Pour une nation sans son chaperon !
On n'a pas fini de compter ce que nous a coûté l'abandon de notre identité. Pour en arriver là, il fallait d'abord lui
faire un procès pour mettre en doute sa dignité. Si bien qu'aujourd'hui, se réclamer Canadien-Français est vu par plusieurs comme un retard d'évolution.
Du dénigrement du passé
Le fond de l'affaire est une question de droit. Le droit de vote des habitants d'un territoire pluri-national l'emporte-t-il sur le droit d'un peuple à disposer de lui-même ? Le droit de vote universel supplante-t-il le droit d'une nation à exister et à pérenniser son existence ? L'exaltation totalitaire des droits individuels au Canada, et leur expression sur un territoire formé par un décret colonial, le Québec, peuvent-ils nier un droit collectif ? Que la question soit traitée sous l'angle du droit naturel classique ou sous l'angle d'un droit anglais judaïsé, cela pourrait faire toute la différence. Néanmoins, comment se fait-il que les gouvernements successifs du Parti québécois n'ont jamais tenté de clarifier cette question ? Établir la part des deux droits, sachant que la minorité de blocage détient des privilèges issus d'une conquête ? Tout simplement parce que les gouvernements du Parti québécois n'ont jamais été ceux de la nation canadienne-française, mais les gouvernements de tous les Québécois,(2) dans le sens canadian.
Poursuivons. Nos marxistes de Québec solidaire pourraient-ils nous expliquer pourquoi une constituante ne devrait pas être précédée d'états généraux au sein de chaque nation ? On peut penser qu'ils accorderaient ce droit aux 11 Premières Nations. Mais à nous ? Il nous faudrait rétro-pédaler parce que nous avons renoncé à notre identité socio-historique de Canadiens-Français. Ce qui n'était pas encore le cas en 1967-1969, à l'occasion des états-généraux du Canada français : la dernière grande consultation intra-nationale. Ce qui faisait la preuve que la nation pouvait agir sans son chaperon ! Le pourrait-elle encore ?
En France comme au Québec (et ailleurs), les élites politiques et intellectuelles se sont rangées du coté du droit anglais, qu'ils laissent façonner leur vision du monde.(3) La pensée nationaliste québécoise en est perclus. Depuis Martin Luther, les Anglais se sont éloignés des perfectionnements du droit romain qui se trouvent dans le droit international coutumier et le droit continental. Les anglo-saxons protestants se sont rapprochés du droit judaïque, qui tend à faire du pouvoir et de la volonté les seuls critères du droit. La loi constitutionnelle de 1982 en est une preuve. Suivant la même logique, une conquête violente devient un acte créateur de droits consacrés. Dans ce cadre menaçant, laisser aller notre identité historique, qui est passée de la Nouvelle-France pour survivre à la conquête, c'est franchir une étape vers notre indistinction et notre dépossession définitive.
On n'a pas fini de compter ce que nous a coûté l'abandon de notre identité. Pour en arriver là, il fallait d'abord lui
faire un procès pour mettre en doute sa dignité. Si bien qu'aujourd'hui, se réclamer Canadien-Français est vu par plusieurs comme un retard d'évolution.
Du dénigrement du passé
Au
début des années 1960, la façon de poser la
question nationale se heurtait à une volonté nouvelle
d'affirmation. Une réforme justifiée, réclamée par la jeunesse,
n'obligeait pourtant en rien de faire table rase du passé. Or, un
mauvais sort semble s'acharner sur les petites nations pour les
renvoyer à la case départ. La promesse de lendemains qui chantent
déconstruisit un conservatisme social fait de mœurs et
d'institutions particulières, qui avaient assuré la cohésion des
Canadiens-Français. C'était la nation telle qu'elle était. Et elle
avait sa dignité.
Les
traits de civilisation, propres à la vie nationale, ne furent pas
réformés. Pour simplifier un peu, ils furent en grande partie discrédités pour être
remplacées par des valeurs libérales-libertaires, plus compatibles
avec la société de consommation, vendues sous la représentation
plus alléchante du rattrapage, de l'ouverture au monde et de la
révolution tranquille. Depuis, des pleureuses, miraculeusement réchappées
de la « grande noirceur », n'en finissent plus de ré-écrire leur
enfance à l'eau bénite.
… à
changement d'identité
La
Chine, les États-Unis, la France, l'Angleterre ne changeraient pas
leur identité. C'est dans le petit club des nations à l'avenir mal
assuré qu'on prend le risque de jouer avec le feu. Ces jours-ci,
la Macédoine,
soumise à des impératifs de la guerre hybride, dans laquelle elle
n'est qu'un pion, a du se soumettre à un référendum, fort peu
couru d'ailleurs, pour changer de nom. Le Congo, devenu Zaïre,
est redevenu Congo. Le Ceylan est devenu le Sri Lanka et la nation
canadienne-française s'est noyée dans la fiction d'une nation
québécoise.
Le
Québec ne manque pas de sociologues. Il faut pourtant s'étonner
qu'à ma connaissance, aucune étude n'ait encore été produite pour détailler un
phénomène qui n'est tout de même pas anodin : le passage, en
quelques années, d'une identité née dans la Nouvelle-France à une
autre, née de la conquête. Beaucoup ignorent que la nouvelle
identité québécoise prend sa source dans une honorable décision
de la Couronne britannique de 1763, destinée à brouiller notre
identité canadienne (Nous), en instituant The
Province of Quebec.
Finalement, sommes-nous des
Québécois ou des Canadiens-Français ?
Les
graves conséquences du changement d'identité
En
attendant que les sociologues se mettent au travail, faute d'en
savoir davantage sur les forces qui ont travaillé à ce changement
brutal, on peut néanmoins tenter d'en évaluer les conséquences les
plus importantes.
Je
le dirai simplement, la différence entre Canadien-français et
Québécois est la différence entre une identité nationale et une
identité pluri-nationale confuse. Je ne m'attarderai pas à
démontrer le caractère national canadien-français car sa nature
ethnique, mieux exprimée quand on la qualifie de sociologique,
historique, culturelle, sont des critères généralement retenus
pour définir l'existence d'une nation. Cette définition est commune
au sein d'une tradition européenne bien établie. L'idée de base
est assez semblable chez Jean-Thomas
Delos, Esdras
Minville et Ernest Renan. Et, on peut même étendre
la similitude sur l'idée de nation, croyez-le ou non, jusqu'à Joseph
Staline.(1) Pour ce dernier, que je cite : « la
nation est une communauté humaine stable qui s'est constituée
historiquement, née sur la base de la communauté de quatre
caractères fondamentaux, à savoir : sur la base de la communauté
de langue, de la communauté de territoire, de la communauté de vie
économique et de la communauté de conformation psychique,
manifestée par la communauté des propriétés spécifiques de la
culture nationale. »
Je
ne cite pas Staline sans motif. Pour le coup, il permet de
relier la droite et la gauche sur l'idée de nation. Mais ce que je veux surtout mettre en évidence, c'est la distance prise par la gauche québécoise
d'aujourd'hui vis-à-vis de l'idée de la nation telle que défendue par le
marxisme. Au fil des années, la gauche s'est rangée massivement du coté de l'idée anglo-saxonne de la nation, pour
qui l'État fait la nation. Rappelons donc à Québec solidaire –
et au PQ, tant qu'à y être – que la conception organique de la
nation ne peut être réduite à une « droite identitaire et passéiste »,
puisque cette conception se trouve également bien ancrée à gauche,
notamment dans la tradition marxiste.
Que ne ferait-on pas pour ne pas être Canadien-français ?
Avez-vous remarqué que les failles de l'identité d'emprunt qu'est
l'identité québécoise ne cessent d'apparaître ? Le discours
politico-médiatique doit sans cesse pallier à son imprécision. En
effet, pour ne pas dire canadien-français, ce qui serait mal vu, on
contournera la difficulté que pose la pluralité de l'identité
Québécoise par la pirouette du « Québécois francophone ». Mais
qui est-il celui-là ? Est-il autre chose qu'un Canadien-français
qui n'a plus que sa langue ? On serait bien tenté de répondre par
l'affirmative. En tout cas, il ne fait pas de doute qu'une identité
plus riche et surtout plus claire s'est effacée au profit d'un dénominateur
commun plus conforme aux valeurs canadian : la québécitude. Faut-il rappeler que le Canada ne reconnaît pas sa nation fondatrice
? Que dire ! Officiellement, il ne reconnaît aucune nation, seuls des
« francophones » et des « anglophones » y sont reconnus. D'un océan à l'autre.
L'affaire
est donc loin d'être anecdotique. Au Québec, la loi qu'on estime pouvoir servir de noyau à la future constitution québécoise, nous dit-on, encode pourtant le flou identitaire. Pour une part, on tiendra à distance la diaspora québécoise. Surtout, on insistera pour exprimer l'absence de toute sympathie à son égard. Ne faut-il pas la tenir pour moribonde depuis cinquante ans bien comptés ? Pas d'alliance possible avec ces sépulcres blanchis dans la contestation du Canada. Mais, en revanche, on aura aucun problème à se croire une nation avec nos potes anglo-saxons qui profitent encore aujourd'hui, sur notre propre territoire, des avantages de la conquête. Pour avoir perdu la capacité de nous situer et de nous nommer correctement, c'est l'esprit de la constitution
canadienne qui l'emporte. C'est effectivement cet esprit qui ressort dans la fameuse Loi
99, néanmoins applaudie par la plupart de nos bons québécois.
Pour
aller à l'essentiel, la Loi 99 est une embrouille. Elle ne parle pas
du monde réel quand elle manque à reconnaître l'existence de deux
nations principales au Québec, deux nations en perpétuelle concurrence
sur son territoire. Dans les considérants de la loi, la nation
canadienne-française y est réduite, dans ce charme qui plaît tant
au Canada, à une « majorité francophone ».L'expression renvoie à des individus, elle ne dit rien de l'existence d'une communauté nationale. La formule est donc conforme à l'esprit de la loi canadienne sur les langues officielles (1969), qui ne fait pas de la langue un trait national mais un choix personnel ! Quant à la nation canadienne-anglaise, dont le berceau est
le Québec, mais qui s'estime inséparablement liée au Canada, elle
est définie par l'euphémisme hilarant de « communauté aux
droits consacrés ». Mais, s'interrogera le curieux, droits
consacrés où, quand et comment ? Peut-être par les canons de 1759 ! Et finalement, surprise, la Loi 99 apparaît maintenant
débarrassée de toute réserve antérieure quand elle reconnaît
explicitement, au sein du peuple québécois, un total de onze
nations ethniques autochtones. Rien que ça ! Mais la nation canadienne-française, elle, attend encore d'être reconnue par The province of Quebec.
Inutile d'aller plus loin, le
portrait des nations au Québec ressort très déformé avec cette
loi, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est le résultat de la prépondérance des concepts anglos de la nation et de
l'État. Avec cette loi, l'État s'est attribué le pouvoir de finasser
sur l'existence des nations pour aboutir à une création nouvelle, sous les
auspices d'un juridisme qui, apparemment, peut tout faire. On est loin
de la conception organique des nations et du rôle de
l'État. L'État devrait d'abord reconnaître l'existence des nations internes telles qu'elles sont, garantir leur égalité
de droits pour, éventuellement, gérer un ré-équilibrage échelonnée dans le temps en faveur
des nations qui ont subi et qui continuent de subir des préjudices.
Or, dans le Loi 99, l'État du Québec ne joue en rien ce rôle. Il
s'affirme plutôt comme l'État d'une province du Canada,
dont le rôle consiste à perpétuer les privilèges issus de la
conquête au profit d'une « communauté aux droits consacrés. »
L'État du Québec se révèle donc, dans ce qui est sa tentative la
plus achevée de légiférer sur ses propres prérogatives et celles du peuple
québécois, un défenseur du statu quo tout à fait incapable de définir correctement les
acteurs du national.
Mais
revenons sur ce que nous a coûté la mise au rancart de notre
identité. L'échec référendaire en est peut-être la pire
conséquence. Par
deux fois, on a voulu que les descendants des vaincus et les
descendants des vainqueurs se prononcent
ensemble – comme
s'ils formaient une seule et même nation ! – sur l'avenir
politique des premiers. Cette apparente générosité politique
étalait l'absolue confusion des esprits entre deux droits,
qu'il était pourtant crucial de bien ordonner. Or, la fiction d'une
« nation québécoise » l'empêcha. Et, faute de clarification, la
confusion conduisit à faire du principe
démocratique le
fossoyeur du droit
sacré d'un peuple à disposer de lui-même.
Le totalitarisme des droits individuels, le « péché mignon » du Canada
Étendre
le droit de vote à la nation dominante, quand il s'agit de se
prononcer sur le sort de la nation qui veut en finir avec les
survivances de la conquête et du colonialisme, recourir pour le
justifier au principe de l'universalité du droit de vote, c'était
céder au totalitarisme des droits individuels – le péché mignon
du Canada – pour perpétuer les inégalités collectives, en
l'occurrence les inégalités nationales. C'est une belle hypocrisie
de croire que le vote en bloc de la nation canadienne-anglaise n'était pas une
grossière interférence dans le droit d'un peuple à disposer de
lui-même.
Qu'un
tel égarement se soit produit
à deux reprises souligne l'état d'indigence politique d'une nation
qui a perdu ses repères. Une nation canadienne-française sûre de
son identité ne l'aurait pas permis. On peut imaginer d'autres scénarios à la Duplessis, laissé voter les anglos, pour ensuite revendiquer la victoire, refusant leur blocage ou veto de minorité coloniale. Parizeau aurait pu le faire, mais il ne l'a pas fait. Dans une telle éventualité canadienne-française, Duplessis se serait trouvé, par la vertu d'un hasard
improbable, en parfait accord avec Lénine sur
le sujet. Ce dernier avait clairement pris parti pour le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes. C'est ce droit qui est le grand perdant des deux référendums. Voilà qui interpelle de nouveau la gauche d'aujourd'hui.
Le fond de l'affaire est une question de droit. Le droit de vote des habitants d'un territoire pluri-national l'emporte-t-il sur le droit d'un peuple à disposer de lui-même ? Le droit de vote universel supplante-t-il le droit d'une nation à exister et à pérenniser son existence ? L'exaltation totalitaire des droits individuels au Canada, et leur expression sur un territoire formé par un décret colonial, le Québec, peuvent-ils nier un droit collectif ? Que la question soit traitée sous l'angle du droit naturel classique ou sous l'angle d'un droit anglais judaïsé, cela pourrait faire toute la différence. Néanmoins, comment se fait-il que les gouvernements successifs du Parti québécois n'ont jamais tenté de clarifier cette question ? Établir la part des deux droits, sachant que la minorité de blocage détient des privilèges issus d'une conquête ? Tout simplement parce que les gouvernements du Parti québécois n'ont jamais été ceux de la nation canadienne-française, mais les gouvernements de tous les Québécois,(2) dans le sens canadian.
Poursuivons. Nos marxistes de Québec solidaire pourraient-ils nous expliquer pourquoi une constituante ne devrait pas être précédée d'états généraux au sein de chaque nation ? On peut penser qu'ils accorderaient ce droit aux 11 Premières Nations. Mais à nous ? Il nous faudrait rétro-pédaler parce que nous avons renoncé à notre identité socio-historique de Canadiens-Français. Ce qui n'était pas encore le cas en 1967-1969, à l'occasion des états-généraux du Canada français : la dernière grande consultation intra-nationale. Ce qui faisait la preuve que la nation pouvait agir sans son chaperon ! Le pourrait-elle encore ?
Au
lieu de renforcer nos repères identitaires, par
exemple nous rattacher plus étroitement à la Nouvelle-France, période la plus
remarquable de notre histoire, la révolution
tranquille les a affaiblis. Elle a contribué à
octroyer le plus naïvement du monde un véritable droit de
veto sur
notre avenir politique et sur notre existence même, à une minorité de
blocage. Un non sens ! Une absurdité ! Une minorité statistique de
blocage, certes, – il est temps de s'ouvrir les yeux là-dessus –
mais qui n'a rien d'une minorité sociologique. De cette distinction
capitale, on n'a pas voulu tenir compte. Voilà où nous a mené
l'identité québécoise !
En France comme au Québec (et ailleurs), les élites politiques et intellectuelles se sont rangées du coté du droit anglais, qu'ils laissent façonner leur vision du monde.(3) La pensée nationaliste québécoise en est perclus. Depuis Martin Luther, les Anglais se sont éloignés des perfectionnements du droit romain qui se trouvent dans le droit international coutumier et le droit continental. Les anglo-saxons protestants se sont rapprochés du droit judaïque, qui tend à faire du pouvoir et de la volonté les seuls critères du droit. La loi constitutionnelle de 1982 en est une preuve. Suivant la même logique, une conquête violente devient un acte créateur de droits consacrés. Dans ce cadre menaçant, laisser aller notre identité historique, qui est passée de la Nouvelle-France pour survivre à la conquête, c'est franchir une étape vers notre indistinction et notre dépossession définitive.
******
1.
Pour ceux qui ne comprendraient pas, citer Staline n'est pas porter
un jugement sur l'ensemble de l'oeuvre. Lénine idem. Ceux que ça
intéresse peuvent se rendre ici.
2.
« … le
Québec de "tous les Québécois" indifférenciés n'est
pas un vrai peuple, mais une partie de ce peuple canadien qui tient
la nation canadienne-française en sujétion. » F-A
Angers
3. La dernière partie de ce texte substantiel de Valérie Bugault traite justement de la menace de l'extension du droit anglais sur le droit continental. http://lesakerfrancophone.fr/la-presence-dune-banque-centrale-est-elle-compatible-avec-la-souverainete-etatique
3. La dernière partie de ce texte substantiel de Valérie Bugault traite justement de la menace de l'extension du droit anglais sur le droit continental. http://lesakerfrancophone.fr/la-presence-dune-banque-centrale-est-elle-compatible-avec-la-souverainete-etatique
Aucun commentaire:
Publier un commentaire