L'indispensable
reconquête de l'État
LA
MONTÉE EN INDÉPENDANCE, POSSIBLE DÈS 2018
Les
errances de l'idéalisme philosophique en politique
Après
plus de cinquante ans de souverainisme, nous devrions aujourd'hui
avoir le coeur à la fête. Palper le succès de nos longs
investissements dans la cause avec satisfaction et arriver enfin au
bout de nos efforts. Hélas il n'en est rien. Bien au contraire, le
mot que les indépendantistes ont le plus souvent à la bouche depuis
vingt ans est le mot «relance», mot qui sous-entend une certaine
stagnation. En fait, l'incapacité de rebondir confine à
l'effondrement. Pour remède, on se fend donc à imaginer des
expédients pour «relancer» l'indépendance. La magie n'opérant
pas, on pourrait conclure à moindre frais que la cause ne se pose
plus du tout dans les mêmes termes. Un constat qui échappe à la
sagacité de fervents patriotes qui ne cessent de ranimer les cendres
de la stratégie passée pour y déchiffrer la formule de «la
relance», comme on lirait, avec plus d'ésotérisme, l'avenir dans
les feuilles de thé.
Dans
cette chronique, après un détour pour faire découvrir la
philosophie politique qui anime les plus ardents «référendistes»,
je plaiderai la cause de la reconquête de l'État, un objectif qui
peut unir les Québécois. Je terminerai en proposant un cadre
programmatique pour une victoire incontestable aux élections de
2018, passage obligé pour renouer avec de grandes ambitions.
Des
errances d'une philosophie politique
On
a commencé à parler timidement de l'échec du «référendisme».
En s'enhardissant dans l'analyse, ce qui est en train de se répandre,
on commence à comprendre de plus en plus qu'il s'agit de l'échec
d'une approche du tout ou rien, qu'illustre cet orgueil mal placé
qui consiste à refuser de diriger la province d'une main haute et
assurée, sous prétexte que l'indépendance serait à elle seule cet
événement révélateur, le moment quasiment mystique sans lequel
l'État du Québec ne pourrait agir de manière décisive.
L'approche
«référendiste», en fait ce qui la sous-tend sur le plan de la
conception du monde et des changements qui s'y opèrent, révèle la
prépondérance (consciente ou non) de la philosophie politique
idéaliste chez nos compatriotes et en particulier chez ceux qui ont
défini depuis longtemps l'orientation du mouvement, tels Claude
Morin, René Lévesque et Jacques Parizeau. La base du raisonnement
philosophique qui caractérise cette approche mérite d'être mieux
définie.
«En
philosophie, l'idéalisme est une doctrine qui accorde un rôle
prépondérant aux idées et pour laquelle il n'y a pas de réalité
indépendamment de la pensée. »(1)
Pour
le dire à ma façon, l'idéalisme c'est de croire que l'histoire
suivra la route qu'on lui trace parce que ma bonne idée est un
boulevard. Par conséquent, la prépondérance des idées sur la
dynamique propre aux phénomènes matériels en société
(économiques, sociologiques, de tout ordre...) (2) conduit à des
positions telles que tenait l'ancien premier ministre
Bernard Landry avec son fameux mot d'ordre des années 2000 (3) :
«Sortir, parler, convaincre». Suggérant que le manque d'efforts de
conviction expliquerait l'insuccès. C'est ce que reprend à son tour
Pierre Cloutier, qui estime que des milliers de militants sont
maintenus dans la passivité parce que le PQ ne donne pas le signal :
«quand on veut un pays, il faut avoir le courage minimal de le
mettre sur la table, le matin, le midi, le soir, la semaine et la fin
de semaine». Pour lui, deux ans d'assemblées de cuisine et de
tournées régionales devraient changer la donne. En d'autres mots,
même si l'état major ne donne aucun signe de cohésion sur le
message à passer une fois qu'on a répété les banalités d'usage,
les militants devraient sortir et convaincre.(4)
Pour
expliciter, l'idéalisme politique des «référendistes» se vérifie
par certains traits (le lecteur comprendra ici que je ne m'adresse à
personne en particulier, le «il» que j'emploie renvoie à
l'idéalisme politique) :
1-
Il néglige de faire une analyse concrète des rapports de force et
des conséquences à en tirer.
Par
exemple, de la division de la nation en plusieurs partis, de l'appui
à la souveraineté devenu anémique, etc.
2-
Il véhicule une idée fantasmée de l'indépendance, un nouvel
Eldorado, détachée, privée de rapport dynamique avec les
obligations actuelles de l'État.
3-
Il néglige de prendre en compte le caractère relatif et limitatif
de l'indépendance des pays, ce qui est particulièrement vrai pour
le Québec.
4-
Il se paie de mots ou abuse des mots, tel «indépendance»
Car,
ce qui est évoqué pour le Québec au final, est un pouvoir
politique limité, qui commence par la reconduction des
responsabilités provinciales actuelles, augmentées de pouvoirs en
matière socio-culturelle, de langue et d'immigration et d'une plus
grande autonomie économique. Parlons-nous toujours d'une
indépendance sans armée? sans monnaie et sans banque centrale? Sans
frontières avec le Canada? Or, dans ce cas, une souveraineté
limitée ne peut donner des relations extérieures indépendantes.
Est-ce que le siège à l'ONU serait un siège de complaisance avec
des positions calquées sur celles du Canada? D'ailleurs, pourquoi
insister? Le Québec n'a jamais vraiment revendiqué sa propre
politique internationale? Est-ce à dire, on jase, que le Québec
récolterait tous ses impôts mais que ceux-ci seraient en partie
retournés à Ottawa pour qu'il administre les responsabilités qui
lui seraient laissées, de toute évidence nombreuses, pour tout ce
qui est de l'avenir post-indépendance immédiat et prévisible?
C'est
donc dire que le Québec indépendant, esquissé dans
l'historiographie souverainiste, qui varie il est vrai, aura d'autres
responsabilités mais le noyau dur de la souveraineté continuerait
de lui échapper.
Donc,
même après une indépendance durement négociée en notre faveur,
devenue de
jure,
ne serions-nous pas encore un peu dans la petite politique
provinciale, soit dans la continuité de l'insuffisance
d'indépendance?
5-
Il dévalue l'État provincial et son potentiel, refusant de concéder
que sa montée en puissance et en effectivité permettrait de
construire l'assise d'une plus grande indépendance, jusqu'au statut
d'État indépendant. Autrement dit, il néglige l'intérêt qu'il y
a à accroître indépendance de
facto,
pour ne donner d'importance qu'à l'indépendance de
jure.
Faire
la fine bouche sur cette question est véritablement de l'idéalisme
de haut vol. Le «grand bond en avant» se produirait donc
subitement, spontanément. On sait très bien que les responsabilités
de l'État sont de tout temps. Refuser d'y faire face rejoint la
perspective même de l'anarchisme. On verra plus loin que l'État se
trouverait pour une part devant les mêmes défis, même si
l'indépendance se produisait demain matin.
De
nouveau sur l'analyse de la situation
À
l'idéalisme philosophique du courant «référendiste», j'oppose le
pragmatisme politique. (5) L'État
du Québec est notre instrument collectif pour l'émancipation. Il
s'avère que pour la première fois de son histoire moderne il est
investi par des forces ouvertement anti-patriotiques, pires que tous
les gouvernements québécois antérieurs qui, même velléitaires
adhéraient au nationalisme traditionnel. Marcel Haché a raison
quand il affirme que le Parti libéral a été intégré par le Parti
Égalité et non l'inverse. On tarde à en prendre acte, même si le
parti libéral d'aujourd'hui se situe à des années lumières de
celui de Robert Bourassa ou de Jean Lesage.
La
question que je pose à mes amis indépendantistes est de savoir
comment, alors que nos propres forces sont affaiblies par deux échecs
successifs qui nous ont beaucoup couté, que les forces patriotiques
sont divisées plus que jamais et que notre État est entre les mains
des ennemis de la nation, que ces derniers y ont placé partout leurs
agents, qu'ils s'y sont incrustés depuis des années, de sorte que
l'État du Québec serait un véritable champ de mines pour un
prochain gouvernement plus patriotique, comment peut-on dans ce
contexte en arriver à croire que la situation commande aujourd'hui
de nous lancer dans une troisième aventure référendaire, dans une
élection décisionnelle ou dans une constituante alors que nous ne
disposons d'aucune base pour s'y lancer ? Suffirait-il de répéter
le mantra assez souvent pour que la réalité daigne s'y conformer?
Selon
moi, la situation commande la reconquête de notre État. C'est
indispensable du fait que cette reconquête porte la possibilité de
constituer un dénominateur acceptable pour l'ensemble des forces
nationalistes. Donc, un objectif rassembleur à partir duquel peut
être reconstitué l'unité nationale. Dispersés au sein de
plusieurs partis, la reconnaissance mutuelle de la relance de l'État
donnerait la chance de former un consensus national nouveau, ayant le
potentiel d'aller au-delà du fédéralisme. Mais d'abord, l'idée de
ne plus jamais laisser passer l'État du Québec aux mains des
libéraux est centrale.
La
prise en charge ferme et assurée de l'État comme processus
constitutif de l'indépendance.
Il
nous presse de comprendre que la puissance de l'État provincial sert
à préparer l'indépendance et ne s'y oppose pas. De comprendre que
des petites victoires, ces changements quantitatifs, représentent la
meilleure chance de produire des changements qualitatifs plus tard,
comme le changement de statut politique. Il s'agit de mettre en
marche dès l'élection notre indépendance dans les domaines de
notre compétence, réaffirmer la puissance de l'État à l'encontre
des petites féodalités trop longtemps tolérées.
Dans
un esprit rassembleur, il importe de choisir des dossiers reconnus
d'intérêt universels pour en faire un programme en quelques points
et d'éviter impérativement le piège des causes minoritaires ou
communautaires à la mode qui braquent les uns contre les autres :
féminisme, laïcité, lgbt, constituante, constitution, référendum,
etc. En 2018, pour gagner, il ne s'agira pas de faire de la pédagogie
politique au profit de sensibilités particulières ou minoritaires,
mais de prêcher à des oreilles réceptives ce qu'elles veulent
entendre, et il y matière. Soit de dire à six millions d'honnêtes
gens ce qu'ils n'ont pas entendu depuis longtemps, ce que nous
voulons tous entendre. Et d'y aller férocement avec tout ce qui sert
le bien public le plus large. Voici neuf points (parmi d'autres)
qu'il faudrait certes reformuler en «langage électoral» et ramener
éventuellement à trois ou cinq points centraux tout au plus.
- Agir en santé, quitte à déplaire aux médecins et aux médecins spécialistes, ce qu'aucun gouvernement n'a voulu faire (le gouvernement du Québec indépendant le ferait-il? C'est le même problème!) pour en finir avec l'attente aux urgences et rendre accessibles pour tous les soins de santé. Impérativement, ne pas choisir un médecin à la tête de ce ministère, nommer une infirmière-chef familière avec les urgences.
- Assainir et donner les coudées franches à la direction des poursuites pénales, enrayer la criminalité d'État et la corruption.
- Mettre derrière les barreaux les criminels identifiés par la Commission Charbonneau et les autres enquêtes policières qui présentement n'aboutissent pas. (Le même problème avec les mêmes hésitations si le Québec était indépendant demain matin... idem pour la suite.)
- Modifier les politiques d'Hydro-Québec, une autre féodalité dans l'État, pour que notre électricité serve pour une part de levier au développement économique, notamment par l'accroissement de notre indépendance dans les transports et en alimentation (production serricole) et autres domaines.
- Caisse de dépôt et de placement. Modérer son inclusion dans le marché financier pour l'obliger à se doter d'un volet de ré-investissement national, visant l'accroissement du PIB et le soutien à la PME, segment d'activité le plus créateur d'emplois.
- En éducation, rétablir l'enseignement de l'histoire nationale. Redresser partout la qualité de l'enseignement du français.
- Revalorisation de la langue française par des mesures particulières dans tous les secteurs, ré-investir dans l'Office de la langue française. Utiliser au besoin, sur un sujet aussi existentiel que celui-là la clause dérogatoire (6), recours qui, à lui seul, symboliserait fortement la volonté d'indépendance.
- Intégration des immigrants. Interventions par l'intermédiaire d'agents appartenant aux communautés immigrantes pour relayer des messages qui imposent l'idée de l'importance de l'État québécois, son histoire, sa langue, sa culture religieuse, etc.
- Immigration. Réduire à des seuils qui permettent de garantir une intégration harmonieuse. Choisir les immigrants non seulement en fonction de critères linguistiques mais en fonction de critères culturels de compatibilité avec les valeurs de l'intégration plutôt que celles du multiculturalisme.
Pourquoi
cela ne s'est-il pas fait avant?
Les
raisons sont faciles à comprendre, des gouvernements aux ambitions
modérés par les fantasmes référendaires et des gouvernements
minoritaires ou formés de majorités peu convaincantes. Ces deux
causes expliquent en partie la panne de notre État. D'où
l'importance que le prochain gouvernement du Québec soit élu avec
une forte majorité.
Est-ce
la garantie qu'un programme de redressement vigoureux de l'État sera
mis en œuvre? Je n'en sais rien et, en réalité on ne peut rien
garantir. En fait, nous savons tous que pour différentes raisons le
courage des élus n'a guère impressionné dans le passé. Suffit de
mentionner l'affaire Michaud ou les reculs successifs de Lucien
Bouchard. Les candidats, nouveaux élus, seront-ils mieux formés,
plus entreprenants, plus audacieux, mieux dirigés? Seront-ils
capables de garder le cap et de résister aux fortes pressions de
l'oligarchie mondialiste des Bilderberg et autres puissants lobbies?
La question reste entièrement ouverte. À cette question, je réponds
donc par une autre : avons-nous le choix de ne pas essayer?
Les
petits gouvernements «provincialistes» sans envergure ont été
jusqu'ici la norme. Ils ne sont toutefois pas une fatalité. Quand il
y a eu des exceptions, tels les gouvernements de 1954 à 1965, pour
ce qui est de la fiscalité, et ceux de 1960 à 1980, pour ce qui est
de la fierté nationale, le Québec a progressé. Et c'est à ces
occasions que l'indépendance à connu ses moments les plus
enthousiasmants.
Selon
moi, il n'y a pas d'autre voie. C'est la reconquête de l'État,
réalisée avec l'appui massif de la population qui redonnera le goût
aux Québécois d'aller plus loin. Quand nous aurons obtenus des
gains, l'État québécois aura gagné en puissance et en prestige. À
partir de là, il serait trop facile de dire que la suite se devine
aisément, non pas. Ce dont il faut d'abord s'assurer c'est que les
ressorts de la nation ne soient pas irrémédiablement brisés.
1-
http://www.toupie.org/Dictionnaire/Idealisme.htm
2-
Ce que le philosophe allemand Hegel développa avec le concept de
l'analyse dialectique, reprise ensuite, notamment par Marx et
d'autres en philosophie politique, qui firent du caractère matériel
prépondérant des choses et des phénomènes la base de la
dialectique, qui s'impose toujours aujourd'hui comme un formidable
outil d'analyse, principalement dans la variante du matérialisme
historique.
3-
http://vigile.net/archives/01-3/verrier-landry.html
4-
En
comparaison, la gouvernance souverainiste de Pauline Marois, était
potentiellement beaucoup plus dangereuse. Dans ce cas, ce n'est pas
la formule qui fâche mais le fait qu'elle soit restée creuse.
Deuxièmement, même avec un contenu clair, on peut se questionner à
bon droit sur l'effectivité, le mot n'est pas choisi au hasard,
qu'aurait pu prendre la gouvernance souverainiste compte tenu du
statut minoritaire de ce gouvernement.
5-
http://www.toupie.org/Dictionnaire/Pragmatisme.htm
6-
Daniel Turp en faveur de l'utilisation de la clause dérogatoire.