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mercredi 10 octobre 2018

En 1980, François-Albert Angers plaide les exigences du national avec une rare clarté

Dans un article phare de l'Action nationale (octobre 1980), François-Albert Angers plaide les exigences du national avec une rare clarté. Il s'emploie à défendre notamment trois idées clés :  

François-Albert Angers avait-il tout compris dès 1980 ?

L'ancien rédacteur de l'Action nationale pendant plusieurs années et président de la Société Saint-Jean-Baptiste, etc. qualifié par facilité de représentant du ¨nationalisme traditionnel" (donc à rejeter ???) devrait être pourtant plus correctement qualifié de représentant du nationalisme anti-libéral. L'anti-libéralisme étant la seule base de relance du combat national.
1-Nous sommes la nation historique qui a fondé le Canada 

2-L'indépendance ne relève pas du principe démocratique mais du droit des nations. Par conséquent, seuls les membres de la nation concernée ont le droit de décider de leur destin. 
3-Et je le cite: « Ce qui est indéniable, c'est que dans notre situation historique, il est plus facile de faire passer et accepter notre cause en nous définissant comme Canadiens-Français plutôt que comme Québécois. »

Pour sa pertinence inaltérée après 38 ans, et pour bien mesurer toute la profondeur de la dérive péquiste (et ceux qui la prolongent, comme, entre autres, Québec solidaire), je reproduis ici la plus large partie de l'article. Les soulignements en jaune sont de moi.

*   *   * 
Contexte de l'article : Congrès de 1974, cinquième du PQ, marque le passage (sous influence d'une infiltration fédérale), du principe du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" au principe des "droits démocratiques¨. Un brouillage dans la hiérarchie des droits, un renversement d'orientation, sous l'influence de Claude Morin, qui nous sera funeste.  

NOTRE RÉFÉRENDUM - Partie Il 
[intégral avec surlignements]

Les dangers d'une opération référendaire mal engagée et mal conduite 

par François-Albert Angers

Mais, disais-je à la fin du précédent article, il y a plus grave encore, dans l'opération référendaire, que les erreurs qui peuvent en expliquer l'échec relatif, considéré ici uniquement dans la perspective du 49 à 51% seulement de Québécois francophones ayant dit "oui". Le plus grave, c'est qu'en cours de route, depuis la fondation du RIN jusqu'à l'opération référendaire du gouvernement issu du parti Québécois, la cause fondamentale du Québec indépendant a changé de sens. Et à un point tel, à travers les divers épisodes référendaires, que la légitimité même de la cause québécoise se trouve compromise. Mais de cela le parti Québécois, comme le gouvernement Lévesque, ne sont pas seuls responsables, même si on ne peut pas exonérer trop facilement ce dernier d'avoir développé des complexes qui n'allaient pas de soi et, qui ont tendu à desservir, sinon à trahir même la véritable cause québécoise. 

La cause est québécoise parce qu'il s'agit d'un territoire ayant nom, le Québec, qui réclame son indépendance. Mais il reste qu'une des principales raisons de la confusion où nous sommes tombés vient de ce que la nouvelle génération des néo-nationalistes indépendantistes des années 1960 a voulu rompre avec l'histoire qui avait fait de nous, d'abord les seuls vrais Canadiens et fondateurs du Canada, à quoi s'était ajoutée la distinction de "Canadiens-Français", quand les Anglais vivant au Canada ont voulu se dire aussi des "Canadians". Dans un sursaut de fierté anti-colonialiste mal dirigée, on a voulu mettre à l'index jusqu'au nom "Canadien", pour ne plus être que des "Québécois". Cela a correspondu d'ailleurs avec un processus général de répudiation des valeurs que véhiculait notre histoire nationale, de construction d'un nouveau nationalisme proprement québécois qui n'aurait rien de commun avec l'ancien, dont on voulait totalement se dissocier. 

Certes dans l'esprit de ceux qui ont initié cette évolution des termes, cela ne changeait rien que de faire disparaître l'idée fédéraliste exécrée que charriait le mot "canadien"; et aussi la connotation "français et catholique" qui avait défini jusque-là la civilisation propre des "Anciens Canadiens" ou Canadiens-Français". Mais ils n'ont pas assez tenu compte que l'expression "Québécois", elle, n'avait pas d'histoire et que tout le monde, ne la comprenant pas ou se refusant même à la comprendre comme eux, allait nous engager dans une lutte de signification de ce qu'est un Québécois. Tant que nous nous disions Canadiens-Français, personne d'autres que nous ne pouvait s'identifier à notre histoire, à nos droits, sans accepter de s'identifier à nous, tels tant de Canadiens-Français qui portent effectivement des noms anglais, irlandais ou écossais. 

Dès que nous nous sommes dits Québécois s'est amorcée la prétention de beaucoup d'autres d'être Québécois autant que nous. Nous venions de leur offrir la chance de nous voler non seulement notre nom, mais notre pays même du Québec. Et notre gouvernement issu de la pensée indépendantiste a donné une sorte de sanction légale à ces prétentions en établissant le droit de vote au référendum de l'auto-détermination sur la citoyenneté canadienne et la résidence au Québec, et non pas sur l'appartenance nationale qui fonde ce droit. Le prétexte? Il lui fallait se comporter ainsi pour agir en bon démocrate et en esprit dépourvu de tout préjugé raciste. Le sort d'une nation, de notre nation, a été ainsi remis aux mains d'une proportion importante de Québécois qui n'en font pas partie. De Québécois qui sont probablement moins vraiment Québécois que n'étaient d'authentiques Canadiens, des citoyens de naissance d'origine ethnique japonaise que le gouvernement libéral ne s'est pas gêné de dépouiller de leur droit de vote et même de leurs biens et de leur droit de résidence en Colombie Britannique quand il s'est agi de décider la politique du Canada pendant la dernière guerre. 

Dans cette nouvelle perspective, le caractère français du Québec n'est plus qu'une question de majorité actuelle, non plus une question de droits nationaux fondamentaux, historiques, donnant droit de réclamer la latitude d'aménager le territoire en nation française de langue et de civilisation. La nouvelle situation présuppose que les autres groupes ne se distinguent de nous que par le nombre, et constituent des communautés aussi valides que la nôtre et dont nous devons, comme majorité, respecter les particularités en renonçant aux efforts d'intégration et d'assimilation, exactement comme nous avons fait; mais nous de plein droit dans l'intérieur du Canada comme minorité. Voilà à quoi nous sommes en train de nous laisser acculer.

Voilà ce que commence déjà à signifier la façon dont nous avons accepté de conduire ou de laisser conduire l'opération référendaire. Autrement dit, la nation qui est à l'origine de toute cette action pour un Québec indépendant est en train de se laisser dessaisir de la propriété du Québec qu'elle réclamait en affirmant son droit à l'autodétermination. Elle admet la règle que la minorité "étrangère", coalisée avec une minorité des membres de la nation, puisse décider de l'avenir politique de celle-ci et de son orientation culturelle. Actuellement "française et pluraliste" dit-on, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une autre majorité s'estime justifiée de la déclarer autre selon l'état de majorité ou de minorité des groupes qui fondent le pluralisme. 

Michel Brunet avait trouvé la vraie formule, celle qui a de la substance, quand il refusait de traduire les termes et distinguait au Canada deux nations: les "Canadiens" formant une nation sociologiquement bien caractérisée mais privée de son État, et les "Canadians", nouvelle nation en formation à l'intérieur du territoire enlevé à la France et tentant de nous éliminer par émigration, assimilation ou minorisation à l'état d'insignifiance par noyade dans un flot d'immigrants. C'était reconnaître le fait, qui ne pourra jamais être changé, que nous sommes et avons été les seuls Canadiens, on peut dire au moins jusqu'à la guerre de 1914. Même cette distinction sémantique que nous nous sommes laissé imposer, sur la différence de sens du mot "nation" en anglais et en français, est en bonne partie de la foutaise que nos trop grands soucis de bonne entente nous ont fait gaver pour nous faire accepter comme normal que les Anglo-Canadiens ne nous considèrent pas "as a nation". Séraphin Marion montrait, dans Le Devoir du 9 ou 10 juillet .1980, que tous les auteurs anglais d'avant 1850 parlaient de nous comme étant "la nation canadienne". 
Et je répète encore une fois que Lord Durham, dans sa formule célèbre parle de "two nations at war in the same State". 

L'addition du mot "français" à Canadien est devenue nécessaire parce que des Anglais ont voulu à un moment donné se considérer comme "Canadians" et que nous avons voulu bien préciser notre différence en cas de traduction. Canadiens-Anglais et Canadiens-Français expriment donc bien ce que nous sommes respectivement comme nations, et non les termes Québécois, Ontariens ou Albertains, etc. Et nous aurions dû garder, comme Benjamin Suite, l'écriture "Canadien-Français", plutôt que le "Canadien français" imposé par l'autorité littéraire d'Olivar Asselin. La seconde ne distingue pas une nation canadienne-française, mais une nation canadienne comprenant comme qualificatif, et non comme substantif, des gens d'expression française. L'autre est le nom composé d'un peuple d'origine française qui a fondé le Canada et s'y est développé en formant une nouvelle nation.

Il faut mettre de côté, à ce sujet, les objections superficielles comme celles qui veulent que nous ne puissions plus au Québec indépendantiste, au Québec qui veut se séparer du Canada, employer l'expression Canadiens-Français à cause de ceux des autres provinces. Il est bien évident que les Canadiens-Français des autres provinces continuent d'appartenir à la nation, comme restent Français tous les Français hors de France qui maintiennent leur attachement à leur patrie d'origine. Cela ne veut pas dire qu'en continuant de nous appeler Canadiens-Français nous étions obligés de faire participer à nos décisions du Québec ceux qui ont quitté celui-ci, pas plus que les Français hors de France ne participent aux décisions de la France. C'est là une autre histoire, qui se définit dans les lois et les règles selon lesquelles se détermine le droit de vote à l'intérieur d'un territoire. 

Non moins superficiel, l'argument qui prétend que par là nous voudrions restreindre le droit de participer à la vie et aux décisions sur l'avenir de la nation aux seuls descendants des 65,000 colons vivant au Québec au moment de la Conquête. En nul pays, français, anglais, allemand, américain, etc., la désignation nationale ne signifie que seuls les descendants des premiers habitants ont des droits de citoyens. Mais pour les exercer, les étrangers qui sont venus se joindre aux groupes originaux ont dû devenir Français, Anglais, Allemands, Américains, etc., selon certaines conditions en vertu desquelles ils ont été intégrés à la nation. Pourquoi, Dieu du ciel! nous laissons-nous raconter par les Anglo-Canadiens de tels enfantillages et pourquoi faut-il qu'il se trouve chez nous des gens apparemment sérieux pour les répéter sans faire montre du moindre esprit critique? Disposés à les avaliser même, en inventant ce concept de pluralisme qui n'est finalement qu'un aveu de faiblesse, de notre refus d'assimiler. Quelle tristesse que d'être à ce point une nation criolée d'esprits colonisés, prêts à retourner contre nous tous les arguments futiles des colonisateurs pour nous maintenir sous leur hégémonie. N'y a-t-il pas déjà au Québec tous les Harvey, les Murray, les Warren, les McNicoll, les Blackburn, les Fraser, les Allen, etc., pour régler ce débat. 

Problème éminemment sérieux donc que cette confusion autour du "Québécois", car elle met en jeu le fondement même de notre légitimité à revendiquer le droit à l'autodétermination dans l'intention de pouvoir construire nous-mêmes le Québec de demain. Car la question se pose: les Québécois, tel que nous avons accepté de les laisser définir pour la participation au référendum, ont-ils droit à l'autodétermination? Je crains fort que la réponse ne soit: NON! Car ce Québec-là n'est pas propre aux seuls Canadiens-Français, peuple conquis, réclamant comme tel, et légitimement comme tel seulement, sa libération. Ce Québec-là est un produit de l'histoire canadienne et sur lequel le Canada a des droits si ce n'est pas la primauté des nôtres que nous affirmons. Car le droit à l'autodétermination ne relève pas du principe démocratique, mais du droit des peuples, des vrais peuples à disposer d'eux-mêmes. Et le Québec de "tous les Québécois" indifférenciés n'est pas un vrai peuple, mais une partie de ce peuple canadien qui tient la nation canadienne-française en sujétion. 

Ne voit-on pas le ridicule de parler du droit à l'autodétermination, par rapport au Canada, des Canadiens-Anglais vivant au Québec? Pour eux, voter "oui" au référendum eut équivalu à une trahison de leur vrai pays, le Canada; une injure à la nation "Canadian" dont ils font partie. Leur demander de dire "oui" à notre autodétermination? Situation complètement loufoque, dont un René Lévesque n'a pas su se tirer en raison de faux scrupules démocratiques et d'une peur quasi morbide de tomber dans le racisme, alors que ce dont il s'agissait, c'était d'avoir le courage d'affronter la vérité contre les déchaînements de faussaires de la démocratie soucieux de leurs privilèges et de leur domination. Mais pourquoi ne blâmer qu'un René Lévesque, alors que j'ai vu tant de nos nationalistes même les plus traditionnels se sentir tout honteux à la seule pensée qu'on pourrait nous accuser de racisme parce que nous tenterions de faire reconnaître les exigences du plus élémentaire bon sens: à savoir que doivent voter sur un tel problème, ceux-là seuls qui appartiennent, non pas à un certain territoire, mais à la nation concernée. Ferions-nous voter tout le Québec s'il s'agissait de savoir si les Inuits veulent s'autodéterminer? Cela qui nous paraîtrait d'un ridicule achevé ne l'est pas moins même si les "étrangers" ne sont que 20% du Québec. 

Non, le droit à l'autodétermination ne peut pas être fondé sur l'idée de démocratie, car on aboutirait à l'absurde. Au nom de la démocratie, n'importe quelle section de territoire, n'importe où, pourrait décider de se séparer si tel le voulait la majorité de ses habitants. Les Montréalais pourraient décider demain de former un pays indépendant, et ainsi de suite du Saguenay-Lac-Saint-Jean, etc. Le droit à l'autodétermination est une affaire de nation, c'est-à-dire de communauté ayant une histoire, de vie en commun, dans un état d'affinité généralement linguistique et culturel, etc., avec l'exigence de l'occupation historique d'un territoire, qui rend praticable l'exercice du droit. Ce droit supplante et ordonne le principe démocratique auquel il interdit de pouvoir briser la communauté nationale sur la base de fantaisies individualistes majoritaires. 

Et au moment de l'exercice du droit, il est proprement absurde de faire voter des personnes qui sont en dehors de la communauté concernée. Cela, qui devient si difficile à saisir, et même à admettre dès qu'on fait intervenir le terme "Québécois", saute aux yeux si on parle des Canadiens-Français. 

Mais alors que faire des Anglo-Canadiens qui vivent avec nous depuis presque toujours et qui s'estiment aussi Québécois que nous? Ils s'estiment peut-être aussi Québécois que nous parce qu'ils aiment vivre physiquement au Québec à leur façon. Mais s'ils restent Canadiens-Anglais, ils ne sont évidemment pas Canadiens-Français de quelque façon que ce soit. Ils ont leur citoyenneté canadienne, mais ils n'ont pas encore les qualités d'une citoyenneté québécoise qui devrait se définir en fonction de la communauté francophone du Québec si celui-ci était, avait été ou devenait un pays indépendant. 

William Pitt avait parfaitement défini la situation lorsque, en 1791, s'effectua la séparation du Haut et du Bas-Canada, par laquelle toute la partie ouest du Canada français de 1774 était réservée pour des colons anglais dans un pays qui deviendrait anglais. Il était bien évident que Montréal ne pouvait historiquement être donnée au Canada anglais bien que sa population fût alors fortement anglaise. À la question posée sur la minorité anglaise ainsi créée, il répondait en substance (je cite de mémoire): "Nous ne pouvons tracer une ligne de frontière qui ne créerait pas de minorités. De chaque côté des frontières respectives, la minorité devra accepter le gouvernement de la majorité". En terme d'autodétermination, cela n'aurait pas pu vouloir dire autre chose que ceci: la minorité anglaise du Québec devra laisser à la nation canadienne-française le soin de décider ce qu'elle entend faire de son pays. 

Aujourd'hui, après le référendum, après que contre tout principe valable, que par faux démocratisme et à rencontre de tout bon sens, nous avons accordé le droit de se prononcer sur l'autodétermination à tous les Québécois canadiens sans distinction d'appartenance nationale autre que canadienne, une réflexion sérieuse va s'imposer à ceux qui songent encore à un Québec indépendant quant à savoir quelle sorte de Québec ils veulent construire. Et si c'est un Québec français qu'ils envisagent des redressements majeurs d'attitudes vont s'imposer. Dans la perspective de l'évolution actuelle, ce qui se prépare, c'est un tout autre Québec que celui que nous avons travaillé à libérer: un Québec bilingue et biculturel, multilingue et multiculturel. Nous allons perdre notre Québec, même en accédant à l'indépendance politique. 

Le Québec que nous voulions libérer, c'est le Québec conquis en 1760 et qui a vécu depuis sous divers régimes d'occupation de types constitutionnels plus ou moins élargis en termes de libertés démocratiques. Nous songions qu'un jour, ce Québec-là, le Québec des Français canadiens, foyer d'une nation, se prononcerait lui-même avec tous ceux qui l'ont joint, pour faire rayonner en Amérique une civilisation franco-québécoise. Or ce n'est pas ce Québec-là qui est impliqué dans l'oeuvre mise en train par le gouvernement actuel au référendum. C'est un Québec curieux, bigarré, dont on ne peut pas dire que son peuple désire, ou peut désirer sa libération. Toute une partie des Québécois reconnus ne peuvent tout de même pas vouloir se libérer d'eux-mêmes, étant ceux dont nous, comme Canadiens-Français, avons aspiré depuis toujours à nous libérer. Toute une autre partie de ces Québécois, immigrés de fraîche date ou descendants d'immigrants, sont venus "au Canada" et n'ont, ne se sont donné, n'ont jamais jusqu'à récemment été sollicités de se donner, aucun fondement sur quoi établir la signification d'être partie d'un peuple québécois. Ils ne sont Québécois que régionalement, et non nationalement. — Oui! Mais la majorité fait la règle du jeu, rétorque-t-on. — Mais, justement, cela n'a rien à voir avec la question. Encore une fois, ce n'est pas un problème de majorité, mais de droit que nous pouvons avoir comme nation de leur réclamer en justice la liberté de disposer de nous-mêmes. Si ce n'est pas cela, c'est qu'alors nous admettons leur droit de nous déposséder éventuellement quand ils auront pu devenir majorité faute d'avoir été assimilés. 

En fait, si nous insistons pour n'être que des Québécois, notre sort se réglera vraisemblablement en fonction de la confusion qui en résulte. Notre histoire nationale propre vient pour ainsi dire de se terminer. Avec notre population décroissante, vieillissante, par dénatalité, le développement économique du Québec, en s'activant, va appeler un peuplement croissant d'immigrants de toute sorte devant qui nous démissionnons en leur conférant tels qu'ils sont les mêmes droits que nous de décider de l'avenir du Québec. Cela pèsera encore plus fort pour le "non" dans de prochains référendums. À moins qu'étant des francophones ou des francophiles moins colonisés, donc plus agressifs que nous pour la conservation du caractère français du Québec, ils ne contribuent à notre réveil comme cela s'est vu dans l'immigration française d'après 1945. Autrement, notre sortie du Canada deviendra chaque jour plus impossible, pendant que notre proportion dans l'ensemble canadien se dégradera rapidement, donc notre influence à Ottawa. Et dans Québec même, notre proportion s'amenuisera, quoique plus lentement; à la faveur de quoi grandiront les réclamations multiculturelles résultant de notre renonciation à la liaison "Québécois" et "intégration ou assimilation à la nation originelle". 

De sorte qu'un "oui" ne résoudrait guère mieux le problème pour autant qu'il reste posé dans la perspective "québécoise" actuelle plutôt que canadienne-française. Un "oui" massif obtenu avec la collaboration des anglophones et des allophones dans l'équivoque du droit à la non-intégration, créerait les bases d'un Québec nouveau. Car alors, ceux-là s'estimeraient reconnus comme des communautés distinctes, pourvues de droits et se retrouvant, au Québec, dans la même position que nous avons soutenus être à l'intérieur du Canada. Ils nous réclameraient leur droit de rester eux-mêmes en raison même du droit que nous leur avons concédé de décider avec nous selon leur entité propre. 

Lors du débat sur la langue à propos du bill 63, j'ai fait remarquer, dans mes analyses de L'Action nationale, que la façon dont René Lévesque conduisait son argumentation d'opposition, en fondant les droits des anglophones sur une théorie de droits acquis, engageait le Québec dans la voie de la formation d'une seconde Belgique, c'est-à-dire d'un pays finalement bilingue, non pas d'un vrai Québec français. Grâce à Camille Laurin, la loi 101 nous a évité les confusions les plus flagrantes en réduisant les droits statutaires reconnus des anglophones au rang d'un privilège consenti généreusement en raison de considérations historiques spéciales, non en vertu d'un droit fondamental réel; et en orientant toute la loi dans le sens d'une francisation totale de toutes les autres institutions. Ainsi s'est affirmée l'existence et se sont fondées les bases d'un Québec français linguistiquement parlant, qui laisse sous-entendre nos droits, non pas de majorité démocratique, mais de nation possédante du Québec, d'en faire un pays de culture "québécoise" au sens, qu'il faut inéluctablement faire intervenir si l'on veut se comprendre, de "canadienne-française". 

Mais cette législation restera bien fragile et finira par sauter, si dans tout le reste de notre politique nous ne nous affirmons pas comme la nation possédante de droit et seule justifiée d'exercer ses droits pour construire un Québec de culture... canadienne-française. Car si je dis "québécoise", tous les "Québécois" tels que nous les avons fait voter au référendum sur leur libre disposition d'eux-mêmes, tels qu'ils étaient, — réclament le droit perpétuel de rester ce qu'ils sont, de se développer comme communauté anglaise, italienne, allemande, ukrainienne, etc. Et il n'y a plus une nation du Québec de culture bien définie, mais une nouvelle nation québécoise en formation dont la culture ultime sera le résultat d'un mixage plus ou moins complet des cultures des différentes ethnies selon leur bon vouloir. En ce sens, le "non" massif de l'élément non-canadien-français de la population québécoise sauve en partie la situation en faisant la preuve concrète de l'erreur commise; et nous permet de nous reprendre. 

Pour sortir de cette confusion mortelle pour l'avenir d'un Québec français, il faut nous ressaisir au plus vite et reprendre la bataille en la resituant dans sa perspective nationale. Bien sûr, il nous faut pour cela faire un appel claironnant à la solidarité nationale qui nous permettra d'utiliser l'instrument de notre majorité pour nous réaliser. Mais c'est notre histoire nationale, les droits historiques qui en découlent pour fonder notre autorité qui, seuls, nous justifient de réclamer la possession fondamentale et le droit d'aménager le Québec selon notre culture par l'intégration et l'assimilation graduelle de ceux pour qui nous sommes une terre d'asile, de liberté et de prospérité. Et non pas notre majorité qui n'est en la matière qu'instrumentale dans la possibilité de faire valoir nos droits. Serions-nous minorité, ou le deviendrions-nous que nos prétentions n'en seraient pas moins fondées, quoique évidemment plus difficiles à exercer. 

Inutile de dire que dans la tradition de L'Action nationale, le nouveau Québec "français et pluraliste" dont parlent d'aucuns est trop plein de l'équivoque du Québécois indifférencié pour ne pas risquer d'être une trahison de la lutte séculaire pour un Québec français. Ce qu'il s'agit de faire respecter ce sont les droits de notre nation française d'Amérique de retrouver la possession pleine et entière du territoire national qui lui reste de sa longue histoire de lutte pour le triomphe d'un lieu de civilisation française en Amérique.

Cela ne veut pas dire que nous nions les droits individuels des minorités ethniques qui habitent avec nous de conserver à leur guise leur langue et des traits de leur culture originelle, qui ne peuvent qu'être une cause d'enrichissement de notre propre culture. Mais cela veut clairement dire que nous devons cesser d'avoir peur de parler d'une politique intelligente et humaine d'intégration de ces ethnies à notre culture nationale de façon que leurs membres deviennent progressivement de véritables Québécois-Canadiens-Français avec les générations. Il nous faut cesser de nous laisser rendre honteux, par la propagande anglophone répandue chez nous par les ethnies, de parler d'intégration et même d'assimilation des minorités à notre civilisation. Ce n'est pas autrement qu'on a fait en France et aux États-Unis, des Français et des Américains, avec des Juifs, des Italiens, des Polonais, des Allemands, etc. C'est ce qui se passe normalement partout; et c'est ce que les Canadiens-Anglais eux-mêmes font ou tentent de faire des immigrants qu'ils attirent de leur côté. 

Nous sommes donc arrivés à l'heure où il faut mettre de la lumière dans nos esprits et de la détermination dans nos coeurs. Mais de la lumière dans nos esprits d'abord, car ce n'est pas sans beaucoup de coeur — trop de coeur mal éclairé — que nous avons malgré nous généré tant de confusion depuis dix ans. Que nous nous désignions comme Québécois ou comme Canadiens-Français, il va nous falloir remettre de l'avant avec beaucoup de force et de détermination, par une surenchère de coeur bien dirigé, l'essentiel: à savoir que le Québec est la partie du Canada (historique nous n'y pouvons et n'y pourrons jamais rien) nettement destinée par toute son histoire à incarner le fait français en Amérique. Et qu'il n'est pas question d'en démordre, si antidémocratiques ou racistes qu'on puisse nous prétendre pour cela. 

Ce fait français, c'est notre droit de le vivre dans toute sa plénitude de nation française d'Amérique libre que nous réclamons sur l'ensemble de tout le territoire québécois et dans toutes ses parties, sous réserve des droits. 

Des Amérindiens qui seuls peuvent nous opposer des réserves (dans le sens général du mot, et sans mauvais jeu de mots). La place des autres n'est pas une "marginalisation"; c'est une distinction légitime à faire entre des "étrangers dans la Cité", qui peuvent être bienvenus comme tels s'ils nous respectent, et des amis qui choisissent de vivre avec nous le fait français en s'y intégrant tout en l'enrichissant de leurs propres caractéristiques particulières intégrables, c'est-à-dire non contradictoires. 

Ce qui est indéniable, c'est que dans notre situation historique, il est plus facile de faire passer et accepter notre cause en nous définissant comme Canadiens-Français plutôt que comme Québécois. La preuve en est maintenant faite par les confusions dans lesquelles cette dernière notion a fait tomber même nos chefs supposément les plus avisés. Mais si on n'y peut plus rien psychologiquement; par rapport à nous, à cette "fierté d'être Québécois" qui en a motivé plusieurs, alors que cette fierté nous pousse à vouloir trouver, à partir de là, la formulation plus significative capable de nous tirer de la fraude dont nous sommes en train de devenir les victimes consentantes. Il faut nous rendre compte comme avec Michel Brunet pour le terme "canadien" qu'il y a à distinguer pareillement deux sortes de Québécois; parallèlement aux expressions "Canadiens" et "Canadians", il y a des "Québécois" et des "Quebeckers". De sorte que parallèlement encore et pour fins de distinction en traduction, il faudrait parler de "Québécois-Français" et de "Québécois-Anglais", dont ressortira l'évidence que le droit à l'autodétermination ne concerne et ne peut concerner que les Québécois-Français, les autres ne pouvant nullement y être impliqués, sauf par rapport au droit des Québécois-Français de le leur imposer en s'auto déterminant. Les considérations de politique électorale, de langage édulcoré sur le sujet pour gagner le vote des autres ne doivent plus être tolérés par rapport à cette ligne droite. Si nous ne sommes pas disposes à affronter les exigences d'une politique d'autodétermination, n'en parlons plus et passons à autre chose. 
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Source (Texte complet) http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2233114

Sur le même sujet : https://gilles-verrier.blogspot.com/2018/10/puis-vint-lexperience-du-parti-quebecois.html

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