhension qui régnait chez bon nombre de Canadiens français, on peut dire que l’année 1867 s’était déroulée sous le signe de l’optimisme. Entrée en vigueur le 1er juillet, la Confédération leur avait été présentée comme un « pacte de paix » qui devait régler à jamais les vieux différends qui avaient tant divisé les « descendants des vainqueurs » et les « descendants des vaincus ». Les mots communément utilisés pour qualifier cette nouvelle constitution étaient « pacte », « traité » et « alliance ». Les adjectifs que l’on accolait à ces substantifs étaient « amical », « cordial » et « fraternel ». Ainsi, la Confédération apparaissait comme un événement heureux qui découlait d’un « pacte amical, cordial et fraternel » conclu entre les « descendants des vainqueurs » et les « descendants des vaincus ». Les mots ci-avant entre guillemets sont ceux utilisés lors des Débats parlementaires sur la Confédération en février et mars 1865.
De plus, les Pères fondateurs avaient cherché à les rassurer en leur disant que le gouvernement général à Ottawa ne s’occuperait que des sujets où l’intérêt de tous serait identique. Tout le reste allait aux provinces. Le Bas-Canada devenait une province autonome pratiquement souveraine dans ses champs de compétences. Plus encore, on avait ajouté que plus jamais les Anglais ne viendraient mettre leur nez dans leurs affaires. Les Canadiens français devenaient maîtres chez eux avec leur assemblée législative et leur propre gouvernement. C’était le meilleur des mondes : maîtres chez eux et unis à de gentils voisins pour les sujets d’intérêt commun. Pouvaient-ils espérer mieux ? Eh oui, beaucoup mieux puisqu’ils n’avaient pas compris qu’on leur avait vendu un rêve. Toutes ces fascinantes promesses étaient trop belles pour être vraies.
De 1867 à 1889, il y aura des désillusions, mais ceux qui avaient engagé leur parole d’honneur tenteront tant bien que mal de refroidir les ardeurs de bien des « descendants des vainqueurs » qui trépignaient d’impatience à l’idée de prendre possession de ce beau pays sur lequel les « descendants des vaincus » avaient eu l’indicible légèreté de leur céder une pleine souveraineté. En fait, on pourrait dire qu’il y eut un temps d’hésitation où la Confédération continuait à être présentée comme un « pacte de paix » conclu sur une base d’égalité, et pendant lequel on taisait la convoitise des « descendants des vainqueurs » qui aspiraient à établir leur dominance sur ce pays acquis au titre du droit de conquête. C’est en 1889 que cette revendication de droits, sur la base des « lois non écrites » du Canada, va mettre un terme aux belles illusions des Canadiens français.
Une affaire judiciaire laissée en suspens
Alors que s’est-il passé exactement ? Cette année-là fut celle où les masques des « descendants des vainqueurs » tombèrent suite à une affaire de droit civil survenue au Québec. L’année précédente, le gouvernement du Québec avait décidé de régler une réclamation laissée en suspens depuis des dizaines d’années et qui relevait de son champ de compétences, mais qui heurtait profondément les préjugés anti-papistes et anti-catholiques des anglo-protestants du Canada. Il s’agissait du règlement relatif à l’indemnisation des biens des Jésuites.
Arrivés au Canada en 1625, ils s’éteignirent en 1800 avec le décès du dernier d’entre-eux. Leurs biens immobiliers – qui étaient imposants – furent alors confisqués au profit de la couronne. Mais les Jésuites, revenus en 1842, avaient demandé à être remis en possession de leurs biens. Il s’agissait là d’une réclamation parfaitement fondée en droit mais qui indisposait tant de gens qu’aucun gouvernement n’avait osé prendre le risque de soulever la colère de la population, surtout celle de l’Ontario qui prétendait avoir le droit de s’ingérer dans les affaires du Québec en vertu des « lois non écrites » du Canada. Les Jésuites pouvaient donc attendre. Mais, en 1887, Honoré Mercier avait été élu premier ministre. À la fois autonomiste et nationaliste, il y avait chez lui un petit quelque chose qui le distinguait singulièrement des Canadiens français : il n’avait peur de rien ni personne ! Les anglo-protestants n’aimaient pas du tout ça. Un Canadien français debout, ça dépassait leur entendement ! Alors qu’allait-il arriver ? Eh bien, ils n’allaient pas tarder à le savoir.
Une transaction avec les ennemis des protestants
En 1888, suite à une transaction avec le supérieur des Jésuites au Québec, et ratification de cette dernière par les autorités du Vatican, Mercier avait fait voter une loi appelée « Acte relatif au règlement de la question des biens des Jésuites ». Les Jésuites étaient indemnisés à hauteur de 400 000 $, mais le montant devait être distribué parmi les différentes institutions d’enseignement, y compris une somme de 60 000 $ attribuée au Comité protestant de l’Instruction publique. Mais les protestants de l’Ontario en étaient profondément outrés, d’autant plus qu’on avait poussé l’arrogance jusqu’à reconnaître au pape le droit d’entériner une décision de justice conformément aux prescriptions du droit canon.
Cette intervention symbolique du pape et la simple évocation du droit canon dans une affaire de justice civile – même dans un Québec censément souverain en matière de « propriété et de droits civils » – était quelque chose qui dépassait l’entendement chez bien des anglo-protestants. Ça leur paraissait aussi aberrant que de vouloir plaire au diable en lui offrant un beau grand verre d’eau bénite. Le Québec avait outrageusement violé une « loi non écrite » du Canada. Les anglo-protestants ont disjoncté ! Tout le vieil imaginaire protestant de la Réforme qui avait tant déliré et déblatéré au sujet du pape, de l’Antéchrist et des ouailles de Belzébuth avait surgi des profondeurs en un immense cri d’indignation. Bien des anglo-protestants en avaient perdu la raison : le premier ministre des « descendants des vaincus » avait profané le Saint des saints ! Ce sacrilège devait être vengé.
Le pouvoir de désaveu
Ceux qui n’avaient pas totalement perdu raison ont tout de suite pensé au « pouvoir de désaveu » du gouvernement fédéral. Il fallait à tout prix que le gouvernement fédéral –c’est-à-dire John A. McDonald – désavoue cette loi papiste. Il avait douze mois pour s’exécuter. Mais McDonald, qui était plus politicien que protestant, n’avait pas le goût de se mettre la tête sur le billot : la loi provinciale était non seulement légale mais, plus encore, elle était juste et raisonnable. Le premier ministre fédéral se retrouvait sous pression de part et d’autre : d’un côté la rage des protestants qui invoquaient la violation d’une « loi non écrite » du Canada, et de l’autre un premier ministre du Québec qui n’avait peur de rien ni personne et qui, pire encore, ne se cachait pas pour dire que la Confédération n’était « qu’un mal provisoire ». McDonald ne pouvait que refuser la requête en désaveu. Mais le désir de vengeance des anglo-protestants, lui, n’allait pas se refroidir de sitôt. Des cibles bien plus faciles allaient leur permettre de prendre leur revanche : les droits linguistiques et scolaires des Canadiens français allaient tomber sous la vindicte protestante.
La première façon d’y arriver était tout d’abord de renier l’esprit même de la Confédération. Alors que, de 1864 à 1867, tous s’entendaient pour parler d’un « pacte de paix » entre les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus, la Confédération allait soudainement se transformer en simple « loi du Parlement de Westminster ». Plus jamais il ne sera question de pacte, de traité, ou d’alliance. C’est encore aujourd’hui une doctrine qui est vivement défendue à Ottawa.
Des étrangers dangereux
Mais comment justifier un tel revirement de paradigmes ? Il s’agissait d’attaquer de plein fouet l’honneur des Canadiens français en les accusant de s’être comportés en traîtres contre leur pays et leur souverain légitime. Tout d’abord, en invitant le pape à s’immiscer dans une affaire judiciaire propre au Canada, ils avaient posé un acte d’allégeance à l’endroit du « souverain étranger » le plus hostile à l’Angleterre et à la Réforme. Deuxièmement, en reconnaissant l’autorité du droit canon, ils avaient violé une autre « loi non écrite » du Canada. Troisièmement, en complotant avec l’Ordre satanique des Jésuites, ils avaient mis en danger la sécurité des protestants et celle du pays tout entier. On ne pouvait imaginer pire fourberie !
Après s’être si gravement compromis, comment les Canadiens français pouvaient-ils revendiquer d’être traités en partenaires égaux à un pacte de fondation du Canada. Ils avaient prouvé qu’ils adhéraient aveuglément à cette culture de duplicité si particulière au papisme. Ils s’étaient comportés comme des « étrangers dangereux », c’est-à-dire « étrangers » pour catholiques, et « dangereux » pour français. Cette culture de duplicité constituait une menace intolérable pour la sûreté des protestants et l’avenir de leur pays acquis par droit de conquête. Dans de telles circonstances, force était de les empêcher de nuire et, en cas d’échec, de les exterminer purement et simplement. S’ils étaient dangereux au point de laisser croire au bienfait de leur extermination, à plus forte raison avait-on le droit de les neutraliser politiquement, de les écarter du gouvernement, de les chasser de la fonction publique, de leur interdire de perpétuer leur langue, leur culture et leurs écoles.
À cette hystérie purement protestante, fondée sur une profusion de préjugés hérités de la Réforme, s’ajoutait une menace jugée plus immédiate et directe, soit celle d’un complot mené par des prêtres et des milliers de colons du Québec engagés dans la reconquête du Canada. N’étaient-ils pas en train d’encercler la population anglo-protestante de l’Ontario en avançant méthodiquement sur leur territoire à partir de la rivière des Outaouais, causant ainsi un tort irréparable à leur expansion et constituant une menace à leur sécurité. D’où les Canadiens français tenaient-ils le droit de se répandre ainsi en dehors de leur province ?
Un encerclement dangereux
Le nord de l’Ontario regorgeait à l’époque de millions d’acres de terres arables et à bon marché. La province était toutefois incapable de les mettre en valeur. Laissés à leur seul courage, les rares colons qui osaient s’y aventurer essuyaient de terribles échecs. Mais c’était tout le contraire dans le cas des Canadiens français. Ils jouissaient en la matière d’un savoir-faire inégalable. Encadrés par de jeunes prêtres doués et dévoués, ils cumulaient les succès dans leurs entreprises de colonisation. D’année en année, des villages canadiens-français s’ajoutaient de chaque côté de la rivière des Outaouais. Rien ne semblait ralentir la menace de cette expansion papiste. Bien entendu, l’inquiétude grandissait chez les anglo-protestants : les Canadiens étaient en train de reconquérir par la ruse et la duplicité ce pays qu’ils avaient été impuissants à défendre devant le courage et la supériorité des armes des Britanniques. D’ailleurs, l’assaut victorieux et spectaculaire sur la citadelle de l’Antéchrist en 1759 ne constituait-il pas un signe des plus providentiels de la pleine légitimité des protestants sur le Canada !
Plus à l’ouest, une vingtaine d’années auparavant, des métis catholiques et français du Nord-Ouest avaient réussi à se constituer en province, le Manitoba, territoire contigu à un prolongement prévisible et hautement convoité par l’Ontario. La constitution de cette nouvelle province était pratiquement une copie de celle du Québec. La langue française et les écoles confessionnelles y étaient reconnues par la loi. Mais là encore les anglo-protestants faisaient entendre des bruits sourds et menaçants. Qu’adviendra-t-il de tout le Nord-Ouest si les Canadiens français, après avoir conquis le nord de l’Ontario, finissent par rejoindre le Manitoba ? Ils se répandront jusqu’au-delà des Rocheuses ! L’ensemble du Canada risquait de devenir français, catholique et papiste. Des cardinaux puissants, des évêques et une infinité de prêtres – tous inféodés au pape – y feraient la pluie et le beau temps. Alors que la Confédération avait eu la largesse de leur octroyer une plénitude de droits sur leur province, ils n’avaient pas attendu pour partir en cavale et se lancer à la reconquête du Canada tout entier. La menace se faisait existentielle. Il fallait réagir tout de suite et régler la question une fois pour toutes.
D’Alton McCarthy sonne l’alarme
C’est en mars 1889, à l’occasion de la motion pour faire désavouer la loi papiste de Mercier, que D'Alton McCarthy sonne l’alarme. À la fois protestant, orangiste, anti-catholique, raciste décomplexé, avocat réputé et orateur brillant, McCarthy est de loin l’homme politique le plus charismatique du Canada. Une masse de journalistes se précipite pour l’entendre chaque fois qu’il prend la parole quelque part. Tout ce qu’il dit porte et est diffusé à la grandeur du pays.
L’idée qu’il propage est que, regroupés en « sociétés compactes » d’une rare brutalité, jamais les Canadiens français ne reculeront dans leur détermination de reconquérir le Canada. Face à cette culture de duplicité et son penchant pour la violence, il fallait contre-attaquer sur tous les fronts, et ce, tant au provincial qu’au fédéral. L’enjeu était vital.
Le premier à répondre à cet appel est l’un de ses principaux partisans, Joseph Martin, procureur-général du Manitoba. Convaincu du bien-fondé des idées de D’Alton McCarthy sur la dangerosité de ces « sociétés compactes », il se propose d’attaquer les Canadiens français au moyen de la loi afin de les refouler de sa province. Comme nombre d’anglo-protestants gagnés à la doctrine du « positivisme juridique », il ne voit aucune gêne à se prévaloir de la toute-puissance de la loi lorsque dûment adoptée selon la forme prescrite.
La fusion des idées de droit et de pouvoir
Dans la pensée juridique classique, la loi était considérée comme un principe d’ordre et une œuvre de raison. À la fin du Moyen Âge, cette conception classique de la loi, suite à la réhabilitation des œuvres d’Aristote par saint Thomas D’Aquin, s’était répandue dans l’Europe tout entière, y compris l’Angleterre. Mais à la Réforme, sous l’influence des idées de Luther et de Calvin, la loi a cessé d’être une œuvre de raison pour devenir un ordre de l’autorité établie. Le premier critère de la validité de la loi n’est plus la recherche d’un idéal de justice, mais uniquement la compétence de l’autorité qui l’a adoptée. Quant au droit, il se transforme pour devenir un instrument de coercition d’une morale religieuse extraite de l’Écriture sainte. En conséquence, le droit criminel prend de l’expansion et se fait de plus en plus brutal. Le mysticisme protestant avait provoqué une véritable révolution en fusionnant les idées de droit et de pouvoir. Totalement inconnue en Nouvelle-France, cette conception de la loi, du droit et de la justice sera introduite au Canada à partir de 1763.
Chez les protestants, l’étude assidue de la Bible avait favorisé l’adoption d’une conception essentiellement judaïque de la loi. Œuvre de raison chez les Grecs et les Romains, la loi devenait, sous sa forme judaïque, l’expression de la toute-puissance de la volonté de Dieu. Il en était ainsi parce que Dieu agissait en toute liberté, qu’il n’était pas lié par la raison, par ses propres lois, ni même par l’ordre du monde dont il était l’auteur. Bref, Dieu avait le pouvoir de faire tout ce qu’il voulait ! Cette idée de la toute-puissance d’une volonté arbitraire n’a pas tardé à s’infiltrer dans les esprits, surtout dans ceux des princes et des rois. Eux aussi aspiraient à faire tout ce qu’ils voulaient ! Sur le plan législatif, c’est ce qui a donné naissance au « positivisme juridique » : la loi devenait un ordre « posé » arbitrairement par le pouvoir suprême. Par le biais du protestantisme, cette conception de la loi constitue un héritage du judaïsme. Ce sont les Britanniques qui vont l’amener jusqu’ici. La France, elle, était restée fidèle au droit naturel classique jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
La toute-puissance de la loi
Compte tenu de cette conception de la loi, du droit et de la justice, les droits linguistiques et scolaires des Canadiens français se retrouvaient à la merci du « positivisme juridique », c’est-à-dire de la toute-puissance de la volonté de la majorité anglo-protestante. Persuadés que les Canadiens français représentaient un danger pour leur sécurité et l’avenir de leur province, les députés du Manitoba n’ont pas hésité à abroger leurs droits linguistiques et scolaires. Cette décision était « juste » parce qu’ils avaient le pouvoir légal de le faire. Quelques années plus tard, le même abus de pouvoir sera répété dans les deux provinces voisine, le Saskatchewan et l’Alberta. La justice se limitait à se demander si la loi avait été adoptée par l’autorité compétente selon la forme prescrite.
En Ontario, toutefois, le premier ministre, Oliver Mowat, s’était refusé à recourir à la toute-puissance de la loi. Pourquoi partirait-il en guerre contre des Canadiens paisibles et industrieux venus contribuer à la prospérité de sa province ? Lui-même Père de la Confédération, il était de ceux qui avaient fait des promesses aux Canadiens français. D’ailleurs, d’où venait cette idée folle que les Canadiens français étaient fourbes et dangereux au point de laisser croire au bienfait de leur extermination ? Nulle part, si ce n’est dans de vieux préjugés et des esprits dérangés. Mais ce n’était que partie remise ! Un autre premier ministre, sir James P. Whitney, n’hésitera pas à se prévaloir de la « toute-puissance » de la loi pour abroger ces droits linguistiques et scolaires. Compte tenu que de tels abus avaient déjà été commis contre les Acadiens, on peut dire que l’offensive anti-catholique et anti-française était en train de transfigurer le pays tout entier. Tant au fédéral qu’au provincial, il était un lieu commun d’affirmer que le Canada se devait d’être britannique et protestant. Pourtant, de 1864 à 1867, aucun Père de la Confédération n’avait osé prétendre publiquement une telle chose.
Le droit de dominer
Les anglo-protestants ne s’étaient jusqu’alors jamais gênés pour exprimer leur mépris à l’endroit des Canadiens français, mais ils faisaient preuve d’une certaine retenue, sauf peut-être les anglophones de Montréal qui s’acharnaient à répéter que les Canadiens français « devaient disparaître de la surface de la terre » ! Lors de l’Union surtout, l’égalité législative entre le Haut et le Bas-Canada avait favorisé une certaine égalité culturelle et politique. Dans l’impossibilité d’affirmer leur dominance et tenus de partager la gouvernance du pays, les anglo-protestants étaient moins portés à raviver les vieux démons du papisme, de la religion, de la langue et de la nationalité. Les Canadiens français étaient – bien entendu ! – considérés comme oisifs, arriérés et superstitieux, mais pas comme des hypocrites et des étrangers dangereux qui cherchaient à reconquérir le Canada et à s’imposer par la violence. Bref, l’égalité législative avait favorisé – sans le rechercher d’ailleurs – l’émergence d’un État bi-national et bi-culturel. Mais il en était tout autrement de la Confédération.
En cédant la pleine majorité législative aux anglo-protestants, elle avait enclenché du même coup une prétention à la domination. En quelques années, au fur et à mesure qu’ils prenaient conscience de leur domination sur le Canada, les anglo-protestants se sont mis à craindre de la perdre. Cette crainte les amenait à s’interroger sur leur identité et sur ce qui faisait d’eux une nation. La réponse n’était pas évidente dans un cas comme dans l’autre. Plus les années passaient et plus ils voyaient chez les Canadiens français des rivaux, des hypocrites, des comploteurs, des étrangers dangereux obsédés par l’idée de reconquérir ce si beau pays qu’ils avaient été impuissants à défendre contre le courage et la force des armes des Britanniques.
Une paranoïa héritée de la Réforme
Quand la question de l’indemnisation des biens des Jésuites est arrivée dans l’actualité, bien des esprits se sont affolés. Le pape, les Jésuites, les prêtres, les évêques, les cardinaux, tout ce monde-là ravivait un vieil imaginaire où, sous Marie la Catholique, 284 protestants auraient péri sous la violence et la torture, mais en omettant systématiquement de rappeler que, sous le régime de terreur d’Henri VIII, ce sont des dizaines de milliers de catholiques anglais qui sont morts sous la violence et la torture. Plus encore, le protestantisme n’était pas seulement une hérésie religieuse et une obsession anti-catholique, mais une vision du monde irrationnelle et paranoïaque, une conception de la loi, du droit et de la justice qui aggravait les barrières d’iniquités entre les faibles et les puissants. C’est à cette époque que le droit criminel anglais va devenir d’une férocité impitoyable dans la protection des biens et des fortunes. Le glaive va se substituer à la balance comme symbole de justice. Lorsque ce droit criminel sera appliqué au Canada en 1763, il sera constitué de « 210 » infractions punies de la peine de mort, alors qu’il n’y en avait que « 3 » sous le Régime français.
À la base de la crise de paranoïa de 1889, c’est la soi-disant culture de duplicité des Canadiens français, héritée du catholicisme et du papisme, qui avait fait d’eux des êtres amoraux, asociaux, dissimulateurs et hypocrites, des gens capables de jurer de tout et de rien, des gens capables de recourir à n’importe quelle violence pour reconquérir le Canada. À l’évidence, il était impossible de leur faire confiance et de vivre avec eux en toute cordialité. Comment les Canadiens français pouvaient-ils prétendent à une parfaite égalité dans la gouvernance du pays ? Jamais ils ne s’étaient comportés en dignes partenaires depuis la Confédération. D’ailleurs, la Confédération n’était pas née d’un pacte avec eux, mais d’une loi du Parlement de Westminster adoptée le 27 mars 1867. Assurément, elle était née de l’autorité d’une loi adoptée selon la forme prescrite. C’est d’ailleurs ce que nous dit encore aujourd’hui la propagande fédérale.
La suprématie de la culture protestante
Pour ce qui est de la prétention aubi-culturalisme, il s’agit là encore d’une idée absurde. Le Canada ne peut se maintenir et prospérer sur la base d’une culture de duplicité. De plus, si on l’acceptait, il faudrait aussi accepter son corollaire, l’idée des deux nations. En ce cas, toute question d’importance majeure devrait être décidée sur la base de l’égalité des deux peuples fondateurs. C’était inconcevable ! C’était céder à des hypocrites et à des traîtres un droit de veto sur l’avenir du pays. Les anglo-protestants du Canada n’ont jamais fait et ne feront jamais de pacte avec les complices de Belzébuth !
Pourtant, lors des Débats parlementaires sur la Confédération, George Brown, qui parlait en son nom et en celui des autres Pères de la Confédération assis à ses côtés, avait insisté pour dire que le projet sur lequel on demandait aux députés canadiens-français de se prononcer était un « pacte conclu paisiblement et dans un esprit de conciliation entre les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus ». Beaucoup ont alors abusé des mots amitié, cordialité et fraternité. Bref, c’était de bien belles déclarations, lesquelles, d’ailleurs, avaient été prises en sténographie et publiées dans une version bilingue que chacun peut encore lire aujourd’hui.
Mais en 1889, l’époque des belles promesses n’était plus qu’un souvenir. Depuis le décès de George-Étienne en 1874, et le retrait graduel des Pères de la Confédération de la politique active, les anglo-protestants avaient eu le temps de prendre conscience que les Canadiens français n’étaient plus qu’une minorité devenue captive, et qui allait le rester ! Pour ce qui est des maîtres du jeu, c’est-à-dire les anglo-protestants, ils vont poursuivre leur croissance. L’Ordre d’Orange, qui n’avait que 100 000 membres en 1867, en déclarait 200 000 en 1889, 350 000 en 1914, 400 000 en 1918, et 500 000 en 1930. Ces chiffres sont ceux déclarés par l’Ordre lui-même.
Plus encore, dans les années 1920, ils ont commencé à se faire de nouveaux alliés en organisant des congrès généraux avec le Ku Klux Klan américain. Les deux groupes avaient découvert qu’ils partageaient une même vision politique et qu’ils poursuivaient les mêmes buts. Mais ils n’arriveront toutefois pas à se fusionner parce que les Orangistes n’étaient pas prêts à cautionner les méthodes brutales du KKK comme le lynchage par des foules en colère. De 1865 à 1955, il y aura 5 000 exécutions de la sorte sur le territoire américain.
Pour ce qui est du projet d’extermination des Canadiens français, il va disparaître du débat public. Les lois discriminatoires des provinces et une politique d’immigration furieusement anti-canadienne-française du fédéral vont stopper toute velléité d’expansion à l’extérieur du Québec. Toutefois, la négation du bi-culturalisme et du bi-nationalisme, elle, va rester et s’imposer. De même que la politique générale de subordination et d’exclusion. Quant à l’État fédéral, conformément aux vœux des anglo-protestants, il va tout faire pour se constituer en un État centralisé, unilingue, uniforme, homogène, et de culture essentiellement protestante.
Christian Néron
Membre du Barreau du Québec,
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.
Sur le même sujet, voir dans Vigile-Québec :
La mystique de la supériorité aryenne sous la Confédération, et son évolution subséquente :
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