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mardi 23 janvier 2018

Arbour - cessons d'être des colonisés - extraits

Cessons d'être des colonisés !

ARBOUR, J. Maurice, Presses de l'Université Laval, 2015, 242 pages
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Le combat de la décolonisation 

Chapitre 3 
C'est dans le contexte du problème canadien, c'est-à-dire du problème global des rapports conflictuels entre les vaincus et les vainqueurs de 1760, des victoires et des défaites des colonisés d'ici, à travers la contrainte armée et la loi du nombre (233/75 en 2015) qu'à la fin des années 1950 et au début des années 1960, des intellectuels québécois ont discuté du colonialisme et de la nécessaire décolonisation du Québec. On y parle domination politique, économique et culturelle.
Le contexte de l'époque s'y prête bien, tant à l'échelle du Québec avec la mort du premier ministre Maurice Duplessis (1890-1959) qu'à l'échelle mondiale où l'heure de la décolonisation a enfin sonné. (...) de tous les peuples d'Amérique qui furent colonisés, seul le peuple québécois n'a pas encore conquis son indépendance. (...) Rien n'assure que celle-ci pourra se réaliser un jour , tellement nous nous sommes construits une seconde peau avec les matériaux aliénants que nous a fournis le colonialisme anglais. (p.42)
Dans le contexte mondial des années 1950, la période de décolonisation est déjà commencée, et l'on parle non seulement de libération nationale et du droit des peuples à l'autodétermination, mais on entame aussi la lutte pour la décolonisation, que ce soit en Asie ou en Afrique. La conférence de Bandoeng (1955), qui réunit une trentaine d'États d'Asie et d'Afrique, sonne la charge contre le colonialisme...
En 1854, l'empire colonial français perd l'Indochine et se voit aussitôt entraîné dans une autre lutte de décolonisation, celle du « département français » d'Algérie... (p.43)
Le combat mondial de la décolonisation conduit l'Assemblée générale de l'ONU à adopter, le 14 décembre 1960, sa célèbre Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux (sic)... (p. 43)
Les intellectuels québécois ( Barbeau, Chaput, Aquin, D'Allemagne, Bourgault, Miron, etc.

s'emparent pour ainsi dire du discours anticlinal mondial, notamment de celui des principaux théoriciens francophones de la décolonisation, pour réfléchir sur la condition de l'homme québécois Jetant un regard global sur les années 1960, Gaston Miron et Andrée Ferretti affirment, par exemple, que le mouvement indépendantiste québécois de la fin des années 1950 se veut « un véritable mouvement de libération nationale dont l'objectif primordial est de briser le cercle du colonialisme qui, depuis deux cents ans, enferme la nation québécoise dans la dialectique vicieuse de la domination, source d'aliénation... (p. 44)
L'auteur poursuit : « ...si les intellectuels d'ici ont pu redéfinir le nationalisme québécois au début des années 1960 » c'est grâce à l'apport des intellectuels de la libération.

Mathieu Poulin estime même que, sans l'apport doctrinal de de ces écrivains de la décolonisation du Tiers-Monde, l'idéologie nationaliste traditionnelle aurait probablement perduré encore longtemps. (p. 44) 
À part des textes de Miron, Jean Bouthillette, Rosaire Morin, Denis Monière et André Gaulin, selon l'auteur, la dimension coloniale de notre condition aurait été délaissée à partir de 1968, année de la fondation du Parti québécois.

Si nous prenons à témoin la trentaine de grands textes indépendantistes qui furent publiés entre 1992 et 3003 sous la direction d'Andrée Ferretti, on cherche en vain le mot colonialisme, colonisé ou colonisateur. (p. 44)
En 1991, André Gaulin constate qu'on est « bien pudique sur cette sorte de rappel du colonialisme, même au Parti Québécois ». Cet écrivain et essayiste, ancien député du Parti Québécois, estime que le premier pas vers la destruction du colonialisme consiste d'abord à admettre son existence et qu'il n'y a pas de honte à reconnaître que nous avons été colonisés et que le travail de décolonisation n'a pas été complété. (p. 45)
L'auteur poursuit en mettant en évidence la paresse intellectuelle - peur du colonisé ? - du Parti québécois, qui se traduit en refus de clarifier les enjeux :

Posons la question essentielle, la seule qui vaille qu'on s'y arrête et qu'aucun chef du Parti québécois n'a jamais été capable d'articuler avec précision  : si le projet de l'indépendance du Québec est vu comme un projet de libération nationale, de quoi au juste faut-il nous libérer, sinon de la domination permanente d'un pouvoir étranger ? Et cette domination ne porte-t-elle pas un nom, le colonialisme britannique à l'origine - (...) puis le colonialisme canadien anglais par la suite qui s'est continué avec le régime de la confédération de 1867 ? Et si tel est le cas, pourquoi faisons-nous très attention pour ne pas nommer la bête quand nous la voyons plantée sur ses grands sabots, en face de nous ?
On constate donc qu'à partir de 1968 environ, les mots colonialisme, colonisé et décolonisation ont été expulsés en dehors du Québec parce qu'ils furent jugés inadaptés, inadéquats, inapplicables, abusifs, impropres, excessifs, inconvenants, insolents, imprudents, irrespectueux, insultants, déplacés, irrévérencieux et somme toute, inutiles pour la progression du discours indépendantiste. (p.46)
À mon avis, si l'auteur évoque la « progression du discours indépendantiste » c'est peut-être avec une pointe d'ironie car sur le plan de la doctrine, le discours n'a guère évoluée. Au contraire, il s'est cristallisé dans ses ambiguïtés et graves carences en matière de doctrine et de programme. On a toujours privilégié le « flou rassembleur », tout et son contraire, dans une approche strictement électoraliste et référendaire.

Miron disait toujours en 1987, 11 ans après la première élection du Parti québécois, que la situation, notre situation d'une langue dominée par l'autre, n'avait pas changé fondamentalement « parce que nous n'avons pas été jusqu'au bout », puisque nous végétons toujours dans un statu quo constitutionnel qui s'enlise. Miron constate que le mot aliénation (aliénation linguistique) est devenu tabou comme les mots « identité » et « indépendance ». Il paraît, constate-t-il, que le mot aliénation est chose du passé, qu'on est rendu plus loin. Réponse de Miron : allez au diable ! »

[la suite à venir]






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